Tout doit disparaître (même le libéralisme politique). Sur la suspension de J. Corbyn par le Labour
Les instances du parti travailliste britannique ont décidé de suspendre l’ancien dirigeant de l’opposition, Jeremy Corbyn, le 29 octobre 2020. Cette décision a été prise au prétexte d’une déclaration de Corbyn en réaction à la parution du rapport d’enquête de la commission pour l’égalité et les droits humains (EHRC) portant sur l’antisémitisme au sein du labour. Cette mesure prise contre la figure emblématique de la gauche en Grande-Bretagne depuis 2015, en référence à des propos rapportés de manière inexacte, est en contravention directe au règlement interne du labour ainsi qu’à la convention européenne des droits de l’homme.
Corbyn a été finalement réadmis le 17 novembre sans toutefois se voir rendu son whip (c’est-à-dire le fait de pouvoir voter au Parlement au nom du parti travailliste, ce qui fait qu’il est actuellement considéré comme député indépendant). Les dommages causés au sein du labour par ces trois semaines de péripéties et leurs suites désormais inévitables n’ontguère de chance d’être réversibles. Un rappel de l’épisode sera ici l’occasion d’observer un peu plus largement un contexte dont les confusions et les dangers ne se limitent pas aux seuls aléas interminables du Brexit.
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« La démocratie représentative devrait, autant que possible, être abolie dans le parti travailliste » (David Evans, secrétaire général du parti travailliste depuis mai 2020).
« Le néolibéralisme retrouve ainsi la logique originaire du libérisme[1] qui a accompagné son émergence en refusant comme corporatisme archaïque la superposition du petit marché politique au grand marché économique et en se prémunissant de manière préventive du risque majeur de toute correction des mécanismes économiques en un sens égalitaire. En ce sens le néolibéralisme contemporain est prêt pour sauver son esprit animal libériste à sacrifier son âme libérale » (André Tosel, Démocratie et libéralismes, Kimé 1995, p.79).
Vendredi 29 octobre, les instances du parti travailliste ont annoncé la suspension de Jeremy Corbyn. La mesure disciplinaire est intervenue suite à une déclaration de l’ancien dirigeant du parti en réponse à la parution d’un rapport d’enquête menée pendant plus d’un an par la commission sur l’égalité et les droits humains (EHRC) et consacrée à l’antisémitisme dans le parti travailliste. Sans même que le nouveau secrétaire général du parti, David Evans, ait pu clarifier ce qui dans le propos de Corbyn constituait une contravention au règlement du parti, le chœur politique et médiatique était déjà agenouillé dans une unisson fervente : Corbyn rejette les conclusions du rapport en niant la réalité du problème de l’antisémitisme et de sa gravité, et continue de prétendre qu’il a été indûment exagéré à des fins « purement » politiques internes et externes. Keir Starmer ayant décrété, quant à lui, que toute personne souhaitant contester le document et ses conclusions n’avait pas sa place dans le parti, on comprend, de fait, que l’ancien dirigeant ne saurait donc avoir sa place dans le parti.
Cette présentation des faits s’accompagne du contrepoint qui en assure la crédibilité. Dès l’annonce de la parution du rapport, trois motifs d’accablement ont immédiatement envahi le discours public et mis un terme préventif à toute tentative de discussion : le rapport montre que le parti s’est rendu coupable du grave délit de « harcèlement et d’intimidation » ; la direction politique du parti est intervenue de manière illégale dans le traitement de procédures disciplinaires ; elle n’a pas mis en place les mesures adéquates pour lutter contre l’antisémitisme. Ces trois ingrédients mêlés forment le ciment, l’eau et le sable de la dalle de béton instantanément coulée sur le contenu même du rapport de l’EHRC qu’il s’avère maintenant urgent, semble-t-il, de ne pas lire et de ne pas utiliser afin d’éclairer le parti et l’opinion publique en général.
A propos du rapport et de sa réception
« We found two indirectly discriminatory practices by the Labour Party »[3]
L’enquête de l’EHRC sur l’antisémitisme dans le labour était à divers titres une affaire entendue d’avance. Elle fut lancée à la demande de deux organisations – Campaign Against Antisemitism (CAA) et Jewish Labour Movement (JLM) – agressivement pro-israéliennes et notoirement hostiles à la direction travailliste et à Corbyn en particulier, connu de longue date pour ses positions pro-palestiniennes. De son côté, proche des conservateurs[4], L’EHRC, dont Newsweek a révélé la mise à l’écart de ses directeurs noirs et musulmans[5], s’était empressé de faire bon accueil à la demande de ces organisations, jugeant les pièces du dossier sur l’antisémitisme dans le labour suffisantes pour déclencher une enquête.
En comparaison, lorsque des organisations musulmanes ont entrepris des démarches semblables pour que l’EHRC enquête sur l’islamophobie déclarée et omniprésente dans le parti conservateur, elles ne rencontrèrent pas le même succès. L’honorable EHRC, en réponse à ces demandes, a, dans sa grande sagesse, estimé que l’on pouvait compter sur le parti de Boris Johnson pour conduire sa propre enquête interne[6].
Pour ce qui est des préjugés anti-juifs, leur persistance est également et très distinctement plus élevée chez les tories que dans le labour, comme l’ont bien montré deux enquêtes de l’institut Yougov en 2015 et 2017[7]. Ce deux poids deux mesures est donc très remarquable lorsque l’on pense que l’actuel premier ministre, connu il est vrai pour sa jovialité raciste, a pu écrire un roman dans lequel, sans éveiller d’émoi particulier au-delà des quelques expressions d’indignation de rigueur, des juifs utilisent leur pouvoir oligarchiques pour truquer des élections et contrôler les médias[8]… (Aucun scandale et même, le soutien déclaré du grand rabbin britannique, Ephraim Mirvis, à la veille des élections de décembre 2019).
