La guerre en Ukraine et la gauche anti-impérialiste. Une anticritique
La publication de l’article d’Alain Bihr et Yannis Thanassekos, sous le titre « La guerre en Ukraine, le récit dominant et la gauche anti-impérialiste », a suscité de nombreuses réactions et objections, dont celle-ci, collective, publiée sur notre site. À ces critiques, Alain Bihr et Yannis Thanassekos ont souhaité répondre par ce texte qui précise et développe plus longuement leur propos.
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Lorsque nous avons entrepris de rédiger l’article intitulé « La guerre en Ukraine, le récit dominant et la gauche anti-impérialiste »[1], nous poursuivions un double but. Il s’agissait, d’une part, d’alerter nos propres rangs sur le danger politique qui les menaçait du fait de la reprise, par certains de ses membres, du discours non seulement dominant mais quasi exclusif (du moins dans l’espace public officiel) sur la guerre en Ukraine, ses tenants et ses aboutissants, et, pis encore, du fait de leur ralliement (au moins ponctuel et temporaire) aux positions politiques subséquentes : appui inconditionnel à l’Ukraine, soutien militaire de la part de l’Otan, train de sanctions économiques et financières à l’encontre de la Russie, etc. Mais, conscients de ce que l’événement en question et la situation politique qui en résulte sont complexes et instruits par des précédents historiques similaires (mais non pas identiques), nous tenions aussi bien à ouvrir un débat avec ceux-là mêmes que cet article mettait en cause.
En en faisant réagir certains d’entre eux, soit sous forme d’échanges privés (courriels), soit publiquement, nous avons au moins créé les conditions d’un tel échange. Nous avons répondu personnellement à chacun-e. Nous proposons ici une réponse synthétique qui passera en revue leurs critiques les plus courantes et s’efforcera de répondre à chacune d’elles, de manière à rendre publics les termes du débat et à permettre à chacun-e de se prononcer. Nous les examinerons par ordre d’importance croissant.
1. Plusieurs de nos critiques nous ont reproché de n’avoir pas dénommé précisément les personnes, groupes, organisations, etc., dont nous avons critiqué les positions. L’un d’eux a même estimé que, ce faisant, « il (notre article) prend la solution lâche de ne fâcher personne ». Ce qu’est venue démentir la virulence de certaines des interpellations que nous avons reçues, dont la sienne propre au demeurant.
En fait, nous avons délibérément choisi de ne nommer personne pour quatre raisons. D’une part, ç’aurait été sinon impossible du moins difficile. Le nombre de ceux et celles qui ont exprimé et continuent à exprimer les positions que nous avons attaquées est tel qu’un article court (comme celui que nous voulions écrire pour qu’il ait quelques chances de paraître) ne pouvait se permettre de s’alourdir de citations en cascade. De surcroît les positions que nous critiquions étaient souvent tellement répétitives d’un texte à l’autre et d’une réaction à l’autre, que tout recensement aurait été laborieux et scolastique.
D’autre part, la chose nous est apparue inutile. Et les réactions que nous avons enregistrées nous ont donné raison. Les principaux et principales intéressé-e-s se sont reconnu-e-s sans peine dans les cibles que nous avions désignées, sans quoi ils et elles ne nous auraient pas répondu – et surtout pas avec une telle hostilité. C’est donc que ces cibles étaient aisément identifiables sans avoir à être dénommées explicitement.
De plus, nous avons eu le souci – et nous l’avons toujours – d’éviter les querelles interpersonnelles qui virent trop souvent à la polémique stérile, tournant à la guerre des ego pour éviter d’aborder les questions de fond. Les susceptibilités froissées qu’ont manifestées certaines des répliques reçues montrent que, là encore, nous avons bien fait… D’ailleurs, une thèse vaut par son contenu propre (dont fait partie son argumentation), non pas par la ou les personnes qui la défendent, quels que puissent en être et le nombre et la qualité. Une erreur répétée treize fois ne se transforme pas en vérité pour autant…
Ajoutons enfin qu’un certain nombre de nos critiques ont été et restent pour nous des camarades. Le fait de n’avoir pas voulu tomber dans la polémique, d’avoir délibérément écarté toute attaque ad hominem et toute formule condescendante ou blessante a également répondu au souci de sauver ce qui peut l’être de cette camaraderie politique et de ne pas hypothéquer l’avenir en éveillant des animosités inutiles. Un souci que tous nos interlocuteurs n’ont malheureusement pas tous partagé…
Pour toutes ces raisons, nous continuerons à maintenir l’anonymat sans cependant nous priver de citer certains passages des messages que nous avons reçus, quand cela nous paraîtra utile ou quand cela s’avèrera nécessaire.
2. Certains de nos interlocuteurs nous ont également reproché de n’avoir pas manifesté de compassion à l’égard des souffrances endurées par les populations ukrainiennes ni d’admiration pour leur « résistance héroïque» dans le cadre de la « juste guerre » qu’elles mènent contre l’agression russe – les seules choses qui semblent compter à leurs yeux embués. Ce que l’un d’eux a résumé en qualifiant notre propos d’« abstrait », de « désincarné » en somme.
Commençons par leur rappeler qu’il est toujours aventureux de « s’arroger le monopole du cœur »… Car, finalement, qui a le plus de cœur : celui qui manifeste bruyamment de l’empathie avec les victimes ou celui qui cherche aussi rigoureusement que possible à désigner le ou les responsables ? D’autant plus qu’avoir du cœur ne constitue en rien une garantie quant à la vérité de ce que l’on avance.
Nous justifierons notre défaut apparent de cœur par deux raisons. D’abord par la volonté de ne pas céder aux pièges de la contagion émotionnelle. Car mettre en avant les horreurs de la guerre (les destructions, les morts et les blessés, les victimes civiles, de préférence femmes et enfants, les crimes de guerre, etc.) ou l’héroïsme dans la guerre, comme l’ont fait massivement et continuent à le faire « nos » médias, est le moyen le plus efficace pour susciter ou, du moins, entretenir les effets d’effroi et de sidération que provoque la guerre, qui sont de puissants obstacles à toute réflexion : à toute prise de distance par rapport aux événements et aux affects qu’ils suscitent, sans laquelle aucune analyse ni aucune évaluation rationnelle ne sont possibles.
Ensuite, face à un événement politique (et quel événement peut-il être plus politique que le déclenchement et la poursuite d’une guerre ?), à qui veut prendre position politique par rapport à lui, il est impossible d’en rester au stade du pathos : de l’empathie pour les victimes et de l’admiration pour leur résilience. Sauf à réduire le politique aux sentiments, à l’affect et à l’humanitaire. Face à une famine par exemple, faut-il se contenter de plaindre les affamés et ceux qui meurent de faim et en appeler à l’organisation de secours sous forme d’acheminement et de distribution de nourriture, comme le proposeront la Croix-Rouge, les agences ad hoc de l’Onu, les ONG, etc. ? Ou une démarche politique n’implique-t-elle pas, en plus ou indépendamment de cela, de rechercher les causes économiques, sociales, politiques, etc., du phénomène, qu’elles soient internes au pays où sévit cette famine ou qu’elles se situent dans les rapports que ce pays entretient avec ses voisins et, plus largement, dans son inscription au sein de la division internationale du travail telle qu’elle est façonné par le déploiement mondial des rapports capitalistes de production sous l’action conjuguée des entreprises transnationales, des Etats centraux, des organisations financières internationales (Banque mondiale, FMI, etc.) ? C’est mutatis mutandis ce que nous avons proposé face à la guerre en Ukraine.
Certes, nos opposants en ont fait autant, mais en réduisant leur analyse à la désignation de la Russie de Poutine comme l’unique (ou du moins le principal) coupable, ils n’ont pas pu prendre volontairement et explicitement leur distance par rapport au pathos, confortés en cela par le discours dominant, véhiculé par la quasi-totalité de « nos » médias et de l’ensemble de « nos » gouvernants. Une facilité qui nous était interdite et que nous nous sommes précisément interdite.
3. Dans le même ordre d’idées, il nous a été reproché d’oublier ce qu’ont été les positions prises par la gauche internationaliste et anti-impérialiste en des circonstances antérieures similaires, en soutenant les peuples agressés contre leurs agresseurs et en se portant à leur secours sans hésitation aucune. Et d’évoquer, selon le cas ou tout d’un bloc, des contextes historiques aussi spécifiques et singuliers que celui de la guerre d’Espagne, une guerre civile aux dimensions internationales (1936-1939), celui des transactions de Munich, prélude à la Seconde guerre mondiale (1938-1939), celui de la guerre à la fois civile et internationale au Vietnam (1946-1975), celui de la guerre d’Algérie impliquant une quasi guerre civile en métropole (1954-1962), celui des guerres d’Afghanistan (1980-1989, 1996-2021), etc. : même s’ils reconnaissent eux-mêmes qu’il y a des différences notables entre eux, ils les considèrent finalement comme des contextes aux enjeux transférables non seulement de l’un à l’autre mais aussi similaires (donc transférables) à ceux du contexte actuel de la guerre en Ukraine !
Nous pensons que procéder de la sorte est commettre une erreur foncière de méthode. En effet, tout événement historique est singulier et doit d’abord s’appréhender, s’analyser et se comprendre dans sa singularité historique, en fonction de son contexte historique propre, lui même singulier même s’il peut relever de déterminations générales. C’est le sens de la fameuse formule léniniste : il faut conduire « une analyse concrète de la situation concrète »[2]. Ce n’est qu’une fois cette analyse menée et sur les bases de ses résultats que l’on peut procéder à une comparaison entre cet événement historique et d’autres, d’apparence semblable, pour déterminer ce qu’ils ont en commun et de différent.
