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Expert auprès des Comités sociaux et économiques, Guillaume Etiévant est en première ligne des négociations professionnelles de l’après-Covid 19. Dans l’échange suivant avec Hadrien Clouet, il revient sur les conséquences de la dématérialisation en cours dans le monde du travail. Les échanges capital-travail se jouent de plus en plus dans des arènes virtuelles, où la salle de réunion est remplacée par l’application de tchat en ligne. Cette transformation pose des problèmes redoutables aux négociateurs et au monde syndical, qu’utilise une fraction du patronat organisé pour affaiblir le salariat. 

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Hadrien Clouet – En tant qu’expert auprès des représentants des salariés tu es en première ligne des négociations collectives actuelles… Peux-tu préciser en quoi consiste ce travail de conseil auprès des représentants des salariés ? 

Guillaume Étiévant – Effectivement, je suis expert auprès des CSE [Comité social et économique] et des organisations syndicales. Cette fonction, prévue dans le Code du travail, est très réglementée. Les législateurs ont prévu que les CSE aujourd’hui, et auparavant les comités d’entreprise [avant les ordonnances du 22 septembre 2017 dites « Ordonnances Macron »], puissent recourir à des experts. Ils considèrent ainsi que les représentants du personnel ne disposent pas forcément de toutes les compétences en matière économique afin de comprendre la situation de leur entreprise. Cela est susceptible de les gêner dans l’exercice de leurs prérogatives, notamment le contrôle de la marche générale de l’entreprise. Depuis sa création en 1945, le métier s’est beaucoup développé, en s’élargissant. Il recouvre aujourd’hui, non seulement de l’analyse économique, mais aussi notamment l’étude des politiques sociales ou des orientations stratégiques des entreprises, prévue dans le Code du travail.

Au quotidien, je travaille auprès des élus des CSE et des délégués syndicaux. En effet, les prérogatives de l’expertise ont été élargies aux organisations syndicales en tant que telles. Auparavant, nous œuvrions quasi exclusivement auprès des élus du personnel, syndiqués ou non. Désormais, nous pouvons conduire des missions auprès des syndicats. Cette inflexion va dans le sens des réformes contemporaines qui prônent l’accentuation des négociations en entreprises, notamment dans le cadre des plans de licenciements ou des accords de performance collective. Cette position me donne une certaine perspective sur les évolutions des relations professionnelles collectives et leur dématérialisation, même si elle n’est bien sûr pas scientifique et uniquement pratique, ce qui plaide pour une certaine prudence avant de généraliser mon expérience.

 

HC – Quand tu te décris « auprès » des salariés, cela signifie physiquement, ou en « distanciel » comme on dit ?

GE Avant la crise du Covid-19, nous n’utilisions pas d’outils numériques à des fins de communication directe. Nous faisions bien sûr des points téléphoniques, donc dématérialisés, pour échanger ponctuellement avec les représentants du personnel et les directions des entreprises. Mais nous tenions surtout plusieurs réunions intermédiaires, en cours de mission et au long du processus d’analyse, afin d’échanger sur le dossier et identifier les points pertinents pour les élus ou le syndicat. Cela se faisait exclusivement en présentiel. Puis, nous organisions une autre réunion en fin de mission, lorsque nous rendions le rapport finalisé aux élus, où nous en discutions les grandes conclusions. Depuis le premier confinement, nous rencontrons encore bien sûr les représentants du personnel, mais le contact présentiel est beaucoup plus rare, à l’exception des secteurs d’activité où le télétravail reste peu répandu, comme par exemple l’industrie ou l’aéroportuaire. Les salariés sont sur place et facilement accessibles.

Dans nos missions, la réunion la plus importante est la dernière : une réunion dite « plénière » qui a lieu avec la direction. Il s’agit de la réunion officielle du CSE, avec un procès-verbal de plénière. Elle permet à l’expert de confronter son diagnostic à la direction et ainsi d’être un point d’appui pour les représentants du personnel. L’ensemble de ces interactions étaient auparavant en présentiel. Certes, il pouvait advenir qu’une visioconférence soit décidée dans le cas de CSE centraux, par exemple dans les grands groupes français comportant plusieurs établissements et, en conséquence, des élus dispersés sur tout le territoire. Mais même dans ce cas, les élus à distance se regroupaient dans une même pièce de leur entreprise. Au-delà de la stratégie patronale délibérée, les distanciations sociales viennent aussi heurter les réunions, car certains établissements ne disposent pas d’une salle suffisamment grande pour réunir en toute sécurité sanitaire l’ensemble des parties prenantes. En somme, depuis le premier confinement, on est beaucoup moins présents dans les entreprises pour exercer notre activité.

