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Prolongeant une série d’articles sur l’histoire des extrêmes droites en France, de l’Action française de Charles Maurras jusqu’au Rassemblement national de Marine Le Pen et Jordan Bardella, l’historien Jean-Paul Gautier revient ici sur la trajectoire politique d’une figure centrale du fascisme français d’après-guerre : Pierre Sidos.

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Pierre Sidos a rejoint tôt les fascistes de tout poil dans le marigot de l’extrême droite. En 1949, il dépose l’acte de naissance de Jeune Nation. A l’origine, c’est une entreprise familiale cornaquée par les frères Sidos : Jacques, François, Pierre et Henri. À ce quatuor s’ajoutent Albert Heuclin et Jean-Louis Tixier-Vignancour. D’après François Duprat, Jeune Nation est « un mouvement appelé à être le représentant le plus authentique du nationalisme français ».

Les frères Sidos sont les fils de François Sidos, inspecteur général adjoint au maintien de l’ordre dirigé par Joseph Darnand, figure de la collaboration avec les nazis et chef de la Milice. Il est exécuté en 1946, victime du « bulldozer de l’Epuration » selon le militant Roland Gaucher (ancien cadre des Jeunesses nationales populaires de Marcel Déat, membre du BP du Front National et rédacteur de son journal National-Hebdo de 1984 à 1993). Pierre Sidos va fréquenter quelques temps le seul camp de concentration en France : Natzweiller-Struhof (dirigé de 1941 à 1944 par le bourreau nazi Joseph Kramer), qui accueille à la Libération des collaborateurs et des parents de collaborateurs. Chez Pierre Sidos, le fascisme est donc d’abord un héritage familial… Son nom va ensuite être étroitement lié à deux groupuscules : Jeune Nation puis l’Œuvre française.

À l’origine était Jeune Nation…

Au début des années 1950, Jeune Nation vivote dans une semi-indifférence mais vers 1953-54, le mouvement effectue une percée dans le paysage de l’extrême droite, profitant des guerres coloniales et en premier lieu de la guerre d’Indochine. D’ex-combattants d’Indochine, regroupés au sein de l’Association des Anciens Combattants d’Indochine puis dans l’Association des Anciens Combattants de l’Union française (ACUF), prennent langue avec Jeune Nation. Le groupuscule se dote d’une publication : Peuple de France et d’Outre Mer, organe central du Mouvement Jeune Nation (n° 1, juillet 1953).

Le 11 novembre 1954, Salle des Sociétés Savantes, Pierre Sidos annonce la naissance de Jeune Nation mais si l’on en croit Roland Gaucher (ex-membre du RNP de Déat, parti collaborationniste, et bien plus tard du Parti des Forces nouvelles et du Front national), le mouvement est rapidement victime du syndrome récurrent dans l’extrême droite : « la scissionnite ». Tixier-Vignancour, opposé aux actions violentes, démissionne et crée son propre mouvement : le Rassemblement national.

Jeune Nation cible la jeunesse : « quand on a des anciens pour diriger et que les anciens accablent les jeunes, les tiennent sous leur emprise, les sclérosent, on peut alors marquer de l’inquiétude et douter de l’avenir ». Dominique Venner, qui n’a alors qu’une vingtaine d’années et qui deviendra quelques années plus tard une figure du néofascisme français, rejoint ainsi Jeune Nation.

Sidos et Jeune Nation se considèrent non seulement comme les « défenseurs des Francs » (« Il faudra bien arriver à faire l’unité franque sur les bords du Rhin ») mais aussi comme « les successeurs des gens de 1934 » (le 6 février 1934, les anciens combattants et les ligues d’extrême droite manifestent dans Paris contre « la République des scandales » place de la Concorde, ce qui conduit à une nuit d’émeute sanglante faisant une quinzaine de morts).

Jeune Nation est un mouvement hiérarchisé de type fasciste, à direction collégiale (n°1, Pierre Sidos, président, François Sidos, Trésorier, Jean Malardier). Ses principales caractéristiques sont l’antidémocratisme, l’antiparlementarisme, le corporatisme (modèle Vichy et la « Révolution nationale »), la défense des colonies, la dénonciation des partis, l’anticommunisme, l’anticapitalisme, le racisme et la xénophobie, l’antisionisme/ antisémitisme.

