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L’écrivain et militant marxiste Mike Davis est décédé le 25 octobre à l’âge de 76 ans. Son œuvre étonnante sera impossible à reproduire – mais nous devrions tous nous inspirer de sa vie et de son combat pour le socialisme.

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Écrire sur Mike Davis est une tâche ardue. Vous avez forcément l’impression que vous n’êtes pas digne de vous prononcer sur l’œuvre d’un esprit aussi incroyablement brillant – parce que vous ne l’êtes pas. Personne ne l’est. 

Davis, qui est décédé le 25 octobre à l’âge de soixante-seize ans, aurait détesté lire une telle phrase à son sujet. Mais qu’on le veuille ou non, il écrivait comme aucun autre écrivain, dans une prose puissante, synthétisant des arguments originaux et historiquement fondés sur la classe travailleuse, le climat, le colonialisme, la ville de Los Angeles et les villes du monde entier, la guerre, les bidonvilles, les pestes virales, et bien d’autres choses encore, dans une énorme pile de livres, d’essais et d’interviews. 

Le travail de Davis a suscité d’immenses éloges. Il a remporté des prix comme la « bourse du génie » de MacArthur ; le pape et des présidents étrangers ont sollicité son audience ; dans une photo accompagnant un article du New York Times Magazine de 1995, un exemplaire de City of Quartz se trouvait dans la caravane de Bruce Willis. Mais Davis n’a jamais souhaité se considérer comme étant en quelque sorte à part dans nos vies, simplement parce qu’il savait écrire des phrases. Il s’est plutôt consacré à la vie d’un « socialiste de la vieille école » (old-school socialist). 

L’explication qu’il donne de ce concept dans une interview de 2018 mérite d’être citée dans son intégralité : 

Premièrement, le socialisme – la croyance que la terre appartient au travail – est mon être moral. En fait, c’est ma religion, les valeurs qui ancrent les engagements qui définissent ma vie. 

Deuxièmement, la « vieille école » implique de travailler année après année pour la bonne cause. Dans le milieu universitaire, on rencontre des gens qui se disent marxistes et qui participent à de nombreuses conférences, mais qui ne marchent jamais sur un piquet de grève, n’assistent jamais à une réunion syndicale, ne lancent jamais une brique ou n’aident simplement pas à faire la vaisselle après un gala. Pire encore, ils daignent nous enseigner le « vrai Marx » mais n’ont pas le respect fondamental du vieux Maure pour les travailleurs et sa volonté de devenir un pauvre hors-la-loi en leur nom. 

Enfin, un simple « socialiste » exprime une identification avec le vaste mouvement et le rêve plutôt qu’avec un programme ou un camp particulier. J’ai des opinions fortes, bien que particulières, sur toutes les questions traditionnelles – par exemple, la nécessité d’une organisation de militant·es (appelez cela du léninisme, si vous voulez) mais aussi les maux de la bureaucratie et des directions permanentes (appelez cela de l’anarchisme, si vous voulez) – mais j’essaie de me rappeler que de telles positions doivent être constamment réévaluées et repensées en fonction de la conjoncture. On est toujours en train de négocier la dialectique glissante entre la raison individuelle, qui doit être autocritique de manière intransigeante, et le fait qu’il faut faire partie d’un mouvement ou d’un collectif radical pour, comme le disait Sartre, « être dans l’histoire ». Les dilemmes moraux et les choix difficiles font partie du terrain et ne peuvent être éludés par des « lignes correctes ». 

Pour Davis, il n’y avait pas de vocation plus élevée que de vivre sa vie comme un socialiste de la vieille école. Il avait raison. La gauche a besoin de plus de penseurs dans les rues, de plus d’écrivains qui comprennent leur travail comme une humble contribution à la cause de la libération humaine plutôt que comme un témoignage de leur génie individuel, de moins de tweets et de plus de mort de l’ego au service de la lutte des classes. 

Toute la vie de Davis a été consacrée à faire avancer la cause de la classe travailleuse, tant au niveau national que mondial. Il est né dans une famille de cette classe et a passé des années à travailler dans des emplois tels qu’ouvrier dans les abattoirs ou chauffeur-routier. Il était un produit du mouvement des droits civiques et de la nouvelle gauche. Il n’a jamais écrit de mémoires, ce qui est dommage, car ses récits de ces années-là sont hilarants : la fois où il travaillait comme chauffeur de bus touristique et s’est retrouvé au milieu d’une grève sauvage et où ses camarades ont voté l’assassinat d’un briseur de grève ; ou lorsqu’il a accidentellement quitté son bus touristique et l’a vu rouler à vide sur l’autoroute d’Hollywood. 

Son premier livre, Prisoners of the American Dream, est une vaste exploration de l’histoire du mouvement ouvrier états-unien, cherchant à comprendre comment la classe travailleuse états-unienne est devenue si faible (il l’a dédié aux « combattants du FMLN », la guérilla salvadorienne de gauche qui combattait une dictature soutenue par les États-Unis au moment de la publication du livre en 1986).