Or ce n’est nullement la démarche suivie par ceux de nos opposants, qui nous ont reproché de ne pas avoir rapproché l’actuelle guerre en cours en Ukraine de celles évoquées plus haut, pour en déduire ce qu’il fallait en penser et quelle attitude politique adopter en conséquence. Eux ont mis la charrue avant les bœufs : ils sont partis d’un tel rapprochement a priori, sans s’être donné préalablement la peine de se pencher sur l’événement contemporain dans sa singularité. Autrement dit, ils ont plaqué un schéma tout fait sur l’événement en question, sur la base de similitudes apparentes qui peuvent être parfaitement trompeuses et qui, de fait, le sont pour une bonne part, comme nous allons le voir.
En fait, la critique ici examinée présente le même défaut majeur que la précédente : l’absence ou le déficit d’analyse de l’événement. A cette différence près que les tenants de la première pensaient pouvoir s’en dispenser au bénéfice de l’intensité et de la sincérité de leur engagement pathétique tandis que les tenants de la seconde (mais c’étaient quelquefois les mêmes) croyaient pouvoir être quittes de la nécessité de procéder à une telle analyse en reprenant des schémas d’analyse tout faits.
4. D’une telle « analyse concrète de la situation concrète», notre article donnait un exemple que nous livrions par cela même à la discussion. Elle articulait deux affirmations connexes. D’une part, l’actuelle guerre en cours en Ukraine ne peut se comprendre et s’évaluer comme étant seulement (ce qui implique qu’elle est aussi !) un conflit entre la puissance impérialiste russe, cherchant à reconstituer l’espace de l’ancienne URSS voire celui de l’ancien Empire tsariste, et le jeune Etat-nation ukrainien né de l’éclatement de feu l’URSS ; elle met aussi en jeu un conflit interimpérialiste entre l’ensemble du bloc occidental, hégémonisé sous la conduite des Etats-Unis dans le cadre de l’Otan, et la Russie, qui trouve son origine dans la collision entre l’expansion du premier en Europe centrale et orientale et la remontée en puissance de la seconde. D’autre part, de ces deux conflits, le second surdétermine le premier, en expliquant notamment pourquoi ce dernier a fini par conduire à la guerre, mais n’y a conduit qu’au terme de tout un processus dont nous avons rappelé quelques-unes des principales phases[3].
Cette thèse reconnaissait donc d’emblée le caractère complexe du conflit en cours, complexe en ce sens qu’il combine deux conflits différents et quant à leurs dimensions et quant à leurs enjeux, que notre analyse se proposait de préciser, d’articuler et de hiérarchiser. Au vu du déroulement du conflit depuis lors, il convient d’ailleurs de complexifier encore davantage l’analyse puisque, manifestement, il est en train de fournir aux Etats-Unis les moyens de réaffirmer et de renforcer leur hégémonie relativement à leurs alliés européens, donc de faire évoluer en leur faveur le rapport de force (lui-même complexe) qui les oppose à ces derniers, en faisant à nouveau passer au premier plan ses composants stratégiques et militaires, plan sur lequel les premiers disposent d’une supériorité manifeste à l’égard des seconds. Et les Etats-Unis sont simultanément gagnants sur le plan des conséquences des sanctions économiques et financières prises à l’encontre de la Russie et des contre-sanctions de cette dernière (en matière d’exportations de céréales et de gaz notamment), qui frappent bien davantage les Européens que leur mentor américain.
C’est précisément au nom de la complexité de ce conflit que nous nous sommes élevés contre la simplicité (en fait l’unilatéralité) de ce que nous avons appelé « le récit dominant », celui massivement narré par « nos » médias et « nos » gouvernants, ne retenant que le conflit entre Russie et Ukraine pour rejeter dans l’ombre et passer sous silence celui entre la Russie et l’Occident – partant leur propre responsabilité dans la genèse de la situation qui a conduit à la guerre. Et c’est précisément la même simplicité que nous avons reprochée à la position adoptée par celles et ceux des membres de la gauche radicale (en principe anticapitaliste et donc anti-impérialiste), reprenant pour l’essentiel ledit « récit dominant ».
Dans ces conditions, une discussion conduite selon les règles de la disputatio la plus classique aurait voulu que celles d’entre elles et ceux d’entre eux qui entreprendraient de nous répondre s’en prennent précisément à cette thèse, élément central de notre article, en cherchant à en démontrer les limites, les insuffisances voire la fausseté radicale. Or il n’en a rien été. Au mieux, certains ont-ils concédé que, certes, le conflit mettait aussi en jeu les rapports entre Russie et Occident mais pour récuser immédiatement cet élément comme secondaire et non pertinent et (ré)affirmer que seul importait le conflit entre Russie et Ukraine. D’autres ont estimé que la dimension interimpérialiste du conflit était purement imaginaire et que sa mobilisation dans nos analyses nous rendait objectivement si ce n’est subjectivement complice de l’agresseur russe. Les plus méprisants n’ont évoqué notre thèse que pour la dénigrer immédiatement (ce qui est assurément plus facile que de la discuter sérieusement) en la qualifiant de « néocampiste » et en nous accusant d’être, au choix, des « munichois » ou des « rouges-bruns » et de pratiquer « l’anti-impérialisme des imbéciles ». La plupart n’en ont tout simplement pas fait mention comme si elle était insignifiante. A moins qu’ils n’aient craint que nous répondre sur ce point ne les expose au risque d’aggraver encore leur lecture unilatérale des événements.
Entendons-nous bien. Ce qui nous a étonnés, ce n’est pas que nos critiques aient persisté et signé dans l’approche du conflit qui est la leur. C’est que, face à une thèse contraire, ils l’aient fait sans aucune argumentation sérieuse, soit pro (en faveur de leur thèse) soit contra (en s’en prenant à nos propres arguments). Rien n’a ainsi été objecté aux rappels auxquels nous avons procédé du non-respect des engagements pris par les dirigeants occidentaux de ne pas étendre l’Otan en Europe centrale et orientale lors de la décomposition du « bloc socialiste » au tout début des années 1990 ; des mises en garde répétées sur les conséquences potentielles d’une telle expansion en termes de montée de tensions entre la Russie et les puissances occidentales ; des violations répétées au cours des trois dernières décennies de l’ordre international par les Etats-Unis et certains de leurs alliés, dans ou hors du cadre de l’Otan, initiant ainsi plusieurs agressions et guerres injustes ; du retrait unilatéral des Etats-Unis d’un certain nombre de traités visant à l’interdiction ou à la limitation de certains types d’armements ; etc.[4]. Tout cela a été superbement ignoré, éventuellement réduit au rang de détails insignifiants et irrelevants de la géopolitique la plus récente, jamais vraiment discuté comme causes, pertinentes ou non, de la situation présente.
Les quelques rares objections sur l’un ou l’autre de ces différents points ont été inconsistantes. Ainsi : « Ce n’est pas l’Otan qui s’est étendu à l’Est, ce sont les pays de l’ancienne zone soviétique qui ont sollicité l’Otan pour y être intégrés ». Comme le rappellent les actuelles candidatures à l’adhésion à l’Otan de la Finlande et de la Suède, la procédure d’adhésion implique toujours une demande formelle de la part de l’Etat candidat, qui doit être acceptée par l’ensemble des Etats déjà membres de l’organisation. Ceux-ci avaient donc tout loisir de refuser les candidatures des Etats d’Europe centrale et orientale, s’ils l’avaient voulu. Mais, précisément, leur volonté a été contraire : lors d’un sommet de l’Otan qui s’est tenu à Madrid en 1997, la Hongrie, la Pologne et la République tchèque ont été officiellement conviées à rejoindre l’Alliance atlantique.
Ou encore, est-ce bien sérieux de prétendre que rappeler les responsabilités occidentales dans la genèse de la situation géopolitique qui a conduit à la guerre actuelle en Ukraine serait se faire les porte-parole de Moscou ? Accuser l’Otan reviendrait-il à disculper Poutine ? Quand quelqu’un commet un forfait indéniable, que tout le désigne manifestement comme le coupable et que tout le monde (ou presque) le dénonce comme tel, en quoi est-ce le disculper que de montrer que l’affaire est un peu plus compliquée que cela, en ce que l’accomplissement du forfait implique également les manoeuvres d’un troisième larron qui se trouve être aussi parmi les principaux accusateurs du coupable manifeste ? C’est tout simplement tenter d’apporter un surcroît d’intelligibilité à une séquence que le rouleau compresseur idéologico-médiatique, que cet acteur de l’ombre est en mesure d’activer, cherche à réduire à un schéma manichéen.
Ce qui étonne dans cet argument, c’est la confusion qu’il établit entre explication ou compréhension et justification : essayer d’expliquer ou de comprendre des phénomènes, qui plus est complexes, reviendrait à les justifier, à leur procurer des titres de légitimité. Vieille rengaine ! Emmanuel Valls, alors Premier ministre, l’avait déjà servie après les attentats de novembre 2015 à Paris en accusant historiens, sociologues et politologues qui cherchaient à expliquer ces actes terroristes, de vouloir les justifier.
Même la critique la plus détaillée et la plus construite qui ait été développée s’avère défaillante sous ce rapport[5]. Elle aussi n’échappe pas à l’ironie facile : se référer comme facteur explicatif aux contradictions interimpérialistes qui traversent l’actuelle phase de mondialisation serait aussi peu « sérieux » que d’invoquer « celles de la Providence divine ou du Cosmos » ! Evidemment, il ne nous est pas expliqué en quoi consisterait un tel manque de sérieux. Cela nous renseigne au moins sur le cas que les auteurs de cette critique font de la théorie de l’impérialisme… Après quoi ils nous reprochent de « ramener l’inconnu au connu », comme si cela n’était pas la démarche propre de toute connaissance jusqu’au point de mettre en évidence la part de résidu irréductible au connu, part qu’ils se gardent bien de nommer en l’occurrence : qu’y aurait-il d’inconnu dans la situation présente qui résisterait aux schémas d’analyse que nous avons proposés ? Le lecteur ne le saura pas davantage.
