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À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour

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L’essentiel de la journée

Les Versaillais prennent Montmartre !

Les colonnes versaillaises contournent la résistance des Batignolles. Par le Nord, en longeant les remparts à l’intérieur, et à l’extérieur dans la zone neutre, que leur laissent les prussiens. Puis ils prennent les barricades en bas de la butte, sur le Boulevard D’ornano et la rue Myrha. Les combattants des Batignolles encerclés refluent vers la place Clichy et Montmartre.

Vers une heure la mairie du XVIIIème est prise. Montmartre, cette  hauteur imprenable d’où quelques centaines auraient pu tenir en échec une armée a donc été prise en six heures, presque sans combat! La colonne descend vers Opéra, s’affrontant aux barricades Place Clichy, place Blanche, place Pigalle.
En début d’après midi, Dombrowski essaie de faire dresser de novelles barricades, il est touché d’une balle dans le ventre , transporté à l’hôpital Lariboisière tout proche, il y meurt deux heures après.

Témoignage – Albert Hans, volontaire versaillais[1]

Après une vive et courte fusillade, qui coûta cher aux insurgés, car les volontaires faisaient un feu plongeant de leurs fenêtres sur la barricade, le commandant Durieu divisa sa petite troupe en deux parts, qui s‘élancèrent parallèlement le long des murs, à la baïonnette sur l’obstacle. Il ne restait plus que quatre insurgés qui furent tués immédiatement. Les autres étaient morts ou disparus. Le commandant Durieu venait lui-même d’en abattre un, quand il voit un autre qui le couche en joue. Prompt comme l’éclair, il saisit son fusil par le canon, s’élance sur le fédéré et lui applique un si furieux coup de crosse sur la tête, que le chien de son snider reste engagé dans le crâne sans que la chute du fédéré puisse l’en faire sortir. Enfin le commandant réussit à dégager son arme en l’attirant violemment à lui en ouvrant la boîte osseuse du crâne de son adversaire .

Il y avait des ruisseaux de sang dans la rue et de nombreux cadavres d’insurgés étendus sur les pavés. On fouille les maisons, et tout homme vêtu en garde national, ayant un fusil, où le creux de la main noire de poudre, est passé par les armes. Le commandant Durieu, avec sa sauvage animation, se chargeait lui-même de l’exécution et en tua ainsi une dizaine, les jeunes seuls étaient faits prisonniers […] Le commandant Durieu ne s’était jamais montré aussi surexcité. Avec sa tenue négligée, ça vareuse garibaldienne ouverte, sa barbe noire et inculte, sa peau halée et son regard cruel, il avait un air véritablement étrange et terrible.

La place de la Concorde est défendue pied à pied, mais les fédérés sont débordés par l’avancée des troupes de Thiers qui prennent la place Vendôme et l’opéra. Brunel qui commande la résistance décide pour retarder l’avance ennemie d’incendier tout le quartier. Trente gardes jettent dans les caves, les escaliers et les magasins des touries de pétrole. Ils peuvent évacuer et arrivent par la rue de Rivoli à l’Hôtel de Ville vers trois heures du matin. Ces incendies ont bien été décidés par les fédérés, ils s’ajoutent à tous ceux qui ravagent Paris, qui proviennent des bombardements versaillais, que les pompiers ont réussi à éteindre au début, mais ils sont maintenant dans l’incapacité de le faire. Sans compter les incendies allumés par les agents provocateurs.

Rive gauche, la résistance tente de s’organiser autour du carrefour de la Croix rouge et du Panthéon, de part et d’autre du jardin du Luxembourg. Les versaillais vont contourner par le sud ces points de résistance, prenant le boulevard du Maine, le cimetière Montparnasse et la place d’Enfer[2].

Les troupes de l’Assemblée évitent, autant que possible, d’aborder de front les barricades, elles les tournent. Lorsque les fédérés s’en aperçoivent, ils sont obligés de l’abandonner, elles tombent ainsi au pouvoir des Versaillais. Ils se sont emparées dans la journée de positions stratégiques très importantes. Montmartre, et une grande portion du faubourg Saint- Germain, sont en leur pouvoir.