Mais Jeune Nation est surtout connu pour ses actions commandos contre les meetings de la gauche, les vendeurs de l’Humanité, etc. Le mouvement théorise deux formules. Avec les ennemis de la Nation, un seul argument : le bâton ; et la rue est à celui qui y descend. Il se prononce pour un État totalitaire de type fasciste : constitution d’un État national, autoritaire, populaire, hiérarchisé et violent.

Jeune Nation « a entrepris de lutter contre le régime […]. Cette lutte se situe hors du cadre parlementaire […], dans notre peuple afin de l’organiser révolutionnairement contre ce régime » (Courrier d’Informations, bulletin intérieur de Jeune Nation, novembre 1955 et juin 1957). Jean Malardier précise le but du mouvement : le Mouvement Jeune Nation « aspire de toutes ses forces à l’insurrection nationale » (Courrier d’Informations, novembre 1955).

Tout au long de son histoire mouvementée, Jeune Nation affirme par ailleurs un antisémitisme virulent dans ses tracts, sa presse, dans le plus pur style d’Édouard Drumont (auteur du best-seller La France Juive et directeur du brûlot antisémite La Libre Parole). Comme à la « belle époque » de Vichy et des statuts des Juifs, Jeune Nation publie la liste des hauts fonctionnaires d’État portant un nom à « consonance juive » sous le titre : « Quand Israël est roi de France » (Peuple de France et d’Outre Mer, avril 1953).

Le mouvement arbore la croix celtique, « symbole de la vie universelle », qui va faire florès à l’extrême droite par la suite, notamment dans la tradition dite « nationaliste-révolutionnaire ». Pierre Sidos en revendique la paternité :

« Nos ancêtres donnèrent du soleil, symbole de la vie, une représentation schématique reproduite sur les casques, les monnaies, les enseignes sous diverses formes, l’image de la course solaire est donc notre emblème national le plus ancien. L’adaptation moderne de cet emblème porte le nom de croix celtique » (Pierre Sidos, Jeune Nation, n° 19, juillet-août 1958).

La violence squadriste comme étendard

Le mouvement participe à toutes les grandes manifestations de l’extrême droite, y est un des éléments moteurs, et se taille une solide réputation par l’usage répété de la violence. Si la liste de ses exactions est longue, certaines méritent d’être retenues. Le 4 avril 1954, lors d’une manifestation contre le gouvernement de Joseph Laniel à l’appel du Groupement de sauvegarde de l’Union française, après la chute de Dien Bien Phû, Joseph Laniel et René Pleven (ministre de la défense nationale) sont agressés par des membres de Jeune Nation.

Le Parti communiste représente une cible privilégiée pour Jeune Nation : plasticages des permanences, agressions des militants, etc. Dans la nuit du 9 au 10 octobre 1954, un commando dirigé par Jacques Sidos agresse le chauffeur d’un véhicule transportant des exemplaires de l’Humanité Dimanche. Quelques mois plus tard, le chauffeur décède de ses blessures. Inculpé, Jacques Sidos déclare : « Je crois avoir fait, dans cette affaire, mon devoir de Français (Joseph Algazy, la tentation néo fasciste en France 1945-1965, Fayard 1984, p 122). Suite à l’intervention soviétique en Hongrie, Jeune Nation participe à l’attaque du siège du Parti communiste. En septembre 1957, Jeune Nation récidive contre la fête de l’Humanité et déclare :

« [Nous] n’hésiterons pas à employer de nouveau la force pour défendre l’Algérie et l’Armée contre le Parti communiste et l’Humanité ». Combattre « le valet français de la Russie » est « un devoir » (communiqué de presse).

Dans la tradition des squadristes italiens, les nervis de Jeune Nation ciblent Pierre Mendès-France (parce que juif et considéré comme ayant « bradé » l’Indochine), de même que la Journée d’étude et d’action pour les négociations en Algérie, en juin 1957, à l’initiative de Claude Bourdet, Jean Cassou et Yves Dechezelle : « En cinq minutes, il n’y avait plus une table debout, quant aux chaises, elles suivaient des trajectoires diverses dans les airs. Mission achevée, nos camarades se retirèrent ». Le Palais Bourbon est également visé, une bombe est déposée dans les toilettes en mars 1958.