A moins qu’il ne s’agisse « des silences gênants » qu’ils nous reprochent immédiatement par après, portant à la fois « sur les hauts et les bas des relations russo-américaines de l’implosion de l’URSS à 2014 », « l’histoire récente des collaborations avec le régime de Poutine tout comme les relations étroites entre le régime russe et certains fractions du capitalisme allemand ou encore les ventes d’armes de pays occidentaux à la Russie après 2014 » ou encore l’ « agenda impérialiste qui lui [le régime russe] est propre ». Si silence il y a eu de notre part par rapport à cet agenda, il n’a rien de gênant relativement à notre thèse centrale. Il ne nous était pas nécessaire de nous attarder sur ce point, tant le « récit dominant » en a fait ses choux gras, alors que nous proposions précisément un autre menu. Quant aux deux autres points, ils renvoient à un type de contradictions présentes dans toutes les menées impérialistes, contradictions qui ne peuvent interloquer que ceux qui transforment l’impérialisme en une puissance… providentielle ou cosmique ! Sans compter l’évident changement de régime qu’a constitué le passage de la « direction » Eltsine à la direction Poutine puis les différentes étapes de la politique intérieure et extérieure menée par ce dernier, sous la pression occidentale ou non.
En définitive, nous devons constater que l’ensemble des réponses que nous avons reçues n’ont aucunement entrepris de discuter sérieusement les deux volets de notre « analyse concrète de la situation concrète » rappelés ci-dessus. Pis encore ! Quand, dans les réponses que nous leur avons adressé personnellement, nous avons proposé à nos critiques d’en discuter publiquement, nous nous sommes heurtés à plusieurs reprises à des refus catégoriques. Lorsque dans un débat, même polémique, l’une des parties vise à ce que l’autre partie apparaisse comme un « paria », un « pestiféré », le débat n’a plus aucune valeur ni aucun sens. Ou nos interlocuteurs craindraient-ils tout simplement une telle discussion publique ? La seule exception aura été l’article publié par Contretemps et nous nous en sommes félicités[6].
5. A défaut d’une critique des deux affirmations centrales de notre propos, nous avons eu à subir celle, répétée de multiples fois et sur divers tons, de notre désapprobation de l’aide multiforme apportée par les forces militaires de l’Otan à l’Ukraine, alors même que cette dernière découle des premières, comme nous allons le voir dans un moment. Cette désapprobation nous a notamment valu, à nouveau, l’accusation de nous faire les complices et les suppôts de Poutine, voire (moyennant une identification de ce dernier à Staline sur laquelle il nous faudra revenir) de défendre une position qui « n’est partagée que par les staliniens nostalgiques de l’URSS » ou qu’« Alain de Benoist pourrait contresigner ce qui est dit [dans notre article] ». Rien de moins ! Consolons-nous en constatant qu’en l’occurrence la catégorie de stalinien est devenue encore un plus élastique qu’elle ne l’était déjà et que cela nous vaut aussi d’être mis dans le même sac que des gens bien divers, dont… le pape François[7] !
Expliquons-nous une fois pour toutes à ce sujet. Face à l’agression russe, les populations vivant en Ukraine n’ont d’autre choix immédiat que de se défendre – dès lors du moins qu’elles s’identifient comme Ukrainien-iennes et s’identifient à l’Etat-nation ukrainien. Elles en ont aussi le droit, reconnu internationalement. Partant, elles ont parfaitement le droit encore de faire appel à l’aide internationale, y compris sur un plan strictement militaire (envoi d’armements et de munition, aide à la formation et à l’entraînement des troupes, enrôlement de volontaires internationaux, etc.) Et c’est au nom de cet ensemble de droits que les Etats occidentaux se sont portés au secours des Ukrainiens en lutte, approuvés en cela par la partie de la gauche radicale que nous avons mise en cause. Mais toute la question est de savoir si nous, membres de cette gauche en principe anti-impérialiste, devons et pouvons en rester là : à simplement répéter les principes de droit international qui viennent d’être rappelés. Répondre par l’affirmative, comme le fait le « récit dominant » dans ses différentes déclinaisons, c’est (a) précisément entériner une perception borgne du conflit qui le réduit à la seule dimension d’un affrontement international entre la Russie et l’Ukraine. Et c’est surtout (b) considérer que, sur un plan géopolitique, il n’y a pas d’autre cadre analytique et axiologique possible (ou du moins supérieur) que celui défini par la division du monde en Etats-nations, qui est précisément une des caractéristiques fondamentales du monde dans sa configuration capitaliste, et par la prévalence des intérêts nationaux et des droits afférents dans ce cadre.
Ne considérons pour l’instant que le premier point ; nous reviendrons sur le second dans un moment. Dès lors que l’on considère que le conflit actuel en Ukraine est surdéterminé par la rivalité entre l’Occident et la Russie, comme nous le pensons, trois arguments militent en faveur d’une dénonciation et non pas d’une approbation de l’aide militaire multiforme que les Occidentaux apportent à l’Ukraine.
En premier lieu, cette aide permet aux premiers de poursuivre et d’amplifier pendant la guerre la politique qui a précisément conduit à la guerre ; pour eux aussi, « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens » (Clausewitz). Comme l’a opportunément rappelé Wolgang Streeck (ancien directeur de l’Institut Max-Plank), « à la grande joie du gouvernement ukrainien, les États-Unis et d’autres pays occidentaux, dont le Royaume-Uni, ont également indiqué que, pour eux, l’objectif de la guerre était une “victoire” sur la Russie qui affaiblirait “de manière décisive” son armée et son économie, tout en faisant en sorte que Poutine soit jugé par un tribunal pénal international » [8] ; et Biden a même été plus explicite en souhaitant « faire tomber le régime de Poutine »[9], etc., dût-on pour cela se battre jusqu’aux… derniers Ukrainiens ! C’est pourquoi les dirigeants occidentaux ont tout intérêt à ce que cette guerre dure (ils font d’ailleurs tout à cette fin, en entretenant les illusions de la direction politico-militaire de l’Ukraine, tout en veillant à mesurer leur appui) et que tout gain territorial des Russes se paie du prix le plus fort, sans compter le prix que paient immédiatement les populations civiles prises dans les combats en Ukraine même.
Dans ces conditions, l’approbation par une partie de la gauche radicale de l’aide militaire occidentale est tout simplement inutile du point de vue même que privilégient ceux qui la préconisent et l’exigent : elle n’ajoute strictement rien au soutien militaire dont l’Ukraine bénéficie de la part des Etats occidentaux, qui n’ont pas attendu cette approbation pour assurer ce soutien et qui peuvent parfaitement se passer de cette approbation. Mais, si elle n’est d’aucun bénéfice pour les Ukrainiens, cette dernière nuit par contre gravement à la gauche anti-impérialiste à laquelle nous sommes censés appartenir. Car cela n’a pas d’autre effet que de la rallier à la politique de l’Otan, de la transformer en force supplétive de « nos » gouvernements en cautionnant toute leur responsabilité dans cette affaire, en la privant du même coup de toute autonomie politique et en l’amenant à renier ses propres valeurs, idéaux et horizon politiques.
En second lieu, cette aide militaire revient à jouer avec le feu… nucléaire ! Car le risque est bien que ce Kriegsspiel ne finisse par déraper, en conduisant à une confrontation directe entre la Russie et l’Otan, qui peut elle-même conduire aux extrêmes (la guerre nucléaire, chimique et bactériologique) que les militaires des deux camps préparent depuis des décennies. Différents scénarios sont possibles. Que se passera-t-il quand les Russes en auront marre de prendre sur la gueule des obus et des missiles fournis par les Occidentaux, fussent-ils tirés par des Ukrainiens, et qu’il leur prendra l’envie d’en faire autant avec les premiers en bombardant leurs arsenaux situés en Pologne et en Roumanie ou simplement leurs voies et moyens d’acheminement des armements vers l’Ukraine ? Et si Poutine est ce fou sanguinaire, prêt à tout pour parvenir à ses fins, que certains se plaisent à décrier, ne faut-il pas craindre qu’il mette en œuvre une riposte « rapide et foudroyante » (selon ses propres termes) dès lors qu’il estimera que les intérêts vitaux de la Russie sont en jeu, comme il en a brandi la menace à plusieurs reprises ? Une situation qui pourrait rapidement se présenter en cas d’affrontement direct entre l’Otan et la Russie au vu de l’avantage manifeste dont disposerait la première sur le plan des forces conventionnelles, ne laissant dès lors à la seconde que le choix de capituler ou de passer à la vitesse supérieure, en recourant à l’armement nucléaire, tactique d’abord, stratégique en cas de réplique.
On nous répondra que le risque d’un tel affrontement est limité, que les Occidentaux veillent à ne pas dépasser certaines « lignes rouges » et en interdisent le franchissement à leurs clients ukrainiens (par exemple : pas de bombardements du territoire russe). Mais qui fixe ces « lignes » ? Pour le moment, ce sont les faucons revanchards du Pentagone qui semblent être à la manœuvre, de la même farine que ceux qui avaient initié et conduit les guerres en Afghanistan, en Irak, en Libye, dont on ne peut pas dire qu’ils aient brillé par leur prudence et leur retenue, en dépit des avertissements pourtant émis par certains membres de leur propre administration.