Témoignage – Benoit Malon, 30 ans, ouvrier teinturier, journaliste

On avait déjà vu la tactique de ces derniers. Elle consistait à tourner toutes les positions secondaires et à n’attaquer que les clefs de positions, encore les attaquaient-ils de la façon suivante : des pièces de canon et des mitrailleuses étaient braquées aux angles de la rue dont ils voulaient s’emparer ; il les avançaient vivement pour tirer et les reculaient non moins vite pour les recharger à l’abri. Pendant ce temps des soldats envahissaient les maisons, et tandis que les uns dirigeaient des croisées un feu meurtrier sur les fédérés, les autres perçaient les murs et de maison en maison, s’avançaient par les cheminements intérieurs, sans être aperçus, jusqu’au pied de la barricade. Alors de toutes les croisées des maisons attenantes, ils dirigeaient à coup sûr un feu plongeant sur les fédérés qui tombaient foudroyés. Profitant de la panique, ils cernaient ensuite la barricade et fusillaient à bout portant les fédérés qui n’étaient pas tombés sous les premières décharges.

Il se passait là des choses horribles, le sang coulait à flot au milieu de cris déchirants ; puis l’officier criait : Bravo ! Et les soldats quittaient la place en ayant fait un monceau de morts de ce qui était auparavant des pères, des frères, des sœurs ou des fils,  des êtres humains pleins de vie, de passion, d’espoir.

D’autres fois les versaillais se mettaient bien à l’abri, ouvraient contre les fédérés un feu intermittent jusqu’à ce que ceux-ci, tirant sans cesse, n’eussent plus de munitions ; à ce moment les soldats s’avançaient au pas de course en nombre décuple, et prenaient tous les défenseurs de la barricade, qu’ils fusillaient ordinairement séance tenante.

[…]

Dans cette guerre de classe, les auxiliaires ne [manquent] pas, dans Paris même, aux soldats de l’ordre. Pendant le siège, plus d’un fédéré avait été atteint par la balle d’un fusil à vent, braqué derrière les jalousie d’une appartement bourgeois. Maintenant que l’armée est là, à quelques centaines de mètres, les réactionnaires plus hardis se [servent] de véritables chassepots, tout au moins de fusils de chasse. Ils [tirent] surtout sur les officiers supérieurs et les membres de la Commune, reconnaissables à leur écharpe rouge. Quelquefois ils [tirent] aussi en plain sur une colonne de fédérés qui [passent].

Dans les quartiers bourgeois, l’arrivée des troupes de Thiers est accueillie positivement par une partie de la population qui ressort les drapeaux tricolores. Les brassards tricolores qui avaient échappée aux perquisitions refont surface. Les gardes nationaux « de l’ordre » qui réapparaissent les portent, avec en plus une bande blanche sur le képi pour ne pas être confondu avec les fédérés.

Les Tuileries sont en feu, puis le Palais Royal, La Cour des Compte, La légion d’Honneur,  le Conseil d’État . Des barils de poudre explosent ! Le vent souffle légèrement de l’Est, les flammes et les fumées enveloppent tout l’ouest de Paris,  semblent se diriger vers Versailles. Si certains incendies sont des actes regrettés, celui des Tuileries, le palais des souverains d’où était tant de fois parti l’ordre de massacrer le peuple, est une satisfaction pour le peuple ouvrier parisien.

 

Les massacres de prisonniers

La troupe exécute sur les lieux des combats, tant les blessés que les prisonniers, pour se venger d’une résistance trop forte, pour ne pas s’encombrer de prisonniers pour continuer en avant, pour tous les prétextes.

– la barricade de la rue des Carrières tient bon jusqu’à ce que les versaillais la tournent par le cimetière Montmartre en fin de matinée. Une vingtaine de gardes, refusent de se rendre. Ils sont tous tués et les douze[3] prisonniers sont fusillés.