Il paraissait entendu que le rapport avait d’emblée vocation à apporter la validation irréfutable du récit diffusé en masse depuis au moins trois ans sur « l’antisémitisme institutionnel » du parti, les « aveuglements » ou « complicités » de Corbyn et avec lui, de toute la gauche, incidemment, internationaliste et pro-palestinienne. Sur ces jugements rendus d’avance et sans appel possible, Pete O’Borne et Richard Sanders expliquent d’ailleurs, sur le site Middle East Eye, que lors de la conférence de présentation du rapport en présence des auteurs, les questions de la trentaine de journalistes présents « visèrent majoritairement à comprendre pourquoi le rapport n’avait pas été plus dur, personnellement, avec Corbyn. Pas un seul journaliste n’a cherché à interroger les incohérences ou les omissions du rapport »[9].
Comme le suggèrent O’Borne et Sanders, le document de l’EHRC ne paraît pas avoir vocation à être lu. Sa fonctionnalité a tenu avant tout aux dramatisations de son annonce et de son anticipation des mois durant. Puis avec sa parution, l’occasion est donnée non seulement de mobiliser tous les acteurs de la panique morale créée autour de « la gauche » dans le labour, mais aussi et surtout, d’enclencher enfin le coup à forte charge symbolique prévu de longue date contre son représentant principal, Jeremy Corbyn. Par la même occasion, le nouveau dirigeant peut espérer ainsi endosser les habits du chef capable de « fermeté » et de prise de « décision difficile. »
La lecture du rapport reste cependant nécessaire et utile à divers titres. Il y a d’une part les faiblesses de sa rédaction, révélatrices de la pauvreté du matériau à la disposition des enquêteurs. Plusieurs omissions ou évasions laissent d’emblée perplexe : faut-il accepter, par exemple, en l’absence de toute définition préalable, que le seul fait que des personnes se soient senties « offensées » par un commentaire polémique concernant l’État d’Israël relève d’un antisémitisme manifeste, caractérisé et formellement répréhensible ? Comment comprendre que le rapport ne propose aucune précision sur l’identité des plaignants (deux organisations partisanes de l’amalgame le plus strict entre « les juifs » et « Israël » en outre réduit à sa seule extrême-droite politique au pouvoir)[10] ? Le seul fait de contester une accusation d’antisémitisme constitue-t-il par nature une preuve d’antisémitisme ?
Mais au cœur du rapport, on trouve surtout l’omission quasi-complète du dossier interne diffusé en avril 2020. Celui-ci documentait sur 850 pages de quelle manière le personnel sur siège du parti, en charge des procédures disciplinaires notamment, s’était délibérément et activement employé à mettre la direction politique du parti en difficulté jusqu’à l’arrivée d’une nouvelle secrétaire générale, Jennie Formby, et d’une nouvelle équipe administrative : lenteur extrême ou mise à l’arrêt délibérée du traitement de plaintes dont adversaires et médias prenaient alors prétexte pour accuser Corbyn de ne rien faire, de rester au mieux aveugle au problème, au pire, d’en être complice ; mais aussi, manipulations et blocages de la communication de la direction au parti ; participation au harcèlement médiatique de certaines personnalités de la gauche du parti assorti de saillies racistes, le tout avec la caution bienveillante du secrétaire général alors encore en place, Iain McNicol.
L’impasse faite par les enquêteurs sur ce changement d’équipe dans les instances centrales du parti en mars-avril 2018 est propre à induire une confusion fatale consistant à attribuer à la direction politique du parti les conséquences du sabotage dont elle était elle-même la cible pendant les deux tiers de la période couverte par l’enquête[11].
Cet ensemble de pièces consubstantielles à l’objet de l’enquête ne laisse aucun doute quant à l’instrumentalisation des accusations d’antisémitisme dans le cadre de luttes internes. Il confirme en outre que les « interférences illégales » politiques, tant réclamées à l’époque, et dont beaucoup feignent aujourd’hui de s’émouvoir, visèrent à accélérer le traitement des plaintes et non à les ralentir ou les empêcher.
Cette absence ne reste toutefois pas entièrement sans trace : le document de l’EHRC reconnaît (p.69-72) les changements intervenus au printemps 2018 – et donc à l’arrivée de la nouvelle secrétaire générale – et à la prise en compte beaucoup plus rapide des plaintes dans le cadre de procédures renforcées, mais sans tenir compte de la conjoncture interne antérieure, ses protagonistes et ses effets.
Autre point remarquable : le rapport relève en outre (p.73) que les dysfonctionnements des procédures disciplinaires internes concernèrent pendant une longue période l’ensemble des plaintes et non seulement celles relatives à d’éventuels propos antisémites. Il en résulte que nombre de personnes ayant fait l’objet d’une plainte furent elles-mêmes traitées de manière déplorable : aucune information quant aux allégations les concernant, anonymat du plaignant, des délais interminables de traitement des plaintes (mettant notamment des candidates de la gauche du parti, juives dans certains cas notoires[12], en difficulté administrative pour se présenter à des scrutins pour d’importantes responsabilités internes).
Le rapport donne ainsi l’exemple (p.63) d’un « membre supposé avoir émis des commentaires antisémites au cours du processus de sélection d’un candidat parlementaire et dans des emails échangés avec d’autres membres de leur même branche de circonscription. Le membre ne reçut aucun détail des allégations en dépit de ses demandes répétées au cours de l’enquête pendant l’année 2018. Le membre démissionna avant le terme de l’examen de la plainte. » L’EHRC a ainsi « identifié des problèmes d’équité à l’égard des personnes visées par des plaintes pour 42 des 70 dossiers de l’échantillon » (p.64).
La lecture du dossier présente donc un intérêt certain dans la mesure où les enquêteurs en viennent à reconnaître, il est vrai, très implicitement et par simple référence à la chronologie des faits (pré- et post- avril 2018), les obstructions de la bureaucratie droitière déterminée à mettre Corbyn en difficulté. Tout aussi significativement, l’EHRC :
– n’apporte aucune validation aux accusations d’antisémitisme un temps surmédiatisées contre des personnalités de la gauche travailliste telles que Jackie Walker, Chris Williamson ou Marc Wadsworth, par exemple ;
– ne comporte aucune trace non plus des deux mois d’effroi général, durant l’été 2018, face au refus initial de la direction du parti d’adopter l’intégralité de la définition (qui ne définit rien) de l’antisémitisme promue par l’IHRA et ses onze exemples (dont sept concernent Israël). L’épisode avait pourtant été l’occasion de répandre l’accusation selon laquelle le labour était devenu rien moins qu’un « parti institutionnellement antisémite » ;
– confirme de fait que le volume des plaintes pour antisémitisme s’estime en dizaines et non en dizaines de milliers ;
– ne recense lui-même que deux cas de ce que les enquêteurs ont estimé relever de « pratiques indirectement discriminatoires dans le parti travailliste »[13].
