« Pour un enseignement pluraliste dans le supérieur ». Entretien avec le collectif PEPS
L’International Student Initiative for Pluralism in Economics (Initiative internationale des étudiant·es pour le pluralisme en économie – ISIPE) a publié en mai 2014 un manifeste contre l’enseignement actuel de l’économie, presque exclusivement consacré au seul courant dominant de la discipline, l’économie néoclassique. Ce manifeste, repris dans Le Monde et la presse internationale, a depuis été signé par près d’une centaine de groupes étudiants issus de plusieurs dizaines de pays différents. Quelques mois plus tard, à Tübingen, du 18 au 21 septembre, une cinquantaine d’étudiant·es formaient la première assemblée nationale d’ISIPE. De nombreux projets ont été lancés (enquête internationale sur les curricula en économie, actions et manifestations communes, etc.).
Contretemps a rencontré Alexis, Maria, Louison et Arthur de PEPS – économie, « Pour un Enseignement Pluraliste dans le Supérieur en Économie », le groupe français membre d’ISIPE. Propos recueillis par Hugo Harari-Kermadec.
L’enjeu du pluralisme dans l’enseignement de l’économie
Contretemps : Pouvez-vous nous présenter rapidement PEPS-économie ?
Arthur : PEPS-économie, « Pour un enseignement pluraliste dans le supérieur en économie » a pour origine un article publié dans Alternatives Economiques en février 2011. Ce texte, écrit par des étudiants d’économie, exprime une révolte face à un enseignement de l’économie largement déconnecté de la réalité. Cet enseignement est incapable d’expliquer la profonde crise économique dans laquelle nous sommes encore. L’actualité économique même la plus grave n’a pas d’influence sur les cursus. Cette critique n’est pas nouvelle puisque dès 2 000 un groupe d’étudiant·es avaient pointé « l’autisme » de l’enseignement de l’économie. Si ce mouvement, malencontreusement connu comme « Autisme », nous a influencé·es, nous avons d’importantes différences. Plus qu’une critique du caractère trop mathématisé de l’enseignement de l’économie, ce qui nous définit c’est l’exigence du pluralisme dans cet enseignement. Ou plutôt de 3 pluralismes : un pluralisme théorique, qui fait une place, à côté du courant dominant néoclassique, aux différents courants hétérodoxes (institutionnaliste, marxiste, autrichien, postkeynésien, …)1 ; en plus des enseignements mathématisés, nous demandons un pluralisme méthodologique, avec de l’épistémologie, de l’histoire de la pensée et des faits économiques ; enfin, nous demandons plus d’échanges avec les autres sciences sociales. Les objets de l’économie comme le chômage ne peuvent pas être abordés de manière univoque.
Contretemps : Le sigle PEPS « Pour un enseignement pluraliste dans le supérieur » était à l’origine pensé pour être repris dans d’autres disciplines. Mais ça n’a pas pris. Est-ce parce que l’économie est une discipline particulière, spécialement monolithique, du fait qu’elle est une discipline éminemment politique : les économistes sont les « conseillers du prince », ils jouent un rôle de légitimation du capitalisme ?
Arthur : En effet, l’extension vers d’autres disciplines n’a pas du tout fonctionné. En socio par exemple, qui est une discipline éminemment politique aussi, les sociologues passent leur temps à avoir des débats et des controverses, c’est très sain ! Et on enseigne différents courants théoriques aux étudiants en socio. Donc il n’y a pas de raison d’avoir un « PEPS-sociologie ».
Le lien entre économie et politique est une question très intéressante, mais ça dépasse largement la base d’intervention de PEPS. Nos membres ont des avis divergents là-dessus.
Maria : Je ne suis pas sûre que ce soit le rôle politique de l’économie qui la rende monolithique, la causalité est plutôt dans l’autre sens. Je dirais plutôt que c’est la théorie dominante du champ qui se retrouve « conseillée au prince ». A une époque, les pays développés avaient une politique macro keynésienne ; maintenant c’est un autre paradigme.