Et nos camarades, qui se félicitent de voir l’Otan engagé dans ce Kriegsspiel, devraient peut-être aussi s’interroger sur les gagnants de ce jeu guerrier… et sur ses perdants aussi ! Parmi les premiers figurent incontestablement les industries d’armements, dont les carnets de commande grossissent au rythme du déstockage des arsenaux occidentaux au bénéfice des Ukrainiens et de la mise en œuvre des plans massifs de réarmement décrétés par tous les gouvernements occidentaux face à la soi-disant menace russe[10]. Quant aux seconds, ils comptent toutes les populations qui vont payer le prix de cette nouvelle course aux armements, que ce soit sous la forme d’un surcroît d’impôts ou, plus sûrement encore, sous celle de coupes claires dans les dépenses publiques civiles en faveur des prestations sociales, services publics et équipements collectifs. Curieux que des gens qui se réclament de la gauche puissent se rendre aussi aveuglément complices de ce type de politique.
En dernier lieu enfin, approuver une telle aide militaire, c’est s’inscrire totalement dans une logique de guerre qui ne laisse aucune possibilité (du moins dans l’immédiat) de parvenir à une paix négociée, autrement dit à une issue diplomatique. Là encore, il est singulier que nos propres rangs reprennent, sans plus d’examen, le discours guerrier de « nos » dirigeants disant qu’il n’y aurait pas d’autre solution, dans l’immédiat, qu’une défaite militaire russe sur le terrain, dont il faudrait créer les conditions par l’aide militaire multiforme apportée à l’Ukraine et les sanctions économiques et financières à l’encontre de la Russie. Ce faisant, les nôtres ignorent ou méconnaissent complètement que c’est faute que la voie de la diplomatie n’ait pas été empruntée avant le conflit (parce que les Occidentaux ne le voulaient pas, ne croyant pas à la possibilité/capacité de la Russie d’entrer en guerre, ou pire qu’ils désiraient cette guerre – une hypothèse qu’on ne saurait écarter a priori) qu’on se trouve, maintenant que le conflit est engagé, dans une situation où cette voie est très étroite.
Mais, pour l’élargir, il serait de la responsabilité de la gauche anti-impérialiste, plutôt que de hurler avec les loups guerriers, de commencer par dénoncer les responsabilités qui sont celles de « nos » dirigeants dans la genèse de la situation actuelle, autrement dit « son » impérialisme, l’impérialisme du camp dans lequel l’ont placé l’histoire et la géopolitique actuelle, puis de chercher à mobiliser l’opinion publique, et d’abord parmi les travailleurs qui subissent d’ores et déjà les « dégâts collatéraux » de la guerre en termes socio-économiques, en faveur précisément d’une solution diplomatique, de tenter d’impulser un mouvement visant à faire pression sur « nos » gouvernements pour qu’ils sortent de cette logique guerrière et entrent dans la voie d’une résolution diplomatique du conflit. Ce qu’ils auraient dû faire dès le début et ce qui aurait sans doute permis d’éviter la guerre en cours.
En menant une telle campagne et en tentant de provoquer de telles mobilisations, nous serions bien plus fidèles à nos valeurs, aux combats passés de notre tradition et à notre idéal politique qu’en cautionnant les fauteurs de guerre occidentaux, qui sont aussi nos ennemis directs, et en mêlant nos voix aux leurs. Car défendre cette voie, c’est défendre la cause de la paix, qui est aussi dans l’intérêt des populations ukrainiennes et russes comme dans celui de l’humanité en général. Nous y reviendrons encore plus loin.
6. La quasi-totalité des réactions critiques qui nous ont été adressées invoquent systématiquement le principe de l’autodétermination des peuples, principe que nous aurions, d’après elles, refusé de reconnaître au peuple ukrainien. Etrange lecture ! Nous affirmions pourtant ce droit d’entrée dans notre article. Cependant, pour aller au-delà de l’affirmation principielle et pour montrer la complexité historique et politique (théorique aussi) du problème, nous avons consacré tout un paragraphe (intitulé « Sur la question nationale dans le cadre des conflits inter-impérialistes») mettant en garde contre des usages hâtifs et décontextualisés dudit principe. Tous nos contradicteurs ont ignoré ou tout simplement contourné cette partie de notre analyse, renouvelant ainsi la lecture biaisée de notre article déjà dénoncée plus haut. En substance, nous disions que le principe de l’autodétermination des peuples n’est pas un article de foi intangible, qu’il n’est pas davantage suspendu dans le vide, qu’il est toujours fonction de contextes et de rapports de forces, internes et externes, qui le surdéterminent et en fonction desquels il convient de l’interpréter. Bref, il ne constitue pas une valeur absolue. Après tout, comme Rosa Luxemburg l’a signalé, même des Etats-nations conservateurs, répressifs, voire des empires coloniaux, peuvent se légitimer en brandissant pour leur propre compte « le droit des nations à disposer d’elles-mêmes »[11].
Puisque notre propos sur cette question n’a pas été entendu, déployons-en toutes les implications. Commençons par constater que, dans le système mondial des Etats-nations, tel qu’il résulte de l’expansion planétaire des rapports capitalistes de production, toute auto-détermination est toujours et en même temps une hétéro-détermination : chacun de ces Etats n’acquiert et ne peut conserver sa souveraineté que dans le cadre de rapports complexes faits à la fois de coopération, de concurrence, de rivalité et de conflit d’intérêts, générant une hiérarchie mouvante entre ces Etats, le degré et la forme d’autonomie de chacun étant finalement déterminé par sa place dans cette hiérarchie. Et cela vaut tout particulièrement pour les petits Etats-nations, obligés qu’ils sont, pour s’assurer de degrés d’autonomie variables, de conclure des alliances (confinant souvent plus à la vassalisation qu’à des relations entre pairs) avec les grandes puissances du moment, puissances qui dessinent et redessinent selon leurs propres intérêts les espaces et les frontières pour se donner des zones d’influence et de sécurité.
Dans un pareil cadre, il serait naïf de croire qu’il y ait en la matière des « dons gratuits »[12]. Dans l’ère de guerres inter-impérialistes qu’a ouverte la Grande Guerre, les tensions entre les réelles aspirations à l’autodétermination et les non moins réelles contraintes de l’hétérodétermination, prennent, pour les peuples victimes du fracas des armes, les dimensions d’une « crise existentielle », qui alimente le pathos national et nationaliste et qu’instrumentalisent à volonté, chacune à sa façon, les stratégies des puissances impérialistes en conflit mais aussi les différentes bourgeoisies nationales. La guerre en Ukraine réactualise aujourd’hui cette vieille problématique qui remonte au « printemps des peuples », à l’époque des « révolutions et des contre-révolutions » du milieu du XIXe siècle.
Par ailleurs, nous savons que la question nationale et celle des nationalités traversent la pensée marxiste dans ses différentes variantes, depuis Marx et Engels jusqu’à nos jours – tradition de pensée que partage sans doute un grand nombre de nos critiques. On sait que Rosa Luxemburg (s’inspirant des écrits de Marx et surtout d’Engels au sujet des révolutions et des contre-révolutions en Europe entre 1846 et 1850[13]), a été extrêmement critique, parfois même de façon violente, à l’égard du principe de l’autodétermination et des « guerres nationales »[14] qualifiés de « fiction », de « mot d’ordre creux » au service de l’impérialisme[15], thèses auxquelles s’opposa Lénine dans un célèbre débat[16]. Trotski pour sa part, résolument opposé, comme Lénine, à la politique des nationalités de Staline, a défendu (contre ses propres amis) le droit à l’autodétermination de l’Ukraine, mais d’une Ukraine « soviétique, ouvrière, paysanne unie, libre et indépendante » précise-t-il, y compris son droit de faire sécession par rapport à un État soviétique bureaucratiquement déformé et totalitaire, véritable repoussoir pour le peuple ukrainien. Et pas seulement pour lui : c’était le cas aussi du peuple finlandais comme l’a attesté l’échec patent de l’intervention militaire soviétique sur le territoire finlandais à partir de fin novembre 1939 (la « guerre d’Hiver »). Ajoutons encore que, pour Trotsky, la juste revendication de l’indépendance de nationalités opprimées dans la glaciation stalinienne de l’URSS était inséparable de leur lutte contre la bureaucratie stalinienne et son éventuel renversement dans la perspective des « États-Unis soviétiques d’Europe ». Sa défense de l’autodétermination des peuples opprimés s’inscrivait toujours dans la perspective de la révolution permanente[17].
Il ne s’agit pas ici de déterminer qui a eu raison et qui a eu tort dans ce terrible climat de feu et de sang, mêlant interventions étrangères, guerre civile, révolution et contre-révolution, au cours duquel les lignes de forces et les alliances se sont bousculées en Europe (1917-1939). Nous sommes à mille lieues d’un tel contexte. Il s’agit tout simplement de prendre acte du fait que, comme nous le disions plus haut, la validité de principes ne se juge pas in abstracto, qu’il s’agit toujours de procéder à l’évaluation de contextes historiques et de rapports de force qui dépassent largement et qui surdéterminent les intentions des acteurs – où l’on est une nouvelle fois renvoyé à la nécessité incontournable de « l’analyse concrète de la situation concrète ». Les aspirations à l’autodétermination et les contraintes de l’hétérodétermination saisissent au vif les peuples, victimes par procuration de guerres interimpérialistes, se conciliant ici, se heurtant ailleurs.
7. Personne ne peut contester le droit du peuple ukrainien, sauvagement agressé par l’impérialisme russe, de se tourner, du moins à partir de 2014, vers l’Occident (Etats-Unis, Union européenne, Otan) en tant qu’hétérodétermination de son droit à l’existence propre comme Etat-nation. Nous l’avons rappelé nous-même plus haut. Mais cela ne nous interdit pas d’examiner et d’évaluer les conditions dans lesquelles il est amené présentement à exercer ce droit ni le contenu qu’il est ainsi appelé à lui donner.