La réponse médiatique générale et immédiate s’en est cependant tenu, avec une discipline collective stricte, aux seules grandes lignes de la synthèse du rapport : au cours des dernières années, le parti s’est rendu coupable de « harcèlement » et la direction, « d’interventions illégales » dans les procédures disciplinaires internes. Il est apparemment impératif de ne pas lire le rapport au-delà d’un résumé du résumé et moins encore, pour ce qui concerne le labour, d’en faire une base de discussion dans le parti, comme on va le voir.
La suspension de Corbyn
Les propos prêtés à Corbyn, en réponse à la parution du rapport, ne sont pas ceux de ses déclarations, pourtant très aisément vérifiables dans un post facebook et dans des extraits de déclarations très largement disponibles en ligne. Corbyn a relevé des points positifs du rapport que les commentateurs omettent, a reconnu la validité de certaines critiques et recommandations, n’a en aucune manière prétendu nier l’existence du problème de l’antisémitisme dans le parti travailliste et dans l’ensemble de la société britannique. Prétendre qu’il aurait affirmé ou même insinué le contraire est simplement inexact.
L’ex-dirigeant travailliste a toutefois jugé nécessaire de rappeler à plusieurs reprise qu’en général, en ce qui concernait le Labour, l’ampleur du problème avait été exagérée hors de toute proportion et que la perception de l’opinion publique s’en était trouvée sévèrement affectée : une enquête de 2018 indiquait qu’en moyenne, l’opinion avait été convaincue que plus d’un tiers (34%) des membres du Labour étaient mêlés à des procédures disciplinaires suite à des accusations d’attitudes ou de propos antisémites (14 % seulement des personnes interrogées pensaient que le nombre des membres du parti impliqués était inférieur à 10%, soit, dans les 50 000 personnes): plus d’un tiers, soit, environ 200 000 personnes, quand le nombre de dossiers de plaintes ont concerné dans les alentours de 0,3 % des membres dans le pire des cas (ce que confirme le rapport, comme on l’a vu).
C’est ce simple rappel de fait, en rien dirigé contre le rapport, qui a été immédiatement utilisé comme preuve d’un refus de reconnaissance de l’antisémitisme et d’une contestation générale du document de l’EHRC. Keir Starmer y a donc vu l’occasion de dénoncer une position inacceptable et le secrétaire général, D. Evans, de notifier à Corbyn sa suspension. Le coup de force est quadruple :
– la direction du parti se base sur des propos que Corbyn n’a pas tenus ;
– sa décision est en contravention des dispositions de la convention européenne des droits de l’homme protégeant la liberté d’expression, dispositions explicitement rappelées par le document lui-même : « L’article 10 protégera les membres du parti travailliste qui, par exemple […] expriment leurs opinions sur des questions internes du parti telles que par exemple l’ampleur de l’antisémitisme au sein du parti, sur la base de leur propre expérience et dans les limites du droit. »[14] Le rapport rappelle en outre que « les déclarations faites par des politiciens élus ont une protection renforcées dans le cadre de l’article 10 » (p.27) ;
– avec la suspension sommaire et sans motif clair de l’ancien dirigeant, la direction politique, quoiqu’elle en dise, se rend directement responsable du type de dysfonctionnement censé être pointé par le rapport dont Starmer dit pourtant accepter l’intégralité des conclusions et sans la moindre réserve ou discussion possible ;
– le secrétaire général du parti, D Evans, a demandé aux responsables des sections locales d’interdire tout débat ou toute motion contestant la validité du rapport ; la discussion du rapport ne « relève pas de la compétence des sections locales du parti », et les comptes de médias sociaux des sections ne doivent pas permettre les commentaires sur l’enquête ou le rapport, sans hésiter à les « suspendre temporairement » si nécessaire.[15]
Cette dernière exigence se trouve être en contravention directe du règlement du parti qui, comme le signale le site de Jewish Voice for Labour, dans sa version pour l’année 2020, préconise par exemple : « A tous les niveaux, le parti s’assurera que les adhérents, les représentants élus, les organisations affiliées et, lorsque c’est possible, la population en général sont en mesure de prendre part au processus de discussion et d’élaboration des orientations » (chap. 1, clause V.1). Ou encore : « Le parti travailliste accueille toutes celles et ceux qui partagent nos objectifs et nos valeurs, et encourage le débat politique et les initiatives sur les enjeux vitaux, les orientations et les injustices de notre époque » (appendice 9.2 p.116)[16].
Ne voulant pas faire les choses à moitié, le secrétaire général a également demandé aux responsables de sections d’interdire les motions de solidarité avec l’ex-dirigeant. D. Evans, représentant des grandes heures du blairisme (secrétaire général adjoint du labour de 1999-2001), et qui estimait que « la démocratie représentative devrait, autant que possible, être abolie dans le parti travailliste », a au moins le mérite de la constance. Quant à Starmer, pour un juriste de haut vol, pro-UE, qui prétend évincer la bouffonnerie dilettante faisant office de premier ministre de la cinquième puissance mondiale à ce jour, son mépris affiché pour le règlement interne du parti qu’il dirige, pour la Convention européenne des droits de l’homme, et pour le rapport dont il dit faire si grand cas, envoie un signal particulièrement inquiétant.
Corbyn est soumis à la logique d’un broyage qu’il n’a pas su combattre, voire, qu’il a accompagné en semblant penser que concessions, excuses publiques, sacrifices et nouvelles procédures disciplinaires – plutôt que contestation franche et argumentée de procès incessants[17] – permettraient de contenir les attaques quand en vérité, chaque recul face aux accusations d’antisémitisme vaut comme incitation pure et simple à poursuivre les récriminations culpabilisatrices. Rappelons que sur la question palestinienne, pour les militants de la droite pro-israélienne, Corbyn défendait le plus insupportable : le retour des réfugiés. Difficile d’imaginer que le moindre répit aurait pu être accordé à un défenseur d’une position si juste et si courageuse, un temps proche de devenir premier ministre de la cinquième puissance mondiale.