 

HC – Et la situation a connu récemment des évolutions ?

GE – Exactement. Petit à petit, la dématérialisation est apparue dans le droit. Avant les confinements, nous avions un maximum de trois réunions par an du CSE organisées en visioconférence. Il fallait l’accord des élus pour augmenter ce nombre. Depuis le Covid-19, cette limite a sauté. Auparavant, la visioconférence était peu utilisée à ma connaissance. Cependant, les ordonnances Macron ayant réduit à six le nombre de réunions du CSE obligatoires par an, cela permettait aux employeurs rétifs à ce type de réunion d’en dématérialiser la moitié. Le caractère marginal de cette stratégie n’enlève rien au fait qu’elle était déjà anticipée côté patronal et objet de réformes gouvernementales.

 

HC – J’imagine que ça a des conséquences sur le métier d’expert, avec les salariés…

GE – D’abord, on a transformé le rapport aux élus. En premier lieu parce que nous perdons en grande partie la dimension informelle de l’activité. Une réunion n’est jamais qu’un moment, entouré d’un avant et d’un après, d’un café ou d’un déjeuner, qui représentent une autre manière d’échanger. Cela permettait aussi aux élus les moins à l’aise en réunion de donner tout de même leur opinion. En second lieu, lorsqu’on pénètre dans l’entreprise et qu’on y reste quelques heures, on a l’opportunité de croiser des salariés et d’engager la conversation avec eux. Cela multiplie les sources d’information et aide à s’imprégner de l’atmosphère du travail.

Ce que je dis là s’applique à mon métier d’expert économique, mais c’est bien plus accentué pour les experts en conditions de travail. Elles et eux, qui analysent les risques psychosociaux, le harcèlement, les suicides, ont aussi en partie perdu l’accès aux salariés en présentiel et doivent désormais poser beaucoup de diagnostics à partir de visioconférences. Ils en parleraient mieux que moi, de la déperdition de l’immatériel et de la difficulté d’accéder aux émotions, lorsqu’il s’agit de la matière centrale du métier.

Ainsi, le rapport de force devient impalpable. D’autant que, si j’en reviens aux réunions elles-mêmes, on ne voit quasiment pas les interlocuteurs, leur expression faciale, leurs réactions. Or, une réunion du CSE est prévue pour présenter le rapport, lequel a pour objectif d’appuyer les représentants du personnel pour interpeller la direction, en mobilisant ce que l’on a écrit. Ils augmentent encore leur crédibilité avec une connaissance fine et détaillée des politiques de l’entreprise, afin de les armer pour interpeller l’employeur. Notre analyse économique donne donc un autre son de cloche que celui des actionnaires de l’entreprise et propose une étude dans l’intérêt explicite des salariés. En effet, à partir de mêmes chiffres, des analyses très différentes peuvent être présentées, selon les intérêts qu’on souhaite défendre.

Si l’on dématérialise cet échange, on renforce la stratégie patronale classique, consistant à mimer l’incompréhension, botter en touche ou dire des choses erronées. Étant dans la salle, on rebondit dès que le représentant de la direction déforme un mot, une page ou une conclusion, en prenant immédiatement la parole : « la question est très claire, p. 74 on voit que le montant des dividendes … ». Mais en distanciel, il est plus difficile d’organiser des suspensions de séance pour aider les représentants du personnel ou leur glisser une question particulière.

 

HC – Y a-t-il des conséquences du même ordre pour la relation aux employeurs ?

GE – Dans mon cabinet, qui refuse le jeu de la connivence et ne travaille qu’avec les représentants de salariés, nous refusons les échanges informels (type déjeuner par exemple) avec les directions des entreprises. Mais parfois, la dématérialisation donne malgré nous un caractère plus informel à nos échanges.

