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Sophie Béroud et Martin Thibault, En luttes ! Les possibles d’un syndicalisme de contestation, Raisons d’Agir, 2021, 224 p., 10 euros.

Le mouvement des Gilets jaunes, d’abord éloigné des syndicats, est un révélateur inattendu de leurs difficultés. Englués dans le « dialogue social », incapables de faire plier les gouvernements successifs, pris dans des enjeux de rivalités internes, ils peinent à élargir leur base sociale et à peser sur les mobilisations. Depuis près de trente ans une organisation, les SUD, devenus Solidaires, développe pourtant des pratiques plus horizontales et démocratiques et affirme le retour d’un syndicalisme de contestation. Elle rencontre toutefois des obstacles imprévus : comment avoir du poids institutionnel sans s’institutionnaliser ? Comment réussir à servir davantage les intérêts immédiats des salariés sans devenir des professionnels du syndicalisme et en rabattre sur la radicalité du combat ?

Pour éclairer ces transformations profondes, ce livre s’appuie sur une enquête sociologique au long cours qui retrace l’enthousiasme et l’âpreté de parcours militants en les resituant dans les grands mouvements sociaux des vingt dernières années. Au-delà du cas de Solidaires, il témoigne de la capacité des organisations syndicales, confrontées à un monde du travail de plus en plus fragmenté et dérégulé, à rendre aux conflits salariaux un rôle moteur et œuvrer ainsi à des revendications plus larges d’émancipation et de transformation politique.

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Introduction

Le 6 décembre 2018, l’ensemble des organisations syndicales se réunit à Paris pour débattre de l’actualité sociale[1]. Le mouvement des Gilets jaunes a en effet pris en quelques semaines une portée considérable, inattendue, qui amène les syndicats à se rencontrer précipitamment. Alors peu représentés dans ce mouvement inédit, ils le regardent avec circonspection et apparaissent en décalage. À l’issue de cette rencontre, ils publient tous (à l’exception de Solidaires) un communiqué étonnant : après y avoir réclamé que le gouvernement ouvre des négociations, ils dénoncent « toutes formes de violence dans l’expression des revendications », obéissant ainsi à l’exécutif qui, la veille, leur demandait de « lancer un appel au calme ». Sans un mot sur les violences policières du week-end précédent, dont quelques chiffres suffisent à montrer l’ampleur : plus de 10 000 tirs de bombes lacrymogènes, 339 tirs de grenades assourdissantes, 776 de Flash-Balls et 140 000 litres d’eau envoyés contre les manifestants à Paris en une journée. À l’arrivée, on dénombre 23 blessés chez les forces de l’ordre, plus de 110 chez les manifestants, dont certains ont perdu un œil ou un membre. Les images du passage à tabac d’un jeune de vingt ans par des CRS en marge de la manifestation circulent alors en boucle sur les réseaux sociaux. À Marseille, une femme de quatre-vingts ans décède après avoir reçu une grenade lancée par la police alors qu’elle fermait ses volets…

Ce communiqué scelle, au moins dans un premier temps, le divorce entre Gilets jaunes et syndicats ; malgré la présence de militants, souvent sans leur étiquette, sur les ronds-points et dans les manifestations depuis le premier week-end, les 17 et 18 novembre 2018. Certains, lassés des mobilisations habituelles, n’hésitent d’ailleurs pas à se réjouir de l’émergence d’un mouvement qui est à la fois non contrôlé par les centrales syndicales et très offensif contre le gouvernement en place. Impossible de ne pas voir en creux dans cette attitude une critique virulente de leurs organisations, impuissantes à faire dévier la politique antisociale mise en œuvre par l’exécutif depuis plusieurs années. D’ailleurs, dès la publication de ce communiqué, des critiques internes s’élèvent, notamment à la Confédération générale du travail (CGT) – les fédérations de la chimie et du commerce, ainsi que certaines unions départementales entendent se « désolidariser totalement » d’un communiqué assimilé à un « coup de poignard dans le dos ». Le bureau confédéral publiera un communiqué quelques heures plus tard pour dénoncer les violences du gouvernement. Mais le mal est fait ! Dans la foulée, le 13 décembre, une pétition appelant la CGT à rejoindre pleinement le mouvement des Gilets jaunes, rassemblant une centaine de militants, sera publiée dans Libération.

Cet épisode illustre les hésitations de la direction de la CGT et, plus largement, l’ambiguïté des syndicats à l’égard du mouvement en cours. Affaiblies, sans stratégie efficace face à la destruction du droit du travail et des protections collectives, prises dans des rivalités internes au champ syndical (redoublées fin 2018 par des scrutins dans l’ensemble des fonctions publiques), les organisations syndicales apparaissent d’abord déconnectées des enjeux exprimés, puis, très vite, largement débordées.