Mais à chaque époque, il y a plusieurs théories, dont certaines qui ne légitiment pas le capitalisme. Ce n’est pas parce que le paradigme dominant nous dit en gros « le capitalisme ça maximise l’utilité de tout le monde, c’est optimal, c’est génial, les marchés sont parfaits et le consommateur rationnel » que l’économie en général le fait. On veut que les différentes théories soient toutes enseignées. Le pluralisme tant méthodologique que théorique et disciplinaire amènerait à avoir une vision plus historique et institutionnelle du capitalisme (et des différentes formes de capitalisme).
Louison : Personnellement, je crois qu’il ne faut jamais oublier que la science éco est née dans le capitalisme, elle en est consubstantielle, c’est quelque chose que les marxistes ont bien analysé il me semble. Dés lors, les économistes vont principalement avoir pour tâche d’élaborer un savoir endogène au capitalisme en en offrant une grille de lecture qui va donner in fine des conseils de politiques économiques. Dans un système dont la fin est économique (l’accumulation du capital), la discipline qui étudie cette fin et propose des moyens d’y parvenir est nécessairement prédominante. Ca joue très probablement dans l’inertie de la discipline et dans le pouvoir des économistes par rapport à d’autres disciplines, mais même si demain l’économie post-keynésienne devenait la nouvelle orthodoxie, ça ne changerait pas grand chose à cela: tout au plus le type de politiques préconisées seraient-elles différentes, mais elles s’inscriraient toujours dans le cadre du capitalisme.
Pour penser une économie non capitaliste, il faut inventer une science économique dont les outils analytiques pourraient s’appliquer à d’autres formes de systèmes économiques. Je ne suis pas certain que ces outils existent aujourd’hui: la prétention à l’universalité dans le temps et l’espace de l’économie dominante relève de l’anachronisme et de l’ethnocentrisme. Rien ne dit qu’on puisse penser l’après capitalisme à partir du capitalisme lui-même.
Contretemps : Quelles ont été les réactions avec les enseignant·es ? est-ce qu’il a été possible de tisser des liens avec des enseignant·es ?
PEPS : On a tissé des liens avec les enseignant·es du secondaire, à travers l’APSES, qui a invité PEPS aux Etats Généraux des SES en 2011, avant qu’on les invite en 2013 aux Etats Généraux de l’enseignement de l’économie dans le supérieur. Même si certain·es à PEPS souhaitent garder, pour des raisons stratégiques, une certaine distance avec les assos de profs du supérieur, force est de constater qu’on a des liens privilégiés avec l’AFEP, qui a soutenu toutes nos initiatives. Les réactions des enseignant·es ont donc été très favorables au sein de l’AFEP, mais on n’a pas eu vraiment de retour de la part d’enseignants plus mainstream. A noter que Piketty a également toujours soutenu ce qu’on a fait.
Contretemps : A l’origine, PEPS a été fondé par des étudiant·es de grandes écoles. On vous reproche parfois que cette critique d’un enseignement de l’économie trop univoque, uniquement centrée sur l’orthodoxie néoclassique, serait finalement élitiste : les étudiants de fac seraient déjà bien contents de comprendre une seule théorie, une seule discipline, une seule méthodologie. Et plus tard ils auront toujours le temps d’apprendre d’autres approches.
Maria : Oui mais ca ne tient pas cet argument : vu le taux d’abandon en Licence, on dégoute les étudiant·es. Ce qui se réoriente après un L1, ils n’iront jamais plus loin que le cours de micro 1 et ne sauront même pas qu’il existe une autre économie, qui aurait pu davantage les accrocher.