Témoignage – Benoit Malon, 30 ans, ouvrier teinturier, journaliste

Nous voici arrivés au moment où la nature de la guerre que les Versaillais apportent dans Paris se caractérise. Les détonations lugubres des pelotons d’exécution fusillant les prisonniers se mêlent au bruit terrible de l’immense bataille ; déjà le parc Monceau est jonché de cadavres ; rue des Carrières, douze fédérés son pris derrière une barricade et fusillés. Tous les isoles sont sûr de leur affaire aussitôt qu’ils sont pris. Dans le quartier des Epinettes tous les fédérés que l’on peut prendre sont conduits à la porte Clichy et fusillés. De ce nombre, trois femmes, soupçonnées d’avoir travaillé une barricade.

( témoignage V. d’Esboeufs) « Un soldat, à Batignolles, las de tuer, refuse de fusiller des femmes et des enfants inoffensifs ; il est mis à mort immédiatement sur l’ordre de l’officier. Dans le même arrondissement on a vu un homme qui n’a pris aucune part à la lutte, entraîné aux yeux de sa femme (comme il sortait pour se procurer un peu de nourriture dans pour pour sa famille) par une soldatesque ivre de sang, sa femme accourt, un enfant dans les bras, pour protester de son innocence ; on n’écoute rien, et comme elle tenait son mari étroitement embrassé et qu’il aurait été trop long de les détacher, on fusille homme, femme et enfant. Monsieur Izquierdo, docteur médecin, se précipite pour donner des soins à l’enfant qui respire encore, il est saisi et fusillé à son tour »

Les perquisitions générale et les arrestations en masse achèvent la pacification de Batignolles.

– la centaine de femmes qui défendent la barricade de la place Blanche, avec Le Mel, Dmitrieff, Poulain et Lefebvre ont tenu en échec quatre heures les troupes de Thiers. À onze heure, exténuées et sans munitions, celles qui n’ont pu échapper vers la place Pigalle sont massacrées sur place.

Barricade de la place Blanche.

– A l’école militaire, dans le VIIème arrondissement, est mis en place un semblant de cour martiale, dont on sort emmené comme prisonnier ou pour le peloton d’exécution. Ce n’est que détonations dit un journaliste conservateur, la brigade Berthe est chargée de la sale besogne : il est impossible de sortir de chez soi, même pour faire quelques achats, sans courir le risque d’être fusillé. On fusille à la mitrailleuse, quarante prisonniers d’un coup rangés en deux rangs, les mourants sont achevés à la baïonnette.

Un négociant notable décrit[4] :

« j’ai vu, en tremblant d’indignation et de colère, fusiller des femmes, des enfants et des vieillards, j’ai vu entrer dans les maisons, passer au fil de l’épée, indistinctement, tous les habitants, jeter les cadavres par les croisées , j’ai vu dans les rues, de mes yeux vu, dans le quartier de Rivoli, des soldats versaillais attiser eux-mêmes le feu, donnant à leur crime un semblant de justification en accusant les fédérés »

– Même chose au parc Monceaux dans le VIIIème arrondissement, où c’est un détachement du 26èmme de ligne qui assure la cour martiale, où l’on amène un grand nombre de prisonniers qui sont tous fusillés, on entend toute la journée le bruit sinistre des feux de peloton.

– Les versaillais installent également dès la prise de Montmartre au 6 rue des rosiers un tribunal militaire présidé par une capiytaine de chasseurs. Dénoncés par les habitants du quartier hostiles aux communeux, les arrestations sont nombreuses. Les personnes arrêtées étaient interrogées sommairement, obligées ensuite de se mettre à genoux, tête nue, en silence, dans dans la cour en face du mur où avaient été fusillés les généraux Clément et Thomas, avant d’être emmenés pour être fusillé-es à deux pas, sur le versant de la butte vers Saint Denis. Au moins quarante deux hommes, trois femmes et quatre enfants[5] ont été ainsi fusillé-es aujourd’hui.

Le conservateur du cimetière de Passy reçoit l’ordre de l’état-major de l’armée et de la mairie du XVIème arrondissement de creuser des tranchées « pour y recevoir un nombre de 1300 cadavres »[6].

– quand la barricade Pigalle tombe, son chef est amené devant un commandant, qui es-tu . ? Lévêque, ouvrier maçon, membre du Comité central – Ah c’est des maçons qui veulent gouverner répond le versaillais en le tuant de quelques balles.