Dans le contexte de cette « guerre hybride », à la fois « chaude » et « froide »[18] qu’est la guerre en Ukraine, l’exercice de ce droit l’a conduit à « choisir » de se mettre sous la protection du bloc occidental, en aspirant à en devenir membre le plus rapidement possible[19].
Selon certains de nos interlocuteurs, ce choix se légitime par deux arguments. D’une part par le fait que malgré leurs imperfections, leurs cruels manquements à leurs propres principes, voire en dépit de leurs contradictions constitutives, l’Occident, l’Union européenne en particulier, voire l’Otan, offriraient des formes de vie qui s’inscrivent dans la longue tradition politique de conquêtes démocratiques, de l’État de droit, du respect des droits fondamentaux, des libertés individuelles et collectives, de l’universalisme et du cosmopolitisme, bref des formes de vie infiniment plus positives et plus attrayantes pour les peuples que celles proposées par l’Empire absolutiste russe, aujourd’hui comme hier. Sous ce rapport, la demande d’aide militaire de l’Ukraine aux Etats-Unis et à l’Otan serait tout à fait légitime, à condition que cette aide ne dépasse pas, précisent-ils, un certain niveau ; ce qui risquerait de déclencher une confrontation directe entre l’Occident et la Russie dont on a vu qu’elle pourrait déboucher finalement sur une conflagration nucléaire.
D’autre part, le choix du peuple ukrainien de se tourner vers l’Occident, plus précisément l’Union Européenne, se légitimerait aussi en raison de ce que révèlerait cette guerre elle-même, à savoir son caractère bien plus citoyen-démocratique que national-nationaliste – sans pour autant négliger, précisent-ils encore, la présence active en Ukraine des courants ultra réactionnaires et nationalistes extrêmes[20]. Ces arguments méritent discussion.
Cette « défense de l’Occident » et de l’Union européenne, malgré toutes les réserves émises, ne peut que nous laisser perplexes. Depuis les années 1970 et la déferlante des politiques néolibérales et de leurs ravages, les « démocraties occidentales », celles en particulier des États membres de l’Union européenne, ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes, elles s’effondrent littéralement : la dégradation de la condition salariale sous l’effet du chômage et de la précarité et l’aggravation systématique des inégalités sociales se sont accompagnées du démantèlement systématique de l’État de droit, de la généralisation de mesures d’état d’exception, des lois de « sécurité globale », de la mise sous tutelle de l’appareil judiciaire, du corsetage de la sphère publique, du renforcement des appareils répressifs, de la criminalisation des mouvements sociaux, de l’infiltration voire de la prise d’assaut des institutions par de puissants partis d’extrême droite, etc., pour ne retenir que ces quelques éléments de cette irréparable dérive des fondements de la démocratie libérale. On a même inventé, pour décrire cette crise, un étrange néologisme en forme d’oxymore, celui de « démocraties illibérales » – y compris pour désigner des « vielles démocraties » comme la France, sans parler de la Hongrie et de la Pologne.
Or, au moins depuis 1992, l’Ukraine subit les assauts des politiques néolibérales[21] et le récent sommet à Lugano sur la « reconstruction de l’Ukraine » nous donne déjà un avant-goût de ce que peut espérer « recevoir » le peuple ukrainien de l’Occident malgré ses « manquements à ses propres principes » pendant ou après la fin de cette guerre : la brutalisation de ces mêmes politiques néolibérales[22] qui ravagent encore et toujours toute l’Europe et le même modèle de « démocratie illibérale » que nous vivons ici et maintenant[23].
Il est tout à fait légitime que le peuple ukrainien, pris en étau, choisisse cette voie, aussi douloureuse et peu enthousiasmante soit-elle (sauf à se bercer d’illusions), plutôt que celle du « despotisme asiatique » (ou ce qui passe pour tel). Mais alors pourquoi ne pas avoir cherché à obtenir de pareils acquis par la voie de négociations avec la Russie, sous contrôle international impliquant l’Union Européenne et les Etats-Unis, de manière à prévenir la guerre, plutôt que par celle du sang versé « jusqu’aux derniers Ukrainiens » qui semble avoir prévalu jusqu’ici ? Nous y reviendrons.
Quant à l’autre argument, celui d’après lequel les forces démocratiques et civiques au sein de la société ukrainienne mobilisée par la guerre, l’emporteraient sur les forces nationalistes et ultra-nationalistes toujours agissantes, c’est une hypothèse, séduisante certes, mais que rien en l’état ne semble valider. Au contraire, après six mois d’âpres combats, ce qui est exalté aujourd’hui dans les discours officiels ukrainiens, ce sont, sous couvert d’« unité nationale », les forces nationalistes et « l’héroïque résistance » des unités Azov et des « volontaires étrangers » dans des villes martyrs comme Marioupol.
Il en va de même pour cet autre argument (exprimant là encore davantage un souhait ou un espoir qu’un fait avéré), formulé dans certaines réactions critiques que nous avons reçues, d’après lequel la résistance unanime des Ukrainien-nes (toutes classes confondues), le déploiement de formes d’engagements et de solidarités horizontales au sein de la société, voire l’émergence de formes de vie et d’organisations autonomes, auraient eu pour effet de propulser sur l’avant-scène le peuple ukrainien comme un sujet politique actif, potentiellement capable de prendre son destin en main – la formule du « peuple en armes » constitue un des leitmotiv chez nombre de nos contradicteurs. Certes, des groupes et des réseaux anticapitalistes radicaux existent, notamment parmi la jeunesse, de même que sur le plan syndical, mais ils constituent des minorités et sont loin de pouvoir s’imposer et transformer, à terme, cette guerre de « libération nationale » en une confrontation avec le pouvoir en place dans une perspective politique et sociale émancipatrice.
Ces espoirs hyperboliques, qui sous-tendent, explicitement ou implicitement, l’argumentaire de nos contradicteurs, s’expliquent, selon nous, par ce que nous nommerons le syndrome de substitution, déjà repérable en d’autres circonstances. Après l’accumulation effrénée au cours des dernières décennies de défaites de grande ampleur subies par les mouvements sociaux et politiques, non seulement de ceux qui aspiraient à des ruptures avec le capitalisme et le néocolonialisme mais aussi de ceux qui, plus modestement, visaient la sauvegarde des acquis des luttes sociales antérieures, après nombre de « printemps des peuples » défaits, tant au centre (dans l’amertume des trahisons) qu’en périphérie (dans le sang), la gauche radicale anticapitaliste est, à ne pas en douter, au désespoir. Pour ne pas sombrer dans la mélancolie et l’inaction, la tentation est alors grande de chercher un sujet politique actif de substitution, et ce sans prise en considération des rapports de force, internes et externes (géopolitiques) qui surdéterminent les possibilités mais aussi les limites d’une perspective émancipatrice. Hier, pour certains, ce sujet politique de substitution s’est incarné dans les « gardiens de la révolution » iraniens sous l’autorité du guide Khomeiny. Aujourd’hui, pour certains autres (qui sont quelquefois les mêmes), ce sujet de substitution est représenté par « la résistance héroïque de David qu’est le peuple ukrainien contre le Goliath qu’est la Russie de Poutine qui impressionne et inspire les peuples et les opprimé(e)s du monde entier » et dont la « victoire finale (…) aura des conséquences cataclysmiques (…) encouragement et source d’inspiration pour les mouvements (…) d’émancipation sociale et de libération nationale au-delà des limites européennes ! » [24]. Nous avons dit « qu’ils rêvaient » et cela les a heurtés au plus haut point. En retour ils nous ont accusés d’ignorer la « subjectivité ukrainienne » (!)[25]. Ce qu’il est impossible d’ignorer cependant, aussi bien par nous que par nos critiques, c’est le fait incontestable que c’est bien la société ukrainienne et le peuple ukrainien qui payent depuis près de six mois maintenant le prix fort de cette guerre par procuration à laquelle se livrent les deux camps impérialistes – celui du bloc occidental et celui de la puissance russe, pour s’assurer mutuellement de zones d’influence et de sécurité, non ? Et qu’est-ce que « la subjectivité » d’un État-nation sinon le fondement archaïque de toutes les mythologies stato-nationales : la traduction en termes contemporains de la vielle idée de « l’âme du peuple » ?
Au-delà ou en deçà de ce syndrome de substitution, il est peut-être une autre raison encore expliquant l’attachement de nos critiques à la cause ukrainienne. Elle transparaît dans le reproche qu’ils nous ont adressé, parfois de façon agressive, d’avoir dénoncé leur discours unilatéral diabolisant exclusivement l’agresseur russe. Comment expliquer cette unilatéralité qui fait de Poutine l’ennemi diabolique principal, sinon le seul ennemi ? Il nous semble y reconnaître un phénomène déjà rencontré chez certains militants et compagnons de route : le recyclage d’un antistalinisme mal digéré, un recyclage qui laisse entendre qu’il y aurait une continuité historique sous-jacente entre l’Empire tsariste, l’URSS stalinienne et Poutine, également honnis – la séquence de la Révolution bolchevique restant dès lors suspendue dans le vide, sans qu’on sache quand situer exactement le début de sa dérive totalitaire, en 1919, en 1922, en 1924, en 1928, en 1935, en 1939 ?