Jeune Nation s’affrontent régulièrement avec les forces de l’ordre, comme en mars 1957 lors d’une manifestation de l’extrême droite Place de l’Etoile, à laquelle participent le Rassemblement national de Tixier-Vignancour, Yves Gignac de l’ACUF, Jean-Baptiste Biaggi, activiste pro-Algérie française, René Malliavin de Rivarol contre « le sort infligé, par les Marocains, au capitaine Moreau » (disparu dans le Sud Marocain).

Les travailleurs Nord-Africains sont aussi visés. Ainsi, en juin 1959 à Marseille, six nervis proches de Jeune Nation enlèvent et torturent à mort un travailleur tunisien. Les États-Unis et la Grande Bretagne, favorables à l’indépendance de l’Algérie, reçoivent les foudres de Jeune Nation. En novembre 1957, se déroule une manifestation marquée par des violences contre les livraisons d’armes à l’Algérie. Le tract d’appel précise :

« puisque l’Amérique aide les ennemis de la France, nous devons exiger l’évacuation des bases militaires qu’elle occupe sur notre sol […] US rembarquez ».

L’objectif d’un État raciste totalitaire

Dans la pratique, Jeune Nation développe un nationalisme agressif et rédige un programme tout imprégné de fascisme, qui ne va pas varier malgré les différents changements de dénomination du mouvement. En décembre 1958, Jeune Nation publie ainsi son programme en 12 points : « Ce que veulent les nationalistes français » et qui s’articule autour de trois phases :

Phase 1 : renverser la République, abolir le parlementarisme, installer par la force un régime corporatiste et plébiscitaire, supprimer les élections, éliminer les partis politiques, évincer les « métèques » (Juifs, gens de couleur) qui « mettent en danger l’ethnie française »… « Notre pays a besoin d’une purification. Les nationalistes doivent prendre le pouvoir et instaurer une période transitoire et révolutionnaire avant l’édification de l’Etat nationaliste ».

Phase 2 : application de 5 mesures : maintien des colonies, reconquête du Maroc et de la Tunisie en réinstallant « l’oeuvre civilisatrice de la France », protection du patrimoine national, refonte de l’armée dans ses missions de guerre et d’éducation de la jeunesse, loger les Français en récupérant les logements parisiens des parlementaires provinciaux, les locaux des partis politiques, expulser des logements tous les « métèques » et les organisations internationales. S’inspirant de la Charte du Travail de Vichy et du fascisme italien, Jeune Nation défend, dans le monde du travail, l’instauration du corporatisme. Le nouvel État nationaliste doit « éliminer le capitalisme apatride ».

Phase 3 : Instaurer l’État nationaliste, autoritaire, hiérarchisé, dirigé par une élite «  d’hommes sélectionnés et formés politiquement » (thème repris en 1959 par le Parti nationaliste, successeur de Jeune Nation). Quant à l’Europe, elle doit être composée du « jeune berlinois en révolte contre le communisme, du Teddy Boy qui n’admet pas de voir un nègre avec une femme blanche, du phalangiste espagnol, du néofasciste italien, du nationaliste français et du parachutiste qui se bat en Algérie […] Notre nation se trouve le dos au mur et doit se défendre à la fois contre le matérialisme américain, contre le nationalisme soviétique et contre la montée des hommes de couleur ». L’État nationaliste, version Jeune Nation, est donc totalitaire, raciste, xénophobe. L’Europe est blanche et doit le rester.

Le 15 mai 1958, le mouvement Jeune Nation est dissout par le gouvernement. Il survit à travers sa presse : le Courrier d’informations et le journal Jeune Nation (théoriquement indépendant du mouvement). Le 5 août 1958, jour anniversaire de la prise d’Alger, parait le premier numéro de Jeune Nation nouvelle version avec des articles violents contre « les Juifs » et qui se veut anticapitaliste.

