Au service de quoi ? Les casse-tête actuels de l’université dans un contexte de globalisation inéquitable
Il y a quelques semaines, la France a refusé d’accorder des visas à trois étudiants angolais qui devaient se rendre à la conférence sur « L’inconscient colonial », tenue à Villeneuve/Toulouse. Leur professeure, Catarina Antunes Gomes, dont nous publions ci-dessous le texte (préparé en vue de cette conférence), a elle-même refusé d’exécuter le déplacement. On pourra lire ici un récit par Catarina Antunes Gomes de cette « forfaiture ordinaire », et ici une lettre ouverte de protestation signée par des universitaires.
Catarina Antunes Gomes est professeure de sociologie à l’université Agostinho Neto, Luanda (Angola), et chercheure au Centre d’études sociales à l’Université de Coimbra (Portugal). Parmi ses publications les plus récentes : «The good silences: the absolute value of the future» (2016, Dynamics of social reconstruction in post-war Angola. Arnold Bergstraesser Institut); «The broken mirrors of Narcissus: dialogues about history and memory in postcolonial Angola (2014, Asylon(s), nº10); «When Sophia hears Miguel or trying to transcend abyssal lines: why does it matter to Europe? (2013, Oὖτiς! Revue de Philosophie (post)européenne, n°4).
Introduction
Les différences des modèles institutionnels, des habitudes d’attribution des bourses, des agendas culturels et scientifiques, des environnements politiques et sociaux, les difficultés économiques ne constituent que quelques unes des forces importantes qui montrent la diversité des systèmes d’enseignement du supérieur[1].
Toute approche critique des défis actuels requiert à la fois la prise en compte de toutes ces forces dans une perspective historique et la projection dans un futur souhaitable, c’est-à-dire une méditation profonde sur les rôles de l’université et ses responsabilités sociales et historiques. Ceci nous ramène au titre de cet article et à l’interrogation première qu’il implique : Au service de quoi ? Les casse-tête actuels de l’université dans un contexte de globalisation[2] inéquitable.
Malgré cette diversité, il est possible à l’heure actuelle d’identifier des tendances globales qui, simultanément, d’un côté laissent en proie à un certain nombre de questions et de perplexités, et d’un autre côté produisent un recadrage institutionnel, culturel et économique de l’idée et de la pratique de l’université. Ainsi, on pourrait peut être commencer cet exercice par s’interroger sur comment les modes de globalisation courants et hégémoniques posent des défis concrets dans deux termes opposés, les espoirs et les peurs. L’espoir – ou la peur pour certain-e-s – de mettre en place des systèmes d’enseignement supérieur capables de communiquer, de coopérer entre eux et avec leurs sociétés afin de réinventer le rôle de citoyen cosmopolite. Ou encore, la peur – ou l’espoir pour d’autres – de voir s’établir une forme de discours et de pratique normative et univoque dans laquelle l’université tendrait à réduire ce que devrait signifier un citoyen cosmopolite à des référents particuliers (économiques, politiques et identitaires) qui aspirent à l’universalité. Ceci signifie, se demander si l’idée même de l’université est de penser l’univers dans toutes ses différences et surtout dans le dialogue, ou si elle est de produire un univers envisagé comme une totalité auto-référentielle dans un sens fermé, disciplinaire.
À l’heure actuelle, il est communément admis que ce que l’on appelle « globalisation » peut à la fois opérer sur un axe de mise en commun et sur un axe de différenciation. Par conséquent, il est crucial de se demander de quelle manière et pour qui cela fonctionne comme une dynamique de mise en commun ou de mise à distance (différenciation/discrimination). Ceci implique directement de regarder de près comment la globalisation est vécue dans différents lieux d’énonciation.
Le corpus qui traite de la globalisation est vaste et se décline dans un large éventail de champ d’expertise. Une partie importante de cette littérature a développé une critique multidimensionnelle du modèle hégémonique des processus actuels de globalisation. La critique est souvent résumée à une critique de « l’hégémonie néolibérale ».