Son travail s’est largement étendu par la suite, à travers des livres trop nombreux pour être énumérés ici. Mais Davis a souvent évité les bénéfices d’une carrière intellectuelle réussie et la compagnie des élites pour s’entretenir en profondeur avec des activistes communautaires, des artistes et, ces dernières années, des membres des Socialistes Démocrates d’Amérique (DSA), parmi lesquels il est sans doute le penseur le plus influent aujourd’hui. Pour la nouvelle génération de socialistes d’aujourd’hui, Davis était un lien à la fois avec la nouvelle gauche qui l’a produit et avec l’ancienne gauche avec laquelle il s’était engagé en tant que membre du parti communiste en Californie du Sud dans les années 1960. 

Il était non seulement un socialiste à une époque où il n’était pas du tout à la mode de l’être, mais aussi un marxiste qui, par la seule puissance de sa prose et de son argumentation brûlantes, a brisé la chape de plomb que le mythe de la fin de l’histoire avait fait tomber sur les idées de gauche dans la culture populaire, au moment de la chute du mur de Berlin et de l’effondrement de l’URSS et du Bloc de l’Est. 

Mais s’accrocher à la vieille cause de la classe travailleuse à une époque de triomphalisme du marché libre était assurément une expérience solitaire. Un petit noyau a gardé la flamme du socialisme allumée durant ces temps difficiles, mais plus d’un est sorti profondément amer de ces décennies de recul défensif. 

Ce n’est pas le cas de Mike Davis, comme l’ont souligné d’innombrables hommages. Des dizaines de militant·es, de penseurs et de personnes ordinaires qui l’ont côtoyé ont noté combien il était un mentor chaleureux, encourageant et généreux. Ses engagements politiques étaient ancrés dans un amour de l’humanité, et ses interactions avec l’humanité étaient un témoignage de cet amour. En plus de son énorme production écrite, Davis nous laisse ce sens de l’amour comme un exemple. 

En 2021, j’ai écrit un essai sur Davis pour The Nation. Après avoir passé en revue sa vie et ses reportages presque inlassablement sinistres, j’ai noté que si vous lisez entre les lignes des deux derniers livres de Davis, Set the Night on Fire (coécrit avec Jon Wiener) et Old Gods, New Enigmas, un sentiment d’espoir palpable s’en dégage. « Étant donné son refus de longue date d’offrir de fausses consolations », ai-je fait valoir, « cette possibilité d’un monde meilleur l’emportant réellement sur les forces des ténèbres n’est pas offerte de manière cavalière. »

Davis détestait que des lecteurs comme moi déblatèrent sans cesse sur l’espoir. « Combattez avec espoir, combattez sans espoir, mais combattez absolument », a-t-il dit à un interviewer. Mais quoi qu’il en soit, dans ses dernières œuvres avant son décès, alors que l’excitation de la campagne de Bernie Sanders s’était estompée et que le coronavirus ravageait la terre tandis que le changement climatique s’aggravait et que la cruauté continuait à gangréner chaque jour un peu plus la politique et la culture, cette fenêtre dont j’avais remarqué l’ouverture s’est refermée.

Les dernières phrases de son dernier article de la New Left Review déploraient notre présent politique misérablement bloqué et, dans sa célébration des assassins gauchistes, semblaient se languir sournoisement de l’émergence de telles figures à notre propre époque :

« Jamais autant de pouvoir économique, médiatique et militaire fusionné n’a été mis entre si peu de mains. Cela devrait nous inciter à nous recueillir sur les tombes des héros que sont Alexandre Ilitch Oulianov [le grand frère de Lénine], Alexandre Berkman et l’incomparable Sholem Schwarzbard« .  

Qui d’autre que Davis pourrait s’en aller sur ces mots ? Et vraiment, qui peut le blâmer ? Il est aussi sombre que l’époque dans laquelle nous vivons. Pourtant, il n’a jamais complètement sombré dans le désespoir – ce que j’aimerais pouvoir revendiquer moi-même. Dans mes moments les plus sombres, cependant, je me suis ironiquement tourné vers ses mots prononcés lors d’un entretien pour le New Yorker en 2020 : 

Cette époque semble être une époque de catastrophe, mais c’est aussi une époque équipée, dans un sens abstrait, de tous les outils dont elle a besoin. L’utopie est à notre portée. Si, comme moi, vous avez vécu le mouvement pour les droits civiques, le mouvement contre la guerre, vous ne pouvez jamais perdre espoir. J’ai vu des miracles sociaux dans ma vie, des miracles qui m’ont stupéfié – le courage de gens ordinaires dans une lutte. Il y a onze ans, Bill Moyers m’a fait venir dans son émission et m’a présenté comme le dernier socialiste d’Amérique. Maintenant, il y a des millions de jeunes qui préfèrent le socialisme au capitalisme. 

Mike Davis s’est penché sur un monde ravagé par les inégalités, les fléaux, les incendies massifs et la montée du niveau des mers. Il n’a pas menti sur les misères qu’il a vues. Mais il a également aperçu les moyens par lesquels nous pouvons démanteler ces misères – et dans les gens ordinaires les soldats qui pourraient amorcer ce démantèlement et réaliser des miracles. Nous ne serons jamais en mesure de remplacer Mike Davis en tant qu’écrivain. Mais nous pouvons honorer son socialisme de la vieille école en nous engageant et en nous réengageant à être ces soldats. 

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