Un rapide regard sur les participants au mouvement des Gilets jaunes suffit à se convaincre que le divorce est profond. Le mouvement syndical dans son ensemble peine à exister là où les Gilets jaunes sont surreprésentés : chez les femmes, les précaires, les jeunes, les petits et/ou les « faux » indépendants (à l’image des autoentrepreneurs), les salariés de petites et moyennes entreprises (PME) et/ou de l’artisanat[2] et, plus largement, dans un certain nombre de zones rurales ou périurbaines touchées en première ligne par l’abandon des services publics et la désertification des campagnes. Les Gilets jaunes dessinent les angles morts d’un syndicalisme surtout arrimé aux grandes entreprises du public et du privé, et on comprend dès lors que les deux mouvements aient du mal à se rencontrer. Alors que le taux de syndicalisation est estimé aujourd’hui dans son ensemble à 11 %, il y a deux fois plus de syndiqués chez les salariés de la fonction publique que chez ceux du privé. Dans les établissements du privé de moins de 50 salariés, ce taux ne dépasse pas les 5 %, et ceux de moins de 11 salariés sont près de 70 % à ne connaître aucune présence syndicale[3]. Les femmes sont souvent sous-représentées dans les organisations syndicales, et ce d’autant plus que l’on monte dans la hiérarchie syndicale[4] ; les syndiqués sont quasi inexistants chez les précaires, de même que chez les chômeurs, malgré des tentatives menées de longue date pour les organiser ; les jeunes, plus touchés par la précarité, sont également beaucoup moins présents dans les organisations que les salariés plus âgés.

Après des débuts timides, voire franchement hostiles, certaines organisations se lancent finalement dans la bataille, à l’image de l’Union syndicale Solidaires, qui finit par apporter un soutien franc avant l’acte V, le 15 décembre 2018, mais aussi d’une CGT qui se met en branle progressivement et de certaines fédérations de Force ouvrière (FO). De l’autre côté, les syndicats dits « réformistes » (la CFDT en tête) se tiennent à distance. Enfin, malgré les décalages apparents entre les Gilets jaunes et les militants syndicaux, on aurait pu imaginer que les unions locales interprofessionnelles allaient prendre le relais à l’échelon territorial (ce qui est parfois arrivé) pour faire la jonction avec des secteurs peu syndiqués. Or ces unions locales n’existent bien souvent que sur le papier. Leur éloignement des lieux effectifs d’implantation des entreprises (beaucoup correspondent à d’anciennes zones d’emploi) autant que leurs faiblesses structurelles ne leur permettent souvent pas de devenir de véritables porte-voix des luttes, faute de moyens et de militants en nombre suffisant.

Quelque temps plus tard, des collectifs de Gilets jaunes appellent à manifester pour la première fois en semaine (et non plus seulement le samedi), avec les organisations syndicales, pour le pouvoir d’achat et la justice fiscale. Alors que la CGT avait refusé la main tendue de certains lors de la manifestation du 8 décembre 2018 (l’acte IV), cette fois des Gilets jaunes ayant bien compris qu’une grève générale constituerait un levier potentiellement décisif s’agrègent au cortège du 5 février 2019. À Paris comme dans d’autres villes, on retrouve des formats de manifestations syndicales que la participation à celles des Gilets jaunes avait fait oublier : la succession des cortèges dans un ordre très hiérarchisé, un départ lent et tardif, la présence de services d’ordre syndicaux importants, etc. Au bout d’une petite heure, des Gilets jaunes, lassés d’attendre qu’on leur donne l’autorisation de se lancer, finissent par doubler les cortèges pour prendre la tête et l’initiative d’un mouvement général perçu comme plan-plan et trop organisé ; et ce malgré quelques protestations des organisations syndicales, souhaitant garder la main sur « leur » mobilisation.

Ce moment politique singulier place le mouvement syndical face aux difficultés structurelles auxquelles il est confronté depuis un certain nombre d’années. D’abord, son incapacité à imposer ses vues lors des grandes confrontations nationales avec les politiques néolibérales depuis le retrait du contrat première embauche (CPE) en 2006 : réformes successives des retraites et de l’assurance chômage, casse progressive du Code du travail, « rationalisation » des services publics… En termes d’image, il apparaît affaibli par ces défaites cuisantes, paradoxalement malgré des mobilisations parfois très importantes. Ensuite, ses difficultés face à la transformation du salariat, c’est-à-dire la multiplication des statuts précaires et des formes d’emploi, l’éclatement des collectifs et l’intensification du travail. En interne, il peine à assurer sa relève générationnelle et à se développer dans des déserts syndicaux savamment entretenus par le patronat, en particulier dans le commerce, les services, la logistique, etc.