Louison : Et d’un point de vue pédagogique, comme les écoles hétérodoxes se situent hors du paradigme néoclassique, il n’y a aucune raison de suivre tout le cursus orthodoxe avant de commencer les autres, postkeynésiens, autrichiens, marxistes, la théorie de la régulation. Ca n’a de sens que pour prolonger ensuite dans le courant orthodoxe, vers les nouveaux classiques, les nouveaux keynésiens. Nous ce qu’on veut c’est qu’on puisse se structurer avec plusieurs cadres en même temps, pouvoir réfléchir à partir de ces différents paradigmes. Il y a bien sûr des contraintes de temps, mais on peut réorganiser les enseignements pour avancer en parallèle, c’est ce qu’on propose dans notre projet de maquette de licence d’économie.
Arthur : Dans tous les amphis où on est intervenu, à Paris 1, à Lille, etc., les étudiant·es nous disent toujours qu’ils/elles sont d’accord avec nos constats. Il y en a plein qui sont résigné·es, qui disent qu’on ne peut rien changer, mais plein aussi qui s’engagent. On a fait des réunions de PEPS à 30, avec 20 étudiant·es de fac.
Louison : A l’étranger ça ne pose pas de la même façon. En Angleterre, il y a des groupes dans plusieurs universités, les plus prestigieuses mais aussi dans les autres. Les gens de Glasgow et de Manchester sont par exemple très actifs. Par contre c’est vrai que ce sont des étudiant·es plus avancé·es dans les études qui se mobilisent en 3e ou 4e année ou en master. Par contre aux Etats-Unis, on n’a pas de contacts des étudiant·es des grandes universités. C’est drôle, mais ce sont les étudiant·es de la New School qui sont les plus impliqué·es, justement celles et ceux qui reçoivent un enseignement pluraliste.
Maria : Mais c’est souvent le cas, en France aussi. C’est aussi parce qu’en prépa on a eu un enseignement pluraliste qu’on voit le problème. Et en plus il faut une sacré confiance en soi pour critiquer l’enseignement et le cursus dans son ensemble, ce qui est plus facile depuis une grande école. On retrouve la sur-sélection sociale : ceux qui ont intériorisé le fait de parler en public, qui ne passent pas tout leur temps libre à travailler au Mac Do, c’est plutôt ceux qui sont issus des classes dominantes. C’est pour ça que ceux qui on plus de chances de s’engager sont aussi ceux qui ont plus de chance de passer par la prépa et les grandes écoles.
Contretemps : Certain·e-s d’entre vous sont chargé·e-s de TD, comment se traduit l’engagement PEPS ?
Arthur : On est plusieurs à PEPS à intervenir dans d’autres disciplines, en sociologie, en histoire. Je pense que c’est symptomatique. On a biaisé pour ne pas faire des TD qui ne nous conviennent pas.
Louison : moi j’ai deux cours d’éco. Le premier en L1 c’est une introduction aux grands auteurs, de l’histoire de la pensée économique. Donc c’est pas mal. L’autre c’est économie monétaire. Pour le pluralisme méthodologique ou disciplinaire c’est pas gagné, mais au moins le pluralisme théorique c’est bon. Les étudiant·es en sortant du cours, ils auront entendu parler de la monnaie endogène, de la monnaie exogène, des concepts hétérodoxes.
Contretemps : Et pour les plus jeunes, est-ce que PEPS influence vos choix de master, vos choix de thèse ?
Maria : La question c’est exit – voice. Est-ce qu’on suit une stratégie voice, rester en économie et essayer de peser depuis l’intérieur. Ou une stratégie exit, ce qu’on fait pas mal de gens à PEPS, aller en sociologie en thèse pour faire ce qu’on veut intellectuellement.
Alexis : Et en fait c’est assez difficile de choisir justement parce que l’enseignement manque de pluralisme. En économie, on connait bien le courant orthodoxe, mais si on s’engage dans une autre école pour un projet de recherche, c’est un peu à l’aveugle. Ca m’amène à prendre une année d’interruption l’an prochain pour lire avant de choisir, à partir des auteurs dont on a discutés dans le séminaire Approche Pluridisciplinaire de l’Economie (un séminaire animé par des étudiant·es proche de PEPS). Donc oui, PEPS ça nous fait réfléchir sur nos choix de cursus et de sujets de recherche.
