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Les inverti·es forment un collectif qui s’est lancé à la rentrée 2022. A l’occasion de la mobilisation contre la contre-réforme des retraites, il a été à l’initiative d’une tribune LGBTI unitaire et s’est impliqué dans la construction des pink blocs dans les manifestations, notamment en région parisienne. À l’occasion du 8 mars 2024, Contretemps est allé à la rencontre de Tiphaine, Marcus et Mikael, pour en savoir plus sur les objectifs du collectif. 

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Contretemps : pouvez-vous revenir sur la fondation de votre collectif ? Quel est son objectif ?

On a lancé le collectif à la rentrée 2022 avec des militant·es venant notamment du NPA, de la CGT ou de Sud. On avait auparavant participé au pôle des luttes dans la pride officielle de Paris, en 2020 et 2021, avec entre autres, le STRASS, Act Up, les Féministes révolutionnaires, Acceptess-T : l’idée c’était de faire un cortège politique unitaire et aussi qui dépasse la pride, qui se poursuive au-delà.

Si on parvenait à mobiliser pendant l’Existrans ou la pride, a émergé l’idée de créer un collectif qui permette de mobiliser les LGBTI sur toute l’année, notamment parce que dans le mouvement ouvrier, ces questions sont envisagés comme des axes, et non pas comme des sujets révolutionnaires, alors qu’il nous semble qu’en tant que Trans pédés gouines (TPG), on est des sujets révolutionnaires, du fait de notre place dans le système de production : on met fondamentalement en question le capitalisme avec la mise en cause de la famille. 

Une de nos premières mobilisations a été la lutte des raffineurs : on s’est largement inspirés des actions mises en avant par le Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) dans les années 1970 en France, mais également de ce que montre le film Pride, qui revient sur Lesbians and Gays support the Miners (Lesbiennes et gays en soutien aux mineurs), une organisation créée par des militant·es homosexuel·les britanniques durant la grève des mineurs britanniques de 1984-1985 pour apporter un soutien aux grévistes, étudiée récemment par l’historienne Marie Cabadi[1].

Pendant cette grève des raffineurs, les TPG ont tracté dans le Marais, élaborés des slogans : Raffineur, raffiné, toi aussi devient Pédé. C’est là qu’on a commencé à relancer les pink blocs dans les manifestations, par exemple dans une marche contre la vie chère. On a essayé de créer une identité forte avec nos codes : on est un collectif marxiste, il fallait que ça soit annoncé. Par exemple, on a organisé une réunion publique durant laquelle on a abordé les Théories de la reproduction sociale (TRS), l’internationalisme – on a d’ailleurs des contacts avec l’Espagne, l’Italie, le monde arabe, la Belgique. 

Pouvez-vous revenir sur vos « codes », justement ?

On reprend les codes LGBT et communistes avec l’humour, notamment. On met en avant toute une iconographie qui participe à nous visibiliser avec des tribunes, des communiqués, et puis la fête. On organise des fêtes avec des DJ, avec des discussions en amont. On investit la fête, on la ramène en manif et vice versa : les DJ sont engagés, on a la volonté de créer un cadre militant : on retourne le stigmate, on utilise des icônes gaies et communistes, on les reprend sans oublier une perspective politique.

Nos manifs sont brillantes, y a du doré, des paillettes, des memes : on essaye de faire en sorte qu’elles soient joyeuses, avec des slogans, du rythme. 

Vous êtes intervenu·es à l’occasion du mouvement contre la réforme des retraites en 2023 ? Comment avez-vous appréhendé ce mouvement ?

Après avoir rédigé la tribune unitaire, on a participé à l’organisation des AG du pink bloc en région parisienne avec notamment le collectif des féministes révolutionnaires (CFR), Queer parlons travail (QPT) et Fière : d’autres collectifs ont également participé tel que Divine, Orage, Act Up, Les Dégommeuses, les Queers racisés autonomes (QRA).

L’idée c’était d’organiser nos apparitions en manifestation en tant que pink bloc : on y discutait des banderoles communes, on a d’ailleurs organisé des ateliers de fabrication de banderoles, de drapeaux, ; on recensait les piquets de grève ; on a mis en place une caisse de grève TPG avec des soirées de soutien car la plupart d’entre nous étions en grève : la redistribution des fruits de la caisse de grève était décidée collectivement en AG. En d’autres termes, on a essayé de mettre tout en œuvre pour favoriser la massification du mouvement. On a participé au blocage du périphérique à Ivry avec l’AG féministe Paris-Banlieue. A ce moment-là, on se voyait quasiment tous les jours : on allait travailler le lundi et on mobilisait les collègues pour la semaine.

C’est surtout en manifs que les gens nous repéraient : avec nos chars, nos drapeaux et pancartes que l’on distribuait à tout le monde, les pink blocs grossissaient de semaines en semaines : il y avait des LGBT qui n’avaient pas l’habitude de se mobiliser et pourtant nous sommes des travailleurs et des travailleuses, avec des spécificités : on est particulièrement isolés, du fait des rejets, des discriminations, du VIH Sida, des parcours hachés, etc.