Malgré la dissolution, le mouvement voit son influence grandir : succès du lancement du journal, création de groupes en province, à Paris et en Algérie, nouvelles actions commandos (interruption de la campagne électorale de Pierre Mendès-France à Louviers), développement de son influence dans la mouvance activiste en métropole et en Algérie. Jean-Marcel Zagamé, principal dirigeant de Jeune Nation en Algérie, déclare : « L’Algérie est une terre définitivement blanche » et appelle à l’installation massive d’Européens, car « le sort de la civilisation chrétienne est en jeu ». 

Pour Dominique Venner : « Le nom de Jeune Nation restera vivant grâce au journal » et il annonce le lancement « d’un grand parti nationaliste pour accomplir la nécessaire révolution nationaliste ». Chose faite le 7 octobre 1958 : le Parti nationaliste est créé, avec comme principaux dirigeants Pierre Sidos, Dominique Venner, Jean Malardier. Dans les faits, il s’agit d’un clonage de Jeune Nation et les militants de Jeune Nation deviennent automatiquement membres du nouveau parti dont les emblèmes sont le drapeau tricolore « de nos certitudes nationales » et la croix celtique « de nos espérances sociales ».

Dominique Venner déclare :

« Le changement de régime devra se faire d’un coup ou ne se fera pas » car la solution « ne sortira pas des urnes, mais d’un parti nationaliste qui combattra en dehors du parlement ». Le congrès constitutif du Part nationaliste se tient à Paris les 6, 7, 8 février 1959. Selon le journal Le Midi libre : « le parti fasciste a tenu son meeting ».

Pour le Parti nationaliste, l’heure de l’action a sonné et l’armée doit en prendre la direction. Mais l’existence du parti va être de courte durée. Le 13 février 1959, après de violentes manifestations contre Michel Debré en Algérie, sa dissolution est prononcée et ses locaux perquisitionnés (une liste « d’éléments adverses à éliminer » est récupérée par la police). Le journal Jeune Nation n’est pas touché par la mesure de dissolution (le dernier numéro va paraitre en février 1961).

Des sections entrent dans la clandestinité. L’Algérie française est le thème central de leurs activités. Jeune Nation va se fondre dans l’OAS métropole, et va assurer une partie de la logistique de la Mission III (planques d’armes, réseaux clandestins). Pierre Sidos participe à la rédaction du journal « Vive la France », journal lié à l’OAS Mission III. Roland Gaucher écrira plus tard : « Les seules voies efficaces étaient les attentats, le putsch et les différentes formes de luttes armées » (Les Nationalistes en France, 1985), ajoutant que, parmi les organisations civiles en métropole, une seule tenait la route, parce que rôdée au combat clandestin : Jeune Nation.

Avec l’indépendance de l’Algérie et l’échec de l’OAS, l’extrême droite est durement atteinte : « Dix-huit ans après l’Epuration, une deuxième épreuve écrasait l’opposition nationale » (François Duprat, Les mouvements d’extrême droite en France depuis 1944, 1972). Pierre Sidos et Dominique Venner sont en prison et Jeune Nation disparait.

L’intermède Occident 

Jeune Nation a été le creuset d’une nouvelle génération de fascistes, un lieu de passage où l’on fait ses premières armes. Alors que s’effondre Jeune Nation, Pierre Sidos rompt avec Dominique Venner et lance le Cercle de la défense et de la culture française. Ce cercle reprend le nom d’Occident, déjà utilisé dans les années 50. A l’origine, Occident est une résurgence de Jeune Nation, fortement marqué par Pierre Sidos et ses proches : Patrick Lemaire et André Cantelaube (ex-franciste et ancien collaborateur ayant travaillé pour la Gestapo à Vichy).

Le 14  avril 1964 se tient la première réunion d’Occident avec Pierre Sidos, Gérard Longuet (« l’idéologue » du mouvement et futur politicien influent de la droite française). Occident, « fer de lance du nationalisme français », entend « défendre l’Occident partout où il se bat […], ne pas tolérer les réunions antifrançaises ». Reprenant les actions commandos de Jeune Nation, Occident attaque le 8 mai la Journée de solidarité des peuples d’Asie et d’Afrique qui se tient à la Mutualité, puis le spectacle « Chansons pour la paix » organisé par la CGT et l’UNEF.