Comme élément central de la globalisation hégémonique, on retrouve l’émergence historique de l’orthodoxie néolibérale dans la transformation de la gouvernance comme problème de légitimité en son sein en un problème de gouvernementalité.
Dans les années soixante-dix le défi posé par plusieurs mouvements sociaux était celui de renforcer l’inclusion et la participation, c’est-à-dire à la fois de renforcer la vie démocratique et l’idée de contrat social. Les années suivantes ont vu se redéfinir internationalement cette quête de légitimité démocratique en une crise de gouvernementalité, qui passait par la restriction des aspirations sociales portées par l’État. Derrière le fameux consensus de Washington se dessinait cette redéfinition d’un nouveau régime suivant les principes d’un « État minimal » : libéralisation, privatisation et participation de la société civile (comprise comme les acteurs sociaux et aussi les marchés, ce qui devient la base des modèles de gouvernance) (cf. Chomsky, 1999; Santos, 2005). Dans ce contexte, un processus significatif de « dépolitisation politique » a émergé, dans lequel le politique est réduit à une technocratie procédurière qui entretient une forme d’inéluctabilité du cours nécessaire de l’histoire, du manque absolu d’alternatives[3]. Le développement du capitalisme global trouve là un terrain plutôt fertile.
Quels ont été les principaux résultats et conséquences de ce modèle de globalisation néolibérale pour les systèmes d’éducation supérieure et pour l’idée de l’université ? Un grand nombre de critiques, de différentes traditions et de différents lieux d’énonciation, ont montré non seulement les multiples erreurs des réformes en cours des systèmes d’éducation supérieure, mais aussi leurs effets très problématiques aux niveaux scientifiques, politiques et éthiques[4].
Sabelo J. Ndlovu-Gatsheni, dans la Colonialité du pouvoir en Afrique postcoloniale, les mythes de la décolonisation [Coloniality of power in postcolonial Africa. Myths of decolonization, non traduit en français], publié en 2013 se concentre sur l’impérialisme global néolibéral, ses effets sur les structures de pouvoir et la colonialité du savoir. En fait, par exemple, en critiquant la « culture de l’audit », « la commercialisation des institutions d’éducation supérieure » et la « dévaluation des sciences humaines et sociales », l’auteur met en avant « la colonisation de l’imaginaire africain et le déplacement des savoirs africains » ainsi que la permanente mise en forme de « valeurs globales » (2013: xi). Pour sa part, dans un essai, intitulé Privatise ou soit damné. Afrique, globalisation et fondamentalisme capitaliste [Privatize or be damned. Africa, globalization and capitalist fundamentalism, in Secure the base, Making Africa visible on the globe, Seagull books, 2016, non traduit en français], Thiong’o explique comment les formes actuelles de la globalisation capitaliste se sont intensifiées et contribuent à l’émergence d’un « fondamentalisme capitaliste » accolé à la croyance qu’« il n’y a pas d’alternative » (2016).
Jon Nixon rend compte de tendances similaires. En ce qui concerne les modèles institutionnels de l’éducation supérieure, il parle de l’érosion d’une éthique du service public et de la consécration d’un modèle d’organisation toujours plus managérial, administratif et tourné vers l’efficacité. Il nous met aussi en garde contre l’augmentation du niveau de précarité dans l’université et dans les métiers de la recherche, créant une sorte de nouveau sous-prolétariat hautement qualifié, une sorte d’armée de réserve. Un autre souci dans la perversité de ces formes aseptisées de compétition à l’intérieur même des institutions et entre elles, est la production de nouvelles dynamiques de marginalisation et de formes douces d’exclusion de personnes et d’institutions. Dans la lignée de Ndlovu-Gatsheni, l’auteur parle aussi du « piège idéologique » de présenter ces politiques comme inévitables. Cette naturalisation de la politique est une force d’acceptation coercitive d’un présent et d’un futur dans lequel la capacité d’agir humaine, sa liberté, son désir compte pour moins que rien. La même naturalisation conduit souvent à la dépolitisation – dépolitisation du savoir, dépolitisation de l’éducation et dépolitisation de l’existence.