Ceux de nos critiques – et ils sont nombreux – qui procèdent de la tradition trotskiste devraient pourtant savoir que, pour sa part, Trotski – qui n’a pas besoin d’exhiber des titres d’antistalinisme – n’a pas manqué, jusqu’au seuil de la Seconde guerre mondiale (il fut assassiné 21 août 1940), d’appeler hardiment, contre nombre de ses propres amis, à la défense inconditionnelle de l’URSS, surtout face à la menace fasciste[26]. Surtout, leur formation marxiste devrait en principe leur éviter d’ignorer l’ampleur des transformations économiques, sociales, politiques et idéologiques intervenues après 1917 en Russie ainsi que dans l’ensemble des Républiques soviétiques, tout comme d’ailleurs les bouleversements, quelquefois de même ampleur quoique d’orientation différente, intervenus après 1991 – une fois encore, camarades, rien ne dispense de « l’analyse concrète de la situation concrète » plutôt que de s’abandonner à des rapprochements historiques aussi fallacieux que superficiels. Et ils devraient enfin s’interroger sur le fait que Poutine, qui leur fait tant horreur, s’il convoque volontiers les traditions de la Sainte Russie orthodoxe, ne cesse de rejeter l’héritage de l’URSS, tenu par lui comme largement responsable des malheurs de la Russie actuelle, notamment en ce qu’elle a fourni à l’Ukraine le cadre de son indépendance. Bref, le recyclage d’un antistalinisme viscéral à l’encontre de Poutine constitue une dérobade face aux nécessités de l’analyse de ce qui se joue aujourd’hui dans cette guerre par procuration.
8. En dehors de logiques de substitution (de sujet politique) et du recyclage de l’antistalinisme envers le régime exécrable de Poutine, que peut dire et faire la gauche radicale sans devenir complice de la cynique hypocrisie de l’Occident qui semble découvrir, d’un coup, aujourd’hui seulement, que la guerre, que toute guerre, fait couler du sang, chez les civils et chez les combattants, et qu’elle inflige des souffrances inouïes et provoque des catastrophes à vaste échelle ?
Tout le monde s’accorde sur la valeur proclamée de la paix et de sa préservation par des mécanismes internationaux, juridiques et politiques, mis en place depuis fort longtemps. Mais, pour tous nos contradicteurs, réclamer la paix dans le contexte de cette guerre d’agression, menée au mépris flagrant de toutes les conventions internationales, serait non seulement insuffisant mais encore naïf, voire proprement utopique. C’est le dernier reproche qu’ils nous ont unanimement adressé.
Cependant, d’autres, avant nous, l’ont dit et redit[27]. Depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, l’histoire n’a connu que deux types de paix. Une paix conclue à la suite de la défaite ou de la capitulation de l’une ou de l’autre des parties aux prises et une paix par la voie de pourparlers et de négociations impliquant des compromis et des concessions de part et d’autre. Pour la partie de la gauche radicale favorable à l’envoi d’armes à l’Ukraine par l’Otan, l’option d’une paix par négociation impliquant des concessions, est rejetée pour plusieurs raisons. Poutine, nous disent-ils, est intraitable et on ne peut lui faire confiance. Il a voulu rayer l’Ukraine de la carte. Grâce à la résistance populaire, toutes classes confondues, il n’y est pas parvenu, mais il est décidé, comme il l’a fait avec la Crimée, d’annexer des régions particulièrement riches et stratégiques du pays (Donbass). Il semblerait même, ajoutent-ils, qu’au sein de l’Europe, voire des Etats-Unis et de l’Otan, il y ait des traîtres à la cause ukrainienne qui pousseraient aussi vers un tel règlement pour mettre fin au conflit. Inacceptable, irrecevable, affirment-ils ! Une telle paix par concessions impliquerait la mise en échec de dynamiques déclenchées par la résistance populaire et une régression irrécupérable de la société ukrainienne dans son état d’avant la « révolution » de 2014. En plus, elle donnerait libre cours aux prétentions et projets expansionnistes de Poutine. Sous ces prémisses, toute paix par négociations, toute paix sans vainqueur ni vaincu, est évidemment exclue du champ des possibles.
Reste à savoir si la stratégie pour laquelle opte pour le moment l’Otan, énoncée du reste avec fracas par Zelensky, celle du « jusqu’au dernier Ukrainien », en vue de la défaite/capitulation totale de l’agresseur russe, est une stratégie tenable, réaliste, en dépit des risques d’une montée du conflit aux extrêmes, aux conséquences incalculables, qu’elleimplique. Reste surtout à savoir si une telle stratégie jusqu’au-boutiste est bonne pour le peuple ukrainien, pour les travailleurs ukrainiens et pour la jeunesse ukrainienne…
Apparemment et contre toute attente, nos contradicteurs pensent que oui ! Selon eux en effet, une victoire de l’Ukraine (et par conséquent une défaite de la Russie) aurait une double conséquence hautement positive aussi bien pour le peuple ukrainien que pour toute l’Europe : s’agissant du premier, elle donnerait aux dynamiques nourries par la guerre de libération un nouvel élan, une nouvelle confiance en soi, elle permettrait de surmonter les anciennes divisions et conduire à une politique plus socialement responsable[28]. Tandis que, pour l’Europe, cette même victoire de l’Ukraine signifierait sinon l’élimination du moins la réduction drastique de la menace russe ; et elle permettrait de surcroît, grâce à cela, de diminuer la dépendance de l’Europe à l’égard de l’Otan et des Etats-Unis ainsi que l’arrêt de la course aux armements[29].
Les initiateurs de ce type d’échafaudages stratégiques n’ont visiblement pas conscience de leur irréalité, qui n’en annule pas pour autant les effets potentiellement désastreux. Sauf à miser sur une escalade du conflit impliquant directement l’Otan, avec tout ce que cela impliquerait, rien ne permet de soutenir la possibilité d’une défaite de la Russie. Ni les rapports de force militaires tout au long de lignes de fronts, ni la résolution ferme de l’impérialisme russe de stabiliser de facto l’occupation de territoires qui vont du Donbass jusqu’à la Crimée, ne rendent possible une sortie du bourbier actuel sans pourparlers préalables et sans négociations. Les retombées d’ordre économique (notamment les ruptures d’approvisionnement en denrées alimentaires et en produits énergétiques fossiles) qui, du fait de cette guerre, taraudent le monde sans épargner les pays européens, et qui risquent de prendre des allures catastrophiques dans certaines régions périphériques, poussent dans le même sens. Sans vouloir évoquer ici davantage les conséquences du conflit sur un plan écologique, dont la moindre n’est pas qu’il sert de prétexte (y compris aux Grünen) à différer une fois de plus les mesures les plus élémentaires et les plus urgentes pour réduire et ralentir la catastrophe en cours, quand il ne justifie pas des retours en arrière (comme la relance du nucléaire et du charbon).
Nous plaidons donc en faveur de l’ouverture de négociations qui devraient associer, non seulement les deux belligérants directs (Russie et Ukraine) mais l’ensemble des parties au conflit, dont font partie les puissances occidentales, sous l’égide de l’Onu et de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe. Et c’est bien pourquoi, plus haut, nous avons souhaité voir la gauche radicale de tous les Etats occidentaux s’engager dans des mobilisations visant à faire pression sur « leurs » gouvernements pour qu’ils abandonnent leur posture guerrière et s’engagent sérieusement sur la voie de telles négociations. Ajoutons que l’ouverture de ces dernières serait possible même sans un cessez-le-feu préalable : somme toute, les négociations entre le Vietnam et l’Occident ont duré cinq ans (1968-1973) alors que, simultanément, les combats ont connu des moments d’une intensité sans égale jusqu’alors.
À la fin de notre article nous avions formulé quelques propositions quant aux positions que devrait adopter la gauche anti-impérialiste en vue de telles négociations. Elles demeurent valables. Mais nous reprenons ici l’une d’entre elles en la complétant au vu de l’évolution de la situation depuis lors : « Réaffirmer le droit de tous les peuples (nations, nationalités, minorités nationales, etc.) de la région à disposer d’eux-mêmes (à se donner la forme politique qu’ils choisiront) au terme d’un processus démocratiquement organisé et internationalement contrôlé, dans un cadre qui ne menace aucun d’entre eux. ». La résolution de la guerre civile, qui se déroule depuis 2014 dans le Donbass, exige également des pourparlers et l’organisation, sous contrôle d’observateurs internationaux garants des intérêts de toutes les parties concernées, d’un référendum sur la définition de son statut. Le cas de la Crimée, annexée à titre de réplique aux événements de 2014 et, déjà, à l’envoi d’armes par l’Otan en Ukraine, demande aussi la recherche d’une semblable solution équilibrée.
9. Toutefois, dans la situation actuelle, la gauche anticapitaliste et anti-impérialiste ne saurait se limiter à formuler des propositions concernant la seule guerre en Ukraine. Dans le contexte de la crise multidimensionnelle du capitalisme sénescent, le champ de bataille s’élargit bien au-delà des plaines ukrainiennes. Et c’est déjà ce que nous signalions en introduction à notre précédent article.