Mais ce moment interroge également les stratégies des organisations dominantes, qui dictent avec parcimonie leur calendrier de luttes sociales aux autres organisations, lesquelles, faute d’être en mesure de lancer à elles seules des grèves décisives, n’ont d’autre possibilité que de suivre les appels unitaires. On citera notamment le cas du mouvement contre la réforme des retraites lancé le 5 décembre 2019, avec une première journée de manifestation qui a d’emblée rassemblé près de 1,5 million de personnes. Ce conflit a non seulement dépassé en durée les trois semaines de grève reconductible de décembre 1995, mais aussi, par son ampleur, les mobilisations contre la première loi Travail, qui avait amené, au printemps 2016, de nombreuses organisations à appeler à la grève sporadique sur plus d’une dizaine de journées et même les trente-six jours de grève cumulés sur quatre mois des cheminots au printemps 2018. Sans succès…

Pourtant, en dépit de ces difficultés, le mouvement syndical conserve une certaine présence. Si les Gilets jaunes mettent en lumière ses manques, une lecture uniquement axée sur la crise du syndicalisme n’est pas satisfaisante. Faut-il rappeler que le nombre des syndiqués est bien plus important que celui des adhérents à des organisations politiques ? Avec près de 650 000 affiliés, la CGT possède une force de frappe indéniable. La volonté de jonction de certains Gilets jaunes avec les syndicats afin de s’attaquer aussi au pouvoir économique – comme la volonté gouvernementale de s’adjoindre les corps intermédiaires pour les pousser à appeler au calme – montre bien que chacun a compris l’intérêt qu’il y a à tirer les organisations syndicales dans son sens. Car, malgré leur faiblesse structurelle, les syndicats français sont toujours en capacité d’organiser des mobilisations d’envergure. Bien qu’elle n’ait pas abouti au retrait du projet gouvernemental, la mobilisation contre la réforme des retraites lancée le 5 décembre 2019 l’a rappelé. Bien sûr, ces capacités sont très inégalement distribuées entre les organisations, puisqu’elles sont fonction du nombre de leurs militants et de leur audience électorale, qui leur garantit une certaine légitimité à défendre le salariat.

Au moment où nombre de critiques s’élèvent au sein des syndicats sur des positionnements jugés trop réformistes et/ou trop bureaucratisés, où les inquiétudes sont parfois vives sur le repli du syndicalisme sur lui-même et sur sa capacité à construire un rapport de force décisif face aux gouvernements et au patronat, il paraît urgent de réfléchir au devenir d’un syndicalisme de contestation. Entrée dans le jeu il y a plus de vingt ans à la suite de la création des premiers SUD (Solidaires, unitaires, démocratiques), l’Union syndicale Solidaires s’est construite dans l’objectif de redynamiser les luttes sociales et les pratiques syndicales. En ce sens, elle constitue un bon fil directeur pour questionner l’espace possible pour un syndicalisme de contestation et les contradictions que celui-ci affronte. Tout au long de ce livre, nous parlerons de « champ syndical[5] » pour rendre compte d’un espace de luttes traversé par des rapports de force entre organisations, mais aussi par des relations d’interdépendance qui pèsent fortement sur les pratiques syndicales, aussi bien au sommet qu’à la base, sur le lieu de travail. Construite par des équipes militantes exclues de la CFDT, puis par des équipes sortantes de ce syndicat en alliance avec des syndicats professionnels plus anciens, l’Union syndicale Solidaires a cherché à subvertir l’ordre syndical établi en construisant un modèle plus démocratique, plus autogestionnaire, affirmant nettement une volonté politique de transformation sociale. Bien qu’elle possède des caractéristiques singulières, son évolution n’en est pas moins révélatrice des transformations de l’ensemble du champ syndical. Elle aide à comprendre les coopérations et les conflits entre organisations, relations qui changent en fonction des étapes de la mobilisation, mais aussi des effets produits par les différentes modifications du cadre législatif des relations professionnelles.