L’affaire n’était pourtant pas sans précédent: depuis le début des années 2000, la répression de la seconde intifada et la seconde guerre d’Irak, c’est toute la gauche anti-guerre, altermondialiste et solidaire de la Palestine qui est la cible du « nouvel antisémitisme ». En Grande-Bretagne, les membres du collectif Independent Jewish Voices, auteur.es de l’important recueil A Time to Speak Out[18], n’avaient ils et elles pas sonné l’alarme face à ces procès aux termes en tous points identiques à ceux des années 2017-2020 ? Fin octobre 2020, Corbyn, quant à lui, a très justement dénoncé l’écart béant qui sépare les réalités des plaintes pour antisémitisme dans le labour de la perception qu’en ont produit plusieurs années d’hystérisation du « débat » public. Mais trop tard.
Par une ironie cruelle, avec la suspension de Corbyn, après les assauts contre les figures de la gauche du parti avant lui, la nouvelle direction du parti aura su faire, à sa manière propriétaire, et sûr du soutien bienveillant de l’ensemble de forces du conformisme le plus hargneux, ce que la direction de gauche n’a pas su s’autoriser, elle, pourtant armée d’une base de centaines de milliers d’adhérent.es et de militant.e.s près à défendre un renouvellement en profondeur des structures du parti en général et du système de sélection des candidat.es parlementaires en particulier.
Starmer, « jour de honte » et fuite en avant dans le consensus nationaliste, militariste et policier
Un autoritarisme assumé a cru pouvoir se donner libre cours dans la certitude d’un consensus médiatique et politique bienveillant dès lors que le bloc de pouvoir de classe n’était plus indisposé par l’intrusion d’éléments allogènes.
Il faut toutefois être en mesure de s’équiper d’un motif moral préalable à la hauteur du coup de force purgatif à accomplir. Pour Starmer, serviteur sobre mais apparemment fidèle dans le gouvernement d’opposition Corbyn, qui n’aurait donc rien vu ni rien su, la parution du rapport signe un « jour de honte » et implore le pardon pour le parti.
La surenchère dans les signes de contrition au service d’une panique morale issue d’une conjonction de forces profondément droitières allie l’obscène et le dérisoire dans un cynisme proprement colossal. L’élite institutionnelle du labour britannique est celle qui a soutenu la guerre et les sanctions qui ont ravagés l’Irak pour des décennies et où sont nés des enfants difformes de mères contaminées à l’uranium appauvri, et qui une fois ces crimes de masse commis jugea collectivement inopportun qu’une commission d’enquête fasse la lumière sur ce que l’opinion publique avait bien saisi depuis le départ, à savoir, que les motifs de la guerre n’étaient qu’une litanie de fabrications mensongères ; cet establishment « modéré » est le parti qui à la fin des années 2000 a pris le tournant ouvertement pro-nationaliste en ne craignant pas d’emprunter, Blair et Brown en tête, au répertoire de l’extrême-droite ; c’est le parti parlementaire de l’acquiescement à l’austérité qui à partir de 2010 a plongé des millions de britanniques dans la misère au travail et fait explosé le nombre des enfants grandissant dans la pauvreté, des sans-abri, des suicides, de la mortalité liés à la pauvreté énergétique entre autres.
L’embarras du choix doit donc être réel : la droite travailliste a à sa disposition, en vérité, une année liturgique entière de « jours de honte ». Mais en choisissant celui servi par le Guardian, la BBC, LBC et les autres, réussira-t-on à faire oublier tous les autres ?
C’est donc cette élite du labour, « raisonnable », caution de crimes de guerre « modérés », qui, face à une montée des aspirations de toute une nouvelle génération à la justice sociale, fiscale, et environnementale, antiraciste et anticolonialiste, n’a eu de cesse de décourager, saborder, insulter et infantiliser tout ce qui pouvait permettre d’élaborer des réorientations historiques substantielles et durables de la société britannique. La suspension de Corbyn est l’aboutissement de ce processus de réaffirmation du droit de propriété sur le labour, dans un acte de guerre maintenant totale à l’encontre de la gauche (symboliquement rehaussé et coloré par le supplément que lui confère la dimension de trahison personnelle).
La possibilité d’une telle mesure contre Corbyn avait déjà circulé fin juillet[19]. La publication du rapport devait être l’occasion d’un coup d’ampleur, après l’éviction de Rebecca Long-Bailey (identifié à la gauche corbyniste) hors du gouvernement d’opposition au prétexte public qu’elle aurait cautionné une « théorie du complot » antisémite[20].
Un peu plus tôt, Starmer avait « discipliné » deux parlementaires noires, Diane Abbott et Bell Ribeiro-Addy, bien identifiées à la gauche du parti, pour avoir participé à une réunion en ligne avec des personnalités juives antisionistes de la gauche du parti, exclues suite à des accusations d’antisémitisme (mais pas pour antisémitisme compte tenu de l’absence de motif réel – dans ce cas est évoquée un dommage à la réputation du parti, par exemple).
Abbott et Ribeiro-Addy furent menacées de suspension pour avoir outrepassé l’interdiction de communiquer avec des militant.es exclu.es, fussent-ils juifs ou juives. La mesure disciplinaire était en l’occurrence réclamée par le Board of Deputies of British Jews (BoD), équivalent du CRIF, pro-israël en toutes saisons, pro-Trump et maintenant en mesure de formuler ses exigences Maccarthystes directement auprès de la direction travailliste qui avait d’emblée accepté les « dix engagements pour mettre fin à la crise de l’antisémitisme » demandés par cette organisation communautaire « a-politiquement » pro-tory.