Témoignage – Prosper-Olivier Lissagaray, 33 ans, journaliste

Minuit

Nous approchons de l’Hôtel de Ville, les sentinelles, poussées fort loin, de distance en distance, préviennent toute surprise. À la barricade de l’ avenue Victoria, un membre de la commune qui nous accompagne donne l’ordre de d’enlever le corps d’un homme qu’on vient de fusiller. Ce malheureux, vêtu d’un uniforme d’officier, gisait palpitant au pied de la barricade. De large jet s de sang avaient rejailli sur la muraille de pavés, les yeux remuaient encore. Il était venu dans la soirée porter où demander un ordre à l’hôtel de Ville, et les officiels l’avaient invité à leur table. Peu après un colonel portant précisément le même uniforme que le nouveau venu, entra dans la salle, regarda fixement l’officier, ne le reconnut pas et lui demanda son nom. Celui-ci se troubla. “Mais non vous n’êtes pas des miens”, dit avec force le colonel. On arrêta le personnage, on le trouva porteur d’instructions et d’ordres de l’état-major versaillais, on l’entraîna au dehors. Fusillé comme espion, son corps fut jeté à la Seine.

Nous entrâmes les couloirs inférieurs était remplis de gardes nationaux dormant dans leur couverture. À côté des blessés étendus sur leurs matelas rougis, des civières dressées le long des murs dégoûtaient de filets de sang. On apporta un commandant qui n’avait plus face humaine, une balle, entrée par la bouche avait enlevé ses lèvres, une partie des dents et fait un trou énorme dans la joue. Ne pouvant articuler un son, ce brave agitait dans sa main un drapeau rouge comme une dernière menace, et du geste, il exhortait les hommes couchés à se lever pour le combat.[…]

Certains membres de la commune se multipliaient. Mais quelques-uns de ceux qui avaient des fonctions militaires, ne portaient plus leurs uniformes, plus nécessaire cependant que jamais dans une pareille confusion. Le membre du Comité de salut public, Ranvier, républicain droit, austère, et la plus froide énergie de la commune, ayant rencontré revêtus d’habits civils deux de ses collègues, les plus empanachés pendant le siège, les apostropha durement, menaçant de les faire fusiller s’il ne se rendaient pas dans leur arrondissement pour y soutenir la résistance. […]

Nous descendîmes au premier étage, et dans la fameuse chambre bleue, gardée par des sentinelles, nous vîmes Dombrowski mort, étendu sur un lit, dans son uniforme, pantalon et tunique noire, sans autre ornement que des galons aux manches. Une seule bougie éclairait la pièce. Deux ou trois officiers, assis dans les coins obscurs, veillaient silencieux

[… ]

Les cours intérieures de l’hôtel de ville bouillonnaient de foule et de tumulte. On évacuait à grand fracas les munitions sur la Mairie du XIe. Des prolonges d’artillerie, les omnibus chargés de poudre, retentissaient sous les voûtes avec un cliquetis sinistre. Jamais les fêtes du baron Haussmann n’éveillèrent d’aussi sonores échos […] La vie et la mort, le râle et le rire ce coudoyaient, dans les escaliers, à chaque pièce, à chaque étage, baignés par là même lumière éblouissante du gaz. Souvent on surprenait des espions et on les exécutait sur la place de l’Hôtel de Ville contre une barricade. Malheur à tout individu suspect ou soupçonné de l’être. Dans ces moments de luttes physiques et morales, quand la vie est à la merci d’une erreur ou d’un caprice, l’insouciance de la mort vous gagne comme un vertige, et l’existence perd tout son prix, comme l’or entre les mains fiévreuses du joueur.