Alors même que les fondateurs des premiers SUD entendaient sortir l’action syndicale de l’entreprise et créer des liens durables avec d’autres mouvements sociaux (du féminisme à l’altermondialisme en passant par la lutte des « sans »), Solidaires n’a, par exemple, pas été beaucoup plus audible que d’autres organisations sur le mouvement des Gilets jaunes. Son implantation et son audience se limitent surtout au secteur public, et elle peine à organiser les salariés précaires, malgré l’engagement de certaines de ses équipes militantes dans des luttes auprès d’eux. Dès lors, comment rendre compte des difficultés à faire exister un outil syndical qui se voulait différent ? Répondre à cette question implique de tenir ensemble différents niveaux d’analyse en montrant combien la structuration du champ syndical, les logiques de concurrence qui le traversent, ainsi que l’évolution des règles dans les entreprises et dans l’organisation du travail sont autant de dimensions qui limitent l’action militante. Il ne s’agit pas tant de proposer une histoire ou une approche exhaustive de l’Union syndicale Solidaires que de réfléchir plus largement au travers de ce cas précis à l’espace disponible pour un syndicalisme de contestation sociale, ouvertement opposé aux politiques néolibérales et souhaitant œuvrer à différentes formes d’émancipation.

Alors que le sacro-saint « dialogue social » est célébré comme vertu ultime d’un système démocratique qui disqualifie la conflictualité sociale tout en prônant paradoxalement une intransigeance sans faille – dont les violences policières sont le bras armé –, alors que nombre d’organisations converties à cette croyance tendent à faire de la négociation d’entreprise l’aspect principal de leur activité, cet ouvrage s’attache ainsi à une organisation syndicale souvent qualifiée de « mouvementiste » ou de « protestataire » dans la mesure où l’une des finalités qu’elle poursuit est justement d’être au service de luttes transversales. Ses militants tentent de se déprendre du rôle très institutionnel auquel on les assigne dans les entreprises ou les administrations pour mener un travail de mobilisation au plus près de leurs collègues et faire exister des espaces de parole et de revendications.

L’objectif, ce faisant, est bien d’éclairer des enjeux qui concernent l’ensemble du mouvement syndical. Dans cette optique, nous avons fait le choix d’entrées à des échelons divers afin de mêler réflexion politique et pratique : l’analyse des stratégies des organisations dans le champ syndical s’articule avec celle des trajectoires des militants sur le terrain. Cette étude, issue d’une enquête de longue haleine, s’est construite à partir de trois niveaux de lecture :

– celui du champ syndical lui-même pour mieux connaître ses agents et montrer qu’il a été modifié par l’arrivée de nouveaux entrants (la Fédération syndicale unitaire [FSU], Solidaires, ainsi que l’Union nationale des syndicats autonomes [Unsa]) et profondément bouleversé par l’évolution de la négociation collective comme des pratiques de représentation ;

– celui de l’Union syndicale Solidaires et des fédérations, afin de réfléchir à ses stratégies de développement et à sa volonté d’affronter les épreuves de la structuration d’une nouvelle organisation qui n’échappe nullement aux difficultés « classiques » que rencontrent les des syndicats plus anciens ;

– au plus près du terrain, dans l’ordinaire du combat syndical, en suivant sur le temps long (parfois près de dix ans) des parcours de militants, de leur entrée dans l’organisation jusqu’à leur prise de responsabilités ou leur départ du syndicat. Ces trajectoires donnent à réfléchir aux tensions quotidiennes rencontrées par les organisations et leurs militants, à l’usure qui les touche dans un contexte d’affrontement permanent avec leurs directions. Elles invitent également à penser les contradictions qui traversent l’organisation à différents niveaux et les décalages pouvant exister entre des militants de terrain, engagés uniquement sur leur lieu de travail et des militants ayant pris des responsabilités dans l’appareil ou évoluant dans d’autres espaces institutionnels.

La description approfondie de terrains ciblés permet non seulement de mesurer leurs particularités, mais aussi d’aider les militants à se saisir des parcours exposés, tant certaines questions sont en effet généralisables et transférables à d’autres milieux professionnels ou d’autres organisations. Les difficultés, par exemple, à politiser les situations vécues par les salariés et les militants pour réussir à développer l’organisation sur ses valeurs ou les problèmes liés à l’implication des syndicalistes d’entreprise dans des structures interprofessionnelles locales – alors même que celles-ci se révèlent décisives lors des grandes séquences de contestation sociale – se retrouvent aussi bien dans une jeune organisation comme Solidaires qu’à la CGT, pourtant plus que centenaire.