En effet, dans le cadre d’un diagnostic, on multiplie les entretiens avec les RH, les finances, la comptabilité… qui, par la visioconférence, nous reçoivent chez eux, indirectement ! Et cela casse en partie le formalisme que nous souhaitons injecter à l’échange. Nous ne sommes pas reçus dans leur bureau, mais dans le salon ou le jardin. Parfois, ils sortent de la douche, ou ils ont troqué le costume-cravate pour le survêtement… Plusieurs grands patrons accomplissent l’entretien en tee-shirt, entre deux activités, voire carrément dans leur voiture. De tout cela se dégage une impression de désinvolture, qui n’est sans doute pas vraie dans beaucoup de cas, mais vient briser la distance volontairement entretenue et la réduction de notre interaction à un strict échange professionnel.

Paradoxalement, les échanges les plus cruciaux se jouent donc dans l’intimité et la solitude. En ce moment, on intervient beaucoup sur des plans sociaux… qui sont parfois intégralement conduits en visioconférence. Le plan est annoncé en visio, puis communiqué à tous les salariés en visio, la procédure se poursuit en visio, chacun chez soi, et les salariés sont licenciés sans avoir remis le pied dans l’entreprise. C’est d’une grande violence pour eux.

 

HC – Dans ces réunions distancielles, tu vois les interlocuteurs ou les caméras sont coupées ?

GE – En réalité, cela dépend surtout de la taille de l’entreprise. Certains la mettent systématiquement. Mais dès lors qu’une réunion est imposante, pour un gros CSE – donc une entreprise où les enjeux touchent des milliers de personnes – toutes les caméras sont coupées afin de préserver la bande passante, sinon cela rame et tous deviennent inaudibles. Au sein de petits CSE, on trouve également des personnes qui ne souhaitent pas ouvrir leur caméra. Certes, on peut flouter le fond, mais certains sont mal à l’aise à l’idée de montrer leur intérieur de domicile. Il n’y a aucune obligation de la mettre, ni côté direction, ni côté élus.

La prise de parole des salariés en est aussi modifiée. Certains sont plus à l’aise pour interpeller en présentiel. La parole est spontanée et ils rebondissent du tac au tac. En visioconférence, ce processus est bien plus difficile, car la prise de parole (sauf en petit CSE) requiert une inscription, ordonnée et formalisée sur le chat. Le secrétaire du CSE le consulte en temps réel et distribue la parole au fur et à mesure, donc on perd en partie la capacité de réaction à chaud au profit d’interactions plus froides.

 

HC – Le chat est-il aussi utilisé à d’autres fins, pour écrire des messages ?

GE – On peut lire des commentaires simultanés sur le chat. Les propos des uns et des autres sont soutenus ou critiqués… mais rien de tout cela n’apparaît au procès-verbal du CSE. Or, ce qui est dit et archivé n’est pas équivalent à ce qui est écrit sur le chat et oublié. Certains participants n’assument pas leur propos à l’oral, n’osent pas le répéter ou le jugent peu important : ils le reportent alors sur le chat. On perd donc une partie croissante de l’échange avec la dématérialisation. Si j’observe souvent des enregistrements de la réunion, en Zoom notamment, avec conservation du chat, rien de tout cela n’est adressé aux salariés. Eux ne reçoivent que le procès-verbal, seul document légal diffusé.

Notons que des réunions intégralement conduites en messagerie instantanée sont prévues et possibles. Je n’y ai jamais assisté, mais la loi l’autorise. Concrètement, les participants se retrouvent par téléphone, logiciel de visioconférence ou de messagerie instantanée. Mais les syndicats ont encore le droit de s’y opposer sur certains sujets, par exemple si l’employeur entend utiliser une messagerie instantanée pour organiser un plan social.

 

HC – On a donc une pacification des échanges par la visioconférence ?

GE – Les formes d’intimidation évoluent en tout cas indubitablement. Au cours de la réunion elle-même, on peut assister à des stratégies d’intimidation de la direction par les représentants des salariés. Un CSE important compte entre vingt et trente élus. La personne de la direction interpellée et critiquée pendant des heures passe un mauvais moment. Beaucoup de directions préfèrent le distanciel pour se soustraire au conflit. On le sent régulièrement, notamment dans des entreprises qui organisent l’intégralité de leurs réunions en présentiel… sauf celle du CSE, y compris en dépit des demandes des élus. Celles-ci n’ont pas de difficulté technique à la tenir, mais entendent échapper à l’affrontement verbal. Cela dit, paradoxalement, on rencontre également des élus qui attaquent plus en visioconférence, qui jugent la situation moins intimidante pour eux. Il faudrait se pencher plus en détails sur le profil des personnes à l’aise avec l’une ou l’autre des stratégies.