À propos de savoir, d’éducation et d’existence
Par l’expression de dépolitisation du savoir, je souhaite mettre l’accent sur la manière dont des formes insidieuses d’imagination positiviste se font présentes dans nos pratiques. Avec cette formulation conceptuelle, je souhaite aussi alerter sur le retour de certaines valeurs comme critères de validité, à savoir l’objectivité et l’efficacité, entre autres. Le débat à long cours entre des modèles d’objectivité adopté et développé dans la hiérarchisation classique des savoirs scientifiques peut toujours se présenter dans le monde académique et dans les attentes sociales. La culture du fait, de la date, de la prévision numérique comme manière d’apprivoiser le hasard est, en fait, ironiquement mise au centre dans un contexte global dans lequel augmente la vulnérabilité et l’imprévisibilité. Les intérêts pragmatiques, les discussions scientifiques et épistémologiques constituent des manifestations éloquentes de ces implications[5].
Mais peut-être que le cœur de toute critique faite au savoir dépolitisé est d’alerter quant à la négligence d’une vigilance épistémologique et de la nature sociale, culturelle, historique de tout savoir. Cette négligence renforce l’impression que, par exemple, la science est monoculturelle (Voir Feyerabend, 1993). Cela renforce aussi une cécité envers le savoir politique, ses responsabilités éthiques, tout autant que sa nature culturelle et historique. Finalement, les demandes de reconnaissance d’une diversité épistémologique et/ou d’une décolonisation épistémique sont neutralisées, vues comme des absurdités ou des excentricités.
La naturalisation produit toujours une légitimation. Mais une forme spécifique de légitimation : une qui ne vient pas de l’effort, de l’inventivité, de la transgression, du choix conscient, mais une qui vient de la sédimentation et d’un apparent manque de choix. La mauvaise foi a envahi et tué l’imagination dirait Sartre. Cette idée d’absence – absence de choix ou d’alternative – est désabusée. On perpétue et on intensifie le présent. On renonce à sa capacité d’agir. On se plaint. La complaisance avec les méthodologies, les principes épistémiques consacrés, la production de l’objet désiré ou du fait nécessaire. La science comme machine. Le savoir comme marchandise. L’université comme usine. Et ici la notion foucaldienne classique de docilité émerge une fois de plus dans la forme totalement aveuglante de l’existence dépolitisée.
De nouvelles formes de docilité voient le jour et l’éducation en est un instrument par excellence. L’éducation a toujours joué un rôle crucial dans la distribution du savoir validé et dans le discrédit d’autres formes de savoir, dans la légitimation des rôles sociaux et des identités reproduisant fréquemment des discriminations anciennes du type genre et race et d’autres, plus contemporaines comme l’âgisme et l’illettrisme technologique. Ainsi, l’éducation peut être vue en soi comme contribuant aux processus de reproduction sociale, mais aussi au renforcement de manières hégémoniques de penser le monde. On pourrait ici faire référence aux travaux de Pierre Bourdieu, Paulo Freire, Edgar Morin et Thiong’o. Thiong’o, par exemple, argumente que le lieu le plus important de la domination coloniale :
«… était l’univers mental du colonisé, le contrôle par la culture de comment les personnes se perçoivent elles-mêmes et en relation avec le monde. Le contrôle économique et politique ne peut jamais être aussi complet et effectif sans le contrôle mental. Contrôler la culture d’un peuple c’est contrôler les outils de définition de soi en relation avec les autres. » (1986: 16).
