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Dans cet article publié initialement dans Il Manifesto le 8 octobre 2015, Alessandro dal Lago explique pourquoi il est insensé de faire la distinction entre refugiés et migrants économiques.  

 

Dans un vieux film de guerre, des soldats discutent de la paix dans les tranchées. Le meilleur moyen d’y parvenir – dit l’un d’entre eux –, quand des États se disputent, est d’obliger les rois et les chefs de gouvernement à monter sur le ring, gants aux poings, et à se rouer de coups jusqu’à ce que quelqu’un remporte la victoire.

Cette blague m’est venue à l’esprit lorsque j’ai pris connaissance du plan secret, élaboré par les ministres de l’Intérieur de l’Union Européenne, pour le rapatriement de 400.000 migrants « économiques ».  

Juste pour donner une idée à ces pensifs hommes d’État de ce que signifie migrer aujourd’hui, on pourrait, que sais-je, les amener, en commençant par l’ineffable ministre Alfano, dans un pays d’Afrique Centrale et puis, avec des dollars ou des euros ramassés auprès d’autres ministres et secrétaires, les faire voyager en car jusqu’en Libye, embarquer sur un canot, risquer le naufrage, et enfin arriver trempés et affamés à Lampedusa, les enfermer dans le Centre de Rétention Administrative (CRA), et après une détention d’une durée indéfinie les faire revenir au point de départ. Et leur demander ensuite : êtes-vous toujours du même avis ? Souhaitez-vous toujours distinguer les migrants économiques des refugiés ? Ne faudrait-il pas revenir sur cette distinction hypocrite, qui ne sert qu’à manipuler des opinions publiques paranoïaques et droitières ? Dans un rêve ou dans un film, en cas de mauvaise réponse, on pourrait recommencer avec eux depuis le début…

Quand Angela Merkel et le vice-chancelier allemand Gabriel ont déclaré, en août dernier, ouvrir les portes de l’Allemagne à 5 millions de refugiés, ils ont atteint bon nombre d’objectifs : répondre à une opinion publique dans l’ensemble pas insensible aux Asylanten présents et futurs, malgré la présence bruyante du parti xénophobe Pegida et des néo-nazis, isoler les franges d’extrême droite et, de fait, assumer la direction politico-morale d’une Europe fragile, querelleuse et incertaine sur quoi faire dans le champ international. Évidemment, des considérations démographiques et financières, dans un pays où les enfants ne naissent plus, ont dû avoir leur poids mais, quoiqu’il en soit, l’odieuse Allemagne de la crise grecque est devenue la noble Allemagne du mois d’août, pas même assombrie par la crise de Volkswagen1.

Mais tout cela a comme contrepoids la distinction entre refugiés (victimes de la guerre, etc.) et migrants économiques, qui affronteraient alors déserts et mers, pour ne pas parler des prisons hongroises et des matraques d’une bonne partie de l’Europe, comme ça, pour le sport ou par soif d’aventure, et non pas pour survivre ou vivre mieux.

Une distinction insensée, qui ne réussit pas à masquer le manque absolu d’une stratégie européenne dans les rapports avec les autres mondes et avec les personnes qui, pour quelque raison que ce soit, en proviennent. Une distinction qui sert à étouffer les instrumentalisations lepénistes, de la Ligue du Nord et de Grillo (qui avait publié un éloge d’Orban sur son blog). En termes purement quantitatifs, 3 millions de migrants « économiques » en dix ans ne changeraient en rien l’aménagement démographique d’une UE qui compte aujourd’hui 500 millions d’habitants distribués sur 4 millions de kilomètres carrés.

Mais il faudrait changer de méthode, mettre en marge pour de vrai les Orban, les Salvini, les Le Pen, empêcher les tragédies en mer, qui ne cessent de se produire, imperturbables, et ce « malgré » Frontex, imaginer une intégration sociale décente pour les étrangers et disposer d’une vraie politique internationale commune – au lieu de matraquer les migrants à Ventimiglia et Calais, multiplier les CRA et se chamailler de manière misérable aux frontières.

Et voici pourquoi les ministres de l’Intérieur, réunis quelque part à dresser des plans secrets d’expulsion laissent filtrer des chiffres privés de tout sens (400 000, 300 000, personne, tous ?).

Pour cacher leur manque d’idées, en dehors de l’exploitation de la force de travail étrangère et des préoccupations pour les prochaines élections. Pendant ce temps, la ministre Pinotti et Matteo Renzi, qui n’ont jamais eu rien à dire en la matière, font chauffer les moteurs des Tornado.

 

Traduction : Caterina Giusa

 

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1 [NdT] L’Allemagne est depuis revenue sur sa politique d’ouverture aux refugiés. Voir à ce sujet « Angela Merkel revient sur sa politique d’ouverture aux réfugiés », LeMonde.fr, 14.11.2015.