D’une part, après les récents sommets du G7 en Bavière et de l’Otan à Madrid, il n’y plus de place pour le doute. Pour l’heure, à la faveur de l’implication de l’Otan dans le conflit russo-ukrainien, les Etats-Unis sont parvenus à enrôler toute l’Europe dans leur stratégie de réaffirmation non seulement de leur hégémonie au sein du monde occidental mais encore de leur volonté d’exercer seuls un leadership mondial, en ne tolérant aucun autre rival stratégique. Après l’effondrement du « socialisme réellement existant », le monde bipolaire d’après 1945 s’est effondré lui aussi, en volant en éclat. Prenant appui sur la transnationalisation du capital favorisée par les politiques néolibérales de libéralisation et de déréglementation, de nouveaux pôles d’accumulation du capital ont eu tendance à émerger parmi certaines formations antérieurement semi-périphériques ou même périphériques : Chine, Inde, Russie, Brésil en sont les principales. Parmi elles, la Chine se pose de plus en plus en candidate à faire partie du club très fermé des puissances centrales, voire à y occuper le premier plan, bousculant ainsi les positions antérieures des vieilles puissances centrales. C’est ce que les Etats-Unis n’entendent pas permettre, en étant prêts à tout pour faire échouer un pareil scénario. Mais ils ne peuvent y parvenir qu’en s’assurant le concours d’alliés (vassaux serait plus exact) tant sur le théâtre asiatique (c’est le sens de l’Aukus, le traité conclu entre l’Australie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis couvrant l’espace indopacifique) que sur le théâtre européen via l’Otan, en attendant de réunir les deux. Lors du récent sommet de l’Otan à Madrid, son secrétaire général a d’ailleurs affirmé qu’elle avait vocation à s’étendre bien au-delà du seul théâtre européen vers le théâtre indo-pacifique. Nous sommes convaincus que le conflit que l’Occident mène actuellement contre la Russie par Ukraine interposée en prépare un autre de plus grande ampleur encore contre la Chine, dont les dernières provocations (la visite de Nancy Pelosi à Taipei) constituent les prodromes. Et il est de la responsabilité de la gauche anti-impérialiste de dénoncer ces préparatifs de guerre.
D’ores et déjà, à la faveur de leur implication conjointe dans la guerre en Ukraine, Biden a réussi à obtenir en quelques semaines ce que n’avait pas réussi Trump durant tout son mandat : tous les gouvernements européens, membres de l’Otan ou non, se précipitent pour se mettre en conformité avec la règle imposant que 2 % de leur PIB soient consacrés à leurs dépenses militaires. Dans ces conditions, le fameux projet, tant vanté, d’intégration politique de l’Union européenne, non seulement disparaît de l’agenda mais encore se trouve radicalement transformé : son intégration politique s’est muée ipso facto en son intégration carrément militaire sous les auspices de l’Otan. Dans ces conditions, le « déficit démocratique » de l’Union, dont se plaignaient des européanistes de bon aloi, qui était déjà un euphémisme, est devenu franchement une farce. Et il appartiendrait aussi à la gauche radicale de dénoncer toute cette évolution précipitée plutôt que faire silence à son sujet sous prétexte qu’elle servirait les intérêts du peuple ukrainien.
D’autre part, les classes dominantes profitent d’ores et déjà des retombées de cette guerre pour enclencher un nouveau cycle de politiques néolibérales brutales en Europe et pour chercher à y réduire à néant ce qui reste encore de miettes de la démocratique libérale. Le champ de bataille ukrainien s’élargit ainsi en champ de bataille de classes. Déjà la ministre des Affaires étrangères allemande, ayant troqué ses habits verts pour le treillis, suggère au gouvernement allemand de se préparer à faire face au danger de possibles mouvements de révolte populaire[30]. Il serait temps aussi pour la gauche radicale de se rappeler que notre ennemi principal se trouve ici, dans nos métropoles, et qu’il nous revient d’orienter tous nos efforts pour combattre les stratégies de plus en plus explicites de « nos » classes dominantes visant à anéantir ce qui reste du mouvement ouvrier par une politique de la terre brûlée.
Face aux convulsions d’un capitalisme en proie à des contradictions et conflits de plus en plus violents, il nous semble que la position politique juste est celle qui, d’une part, assure l’autonomie maximale de nos positions politiques par rapport à toutes les autres et qui, d’autre part, tient compte d’abord et surtout de l’intérêt des classes populaires, du prolétariat en particulier, notamment dans sa dimension internationale. La réaffirmer et la tenir est le meilleur secours que nous puissions apporter au peuple ukrainien.
*
Illustration : « Taamira », Hamed Abdalla, 1937. Avec l’aimable autorisation de Samir Abdalla.
Notes
[1] https://www.contretemps.eu/guerre-ukraine-recit-dominant-gauche-anti-imperialiste/
[2] La formule se trouve employée par Lénine dans un article publié le 12 juin 1920 et reproduit dans Œuvres, Tome 31 (avril – décembre 1920), Paris, Editions sociales, 1961, page 168. Dans cet article, Lénine définit « l’analyse concrète d’une situation concrète » comme « la substance même, l’âme vivante du marxisme ».
[3] D’autres que nous ont défendu des positions similaires ou voisines, entre autres : Stathis Kouvelakis : « l’invasion de l’Ukraine par la Russie s’inscrit dans un contexte plus large, façonné par l’état des rapports de force au niveau européen et mondial. Or, et c’est le point décisif, sur lequel je reviendrai dans un instant, ceux-ci restent dominés par l’impérialisme étatsunien et ses alliés du “camp occidental”, qui portent une lourde responsabilité dans l’escalade de la tension ayant conduit à la guerre actuelle » (« La guerre en Ukraine et l’anti-impérialisme aujourd’hui. Une réponse à Gilbert Achcar », Contretemps, 7 mars 2022) ; David Mandel : « (…) le but de cet article est de fournir, dans la mesure du possible dans un espace aussi limité, les éléments contextuels nécessaires absents des comptes rendus officiels et des grands médias canadiens. Ces éléments montreront que l’OTAN et le gouvernement ukrainien partagent, ainsi que la Russie, une lourde responsabilité dans la guerre » (« The War in Ukraine : Truth is the Whole », The Bullet, 13 mars 2022, https://socialistproject.ca/2022/03/war-in-ukraine-truth-is-the-whole) ; Alex Callinikos : « La guerre en Ukraine est une bataille entre rivaux impérialistes, alimentée par la concurrence capitaliste (…) les puissances impérialistes occidentales instrumentalisent la lutte nationale ukrainienne contre l’impérialisme russe pour leurs propres intérêts » (« Le grand coup de force : l’impérialisme et la guerre en Ukraine », Revue L’Anticapitaliste, n°134, avril 2022) ; Noam Chomsky : « En revanche, l’invasion russe de l’Ukraine a sans aucun doute été provoquée – cependant, dans le climat actuel, il faut ajouter le truisme selon lequel la provocation ne justifie pas l’invasion. Une foule de diplomates et d’analystes politiques américains de haut niveau ont averti Washington depuis 30 ans qu’il était imprudent et inutilement provocateur d’ignorer les préoccupations de la Russie en matière de sécurité, notamment ses lignes rouges : pas d’adhésion à l’OTAN pour la Géorgie et l’Ukraine situées dans le cœur géostratégique de la Russie » (« Propaganda Wars Are Raging as Russia’s War on Ukraine Expands », interview à Truthout, 28 avril 2022, https://truthout.org/articles/noam-chomsky-propaganda-wars-are-raging-as-russias-war-on-ukraine-expands); Edgar Morin : « L’Ukraine est martyre non seulement de la Russie, mais de l’aggravation des relations conflictuelles entre États-Unis et Russie avec évidemment la question de l’élargissement de l’Otan, lui-même inséparable des inquiétudes suscitées par la guerre russe en Tchétchénie et son intervention militaire en Géorgie. Le salut de l’Ukraine n’est pas seulement de se libérer de l’invasion russe, mais aussi de se libérer de l’antagonisme entre la Russie et les États-Unis. Cette double libération permettrait aux nations de l’Union européenne de s’affranchir de ce conflit et de lier sécurité et autonomie » (Marianne, 4 mai 2022) ; Vincenç Navarro : « Il existe un conflit, principalement entre l’OTAN d’un côté et la Russie de l’autre, qui atteint sa dimension militaire dans la guerre en Ukraine, qui crée une crise énorme qui affecte de manière très négative le bien-être de la majorité de la population mondiale, à la fois du Nord et du Sud et d’un bloc et de son opposé, y compris aussi ceux qui ne sont dans aucun bloc. Et ce qui est très inquiétant, c’est que, comme dans toute guerre, les grands médias participent à cette guerre, se transformant en moyens de promotion et de propagande plutôt que d’information » (« El conflicto entre la OTAN y Rusia centrado en la guerra de Ucrania era previsible, predecible y evitable: ¿Por qué continúa? », Pùblico, 27 juillet 2022, https://blogs.publico.es/vicenc-navarro/2022/07/27/el-conflicto-entre-la-otan-y-rusia-centrado-en-la-guerra-de-ucrania-era-previsible-predecible-y-evitable-por-que-continua
[4] Dans une interview donnée à SheerPost le 17 juin 2022 (soit largement après la rédaction de notre article), Noam Chomsky apporte toute une série d’informations supplémentaires sur l’amplification et l’accélération du processus d’intégration réelle sinon formelle de l’Ukraine dans l’Otan après 2014, encore accrues après la prise de fonction de Biden, et sanctionnées par la Charte de partenariat stratégique signée entre le secrétaire d’Etat Antony Blinken en novembre 2021. Cf. In Ukraine, « Diplomacy Has Been Ruled Out » https://scheerpost.com/2022/06/17/noam-chomsky-in-ukraine-diplomacy-has-been-ruled-out
[5] Cf. Sébastien Abbet et alii, « Une gauche enrôlée dans un croisade antirusse sous bannière étoilée ? », https://www.contretemps.eu/guerre-ukraine-russie-poutine-gauche-reponse-bihr-thanassekos
[6] Voici le mail envoyé à Ugo Palheta au lendemain de la publication de cette réponse : « Cher Ugo, Sébastien Abbet nous avait informé de la rédaction de cette réponse. C’est une bonne chose que Contretemps l’ait publiée : par notre article, nous désirions précisément ouvrir un débat. Nous comptons d’ailleurs le prolonger en préparant d’ores et déjà une réponse synthétique aux différentes réactions significatives que notre article a produites et qui nous ont été communiquées. Très cordialement, Alain Bihr ».