En effet, on pourrait relire l’histoire et lister les usages de l’éducation pour forger des identités, du sens commun, de l’imagination et des horizons de possibles. Je peux me rappeler de ma mère à qui on a enseigné « l’économie de la vie domestique ». Je peux me rappeler de mon père qui a appris dans un séminaire catholique les nécessités de l’évangélisation. Et je peux me rappeler leur désabusement et leur quête obsédée pour se trouver eux-mêmes. Je peux me rappeler des manuels d’école élémentaire de mes tantes, je peux me rappeler les photos des peuples primitifs et des hymnes pour célébrer la Portugalité. Avec quoi et comment on leur a enseigné à penser ? (et à nous ? )
Plus tard, j’ai appris comment les règles coloniales portugaises avaient investi l’éducation des indigènes à partir de 1961, au moment précis où émergent au Mozambique et en Angola des luttes pour la libération. En Angola, ces politiques sont officiellement baptisées « la bataille pour l’éducation ». Encore Foucault. Les notions de pouvoir disciplinaire et de biopolitique sont les paysages latents. Et Mudimbe. La pratique massive de la conversion. En lisant des documents du Cabinet de l’armée portugaise contre la subversion en Angola, on apprend, par exemple, comment les écoles ont été importantes pour coopter des populations, pour dérouter l’adversaire, en créant un « ennemi » et, pour aliéner le peuple dans l’idée de le faire adhérer à l’idéal de la Portugalité qui l’a, pourtant, toujours éludé[6]. D’un autre côté, les mouvements de libération, comme le MPLA[7] ont insisté fortement sur l’importance de l’éducation et créèrent des centres appelés « centre pour l’éducation révolutionnaire » (Centros de Instrução Revolucionária). L’éducation était clairement politique. Elle était vue comme cruciale pour dépasser l’aliénation précisément produite par le biais de l’éducation. Après l’indépendance et avec l’adoption du marxisme-léninisme, le MPLA, alors un parti d’avant-garde, a continué à utiliser l’éducation comme un moyen pour donner vie à un « nouvel homme », c’est-à-dire une nouvelle subjectivité nourrie du colonialisme, du libéralisme, des attitudes bourgeoises et du tribalisme. L’éducation comme sphère de projets de société rivaux.
Et qu’en est-il maintenant ? Envisageons brièvement les politiques internationales de l’éducation et prenons un exemple empirique : l’Union Européenne. Depuis 2000, le discours politique est construit autour de la notion de société et d’économie des savoirs. Il se centre lui-même sur l’importance de l’éducation pour faire face aux défis sociétaux.[8]
L’innovation technologique rapide, les risques de l’obsolescence, la course à la compétitivité, les réformes de l’État-providence, l’individualisation des risques, la flexibilité du travail et l’adaptabilité de toutes et tous demandée par les marchés, la globalisation, la croissance économique… tout cela demande une ré-orientation des politiques de l’éducation. Dans ce contexte, les systèmes et les politiques d’éducation se voient attribués deux rôles fondamentaux. Un, d’assurer l’employabilité et, de ce fait, le taux de croissance. Deux, de s’assurer que les individus ont leurs propres outils et ressources pour s’adapter à la précarisation de la relation au travail et à l’augmentation de la vulnérabilité sociale.
Actuellement, l’employabilité est définie comme la capacité individuelle à être attirant-e pour le marché du travail. Le second rôle attribué à l’éducation pourrait se résumer par l’étiquette de citoyenneté. Une alliance conceptuelle se fait alors : une alliance entre citoyenneté et employabilité, dans laquelle le dernier terme devient un élément essentiel du premier. C’est, en assurant l’intégration sociale que l’employabilité devient la route privilégiée vers la citoyenneté[9]. En effet, la citoyenneté est de plus en plus interprétée comme une capacité individuelle à rendre des compte sur son propre parcours biographique. Dans ce sens, les notions de citoyenneté et d’employabilité pourraient être critiquées et déconstruites en tant que stratégies (bio)politiques qui visent à la dissémination de nouveau profils socio-politiques de subjectivités capables de servir les besoins des marchés[10].