L’appel ISIPE
Contretemps : Comment est né l’appel international pour le pluralisme en économie ? Comment expliquez-vous ce succès avec la signature de groupes d’étudiant·e-s de 30 pays ?
Louison : L’appel International Student Initiative for Pluralism in Economics est né à la suite des Etats généraux pour l’enseignement de l’économie dans le supérieur. On se demandait comment prolonger notre action, et nous étions en contact avec une étudiante canadienne qui avait fait un recensement des cursus en sciences économies en Ontario, tout à fait similaire à la notre. Elle avait trouvé, comme nous pour la France, des cursus monolithiques, incroyablement homogènes sur le territoire. On avait aussi des contacts en Allemagne, qui sont venus aux Etats généraux et commencer leur propre recensement. Ensuite, plusieurs membres de PEPS sont partis individuellement passer quelques mois en Amérique du nord fin 2013, et à chaque fois on a rencontré des étudiant·es intéressé·es par notre démarche. A cette date, un groupe de Manchester a fondé la Post-crash economics society, avec un bon écho médiatique et sur facebook. Avec tous ces contacts, on s’est lancé dans la rédaction d’un appel international.
Arthur : Il existait plusieurs manifestes nationaux très similaires, on avait donc déjà une bonne base d’appel autour de l’exigence des 3 pluralismes (théorique, méthodologique, disciplinaire). A cette base, on a ajouté la revendication d’embauche d’économistes hétérodoxes, qui vient des étudiants allemands. C’est intéressant parce que ca fait écho à l’action de l’Association Française d’Economie Politique, l’AFEP, qui a démontré à quel point le recrutement des professeurs d’université en économie manquait de pluralisme. Les derniers professeurs d’université hétérodoxes en France sont sur le point de partir à la retraite. Cette question n’était pas explicitement posée par le manifeste initial des étudiants de PEPS, en 2011.
Contretemps : C’est donc une initiative d’étudiant·e-s du Nord, Europe occidental et Amérique du nord ?
Louison : Dans l’élaboration oui, mais parmi les signataires c’est beaucoup plus étendu. On en est maintenant à 65 groupes de 30 pays, plusieurs pays d’Amérique du sud, l’Inde, le Pakistan, l’Australie. On a également eu des contacts avec l’Afrique du sud, Taïwan.
Contretemps : Les problèmes sont-ils les mêmes dans tous les pays ?
Louison : A Manchester, par exemple, c’est surtout le pluralisme théorique qui les intéressait, entre plusieurs écoles de pensées : néoclassiques, marxistes, institutionnalistes… Le pluralisme disciplinaire, ça vient plus de PEPS en France, et aussi un peu des danois et des allemands.
Arthur : Je pense qu’il y a plusieurs groupes qui sont dans la tradition de ce qu’a été Autisme en France, il y a 14 ans, e de la post-autistic review. Des initiatives centrées sur le pluralisme théorique, et à PEPS, on a dès le début élargie sur le pluralisme des sciences sociales. Mais aussi ce qu’on a appelé le pluralisme méthodologique, c’est-à-dire faire d’autres matières que la micro et la macro : de l’histoire de la pensée économique, de l’épistémologie, etc. Mais dans l’appel international c’est passé assez facilement, même si tout le monde ne met pas la même chose derrière « interdisciplinaire ».
Louison : Et l’organisation de l’enseignement supérieur n’est pas partout la même. En France c’est très centralisé, avec le ministère qui valide les projets. Donc avant de prendre des initiatives locales, il faut passer par un débat national. Dans d’autres pays ça va beaucoup plus vite. A Manchester par exemple, il y a pu y avoir un cours intitulé « Alternative theories of crisis » [théories alternatives des crises], enseigné par un enseignant hétérodoxe. En fait, une fois préparé, le cours a été refusé par la direction de l’université. Mais le prof a maintenu le cours avec les étudiants du groupe local de l’ISIPE, en dehors du cursus officiel. Le résultat de tout ça, c’est que le contrat du prof n’a pas été renouvelé et qu’il se retrouve au chômage… Et finalement la direction de l’université est maintenant prête à intégrer le cours dans le cursus à partir de 2015 !