Le mouvement participe en 1965 à la campagne de Tixier-Vignancour et à son comité jeune (Alain Madelin, lui aussi futur ministre de droite, est ainsi délégué du comité jeune à Assas). Après l’échec de Tixier-Vignancour, Occident claque la porte du comité jeune. Rapidement, un décalage générationnel se fait jour ainsi que des divergences théoriques. Pour certains, il n’est pas question de reproduire Jeune Nation, même si la croix celtique demeure. Occident se veut essentiellement un mouvement de jeunes : « Le propre de la jeunesse c’est de remplacer irrésistiblement la gérontocratie : voilà le sens unique de l’Histoire » (Occident-Université, n°6, mars 1965).

En novembre 1965, c’est la rupture officielle entre Sidos et Occident. Exit Pierre Sidos qui publie Le Soleil, un périodique qui ne brille guère que par son antisémitisme. Selon François Duprat, alors membre d’Occident, « les membres d’Occident ne voulurent pas devenir des recopieurs de fiches » au service de Pierre Sidos. Occident, nouvelle mouture, est dirigé par Gérard Longuet, Alain Madelin, Alain Robert auxquels se joignent Philippe Asselin, Patrick Devedjian, François Duprat, Jack Marchal, Hugues Leclerc, Christian de Bongain (dit Xavier Raufer, futur pseudo-expert en matière de sécurité).

Pierre Sidos se retrouve donc à la direction du Soleil qui prend comme modèle Drumont, Barrès, Maurras, Alexis Carrel, Brasillach, Franco, Salazar, Pétain. Il y déclare : « Nous continuons à travailler dans leur lumière ». Le Soleil développe une idéologie nationaliste, faussement anticapitaliste mais réellement antisémite, qui dénonce le « rôle moteur des Juifs » dans le capitalisme et dans la vie politique.

La naissance de L’Œuvre française et la tentative avortée de rassembler les fascistes français

En avril 1968, Pierre Sidos fonde un nouveau mouvement : L’Œuvre française, énième reconstitution de Jeune Nation. Pierre Sidos en est le « présideur » c’est-à-dire le numéro 1, et la ligne politique du nouveau groupuscule est identique à celle de son ancêtre.

En 1969, la tentative de Pierre Sidos de se présenter à l’élection présidentielle se solde par un échec cuisant, sa candidature étant retoquée par le Conseil constitutionnel. Pierre Sidos y voit un complot mené par René Cassin et Gaston Palewski « tous deux d’ascendance juive étrangère ». L’historien Pierre Milza qualifiera Pierre Sidos de « barde de l’antisémitisme ». En 1973, faisant cavalier seul, il est candidat aux élections législatives. Nouveau bide : c’est la seule candidature du mouvement, alors que Le Monde en annonce trente et une…

En 1981, Pierre Sidos poursuit toujours l’objectif de « rassembler tous les vrais nationalistes ». La revue Militant de Pierre Bousquet (ex-Waffen SS et premier trésorier du Front national lors de sa fondation) et de Pierre Pauty (ex-Front national) contacte le Mouvement nationaliste révolutionnaire (MNR) de Jean-Gilles Malliarakis et L’Œuvre française. Posant les jalons d’une future organisation, une plate-forme commune est rédigée en 1982. Les organes de presse respectifs ouvrent mutuellement leurs colonnes.

Le 14 février 1982, à Paris, se tient « le grand banquet nationaliste » qui réunit tout ce beau monde… La création du Regroupement nationaliste est officiellement annoncée. Rapidement, il se trouve confronté au problème récurrent de l’extrême droite : qui va en être le chef ? Comme l’écrivait François Duprat : « la division des nationaux consiste non en une querelle de doctrine mais en une querelle de chefs des mouvements ». Chaque groupe essaye de racoler les militants des autres. L’Œuvre française retourne donc à ses activités classiques et à ses œuvres picturales sur les murs de Paris : « La France aux Français. Pierre Sidos ».