En fait, ce n’est pas nouveau, mais la force des arguments et des politiques a été admirable. L’éducation a été massivement réorientée pour investir dans l’employabilité. De nouvelles formes de hiérarchies institutionnalisées entre les branches du savoir, entre STEM (science, technology, engineering, and mathematics [science, technologie, ingénierie et mathematique]) et les humanités[11] ont été de plus en plus largement adoptées. Des politiques d’apprentissage tout au long de la vie ont été mises en place pour devenir une pratique commune de remise à niveau du profil professionnel et éviter l’obsolescence des personnes. Les besoins du marché sont devenus les critères fondamentaux pour définir ces curricula, pour financer de la recherche, pour éduquer les personnes. « Il n’y a pas d’échappatoire », nous dit-on. Docilité. Pouvoir disciplinaire. Biopolitique. Éducation comme technologie de production de soi.
L’éducation est-elle dépolitisée dans ce contexte ? Parfaitement, si l’on considère son instrumentalisation réductrice. Mais une éducation dépolitisée est toujours politiquement produite. Cette restructuration de l’éducation comme technologie de production de « soi » valides peut être mise en relation avec ce que Santos désigne comme le « fascisme social ». Dans la perspective de l’auteur, le fascisme social ne veut pas dire le retour des expériences fascistes historiques. Cela signifie l’ « émergence de relations sociales qui produisent des inégalités tellement accentuées entre les citoyens ou les groupes sociaux que les dispositifs de protection de la démocratie valent bien peu » (Santos, 2012: 132). Étant donné la primauté accordée aux besoins du marché, un éventail de nouvelles formes d’exclusion apparaît, à partir duquel on se retrouve témoin d’une augmentation des restrictions en terme d’accès au contrat social. En ce qui concerne le marché du travail plus précisément, le fascisme social devient « une nouvelle forme d’état naturel qui prolifère dans l’ombre du contrat social » ; celui-ci est caractérisé par deux principales logiques structurelles. Premièrement, le post-contractualisme qui est, « le processus par lequel les intérêts sociaux et ceux des groupes qui jusqu’à maintenant étaient inclus dans le contrat social en sont exclus avec aucun espoir de pouvoir le réintégrer ». Deuxièmement, le pré-contractualisme entendu comme « le blocage de l’accès à la citoyenneté de groupes qui auparavant étaient considérés comme des candidats à la citoyenneté » (Santos, 2007: 17). Dans ce sens, le mode d’éducation dominant dans notre système-monde capitaliste peut être mis en lien avec la production active de nouvelles formes de docilité bien que soit célébrées l’individualité, la créativité, l’autonomie et l’innovation, pour ne mentionner que quelques unes des valeurs centrales de notre ethos contemporain.
En fait, on peut mettre en relation, d’un côté, une éducation dépolitisée qui repose sur une érosion des humanités, et, de l’autre, le trépas de la citoyenneté et de la démocratie (Giroux; Giroux, 2006). Les humanités cultivent les qualités essentielles à la vie démocratique et cela inclut la pensée et l’action critiques et indépendantes, le refus de l’obéissance gratuite, des pouvoirs autocratiques et la possibilité de se lancer dans des formes d’imagination enflammées dans lesquelles la reconnaissance d’une vulnérabilité partagée pavent le chemin des citoyens du monde. D’un autre côté, du fait de ses pratiques de réflexion sur les recoupements entre science, société, politique, etc., les humanités ont le potentiel d’élargir la base sociale de la production du savoir et de la prise de décision, contribuant en cela à la démocratisation de ces processus. Dans un texte récent, Les humanités scientifiques (2014), Bruno Latour lance un appel pour une « épistémologie démocratique ». Pour Nussbaum : « Les démocraties ont de grands pouvoirs rationnels et imaginatifs. Elles tendent aussi à avoir de sérieux défauts en termes de raisonnement, d’esprit de clocher, de précipitation, de manque de soin et d’étroitesse d’esprit. L’éducation basée principalement sur le marché global célèbre ces manques, qui produisent une fermeture d’esprit cupide et une docilité techniquement formée qui menacent la vie même de la démocratie, et entravent la création d’une culture mondiale décente. » (2010: 142).