 

Assassinat de Chaudey

Dans la nuit, Raoul Rigault décide seul de se rendre à la prison de Sainte Pélagie dans le Vème arrondissement, prétend avoir des ordres se fait amener Chaudey. Ce dernier est bien connu de Rigault, comme avocat républicain, il l’a défendu en 1866. Personnage étrange, exécuteur testamentaire de Proudhon, il est ami du banquier Cernuschi dans le journal républicain le Siècle, il est hostile à la Commune. Présent à l’Hôtel de Ville comme adjoint le 22 janvier 1871 lorsqu’est donné l’ordre de tirer sur la manifestation, il est accusé d’avoir donné l’ordre de cette fusillade qui a tué a côté de Rigault, Sapia, son ami blanquiste. Il est emprisonné depuis un mois, son procès n’a pu avoir lieu. Rigault le fait fusiller  dans le chemin de ronde avec trois gendarmes pris le 18 mars.

 

Une conciliation est-elle encore possible ?

Le Comité central de la garde nationale vote les conditions de paix entre Versailles et la Commune : Assemblée nationale et Commune dissoutes, armée régulière à 25 km paris, pouvoir intérimaire des délégués des villes de plus de 50 000 habitant-es, un gouvernement provisoire, et l’élection d’une Assemblée Constituante et d’une nouvelle Commune de Paris, aucune représailles. Ces conditions ont été de nombreuses fois refusées par Versailles, aussi, lorsque le Comité envoie un délégué à l’Union républicaine, il lui est répondu qu’il n’y a peu de chances qu’elle puisse aboutir.

La Commune fait un choix différent. Les délégués du Congrès de Lyon, qui avaient en vain cherché à traiter samedi, reçoivent de la Commune la confirmation qu’elle ne pouvait  adhérer à leur démarche. Les membres de la Commune qui refusent cette proposition pensent-ils que l’irruption des troupes de l’Assemblée dans la capitale leur sera fatale ?

 

À Versailles

A. Thiers adresse à la province des dépêches pour la renseigner sur les mouvements de l’armée dans Paris pendant la journée.

Versailles, 23 mai, 1 h. 30, soir.

Les événements suivent la marche que nous avions le droit de prévoir : il y a quatre-vingt-dix mille hommes dans Paris. Le général de Cissey établi de la gare de Montparnasse à l’École-Militaire et achève de border la rive gauche de la Seine jusqu’aux Tuileries. Les généraux Douai et Vinoy enveloppent les Tuileries, le Louvre, la place Vendôme, pour se diriger ensuite sur l’Hôtel-de-Ville. Le général Clinchant, maître de l’Opéra, de la gare Saint-Lazare et des Batignolles, vient d’enlever la barricade de Clichy; il est aussi au pied de Montmartre, que le général Ladmirault vient de tourner avec deux divisions. Le général Moutaudon, suivant par le dehors le mouve- ment du général Ladmiraull, a pris Neuilly, Levallois-Perret, Clichy, et attaqué Saint-Ouen. Il a pris cent quinze bouches à feu et fait une foule de prisonniers. La résistance des insurgés cède peu à peu, et tout fait espérer que si la lutte ne finit pas aujourd’hui, elle sera terminée demain au plus tard et pour longtemps. Le nombre des prisonniers est de cinq à six mille et sera doublé demain. Quant au nombre des morts, il est impossible de le fixer, mais il est considérable. L’armée, au contraire, n’a fait que des pertes très-peu considérables.

 

En bref

■  Un bataillon de fédérés a été dépêché à la Monnaie, qui est menacée par l’avancée des versaillais. Certains informateurs[7] affirment que dans la nuit le chef de fabrication est parvenu à effectuer un tirage de 10 000 pièces de 5F portant la devise « Travail-garantie ».