Et de fait, Keir Starmer, qui, rappelons-le, a déclaré « soutenir le sionisme sans réserve », paraît bien ici s’être conformé à ces « règles » établies par le BoD. L’organisation socialiste Jewish Voice for Labour a depuis longtemps dénoncé les divers dangers d’une telle ingérence dans la vie du partie : usurpation du rôle de porte-parole des juifs et des organisations juives de Grande-Bretagne, atteinte à la liberté d’expression, culpabilité par association, etc…[21] Mais pour Starmer comme pour le BoD et Trevor Chinn (l’important donateur notoirement pro-Israël de la campagne de Starmer pour la direction du parti)[22], la judéité ne se vérifie qu’au seul critère du soutien à Israël en toutes circonstances.
La suspension de Corbyn prolonge et amplifie l’ambition d’une purge politique contre la gauche dans le parti, en cours non seulement depuis plusieurs mois, mais en vérité depuis plusieurs années si l’on tient compte de la violence de luttes internes contre toutes les figures – juives dans nombres de cas- de la gauche dans le labour sous le mandat de Corbyn lui-même. Les batailles et dommages internes de toute nature (démissions d’adhérent.e.s, d’élu.e.s -déjà en cours-, possibles rétorsions financières syndicales[23], exacerbations des divisions internes, voire éventuelles candidatures concurrentes dans de futures échéances électorales) ne manqueront pas de se poursuivre quelle que soit l’issue de la procédure disciplinaire.
Ce geste est porteur d’implication plus profondes encore. Il va de soi qu’il renforce un travail déjà intense de diabolisation de la gauche où qu’elle se trouve. Mais en outre, il contribue à normaliser une corrosion de plus en plus visible de la liberté d’expression et des libertés publiques. Il y a, comme on vient de le voir, les dispositions prises pour prévenir toute discussion sur le rapport de l’EHCR au sein du parti et l’atteinte faite à la convention européenne protectrice de la liberté d’expression, notée par le rapport.
Mais il faut maintenant noter que ces attaques graves se trouvent intervenir précisément au moment où le dirigeant de l’opposition travailliste demande à ses députés de s’abstenir sur des projets législatifs aux implications terribles pour les droits et libertés publiques. Le 5 octobre 2020, Starmer demanda aux élus parlementaires travaillistes de s’abstenir dans le vote du « projet de loi sur les sources secrètes de renseignements humain (conduite criminelle) », aussi dite « loi des flics -espions » (« Spycops Bill »)[24].
Cette nouvelle loi d’« autorisation des conduites criminelles » pour les besoins du renseignement, selon ses propres termes « prend des dispositions pour, et en lien avec, l’autorisation de conduites criminelles au cours de, ou en lien avec, la conduite de sources secrètes de renseignement humain » : désormais, les agences d’espionnage et de police peuvent perpétrer des crimes de torture et de meurtre dans le cadre de leurs opérations clandestines. Compte tenu de la longue histoire des infiltrations secrètes des organisations et des mouvements sociaux (syndicats, associations écologistes, anti-guerre ou de solidarité avec l’Irlande), certains agents allant jusqu’à vivre en couple avec des militantes et avoir des enfants avant de purement et simplement disparaître leur mission une fois remplie, on comprend d’emblée qui a vocation à être toujours plus ciblé par la malfaisance officielle de l’État profond[25]. Trente-quatre députés travaillistes (dont Corbyn) ont voté contre.
L’autre projet fait écho à celui-ci dans le cadre des « opérations extérieures » : l’« Overseas Operations Bill »[26] crée une immunité pour les personnels militaires qui, sur des théâtres d’opérations étrangers, font l’objet de poursuites en justice. L’une des dispositions restreint à cinq ans le délai pendant lequel des poursuites peuvent être engagées, qu’il s’agisse de crimes de guerre, de crime contre l’humanité, ou d’actes génocidaires, les uns et les autres pourtant censés être imprescriptibles. Une telle disposition prend tout son sens lorsque l’on a gardé à l’esprit le fait que jusqu’à trois générations après les crimes, les tortures, les massacres et complicités de massacres et les coups d’État du colonialisme britannique au Kenya, en Malaisie, en Iran, ou en Indonésie (par exemple), le pouvoir britannique a persisté dans le déni et l’obstruction contre les demandes de reconnaissance et de réparation, entretenant la « mémoire » d’un ordre impérial bienfaisant et d’une décolonisation réussie.
Comme l’explique le chercheur Binoy Kampmark, la loi se détourne des obligations contenues dans les conventions de Genève et se donne la possibilité de déroger à la convention européenne des droits de l’homme.[27] Mieux encore, peut-être : avec cette abstention, Starmer (avocat spécialisé dans les questions des droits de l’homme) et les députés qui le suivent passent outre l’inquiétude de nombre de juristes, pour se trouver à droite des hauts gradés militaires dont certains estiment encore que « nous ne devrions pas traiter notre personnel comme s’il bénéficiait d’une protection spéciale contre les poursuites […] Ce que nous devons faire, c’est enquêter en bonne et due forme afin que ceux qui méritent d’être poursuivis le soient »[28].
En revanche, pour John Healey, ministre de la défense du gouvernement d’opposition de Starmer : « Nous parlons ici d’affaires de tortures, de crimes de guerre, de négligence du ministère de la défense, de compensation pour des soldats blessés et pour les familles qui ont perdu des proches à l’étranger […] Pour ce qui nous concerne, sur les bancs du labour, nous travaillerons avec le gouvernement pour parfaire ce projet de loi »[29]. L’« Overseas Operations Bill » réinjecte une dose létale de ténèbres dans un avenir déjà infirme ; le labour parlementaire guide la seringue, opposition responsable oblige. Dix-huit élus travaillistes (conduits par Corbyn) ont voté contre, dont trois jeunes membres du cabinet fantôme, immédiatement débarqués.