En ce qui concerne les systèmes d’éducation supérieure européens, la réforme de Bologne était un aboutissement. Le processus de Bologne est une réforme européenne des systèmes d’éducation à l’intérieur même de l’Union dans l’optique de créer un espace européen harmonisé en termes d’éducation supérieure[12]. Aujourd’hui ses impacts sont assez visibles. Ils vont, par exemple, de la transformation de certaines universités publiques en fondations privées ou semi-privées en passant par les systèmes de classement dominants ou les évaluations bibliométriques. La philosophie de Bologne n’est pas une exclusivité de l’Europe, elle ne se limite pas non plus au nord globalisé. Cela n’est qu’une manifestation particulière et située d’une tendance globale mise en branle par la globalisation néolibérale. Considérons maintenant deux autres manifestations de cette tendance globale, manifestations qui elles aussi sont plutôt largement répandues dans le monde. L’une se rapporte à l’ennuyeuse question : quelle est la valeur des humanités ? L’autre envisage des méthodes d’apprentissages qui deviennent de plus en plus populaire dans une variété de champs et de cadres institutionnels (l’APP – l’apprentissage par problèmes). En dernier lieu, une fois ces problèmes discutés, nous envisagerons de décrire le système de l’enseignement supérieur angolais.
Les humanités ont-elles une valeur ?
En général, les défis contemporains des humanités produisent deux effets qui se replient l’un sur l’autre. D’un côté, les humanités sont relocalisées dans une position particulière : elles doivent se justifier. C’est un effet radical dans le sens où en demandant une réponse intelligible de la part de ce champ (c’est-à-dire une qui pourrait être appréhendée par les conceptualisations dominantes qui affirment ce qu’une science doit être), le questionnement porte sur l’utilité de son existence. Pour avancer cette idée de manière encore plus radicale, on peut même mettre en avant le lien conceptuel qui émerge entre existence et utilité. La signification de l’existence est de ce fait détachée de la facticité et de l’historicité de son propre être au profit de sa fonction ou de son but explicites[13].
Un autre aspect de l’effet de ce défi radical se retrouve dans l’adoption d’une position défensive. Cette réaction se déploie dans deux formes principales : a) la tentative de démontrer la valeur économique du champ et b) la tentative de montrer avec emphase comment des domaines telles que l’éducation, les valeurs, l’héritage etc. sont fondamentaux.
Réfléchissons à partir d’un travail novateur qui illustre comment les humanités sont devenues un défi et l’objet de disputes aujourd’hui. Il s’appelle « Humanities World 2015 ». Ce travail publié en accès libre, est le résultat d’une recherche approfondie et internationale menée par Paul Holm, Arne Jarrick et Dominic Scott. Dans l’ensemble, ce rapport cherche à « évaluer l’état des humanités dans le monde » (2014: 1) au travers des voix de spécialistes de ce champ appartenant à différents « lieux d’énonciation », et, de fait, s’inscrivant dans des traditions universitaires et des cadres institutionnels différents[14]. Un des points débattus était de savoir comment les universitaires et les humanistes dans le monde comprennent la valeur du champ. Ceci soulève naturellement une multitude de réponses que les auteurs tentent de tenir ensemble dans une taxonomie des valeurs intelligibles[15].
Dans les discours politiques et universitaires courants, il est commun de trouver l’argument selon lequel les humanités auraient une valeur sociale significative. Comment cette valeur est-elle décrite ? L’argument tente de mettre en lumière les avantages des humanités, en général, pour la société : tolérance, citoyenneté, cohésion sociale, la prise de décision, la pensée critique, le progrès, etc. Dans ce sens, on pourrait ici mettre en lien les avantages immatériels avec les valeurs et les atmosphères culturelles, ainsi que leur traduction en cohésion sociale. Cette description généraliste des avantages des humanités semble se rapprocher de près de ce qui est articulé comme la valeur économique du champ. D’après le rapport, « la valeur économique » comprend les profits économiques associés aux principales activités du champ tels que la publication, les apprentissages éducatifs et professionnels, ainsi que leurs effets indirects. Ils sont liés à la recherche dans les humanités sur des sujets tels que les droits, le bien-être, la pauvreté, l’exclusion, la distribution des revenus, la santé, la justice, l’emploi, l’environnement, etc.