Contretemps : Etes-vous satisfait de votre écho médiatique, avec des articles dans le Guardian et le New Yorker par exemple ?
Louison : Au niveau mondial, on est très contents : on a réussi à passer dans la presse dans beaucoup de pays, avec parfois des journaux importants. Au Danemark par exemple, un représentant du groupe local s’est retrouvé sur l’équivalent de France 2, à débattre avec un prof dans une émission d’actualité. Mais ce sont des pays où la tribune à marqué le début du débat. En France, le débat est beaucoup plus ancien, et c’est peut-être pour ça qu’on a eu peu d’écho. Autisme avait fait du bruit, PEPS en a fait ; l’an dernier, on a eu une couverture médiatique avec les Etats généraux. Sur le fond, ce qu’on publie cette année c’est surtout de la redite.
Contretemps : Et la mission confiée par le gouvernement à Hautcoeur, sur l’enseignement de l’économie dans le supérieur, vous pensez que ça a un lien ?
Arthur : On pense que c’est une réponse à l’AFEP et à nous. On a d’ailleurs été auditionné par la commission Hautcoeur. Mais on l’avait déjà été, directement par Fioraso, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, au moment de la tribune dans le monde.
Louison : D’ailleurs, l’obsession du ministère pour le classement de Shanghai et l’international fait que l’ISIPE peut peser. Il y a une attente au niveau international pour un enseignement de l’économie renouvelé. D’un point de vue très cynique, pour les nouveaux pôles universitaires qui se constituent, ca peut être un produit d’appel pour les étudiant·es étranger·es. Plus sérieusement, on a pensé une maquette de licence d’économie alternative, et on cherche une université sur Paris pour tenter l’expérience.
Alexis : Pour PEPS, l’enjeu premier ça reste de changer l’enseignement de l’économie en France. Donc il faut que ce détour international nous aide ici. La longue mobilisation en France a été et reste un point d’appui essentiel au niveau international, mais l’initiative internationale nous renforce en France. Par exemple, quand on discute avec quelqu’un au ministère ou à la direction d’une université qui nous dit : « oui mais aux Etats-Unis c’est comme ça qu’on enseigne l’économie » [sans pluralisme]. On peut répondre qu’il y a les mêmes revendications de la part des étudiant·es là-bas aussi.
Les militants et la politique
Contretemps : Y a-t-il des liens avec d’autres initiatives du milieu académique, au-delà de la discipline, comme les luttes contre la marchandisation de l’université par exemple ? Est-ce que vous vous êtes rencontrés par des réseaux militants ?
Louison : Non pas du tout. On s’est vraiment rencontré par le biais de la discipline. Mais ça ne nous a pas empêchés de participer à des rencontres comme Power shift, un forum radical tenu à Pittsburg aux Etats-Unis en octobre 2013, contre le gaz de schistes, etc. Aux Etats-Unis, les étudiant·es de rethinking economics se définissent souvent comme activistes. A partir d’une pratique politique, on acquière la capacité de s’engager et s’est réinvesti d’un thème à l’autre.
Arthur : Oui, c’est clair d’un point de vue sociologique. Je crois qu’on peut dire que la plupart des membres de PEPS sont ou ont été engagé dans une association ou un parti politique. Collectivement, comme PEPS est pour le pluralisme théorique, on n’a pas de raison de faire un choix politique clair. Au niveau individuel, pour certains les deux types d’engagements sont cohérents mais déconnectés. Pour d’autres, PEPS fait parti d’un engagement plus général, ils ne font pas la part des choses.