Ceci étant dit, même si le nombre d’élus est élevé, le rapport de domination s’exerce essentiellement dans l’autre sens, avec une direction qui intimide souvent les représentants des salariés. Il faut bien mesurer qu’en face, l’interlocuteur reste le responsable de la direction. Le rapport de subordination ne disparaît pas pendant la réunion, même pour un salarié protégé. Là-aussi, le champ de forces varie d’une entreprise à une autre. L’intimidation est moins courante ou efficace dans les établissements de cadres, contrairement à ceux où nul n’a l’habitude de prendre la parole. Il faut imaginer que dans une entreprise de plusieurs milliers de salariés, le patron c’est « quelqu’un », lire une question face à lui est déjà extrêmement dur pour beaucoup de personnes, mais alors revenir à la charge s’il répond d’un ton méprisant ou volontairement à côté, c’est impensable.

Les employeurs maîtrisent très bien cette violence symbolique et savent jouer de cette différence d’habileté dans la discussion et les connaissances. Les vraies intimidations n’ont toutefois pas lieu dans la réunion elle-même. Les représailles graves, jusqu’au licenciement, sont formulées hors des murs – et le cas échéant, le patronat invente des prétextes pour contourner les prérogatives d’élus, c’est un grand classique que de licencier les fortes têtes.

 

HC – Il n’y a pas un enregistrement audio accessible à tout le monde ?

GE – En règle générale, un élu du CSE rédige le procès-verbal à partir d’un enregistrement. Il y a donc déjà une habitude d’enregistrer les échanges. Mais cet enregistrement n’est jamais transmis aux salariés à ma connaissance, d’autant qu’un procès-verbal doit être validé, y compris par l’employeur. Mais effectivement, la question est intéressante, car diffuser des petits passages de la réunion plénière du CSE intéresserait sans doute certains salariés. Dans l’état actuel du droit, rien de tel n’est prévu par le Code du travail et je pense que les employeurs pourraient se retourner contre les participants qui s’y adonneraient.

 

HC – Tu dis qu’on ne voit parfois pas les gens, mais sais-tu si eux t’écoutent ?

GE – C’est parfois difficile à savoir ! Sans voir les visages, on n’identifie pas les regards, on ne voit pas si les gens acquiescent, s’ils sont concentrés ou pas, etc. Par ailleurs, des participants peuvent quitter la réunion en toute discrétion, sans qu’on le sache. Il est bien plus simple de cesser sa participation à une visioconférence plutôt que de quitter une pièce physiquement. Les directions mécontentes n’auraient jamais osé, sauf exception, se lever et quitter la salle du CSE. Cela représente une transgression rarissime.

En revanche, déclarer « j’en ai marre, de toute façon on ne sera jamais d’accord » et dans la foulée éteindre le microphone avant de ne plus participer à rien, j’ai vu plusieurs directions le faire. Formellement, les personnes sont toujours connectées, on ne peut pas leur reprocher d’empêcher la tenue de la réunion. Mais il est évident qu’ils font autre chose de leur côté avant de nous rejoindre à nouveau plus tard.

 

HC – Ce cadre dématérialisé influence aussi les horaires ou les rythmes des réunions ?

GE – Effectivement, il les bouleverse. Lors de réunions en présentiel, les directions reportent l’événement dans leur agenda, se rendent disponibles et évincent toute autre activité concurrente pour s’y consacrer. Désormais, de multiples sollicitations sont gérées en même temps que la réunion dématérialisée, qui est simplement superposée à un agenda déjà rempli.

Les réunions connaissent des interruptions inédites, que l’on n’imaginait pas en présentiel, où nul ne quittait la salle pour aller à un autre endroit, faute de temps suffisant pour un déplacement physique. Là, les réunions sont enchaînées sans interruption et se grignotent les unes les autres : des représentants de direction nous expliquent « désolé, j’ai un autre point Zoom sur le dossier et reviens dans une heure », avant de se déconnecter.

Tout cela est également tributaire des contre-réformes qui affaiblissent le CSE. Des employeurs qui n’y accordent aucune importance ont tendance à marcher dessus et reçoivent les plus vifs encouragements à chaque réforme successive qui lui retire des attributions. Pour ceux – pas tous, attention – qui entretiennent un rapport compliqué au CSE, résumé à un moment pénible et une formalité excédante, la dématérialisation constitue une divine surprise pour n’y accorder qu’une implication minimale.