Bien que centraux dans nos sociétés contemporaines, ces thèmes sont présentés principalement comme des défis techniques (et apolitiques) – des défis auxquels il serait répondu par des modèles d’intervention sociale visant à la normalisation basée sur l’évidence ainsi que sur une réduction au minimum de ce que peuvent vouloir dire l’émancipation ou l’inclusion. C’est une recette d’auto-réferentialité. Une recette pour éviter la vigilance épistémologique. Ceci ne laisse pas la place à des questionnements tels que comment peut-on reconnaître la pauvreté, comment les droits peuvent-ils être énoncés et reconnus, comment peut-on comprendre l’exclusion, etc. Cela ne facilite pas les réflexions critiques sur comment penser ensemble la pauvreté, la liberté et l’existence ; sur comment penser l’exclusion comme une négation violente de l’existence ; sur comment penser de manière critique l’assimilation et l’acculturation comme des réponses auto-référentielles ou encore, comment penser la personnalité, l’individualité et son humanité.
Les attentes politiques des recherches en sciences sociales et humaines sur de tels sujets sont décrites par les termes de « résultats », de « preuves », de « modèle ». Toute critique des attentes politiques et sociales actuelles sur la recherche universitaire et militante doit porter une attention particulière : une attention à ce que des nombres, des statistiques et même des modèles d’intervention sociale constituent des manière de communiquer sur les systèmes de croyance qui aujourd’hui informent de manière fondamentale les politiques publiques et le public. Cette relation entre l’expertise et les politiques publiques ne veut pas nécessairement dire que celle-ci aura comme résultat la mise en place de processus participatifs et plus inclusifs dans la production du savoir et la prise de décision. Cela ne signifie pas non plus que la production de nouveaux savoirs sera rendue nécessaire et facilitée par des questionnements épistémologiques et historiques lors de la constitution des hypothèses de recherche. Au delà de l’importance de connaître le taux de chômage ou le nombre quotidien de morts dans la Méditerranée ou le nombre de personne souffrant de la malaria, ne pourrions nous pas nous demander comment penser ces réalités ? Ne devrions nous pas nous demander pourquoi ? [16]
Si l’on envisage maintenant de la coopération internationale classique des politiques de développement. Une des suppositions de base – en fait une condition claire et nette – est que la production du savoir ne devrait pas explicitement s’engager dans la politique. Cela suppose que la neutralité se dévoile comme une sorte de contrainte entre deux niveaux différents : au niveau local, parce qu’une telle neutralité ne s’adresse pas aux structures explicites du pouvoir ou au niveau global, parce que n’importe quelle recherche a besoin de fonds, ce qui dépend à la base des politiques des donneurs et des agendas. Ainsi, le développement devrait être ancré à une production de savoir en dépolitisation constante. Dans cette perspective, par exemple, la pauvreté tend à être dissociée de discussions critiques qui parlent, de manière globale ou nationale, des structures des inégalités comme des structures violentes ou comme les résultats critiques des régimes de citoyenneté.
Bien qu’élue et décrite comme un « problème social », la pauvreté est, comme ceci, supposée être résolue par des interventions techniques essentiellement basées sur les mêmes présuppositions et la même vision du monde qui, au moins partiellement, est responsable de son émergence. Dans ce sens, une réponse ou une intervention auto-référentielle peut facilement promouvoir l’auto-reproduction de ses dogmes.