[7] Dans une interview au Corriere della Serra du 3 mai 2022, celui-ci a en effet déclaré : « Les aboiements de l’Otan aux portes de la Russie ont poussé le chef du Kremlin à réagir et à faire la guerre à l’Ukraine. Je ne sais pas si cette colère a été provoquée, mais cela a aidé la colère à monter (…) Il y a deux ans, à Gênes (Italie), un navire rempli d’armes est arrivé, tout devait être transféré sur un cargo puis acheminé au Yémen. Les dockers ont refusé de transborder le chargement. Ils ont dit : nous pensons aux petits enfants du Yémen. C’était un geste magnifique. Il en faudrait d’autres comme cela » https://www.marianne.net/monde/europe/la-colere-de-poutine-et-les-aboiements-de-lotan-le-pape-francois-se-confie-sur-la-guerre-en-ukraine Signalons aussi que des organisations aussi différentes que le Socialist Workers Party en Grande-Bretagne, Sinistra anticapitalista en Italie, Podemos et Anticapitalistas en Espagne, Syriza et le Parti communiste en Grèce, entre autres, se sont opposés à l’implication de leurs pays respectifs dans cette guerre par l’envoi en Ukraine d’armes puisées dans leurs propres arsenaux.
[8] « Le réarmement de l’Allemagne et la guerre en Ukraine », https://www.contretemps.eu/rearmement-allemagne-guerre-ukraine-russie-streeck mis en ligne le 31 juillet 2022.
[9] https://www.lefigaro.fr/flash-actu/ukraine-downing-street-dit-vouloir-faire-tomber-poutine-puis-attenue-ses-propos-20220228
[10] Les mêmes qui poussent à ce réarmement se gaussent quelquefois de la faiblesse manifestée par les forces armées russes, tenues en échec ou du moins contenues par des forces ukrainiennes sensiblement inférieures, du moins sur le papier. Alors, la Russie, tigre de papier ou ogre capable de ne faire qu’une bouchée de l’Europe ?
[11] Rosa Luxemburg, La crise de la social-démocratie, suivi de sa critique par Lénine, Bruxelles, Ed. La taupe, 1970, p. 174.
[12] Rappelons en passant, parmi d’autres exemples, la tragédie du peuple kurde, exemple cité par certains de nos interlocuteurs pour prouver que nous ne pouvons nous opposer à l’envoi d’armes à un peuple opprimé, quand bien même ces armes proviendraient des Etats-Unis ou de l’Otan. Les Etats-Unis ont en effet soutenu militairement les combattants kurdes, dans leurs propres intérêts de croisade contre les djihadistes et les talibans. Cependant, cela ne les a pas empêchés, peu de temps après, s’orientant vers d’autres stratégies, de lâcher cyniquement et sans scrupules les Kurdes pour les livrer ainsi, en proie facile, à l’armée du président turc Tayyip Erdogan.
[13] Roman Rosdolsky a sévèrement critiqué les thèses d’Engels dans son ouvrage, Friedrich Engels et les peuples « sans histoire ». La question nationale dans la révolution de 1848, Page 2 – Syllepse, 2018. Il cite aussi, hâtivement, des textes de Rosa Luxemburg, dont celui intitulé « Fragment sur la guerre, la question nationale et la révolution, 1918 », texte qui mérite davantage notre attention dans le contexte actuel. Le débat reste ouvert.
[14] « (…) la défense de la patrie est une pure fiction qui empêche toute saisie d’ensemble de la situation historique dans son contexte mondial », « A propos de cet impérialisme déchaîné il ne peut plus y avoir de guerres nationales » (Rosa Luxemburg, op. cit., p. 180 et 220). Elle a été jusqu’à féliciter les deux députés du Parti social-démocrate serbe qui avaient refusé de voter les crédits de guerre alors même que l’Empire austro-hongrois menaçait la Serbie : « S’il y a y un Etat qui a pour lui le droit à la défense nationale d’après tous les indices formels extérieurs, c’est bien la Serbie. Privée de son unité nationale par les annexions de l’Autriche, menacée dans son existence nationale, acculée à la guerre par l’Autriche, la Serbie mène une véritable guerre de défense pour sauvegarder son existence et sa liberté. Si la position du groupe social-démocrate allemand est juste, alors les sociaux-démocrates serbes qui ont protesté contre la guerre devant le parlement de Belgrade et qui ont refusé les crédits de guerre sont tout simplement des traitres : ils auraient trahi les intérêts vitaux de leur propre pays. En réalité, les Serbes Lapchewitch et Kazlerowitch ne sont pas seulement entrés en lettres d’or dans l’histoire du socialisme international, mais ont fait preuve d’une pénétrante vision historique des circonstances réelles de la guerre, et par là ils ont rendu un signalé service à leur pays et à l’instruction de leur peuple » (Rosa Luxemburg, op. cit., p. 181). Nous ne donnons pas cette référence à titre de comparaison mais pour montrer la radicalité dont fait preuve la révolutionnaire dans le feu de l’action politique. Voir aussi Rosa Luxemburg, Sur la révolution. Écrits politiques (1917-1918), Paris, Éd. La Découverte, 2002.
[15] Cité par Rosdolsky, op.cit., p.50 et ailleurs, p. 49 et 129 où il nous livre les positions les plus violentes de R. Luxemb urg contre le principe de l’autodétermination des peuples tout en les mettant en rapport avec les écrits d’Engels.
[16] Rosa Luxemburg, op. cit.
[17] Léon Trotsky, « La question ukrainienne », 22 avril 1939, Œuvres, 1939. https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1939/04/lt19390422b.html. Voir aussi, Léon Trotsky, « Le droit de peuples de disposer d’eux-mêmes et la révolution prolétarienne », Entre l’impérialisme et la révolution, Bruxelles, Éd. La Taupe, 1970.
[18] Etienne Balibar, https://aoc.media/analyse/2022/07/04/nous-sommes-dans-la-guerre/
[19] Nous n’examinerons pas ici la question de savoir dans quelle mesure ce « choix » est bien celui du peuple ukrainien en tant que tel ou plutôt celui de ses dirigeants actuels. Rappelons simplement que, au cours des deux dernières décennies, les dirigeants ukrainiens, élus ou non, ont représenté des options diverses sous ce rapport, les uns affirmant une orientation pro-russe, les autres une orientation pro-occidentale.
[20] E. Balibar, idem.
[21] Entretien avec Yuliya Yurchenko , « La lutte pour l’autodétermination de l’Ukraine (I) », https://alencontre.org/europe/russie/la-lutte-pour-lautodetermination-de-lukraine-i.html mis en ligne le 13 avril 2022.
[22] Vitaly Dudin, « La reconstruction de l’Ukraine doit profiter à la population. Mais l’Occident à d’autres idées », https://www.contretemps.eu/author/vitaliy-dudin mis en ligne le 28 juillet 2022. L’auteur pense qu’« à court terme la guerre de la Russie a affaibli le pouvoir des travailleurs ukrainiens. Mais à long terme, le mouvement ouvrier ukrainien pourrait se développer et améliorer les conditions d’emploi ».
[23] Au demeurant, les autorités ukrainiennes prennent actuellement elles-mêmes les devants sur cette voie : « Le 19 juillet 2022, le parlement ukrainien a adopté le projet de loi 5371, qui a aboli les droits du travail pour 94 % des travailleurs ukrainiens. Cette loi introduit une libéralisation extrême des relations de travail, elle discrimine les employés de toutes les micro, petites et moyennes entreprises et les prive de protection syndicale et syndicale. Les syndicats ukrainiens se sont activement opposés à la promotion de ce projet de loi antisyndical pendant deux ans. Malgré de nombreuses mises en garde de la Confédération syndicale internationale, de la Confédération syndicale européenne et de l’Organisation internationale du travail concernant l’incompatibilité de ce projet de loi avec les principes et les normes de la législation européenne, les conventions de l’OIT, les conclusions de scientifiques et d’experts, le Parlement de l’Ukraine l’a adopté. Parmi les conséquences de l’adoption d’une telle loi figureront des violations massives des droits des travailleurs et de nouveaux départs du segment le plus qualifié de la population économiquement active d’Ukraine. La situation est compliquée par la guerre sanglante déclenchée par l’agresseur russe contre le peuple ukrainien. »https://www.labourstartcampaigns.net/show_campaign.cgi?c=5149
[24] https://www.contra-xreos.gr/arthra/2940-maziko-diethnes-kinima-enantia-ston-polemo (traduit du grec).
[25] Taras Bilous, « La guerre en Ukraine, la sécurité internationale et la gauche » https://www.contretemps.eu/guerre-ukraine-securite-internationale-gauche mis en ligne le 14 juin 2022.
[26] Léon Trotsky, « Une fois de plus : L’Union Soviétique et sa défense » (4 novembre 1937), « L’URSS dans la guerre » (25 septembre 1939), dans le volume Léon Trotsky, Défense du marxisme, Paris, E.D.I, 1972. D’autres textes dans ce volume portent sur la défense sans conditions de l’URSS face à la guerre imminente ainsi que sur la question finlandaise que nous avons précédemment évoquée (« la guerre d’Hiver »).
[27] On peut se référer notamment aux prises de position d’Edgar Morin dans différents articles qu’il a donnés à Marianne au cours des mois de mai et juin dernier, dont nous avons cité certains plus haut et dont nous nous inspirons ici pour partie.
[28] Entretien de Taras Bilous, « Humanitarian aide is not enough »: https://commons.com.ua/en/humanitarian-aid-not-enough-d/ mis en ligne le 22 juin 2022.
[29] Taras Bilous, idem.
[30] « La ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock (Verts) s’attend à des troubles en Allemagne si les livraisons de gaz en provenance de Russie devaient complètement disparaître. » https://www.ad-hoc-news.de/wirtschaft/bundesaussenministerin-annalena-baerbock-gruene-rechnet-mit-unruhe-in/62873617