Il est vrai, Starmer a bien fait savoir qu’il entendait désormais concurrencer les conservateurs du le terrain du patriotisme, orientation qui n’a pas échappé à sa ministre des affaires étrangères, Lisa Nandy. Comme l’a sobrement observé l’auteure Rachel Shabi : « Lisa Nandy sur Radio4 aujourd’hui sur ce qui a changé pour le Labour : ‘Nous défendons la Grande-Bretagne, nous défendons les britanniques, nous défendons les intérêts britanniques et c’est ce à quoi nous donnerons toujours la priorité [we will always put that first]’. Pigé. Dorénavant, ce sera la Grande-Bretagne d’abord [From now on it will be Britain first.] »[30]
« Lutte contre l’antisémitisme » : suite sans fin
Une chose paraît à peu près certaine désormais. La suspension de Corbyn ne résoudra pas la question de la « lutte contre l’antisémitisme », même en chassant ou en décourageant les adhérent.es qui avaient rejoint le Labour sous la direction du dirigeant socialiste. La première raison en est que le zèle de la nouvelle direction expose durablement cette dernière à des exigences sans fin dont le non-respect offrira alors l’occasion sans cesse renouvelée d’activer la panique morale entretenue autour du Labour depuis plusieurs années.
La co-présidente du parti conservateur, Amanda Milling, a d’ores et déjà écrit au dirigeant de l’opposition pour lui demander d’intervenir contre Len McCluskey, dirigeant du plus grand syndicat britannique (Unite) dont le Labour perçoit une part importante de ses financements. McCluskey est dénoncé pour avoir contesté la réalité de l’ampleur du problème de l’antisémitisme. Or, comme le lui rappelle la dirigeante conservatrice, Starmer n’a-t-il pas déclaré que ceux qui prétendent « qu’il n’y a pas de problème d’antisémitisme dans le Labour […] font aussi partie du problème [et] devraient se tenir à distance du parti travailliste ». Et comme s’en délecte le Jewish Chronicle, Boris Johnson a surenchéri en séance au parlement, se disant « très surpris » que le Labour continue d’accepter des fonds de Unite[31].
De son côté, l’organisation Campaign Against Antisemitism, à l’origine de l’enquête de l’EHCR et fort de l’audience du rapport, a dès la parution de celui-ci, écrit au secrétaire général et à Starmer pour exiger que des mesures disciplinaires soient engagées contre une série d’élu.es parlementaires travaillistes : les uns et les autres ont estimé que les plaintes pour antisémitisme dans le labour tenaient de la diffamation, contestation intolérable visant à s’en prendre à celles et ceux qui dénoncent l’antisémitisme[32]. Règle simple : qui conteste une accusation d’antisémitisme révèle par là-même sa nature antisémite, sa disposition intrinsèquement négationniste[33], par aveuglement ou complicité.
Restent les possibilités inédites ouvertes par l’arrivée de Tzipi Hotovely, nouvelle ambassadrice d’Israël en Grande-Bretagne depuis l’été 2020. Hotovely incarne la droite la plus dure au sein du Likoud. En décembre 2019 déjà, celle qui était encore ministre des colonies du gouvernement Netanyahu, s’en était vertement pris à la pourtant très loyaliste organisation communautaire, Board of Deputies of British Jews (BoD) qui avait cru bon de réaffirmer l’engagement en faveur de deux États.
Scandalisée par cette position, Hotovely déclara :
« il n’y avait eu aucune consultation préalable [par le BoD] ni avec le ministère des affaires étrangères du gouvernement israélien, ni avec notre ambassadeur, ni avec aucune autorité politique […] Dans chacune de nos rencontres avec les organisations juives et les politiciens partout dans le monde, le premier ministre, le ministre des affaires étrangères et moi-même, nous rappelons avec insistance que l’idée d’un État palestinien est une chose à laquelle Israël s’oppose totalement […] Une organisation qui soutient l’établissement d’un État Palestinien œuvre clairement contre les intérêts d’Israël. Il est important de le dire explicitement : un État Palestinien est un danger pour l’État d’Israël […] Nous faisons tout ce qui nous est possible pour consolider le statut légal des colonies – à l’opposé de toute idée de diviser la terre »[34].
Hotovely assure la liquidation ultime de l’illusion du projet à deux États, anéanti de longue date par Israël. Trois issues, alors : l’alignement pur et simple général sur la position de l’extrême-droite israélienne dans une convergence « naturelle » des montées nationalistes du moment ; la généralisation de « l’antisémitisme » présumé inhérent à la critique d’Israël, Starmer et BoD inclus ; l’écrasement de toute liberté d’expression et l’imposition du silence sur le sujet dans l’espoir d’éviter l’une et l’autre des éventualités précédentes. La direction travailliste semble avoir opté le monde du silence en cherchant à boucler toute possibilité de discussion dans le parti sur la suspension de Corbyn comme sur le rapport. Mais il est vrai : quand on dit soutenir le sionisme « sans réserve », il faut alors savoir se montrer à la hauteur.
*
La signification de la suspension de Corbyn par les instances du parti travailliste va bien au-delà des affrontements internes au Labour britannique. Par ses motifs, ses conditions, et par le contexte politique dans lequel elle intervient, elle offre un signal remarquable d’une involution autoritaire plus générale de démocraties libérales dysfonctionnelles et en phase accélérée de corrosion des vertus qu’elles revendiquent et prétendent brandir au monde en exemple. Au nom de la « lutte contre l’antisémitisme » dans laquelle des non-juifs dénoncent et instruisent les procès de nombre de juifs, ou contre « l’islamo-gauchisme », ou plus classiquement, contre le « communisme »[35], les tenants d’un ordre devenu intenable nourrissent puis s’autorisent des paniques morales du moment pour sonner la charge contre ces fondements du libéralisme qu’ils prétendent défendre : pluralisme politique, liberté d’information, liberté d’opinion, éducation « libérale », libertés académiques et indépendance de la recherche, libertés publiques et individuelles, droit de manifester, droit de grève…
Il demeure qu’au moment où l’on écrit ces lignes, Starmer, loin d’être parvenu à établir sa stature de chef, paraît s’être exposé à une possible débâcle interne comme externe : politique, médiatique et potentiellement juridique suite à la demande de communication, par les avocats de Corbyn, des correspondances internes préalables à la décision de retrait du whip. Le parti au pouvoir, responsable de dix années de désastre social ne pouvait rêver d’une opposition aussi résolue… à se saborder elle-même quoi qu’il arrive. Chaos, confusion, sectarisme, mépris des simples règles de droit qu’il incombe maintenant à la gauche de tenter de défendre : le parti travailliste britannique à au moins le souci de vivre avec son temps.