Le 23 mai 1871, le citoyen Marx, a propos de la lutte à Paris, a dit qu’il craignait que la fin fût proche, mais si la Commune était battue, la lutte serait seulement ajournée. Les principes de la Commune sont éternels et ne peuvent être détruits : ils seront toujours posés à nouveau à l’ordre du jour, aussi longtemps que la classe ouvrière n’aura pas conquis sa libération. On abat la Commune de Paris avec l’aide des Prussiens qui agissent en qualité de gendarmes de Thiers. Le plan de sa destruction a été élaboré par Bismarck, Thiers et Favre. A Francfort, Bismarck a déclaré que Thiers et Favre lui avaient demandé d’intervenir. Le résultat a montré qu’il était prêt à tout faire pour leur venir en aide, sans risquer la vie des soldats allemands, non parce qu’il estimait la vie humaine quand il s’agissait du profit, mais parce qu’il désirait une chute encore plus profonde de la France, afin d’avoir la possibilité de la piller. Il a permis à Thiers de recruter plus de soldats qu’il n’était convenu dans l’accord; par contre, il n’a autorisé le passage des vivres à Paris qu’en quantités limitées. C’est une vieille histoire. Les classes supérieures se mettent toujours d’accord pour tenir sous leur talon la classe ouvrière. Au XIe siècle, il y eut une guerre entre les chevaliers français et normands, et les paysans se soulevèrent. Les chevaliers oublièrent immédiatement leurs querelles et se réunirent afin d’écraser le mouvement paysan. Pour montrer comment les Prussiens s’acquittent de leur tâche de policiers, il suffit d’indiquer qu’à Rouen, occupé par les Prussiens, 500 personnes ont été arrêtées parce qu’elles appartenaient à l’Internationale. L’Internationale fait peur. A l’Assemblée nationale française, le comte Jaubert – momie desséchée, ministre de 1834 – connu comme partisan des mesures de répression contre la presse, a prononcé un discours dans lequel il dit qu’après je rétablissement de l’ordre le premier devoir du gouvernement doit être Une enquête sur l’activité de l’Internationale, et son anéantissement. A la même séance, on a examiné la question de la protestation du Conseil général contre les atrocités des Versaillais et la question de l’aide à accorder aux émigrés de la Commune. Marx a déclaré : Nous pouvons démasquer l’activité du gouvernement versaillais, mais nous ne pouvons lui faire part de notre protestation, parce que cela signifierait que nous nous adressons à ce même gouvernement que nous qualifions de brigand.

 

En débat

Tribune – Elie Reclus, 44 ans, journaliste

Nous sommes des marins dont le vaisseau fait eau pendant la tempête et, le quart d’heure en quart d’heure, coule toujours plus bas. Accoudés sur le gaillard d’avant, nous regardons les vagues qui du fond de l’horizon accourent en hurlant, écumant de rage. Sera-ce la première qui nous emportera dans le sombre bas-fonds ou la seconde ? Non ce sera plutôt la quatrième qui pointe par là-bas … De même dans cette mer bouleversée de Paris… Peut-être aujourd’hui nous faudra t-il mourir… Peut-être demain… Peut-être après-demain… N’importe, ce n’aura pas été en vain… Et quand bien même ce serait en vain! La nature est avare de fruits et prodigue de fleurs. Pour un arbre qui vient à bien, que de boutons avortés, que de fleurs brûlées et desséchées, que de fruits tombent avant leur maturité ou après leur pourriture, aux graines que d’accidents et parmi les jeunes pousses, combien sont brisées, combien sont broutées et foulées ! Il disait vrai le pauvre Girondins qui s’écriait mélancoliquement avant d’être guillotiné : “La Révolution est comme Saturne, elle dévore ses enfants!. Oui certes, mais comme Saturne et Baal Moloch, elle les dévore pour les faire renaître, elle fait les cadets avec la substance des aînés …On trouve que le jeu n’est pas profitable et qu’il vaudrait mieux naître une bonne fois pour rester toujours vivant? Bah ! Cela nous mènerait au régime de l’huître incrustée dans son rocher. Et puis, telle est la loi de la vie. Protester contre la loi, s’est protester contre la vie même, à laquelle nous tenons puisque nous la regrettons. Acceptons la nécessité, acceptons cette chose mystérieuse dont le côté lumineux se nomme la vie, et dont le côté sombre se nomme la mort. Puisque nous aimons la vie telle qu’elle, ne la querellons pas telle quelle ! Allons de l’avant, allons tant que ça pourra.

 

Notes

[1]Michèle Audin

[2]Qui deviendra Denfert Rochereau

[3]Benoit Malon

[4]Cité par Prosper-Olivier Lissagaray

[5]Prosper-OlivierLissgaray

[6]Michèle Audin

[7]Michel Cordillot

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