Cet ouvrage est construit en quatre temps. Le premier chapitre décrit l’origine des SUD et de Solidaires, et caractérise leurs pratiques militantes. Il analyse ce qu’a signifié l’arrivée d’une organisation souhaitant bousculer les règles du jeu et modifier les contours du paysage syndical préexistant. Le deuxième chapitre éclaire les conditions d’une installation dans la durée : le champ syndical s’est transformé au fil des « contre-réformes » lancées par les gouvernements successifs et des luttes sociales, tout comme les conditions de l’action collective sur les lieux de travail. Les séquences de contestation sociale qui ont jalonné les années 2000-2010 révèlent les difficultés auxquelles se heurtent les militants de Solidaires dans différents secteurs pour faire exister un syndicalisme qui ne soit pas intégré à l’ordre managérial et qui demeure en lien avec d’autres mouvements sociaux. En suivant la création d’une équipe de jeunes militants à la SNCF de ses premiers pas à son éclatement, le troisième chapitre étudie les conditions de la reproduction d’un syndicalisme de contestation. Il s’attache aux processus d’apprentissage et de politisation qui se produisent dans l’organisation, dans la lutte comme dans des moments plus ordinaires. Un dernier chapitre conclusif s’intéresse aux liens tissés entre militants syndicaux et Gilets jaunes et aux possibles recompositions d’un pôle contestataire de luttes. Loin de s’opposer, ces deux mouvements peuvent s’inspirer mutuellement pour ouvrir d’autres perspectives de lutte, d’autant plus urgentes dans un contexte de crise sanitaire et économique.

Une enquête au long cours

Ce livre repose sur une enquête entamée en 2008, à la demande du bureau national de Solidaires, articulant un volet quantitatif (questionnaires administrés lors de trois congrès nationaux et lors de congrès de fédérations) et un volet qualitatif (entretiens répétés et espacés dans le temps avec de nombreux militants, suivi ethnographique sur plusieurs années d’équipes syndicales). Pour ce volet qualitatif, nous avons fait le choix, d’une part, de suivre l’activité de certains Solidaires locaux et, d’autre part, de déployer l’enquête dans différents secteurs professionnels, notamment le commerce, les collectivités territoriales, l’industrie, les transports, l’éducation. Si certains des résultats statistiques sont mobilisés, cet ouvrage s’appuie principalement sur un matériau qualitatif ; l’objectif étant de questionner au travers de Solidaires les transformations du champ syndical. Une partie de l’enquête a été menée à trois avec Jean-Michel Denis, en particulier le volet quantitatif sur le profil des délégués assistant aux congrès. Plusieurs restitutions de cette enquête par questionnaires ont eu lieu lors des comités nationaux de Solidaires et ont donné matière à plusieurs publications[6]. L’accompagnement du bureau de Solidaires durant toutes ces années et son invitation à ne jamais abandonner notre lecture critique nous ont laissé une très grande liberté d’analyse : que ses membres en soient fortement remerciés.

Notes

[1] Ce ne sont pas des délégations qui ont été conviées dans les locaux de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) mais seulement les « numéros 1 » de chaque organisation, ce qui n’était pas arrivé depuis les attentats de novembre 2015.

[2] Voir Collectif d’enquête sur les Gilets jaunes, « Enquêter in situ par questionnaire sur une mobilisation en cours. Une étude sur les Gilets jaunes », Revue française de science politique, n° 5, vol. 69, 2019, p. 869-892.

[3] Maria Teresa Pignoni, « La syndicalisation en France. Des salariés deux fois plus syndiqués dans la fonction publique », Dares Analyses, n° 25, 2016.

[4] Voir Cécile Guillaume, Syndiquées. Défendre les intérêts des femmes au travail, Paris, Presses de Sciences Po, 2018.

[5] Voir par exemple, sur le champ littéraire : Pierre Bourdieu, Les Règles de l’art. Genèse et structure du champ littéraire, Seuil, 1992 ; ou, sur le champ religieux : Pierre Bourdieu, « Genèse et structure du champ religieux », Revue française de sociologie, 1971, n° 12, p. 295-334.

[6] Notamment Sophie Béroud, Jean-Michel Denis, Guillaume Desage, Martin Thibault, L’Union syndicale Solidaires : une organisation au miroir de ses militants. Profils, pratiques, valeurs, rapport de recherche, Triangle, université Lyon 2, 2011 ; Sophie Béroud et Jean-Michel Denis, « Le développement interprofessionnel de Solidaires : entre volonté d’expérimentation et reproduction du “modèle” confédéral », Revue de l’Ires, n° 75, 2012 ; Jean-Michel Denis et Martin Thibault, « Des organisations syndicales en quête de renouvellement. Trajectoires militantes et expériences syndicales de jeunes militants de l’Union syndicale Solidaires », Nouvelle revue de psychosociologie, n° 18, 2014.

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