Notes
[1] A. Tosel utilisait la distinction que fait la langue italienne entre libéralisme économique (liberismo) et libéralisme politique (liberalismo).
[2] Pour être d’emblée tout à fait clair, l’auteur de cet article tient pour impératif de faire une distinction claire et explicite entre les réalités recouvertes par « Israël », « le sionisme », « les juifs » : nombre de supporters d’Israël au mains de l’extrême-droite annexionniste ne sont pas juifs, voire, sont ouvertement anti-juifs, voire, dans le cas de nombres d’évangélistes nord-américains, attendent une nouvelle extermination des juifs selon leur lecture « dispensationaliste » des prophéties bibliques . Dans le même temps, un nombre croissant de juives et de juives à travers le monde marquent et organisent leur réprobation et leur contestation de la politique des dirigeants d’extrême-droite israéliens s’arrogeant le droit de parler et d’agir en leur nom. La prise en compte des questions relatives à la politique israélienne et sa critique est rendue inévitable ici dans la mesure où l’ensemble du procès en antisémitisme contre la gauche travailliste anti-raciste et anti-colonialiste est instruit par de très fervents adeptes de l’amalgame le plus strict entre « juifs » et « Israël », et dans la mesure où, par conséquent, la question de la lutte contre l’antisémitisme n’est conçue qu’au travers de ce prisme politique étroitement nationaliste et de plus en plus ethniciste.
[3] « Nous avons trouvé deux [2] cas de pratiques indirectement discriminatoires [en lien avec l’ethnicité juive] par le parti travailliste ». Rapport de la Commission pour l’égalité et les droits humains (EHRC), Investigation into Antisemitism in the Labour Party, oct.2020 [période 2015-2020] p. 22. Rappelons que les effectifs du parti travailliste en mai 2015 (soit quatre mois avant l’élection de Jeremy Corbyn) étaient de 190 000, en juillet 2016 de 515 000, en décembre 2017 de 564 443, en décembre 2018 de 518 659 et en juillet 2019 de 485 000.
[4] Sa directrice, Pavita Cooper, a recueilli des fonds pour le parti conservateur, activité qu’elle n’a jamais déclarée. https://skwawkbox.org/2020/06/26/ehrc-director-failed-to-declare-donations-to-tory-party/
[5] https://skwawkbox.org/2020/07/30/former-ehrc-black-and-muslim-directors-say-they-lost-their-jobs-for-being-too-loud-about-racism/
[6] Pour des analyses de ce cheval de Troie pro-tory, cf par exemple : https://jacobinmag.com/2020/10/labour-antisemitism-report-ehrc-corbyn-commission
[7] Ces données et quelques autres règlent cette question depuis plusieurs années. C’est dans le labour que se rencontre le moins de stéréotypes classiquement anti-juifs ; entre 2015 (première enquête Yougov) et 2017, soit après deux années de direction Corbyn et un afflux de 300 000 nouveaux adhérents, ces chiffres déjà faibles, et plus faibles que partout ailleurs, étaient en recul. Contrairement à toutes les affirmations répétées sans fin ces trois dernières années, l’arrivée de Corbyn à la tête du labour n’a pas entraîné de « retour » de l’antisémitisme. Elle s’est traduite par exactement le contraire. Nous contemplons ainsi une version britannique et politiquement et institutionnellement consolidée du débat toxique apparu en France au début des années 2000 et dans lequel, contre les données fournies par les enquêtes de la CNCDH et les analyses d’une spécialiste telle que Nonna Meyer, la thématique du « nouvel antisémitisme » (de la gauche altermondialiste et des jeunes populations d’origine arabes) portée notamment par la médiocrité prolifique du complotiste spécialiste du complot, P-A Taguieff, reçut un écho largement favorable et fournit l’attirail idéologique de persécutions multiples et prolongées (celles du chercheur Pascal Boniface et du journaliste et auteur Charles Enderlin, n’étant que les plus connues).
[8] https://www.jewishvoiceforlabour.org.uk/article/boris-johnson-book-depicts-jews-as-controlling-the-media/
[9] https://www.middleeasteye.net/opinion/ehrc-labour-antisemitism-starmer-corbyn-soul
[10] https://tonygreenstein.com/2020/10/starmer-declares-war-on-the-left-its-about-time-to-declare-war-on-him-we-demand-the-reinstatement-of-jeremy-corbyn/
[11] Confusion que le documentaire diffusé par la BBC pendant l’été 2019 – « Is Labour antis-semitic », pratiqua avec un zèle qui scandalisa nombre d’observateurs : les témoins « lanceurs d’alerte » du documentaire étaient ces mêmes cadres du siège du parti qui, jusqu’à leur départ, s’étaient précisément employés à saboter le travail de la direction. Suite aux dénonciations de ce double-jeu, les « lanceurs-d’alerte » portèrent plainte pour diffamation (et naturellement, le remise en cause de leur témoignage devait être une preuve supplémentaire de « l’aveuglement », ou pire, des « corbynistes ». En dépit du consensus juridique sur la nullité des chances de la dite plainte, la nouvelle direction du parti prit les devants sans consultation des instances pour une indemnisation à l’amiable de 600 000 livres sterling. Il est vrai qu’une suite en justice aurait risqué d’exposer la vacuité du grand récit si laborieusement construit sur « l’antisémitisme institutionnel » du parti.