On veut aussi éviter l’écueil dans lequel est tombé Autisme : être étiqueté. C’est pour ça que PEPS dit explicitement dès le départ qu’on n’est pas contre la microéconomie, mais qu’on veut que cette matière soit étudiée au même titre que les autres. Même si personnellement on ne porte pas tous la micro dans notre cœur. On veut étudier l’économie néoclassique au même niveau que les autres. Lors des Etats généraux, on a donc invité l’AFEP mais aussi l’AFSE (association français de science économique, orthodoxe).
Louison : Mais de toute façon, on s’adresse à tous les étudiant·es de sciences éco, y compris ce de droite. C’est pour ça qu’on cite toujours Hayek, le penseur du néolibéralisme, dans nos textes.
Maria : Oui, c’est important de s’adresse à tous, et pas seulement à ceux dont les opinions politiques sont proches des nôtres. Et s’adresser à l’AFSE, ça permet aussi d’objectiver leurs positions. Ainsi, l’AFSE n’a pas répondu à notre sollicitation pour soutenir la tribune, lorsqu’on les a contacté au même titre que, l’AFEP.
Contretemps : Quelles sont les perspectives ?
Arthur : On va organiser une journée de formation pour passer le flambeau aux jeunes. On est plusieurs à être là depuis un certain temps, à être en thèse… c’est bien que ça change. Ca avait été le problème d’Autisme, la difficulté à trouver une relève. Il y a plein de gens qui nous écrivent, qui sont motivés, c’est le moment.
Maria : L’actualité, c’est le rapport Hautcoeur, auquel on a réagi positivement en juin. Le rapport reprend largement nos constats, et nous serons extrêmement vigilants sur l’application des mesures proposées. Surtout que les prises de positions de P.-C. Hautcoeur à la suite de la remise du rapport, notamment dans un entretien à Médiapart, sont beaucoup moins encourageantes vis-à-vis du pluralisme. Il semble considérer que seul le paradigme néoclassique mérite d’être enseigné.
Nous on va surtout œuvrer à la mise en place d’une licence d’économie inspirée de notre proposition. On va laisser de côté l’intervention dans les médias pour aller directement vers les facs dès la rentrée.
Louison : On n’a déjà commencé à discuter avec les profs de l’AFEP, lors de leur congrès en juin 2014 à l’ENS Cachan, du projet de maquette. Ils ont leur propre maquette pluraliste, très proche de la notre finalement. Mais le chemin est encore long pour qu’une licence d’économie ouvre dans cet esprit : les enseignants de l’AFEP sont éparpillés dans toutes les facs, rarement en position de force. Le projet le plus avancé s’est de mutualiser les forces en Ile de France et d’organiser une Licence à partir des enseignements les plus intéressants qui se font dans les différentes facs sur Paris. On a aussi été contacté par le doyen de la fac de Strasbourg pour « mettre en place la meilleure licence d’économie de France ». Mais on n’était pas trop à l’aise : est-ce qu’on peut faire de l’expertise pour la mise en place d’une licence ? On n’a pas d’expérience de ce genre. Notre légitimité d’étudiant·es, c’est plutôt de proposer une maquette, pas de la mettre en œuvre. Mais en même temps, on est bien sûr volontaires pour aider à notre niveau si ça se concrétise. Mais notre rôle, c’est surtout d’intervenir du côté des élus étudiants pour qu’ils poussent dans le bon sens dans le conseil d’UFR.
Les syndicats étudiants
C’est aussi pour ça qu’on va solliciter les syndicats étudiants, pour être relayé dans les UFR d’économie. On pense à organiser des formations pour les élu·es étudiant·es : elles se saisissent du dossier depuis que c’est dans les médias, mais pour convaincre et que ça se concrétise dans les cursus, il faut être très précis. On pense ainsi à faire signer une charte, qui reprendrait nos propositions. Ca pourrait aussi diffuser nos idées auprès des étudiant·es. Ca permettra aussi de sortir de Paris. En Allemagne, il y a un groupe par land, presqu’une vingtaine, alors qu’en France PEPS est exclusivement parisien. Cette démarche vis-à-vis des syndicats dans toutes les UFR d’éco, c’est aussi une façon d’avoir une action volontariste vers les autres villes et de profiter du voyage pour rencontrer les étudiants de province qui nous ont contactés et de présenter PEPS dans les amphis.