On a également eu recours aux réseaux sociaux qui suivaient totalement les manifs, participant à visibiliser ce qu’on faisait. Si le cœur de notre intervention ce sont les manifestations et les actions concrètes, les réseaux ont constitué une vitrine attractive pour que les gens s’impliquent et pas seulement en ligne : des personnes nous ont rejoint parce qu’elles nous on vu en manif et sont ensuite allées sur insta et on trouvé que c’était politique ET drôle. 

L’avantage des inverti·es, c’est que c’est un cadre qui rassemble avec un positionnement antiraciste, décolonial et féministe. D’ailleurs, on s’est également impliqué sur la Palestine. On a rejoint l’AG internationaliste, des cadres unitaires, on avait cette banderole qui dénoncait le pink washing : 

On a organisé une action éclair sur le Pont des arts avec drapeaux et fumigènes et sur la façade du Centre Pompidou, avec l’AG internationaliste qui regroupait différents collectifs. 

Vous intervenez également contre l’extrême droite ? 

Oui, nous avons participé au cadre unitaire organisant le contre-rassemblement au moment du congrès du RN. Nous avons aussi organisé une table-ronde autour de la Loi Darmanin et la montée de l’extrême-droite avec Danièle Obono pour la France Insoumise, Raphaël Arnaud pour la Jeune Garde, et d’autres organisations comme Amnesty et les Militant•e•s pour l’Interdiction des Frontières.

Une de nos stratégies, c’est de s’adresser au milieu antifa parce qu’il est clair que, dans la dernière période, toutes les avancées sociales pour les LGBTI se sont accompagnées d’une massification des mouvements réactionnaires. Ces mouvements se structurent en partie autour de ces questions et nous semble primordial de construire des liens et de faire en sorte que les milieux antifa prennent également conscience de ça. On organise régulièrement des débats, notamment sur la diabolisation des personnes trans et en même temps, on intervient aussi autour de la Loi immigration :

« En tant que TPG nous sommes directement concerné·e·s. D’abord, les TPG obligé·e·s de fuir leur pays de naissance seront encore plus précarisé·e·s par cette loi, qui ne va contribuer qu’à renforcer les difficultés qu’ils et elles rencontrent. L’homosexualité est encore punie par la loi dans 69 pays dans le monde, et passible de peine de mort dans 11 pays parmi lesquels  les Émirats arabes unis, le Qatar ou l’Arabie Saoudite que Macron aime tant flatter. La réforme de l’AME sera également un coup contre la lutte contre le VIH/Sida alors que les étranger·e·s représentent plus de la moitié des nouvelles contaminations en France. »

Comme notre banderole en manif le dit : « si quand les migrant•e•s se font persécuté•e•s, tu ne te sans pas concerné•e•s, toute ta vie, tu auras été transpédégouine pour rien ».

Vous défendez une approche matérialiste, pouvez-vous revenir sur ses contours ? 

On est marxiste et donc on considère que la société est fondée sur la lutte des classes, notre quotidien et nos engagements. Là-dedans, on considère que la famille n’est pas forcément un cadre qui nous convient : « nos identités sont matérielles ».

Le capitalisme utilise la famille hétéro pour reproduire la force de travail : il récupère également nos identités ; c’est pourquoi on dénonce régulièrement le pink washing ou l’homonationalisme, mais on essaye de montrer comment on est concerné au niveau matériel et pour cela, on s’appuie sur les TRS même s’il subsiste un angle mort sur ce qui peut dépasser la famille. En gros, on insiste sur le fait les discours d’absorption ne concernent que les LGBT qui ont de l’argent et donc les moyens de se payer la PMA, etc.

On est favorable à ces avancées en termes de droits, mais en réalité, les couples qui réussissent à adopter en France sont peu nombreux, et ce sont plutôt des cadres supérieurs. Pour faire une famille en tant que LGBT, il faut 15000 euros. De même, la plupart d’entre nous n’ont pas les moyens de financer des parcours de transition : nos identités sont réduites par l’ordre bourgeois. Mais, en réalité, on a le projet d’élaborer un manifeste qui reviendrait sur ces questions, qui aborderait cette fragmentation totale de nos identités et qui divise.

L’enjeu, c’est de massifier : inverti·es, ça signifie « hors normes » et on s’organise pour fabriquer une identité commune pour se construire comme sujet révolutionnaire dans le cadre du système de production et de reproduction : la majorité des TPG comme la majorité de la société, c’est le prolétariat.

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Propos recueillis par Fanny Gallot.  

Note

[1] Marie Cabadi, Lesbiennes et gays au charbon, Solidarités avec les mineurs britanniques en grève, 1984-1985, Éditions de l’EHESS, 2022. 

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