[12] Cf. les cas de Rhea Wolfson et plus encore de Jo Bird. candidates pour siéger au Comité exécutif national du parti. l’hostilité et les obstacles créés pour la première tenaient au soutien qu’elle avait reçu du courant Momentum et sans doute aussi à son sionisme jugé trop hésitant, ayant été membre du New Israel Fund jusqu’en 2015. https://electronicintifada.net/blogs/asa-winstanley/labour-anti-semitism-witch-hunt-claims-new-victims . La guerre d’usure contre Jo Bird est la même qui a été menée contre toutes les figures socialistes dans le parti. Bird, solidaire du célèbre militant anti-raciste expulsé, Marc Wadsworth, a déclenché un déluge d’indignations hypocrites en jouant facétieusement sur l’expression « due/jew process » : les militant.es accusées d’antisémitisme, déclarait Bird, devaient avoir à un traitement équitable, en bonne et due forme / un traitement juif (« due/ jew »). On prétendit y connaître une preuve supplémentaire de l’antisémitisme galopant dans la gauche (juive, nb) du parti. Le bruit national autour du jeu de mot de Jo Bird (dont l’implication comporte une célébration d’une éthique juive de la justice !), résume la part du ridicule sordide de toute cette séquence et l’atroce conformisme médiatique qui lui a permis d’encore prétendre au sérieux et au pathos d’une nouvelle « cause célèbre ». Au catalogue des insultes faites à la mémoire de la persécution et de l’extermination des juifs d’Europe, les contorsions grimacières induites par « jew process » devraient avoir droit à une place de choix. https://www.jewishvoiceforlabour.org.uk/article/cllr-jo-birds-suspension-lifted/
[13] L’un des deux cas tenait au soutien apporté par Ken Livingtsone apporté à la parlementaire Naz Shah suite à l’émoi suscité par une image postée sur un réseau social: on y voyait les contours d’un État d’Israël relocalisé au milieu des États-Unis et accompagné du commentaire « problème résolu ». Cette image et l’argumentaire assez humoristique qui l’accompagnait étaient empruntés au site du chercheur et auteur Norman Finkelstein et comme l’a noté Jonathan Cook (spécialiste des questions israélo-palestiniennes basé à Nazareth), dirigeait son ironie en premier lieu contre la politique américaine. https://www.jonathan-cook.net/blog/2016-05-03/the-true-anti-semites-past-and-present/#sthash.r4y3hQg3.0op1JmVB.dpuf On voulut toutefois y voir une allusion scandaleuse à la déportation des juifs d’Europe. Pour une analyse de l’épisode : https://www.medialens.org/2016/anatomy-of-a-propaganda-blitz-part-2-hitlergate/
[14] https://www.equalityhumanrights.com/en/publication-download/investigation-antisemitism-labour-party p.27
[15] « Local partie warned by labour not to reject EHRC report », Sienna Rodgers, Labour List, 29 oct. 2020 https://labourlist.org/2020/10/exclusive-local-parties-warned-by-labour-not-to-reject-ehrc-report/
[16] https://www.jewishvoiceforlabour.org.uk/statement/labour-policy-not-competent-business-for-members/
[17]Cf. sur l’ensemble de ces épisodes et les faiblesses des réponses du Labour, Philo, Berry, Schlosberg, Lerman, and Miller, Bad News for Labour : Antisemitism, the Party and Public Belief, Pluto Press, 2019.
[18] Verso, 2007
[19] https://twitter.com/acailler/status/1285840008885215233
[20] R. Long-Bailey avait retweeté un article de l’actrice Maxine Peake dans lequel, Peake faisait le lien entre la technique policière du genou sur la nuque avec laquelle George Floyd fut mis à mort et les formations que la police israélienne vient dispenser à ses homologues nord-américains.
[21] https://www.jewishvoiceforlabour.org.uk/statement/response-to-board-of-deputies-10-pledges-document/
[22] Et dont Starmer n’a publié la donation (£62000) qu’après son élection à la tête du parti.
[23] Sept organisations syndicales, dont la plus grande, Unite, ont publié un communiqué commun contre cette suspension: https://labourlist.org/2020/10/exclusive-unions-release-joint-statement-on-labour-suspension-of-corbyn/
[24] « Covert Human Intelligence Sources (Criminal conduct) Bill » : https://publications.parliament.uk/pa/bills/cbill/58-01/0188/200188.pdf
[25] Sur la loi et la filiation récente qu’elle prolonge, cf. Shabir Lakha, « The SpyCops Bill is an attack on us all: it must be resisted », Counterfire, 30 oct. 2020 https://www.counterfire.org/articles/opinion/21772-the-spycops-bill-is-an-attack-on-us-all-it-must-be-resisted
[26] https://services.parliament.uk/Bills/2019-21/overseasoperationsservicepersonnelandveterans/documents.html
[27] Binoy Kamplark, « Britannic impunity : torture and the UK Overseas Operations Bill », Countpunch, 20 oct. 2020, https://www.counterpunch.org/2020/10/20/britannic-impunity-torture-and-the-uk-overseas-operations-bill/
[28] Déclaration du général Nick Parker au Financial Times, cité par Robert Stevens, « Tory legislation legalising war crimes by UK troops goes forward thanks to labour party », World Socialist Website, 25 sept 2020, https://www.wsws.org/en/articles/2020/09/25/over-s25.html
[29] Ibid.
[30] https://twitter.com/rachshabi/status/1308290848673718272 R Shabi, connue pour ses positions à gauche, signale la connivence rhétorique avec l’extrême-droite Trumpienne (ou lepéniste). Mais « Britain First » se trouve également être, en l’occurrence, le nom un groupuscule d’ultra-droite britannique (un temps retweeté par Trump lui-même).
[31] https://www.thejc.com/news/uk/tory-chair-writes-to-starmer-over-labour-s-unite-funding-highlighting-mccluskey-s-record-on-antisemitism-1.508202
[32] https://jewishnews.timesofisrael.com/antisemitism-group-to-make-complaints-against-individual-mps-amid-ehrc-report/
[33] Conformément à l’étendue sans limite que confère l’historienne Deborah Lipstadt au négationnisme dit « softcore ». Cf. son Antisemitism Here and Now, Schocken, 2019.
[34] https://israelbehindthenews.com/2019/12/09/israeli-deputy-foreign-minister-tzipi-hotovely-criticized-the-british-board-of-deputies-on-friday-for-including-support-for-a-palestinian-state-in-the-manifesto-they-would-like-politicians-to-commit-t/
[35] Ce fut le cas de toute une partie de la campagne pro-Trump contre Biden et Harris dans le cadre de l’élection présidentielle aux Etats-Unis en 2020, ou de J. Bolsonaro au Brésil en 2018.