Arthur : On a beaucoup débattu pour savoir s’il fallait contacter toutes les organisations avec des élu·es étudiant·es : quels syndicats étudiants contacter ? C’est évident pour l’Unef et sud, mais doit-on contacter l’UNI [syndicat étudiant de droite] ? Pour certains à PEPS, pour ne pas être étiqueté, risquer une critique trop facile, on doit aller voir tout le monde, s’ils portent nos revendications, ils portent nos revendications et voilà.
Alexis : C’est justement parce qu’on aura contactés tous les syndicats représentés dans les UFR qu’on pourra ensuite discuter de leurs positions. On pourra alors avoir un avis sur l’UNI, pas a priori parce que c’est un syndicat de droite, mais parce que c’est un syndicat qui refuse de reprendre nos revendications.
Contretemps : Récemment, c’est Marianne, le groupe d’étudiant·es qui soutiennent le Marine Le Pen qui s’est exprimé sur des revendications qui rejoignent les vôtres…
Arthur : Eux, on ne les a pas contactés ! Comme ils n’ont pas d’élu·es étudiant·es, ça ne s’est pas posé concrètement. Mais moi je ne suis pas sur la position d’aller voir tout le monde. Quand on a été contacté par les corpo [associations étudiantes se revendiquant apolitiques, souvent élitistes], en fait ils n’étaient pas pour ou contre nos positions. C’est plus simplement qu’on est sur autre chose. Nous on parlait pluralisme, et eux professionnalisation. Pour moi, ca révèle des visions politiques différentes, ce n’est pas la peine d’aller les voir. Mais je suis minoritaire à PEPS, la majorité est plutôt pour aller voir tout le monde.
Louison : A partir du moment où ils vont reprendre nos thématiques, parce que c’est un sujet d’actualité, on a tout intérêt à ce que ça se fasse de façon plus documentée, à partir de nos termes à nous, même si certains le font à mauvais escient. Et on pourra toujours réagir si besoin. Et si jamais l’UNI s’emparait vraiment de nos revendications et obtenait une licence pluraliste dans une fac, ça nous ferait bizarre, mais si c’est le cas, tant mieux.
Maria : De toute façon, on n’est pas sur le même registre, PEPS ne porte qu’une revendication sur les cursus, les syndicats étudiants ont des thématiques beaucoup plus vastes. Donc à eux d’avoir des élus dans les UFR, de porter la voix des étudiant·es.
Louison : Un autre projet, c’est de créer un manuel PEPS, qui puisse servir de base pour notre licence. C’est beaucoup de travail, donc pour l’instant c’est resté en suspend, le temps des Etats généraux puis de l’appel international. Mais c’est un projet qui nous plait bien. Bien sûr, écrire un manuel, c’est plutôt un travail de profs que d’étudiant·es. Ce qui serait bien c’est un manuel écrit par des profs mais dirigé par des étudiant·es.
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à voir aussi
références
⇧1 | Le courant néoclassique, qui s’est imposé à partir des années 1970 avec des figures comme Milton Fridman, insiste sur la formation des prix à partir de la confrontation de l’offre et de la demande sur un marché, et par la recherche du gain maximal (ou de la « satisfaction » maximale), il fait un recours abondant aux mathématiques par exemple pour modéliser les comportements individuels. Le courant institutionnaliste, au contraire du courant néoclassique qui prend l’individu comme point de départ, s’intéresse aux institutions et à l’État et à la manière dont ils organisent et influencent les comportements économiques. Le courant autrichien désigne les économistes prolongeant le travail d’Hayek, dans une optique à la fois très libérale et très critique des néoclassiques ; le courant postkénésien reprend les analyses de J.M. Keynes contre lesquelles s’est en partie constitué le courant néoclassique. |
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