Selon le mensuel d’extrême droite Le Choc du Mois paru en mai 1988, l’Œuvre française est représentative « d’un fascisme très catholique ». Le mouvement a la dent dure contre les autres groupuscules. Les militants du GUD sont, par exemple, qualifiés de « trous du GUD ». En retour, une partie de l’extrême droite développe une certaine animosité envers Pierre Sidos et son groupuscule. Christian Bouchet (nationaliste-révolutionnaire, ex-dirigeant d’Unité radicale) voit dans l’Œuvre française « l’Eglise de la Sidologie ».

Son antisémitisme viscéral lui attire les foudres des organisations juives. Ainsi, le 8 mai 1988, lors de la fête de Jeanne d’Arc, son cortège est attaqué Place Saint Augustin par l’Organisation juive de combat (OJD) et des militants sont blessés. L’Œuvre française se rapproche des catholiques intégristes de Chrétienté Solidarité dirigé par Bernard Antony et est présente aux Journées d’Amitiés Française qu’il organise. On la retrouve aux Journées culturelles de National Hebdo puis aux BBR organisées par le Front national en 1991.

Elle crée une organisation de jeunesse, les Scouts de Jeanne d’Arc, mais rencontre un écho limité chez les jeunes nationalistes-révolutionnaires. Ses principales activités consistent en l’organisation de banquets et dans des actions purement mémorielles : la manifestation en l’honneur de Jeanne d’Arc, la commémoration du 6 février 1934, la cérémonie sur la tombe de Robert Brasillach, le pèlerinage à l’ile d’Yeu sur la tombe de Pétain et des pétitions pour que soit enterré « le Père de la Patrie » à Douaumont.

Défenseur de la France blanche, Pierre Sidos dénonce « l’immigration massive et ininterrompue d’extra-européens » (7ème Congrès, 2000). L’Œuvre française s’est retrouvée confrontée à « l’effet Le Pen ». Même si elle considère Jean-Marie Le Pen comme « un pur produit de la démocratie dans ce qu’elle fait de mieux » (ce qui n’est pas un compliment de leur point de vue), elle appelle à voter Le Pen et Pierre Sidos autorise la double appartenance OF/FN.

L’Œuvre française et le Soleil vont connaitre de nombreuses éclipses, pour ne pas dire une nuit polaire. Le groupuscule se replie sur Lyon et organise des Forums nationalistes. Début 1994, le journal Jeune Nation est relancé sous la direction d’Yvan Benedetti. Il reprend la même thématique antidémocratique, un nationalisme de purification, une défense obsessionnelle de l’identité française (dans une conception raciste de celle-ci) :

« Un Français est un blanc, il ne peut être que physiquement gallo-romain et spirituellement gréco-latin. Français défendons notre terre, notre langue, notre peau ».

L’Œuvre française prétend développer une forme d’écologie, mais celle-ci se ramène au slogan « Écologie : Le sol et le sang » (Le Soleil, mars-avril 1990), dans le plus pur style nazi. Un meeting est organisé à Paris en avril 1990 sur le thème suivant : « Pas plus qu’elle ne peut ignorer les problèmes de l’environnement naturel, l’écologie ne doit faire l’économie d’une réflexion sur la préservation et le perfectionnement des peuples ».

L’Œuvre française défend la famille patriarcale, lutte contre l’IVG, le Pacs, le mariage pour tous, la PMA, la GPA, la LGBT, la Gay Pride : « Pas de défilé pour les enfilés. Non à la Gay Pride » (autocollant de JN). Fidèle à la Révolution nationale de Pétain, elle réaffirme que la « destinée naturelle de la femme est la propagation de la vie, la maternité, la grossesse et l’allaitement ». Pierre Sidos dénonce « l’extravagance du super féminisme » et réclame « la restitution de l’autorité du père de famille, l’abolition de la loi sur le divorce et de l’IVG, qualifié de « meurtre d’enfants »). En 2013, une section féminine est créée : les Caryatides, sorte de néo-pétainisme en jupon. « Femmes nationalistes […] nous militons pour la vie, la famille, pour l’enfance, pour l’ordre moral, pour l’ordre naturel ».