 

HC – Si le contenu des réunions est révisé, est-ce aussi le cas de leur calendrier ? Assiste-t-on à des réunions de CSE au mois d’août ?

GE – Cette vague de dématérialisation a effectivement aggravé la consultation des CSE durant l’été. Certes, des directions déclenchaient déjà les plans sociaux en juillet pour les accélérer et limiter la capacité des syndicats à s’organiser et à mobiliser les salariés. Mais, d’après mon expérience, 2021 marque un tournant en la matière, avec la généralisation des convocations estivales. Concernant les plans sociaux, le temps de congés des syndicats est bouleversé. On ne pouvait souvent pas les convoquer en présentiel pour des négociations, car l’entreprise était fermée ou qu’ils étaient en congés obligatoires. Maintenant, des directions les invitent à se connecter durant les vacances, ce qui est nouveau.

Les consultations annuelles, de façon similaire, n’ont pas de date fixe. Elles sont déclenchées à la discrétion des employeurs – leur seule obligation est la transmission d’informations économiques, sociales et stratégiques, qui marque le début de la consultation. Et on a assisté à une vague d’ouverture des consultations avant les vacances de décembre 2020. Les élus disposent à partir de là d’un mois pour rendre leur avis, réputé rendu et négatif s’il n’est pas rendu dans ce délai, depuis la loi dite « sécurisation de l’emploi » de 2013 et la loi Rebsamen de 2015. S’ils désignent un expert, le délai est porté à deux mois.

Ces consultations récurrentes, déconnectées de tout projet précis, qui ne concernent pas une urgence ou un plan social, ont démarré dans de nombreux cas cette année au mois de juillet. Cela implique l’absence d’une partie des élus. Bien sûr, quelques-uns parviennent néanmoins à rendre leur avis – notons que cette stratégie patronale les épuise aussi physiquement en les privant de repos – mais il en manque systématiquement une série quand se termine la consultation. On ne rencontrait guère ce cas de figure auparavant.

Précisons que si ces cas se développent, beaucoup d’employeurs respectent encore les instances, neutralisent l’été et rajoutent un mois afin que les élus disposent du temps nécessaire à travailler sérieusement les dossiers. Ces employeurs, constructifs, ont bien compris leur intérêt à ce que les élus analysent la situation, plutôt que de créer de la conflictualité en raison d’un comportement méprisant. Ils préfèrent des élus capables de discuter et proposer des alternatives. Cela dit, les employeurs sont d’autant plus ouverts à la négociation qu’ils n’ont que peu de marge de manœuvre et de responsabilités. Il faut bien avoir en tête les différents niveaux du rapport de force dans l’entreprise : les représentants des salariés ont face à eux leur direction locale (seul interlocuteur, ce qui est éminemment problématique), qui, dans des groupes internationaux, n’a en réalité que très peu de marge de manœuvre.  La pression exercée par les représentants des salariés sur la direction de leur entreprise a donc pour objectif de pousser leur direction à négocier auprès des réels décideurs (la direction du groupe, et au-dessus d’elle, les actionnaires qui le détiennent) des avancées sociales.

 

HC – La dématérialisation des relations professionnelles va-t-elle revenir prochainement à l’agenda législatif ?

GE – Il faut effectivement surveiller avec attention les évolutions prochaines. La limite de 3 réunions en visioconférence est redevenue applicable depuis le 1er octobre 2021. Il faudra suivre le sujet si une énième réforme du droit du travail est mise en place après les élections présidentielles de l’année prochaine. Mais tout cela souligne que l’enjeu n’est pas la technologie en tant que telle : il s’agit plutôt de ce que l’on fait des institutions et de l’usage que l’on a de la visioconférence. Si l’on vivait encore dans les lois pré-2013, la visioconférence aurait moins d’effets négatifs, car l’institution du CSE serait davantage respectée. Avant cela, les élus remettaient leur avis « éclairé » quand ils jugeaient en avoir eu le temps et suffisamment d’informations pour le faire. Maintenant, le plan social est mis en œuvre dans un délai de 2 mois, avis ou pas, donc la visioconférence est un outil d’accélération des restructurations, par le biais d’interactions estivales ponctuelles notamment. Son utilisation reflète le rapport de force très dégradé entre patronat et salariat. Ses effets sont à l’image de cette relation.

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