Logiquement, l’Œuvre française est opposée au métissage : « nous voulons rester français […]. Œuvrer ardemment pour délivrer la France et les Français d’un cosmopolitisme idéologique et économique » (Pierre Sidos, Le Monde, 1er janvier 1976). Marquée par un antisémitisme viscéral, qu’elle tente de dissimuler derrière un antisionisme de façade, l’Œuvre française dénonce à longueur d’articles « la grande conspiration juive », sa mainmise sur la presse et qualifie la droite de « collabo-rat-sioniste ». Mai 68 ne serait ainsi qu’un coup des Juifs pour déstabiliser De Gaulle et lui faire payer sa déclaration cataloguant les Juifs de « peuple d’élite, sûr de lui-même et dénominateur », suite à la Guerre des Six Jours.

Pierre Sidos, invité à l’émission télévisée Ciel mon Mardi, le 6 février 1990, se présente comme « pas plus antisémite que Saint-Louis » (Saint-Louis, par une ordonnance de 1269 interdisait les mariages mixtes et instituait le port obligatoire d’un signe distinctif pour les Juifs du royaume : une rouelle jaune). Pour lui, « rien ne peut justifier les privilèges exorbitants dont bénéficient les Juifs en France en raison seulement de leur origines raciales et religieuses ». Son antisémitisme amène évidemment Pierre Sidos à soutenir les négationnistes, à rendre hommage aux publications de Paul Rassinier, Robert Faurisson et à soutenir les revues négationnistes :

« L’ensemble de ces études très documentées sur l’histoire contemporaine d’une rigueur scientifique indiscutable a permis d’établir la grande tromperie de l’holocauste et la duperie des chambres à gaz homicides, seule et même falsification historique qui a servi à une gigantesque escroquerie planétaire dont les principaux bénéficiaires sont l’Etat d’Israël et le sionisme international et dont les principales victimes sont les peuples médusées ou asservis qui en ont fait les frais politiques et financiers (Le Soleil, mars-avril 1990).

Il réclame « l’annulation des lois scélérates, liberticides et antinationales (loi Pleven de 1973 et Gayssot de 1981), qui permettrait selon lui l’étude objective de la Seconde Guerre mondiale, de ses causes et de ses conséquences véritables. Il prétend que « le chiffre de 6 millions est complètement bidon […] », et que « l’antisémitisme est une opinion comme une autre. 14 millions de Soviétiques et 6 millions d’Allemands tués pendant le second conflit n’empêchent personnes de se déclarer anti-communiste et anti national-socialiste, alors pourquoi n’a-t-on plus le droit légal d’être hostile au sémitisme sous le prétexte que les Juifs, dans le même temps, ont eu quelques centaines de milliers de victimes ? ».  

Dans les années 2000, l’Œuvre française n’est plus que l’ombre d’elle-même et retourne à ses nostalgies : « Vive la génération Degrelle » (chef de la Légion SS Wallonie et décoré par Hitler de la Croix de Fer). A partir des années 2010, le groupe tente de se refaire une santé. Yvan Benedetti, qui se définit comme « antisioniste, antisémite et anti juif », succède à Pierre Sidos, tandis qu’Alexandre Gabriac fonde, en 2011, les Jeunesses nationalistes comme la section de jeunesse de l’Œuvre française. Tous deux seront élus conseillers régionaux Rhône-Alpes sous l’étiquette FN et soutiendront Bruno Gollnisch avant d’être exclus du parti.

Yvan Benedetti appelle depuis à « une seconde révolution nationale car il en va de notre nation et de notre civilisation ». Quant à Alexandre Gabriac, il définit le salut nazi comme « un salut olympique ». Après l’assassinat de Clément Méric, considéré par ce dernier comme « un malheureux fait divers », mais les Jeunesses nationalistes et l’Œuvre française sont dissoutes par le gouvernement de Manuel Valls. Les débris de ces mouvements se retrouvent actuellement dans le groupusculaire Parti nationaliste français (PNF), devenu en 2019 le mouvement « Les Nationalistes ».

Dinosaure de l’extrême droite, nostalgique du régime de Vichy et passeur de l’héritage des fascismes de l’entre-deux-guerres, Pierre Sidos terminera sa longue marche en 2020 sous le signe de la croix celtique.

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Jean-Paul Gautier est historien, spécialiste de l’extrême droite.

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