Encore pires sont les réactions courantes qui mettent en circulation l’idée d’une inéluctabilité et celle des résultats très limités de n’importe quelle intervention sociale ou programme d’aide. L’acceptation. Lorsque nous sommes informé-e-s par les agences internationales de développement que l’accès à l’eau est l’un des enjeux premiers des problèmes de vie et de mort rencontré par les populations, et quand on apprend que l’ambition de certaines politiques sociales est de construire un puits par village, ne sommes nous pas en train de trop abaisser les objectifs que nous devrions avoir ? Ne sommes nous pas en train de réduire des personnes à une existence éternellement fragile ? Ne sommes nous pas en train de trop accepter ? Et quelles peut-être la contribution des humanités à la pensée critique dans ce cadre ?
À un niveau plus fondamental, on peut penser à la valeur sociale des humanités comme ce qui rend possible et renforce le collectif. Mais qui est ce « collectif » ? L’idée d’un collectif renvoie à celle de liens sociaux, celle de cohésion sociale. Mais ne pouvons nous pas nous demander : la cohésion sociale de qui et autour de quoi ? Est-ce que cette cohésion sociale implique une adhésion au statu quo dominant ou à une vision du monde ? Est-ce qu’elle implique la normalisation brute et l’assimilation ? Ou fait-elle référence à un élargissement des relations sociales par la multiplication des modèles de reconnaissance, la prolifération de présences et de participations sociales pertinentes ? D’un point de vue relatif, l’idée de valeur sociale traduit l’idée de savoir engagé. L’image classique de la tour d’ivoire du savoir est maintenant remplacée par une participation active dans les affaires humaines[17]. Clairement, avec la notion de valeur sociale ou d’investissement actif, l’idée de responsabilité, tout autant que celle d’indépendance, se retrouve au premier plan de toutes les discussions : comment qualifier cette implication active ? Comment comprendre cet engagement ? L’engagement dans quoi ? Est-ce vraiment indépendant ?
La valeur de l’innovation dans les humanités est aussi discutée de manière très éloquente dans le rapport. Il est argumenté qu’en se recentrant sur les questions d’organisation et d’action, les humanités peuvent contribuer à la culture de l’innovation. Cette lecture peut être interprétée de deux manières principales. Toutes les deux se disputent la valeur socio-linguistique de l’idée d’innovation.
D’un côté, on trouve une interprétation qui est liée de près aux sens politique et économique ainsi qu’aux usages du concept d’innovation. Cela vient de la consécration d’un modèle : une société de l’information et du savoir, et son économie (Castells, 1997).
Une brève présentation de ce modèle et de ses usages nous montre comment sa conception particulière du savoir correspond à sa marchandisation dans une économie globalisée compétitive. Dans cette perspective, les humanités peuvent présenter un potentiel innovant lorsque leurs produits ou leurs résultats sont susceptibles d’être intégrés aux circuits du marché et donc promeuvent une société du savoir dans notre économie globale contemporaine.
De l’autre côté, si l’on sépare le concept d’innovation de ses usages communs, on réalise que sa signification première est d’ « effectuer un changement ». Si l’on garde cela à l’esprit et si l’on reconnaît le rôle des humanités dans la production de réalités et d’horizons de possibles, proprement par la pensée critique, nous pouvons facilement identifier des instances dans lesquelles les humanités proposent des innovations avant-gardistes.
Il faudrait aussi insister sur le rôle des humanités dans la compréhension critique et la possible transformation des réalités, des pratiques et des croyances sociales, ce qui les place au cœur du renouvellement et de l’actualisation de la vie sociale et de l’existence humaine dans de nombreux domaines. Si l’on garde cette dernière interprétation en tête, on peut mettre en avant, par exemple, la contribution des humanités à d’autres disciplines, comprenant les sciences « dures » sociales et naturelles[18]. Selon cette interprétation, la complexité du monde peut seulement être appréhendée par la réhabilitation de processus de pensée interdisciplinaires et interculturels. On peut encore insister sur le fait que la contribution à d’autres disciplines révèle l’importance du travail épistémologique des humanités, à savoir la réinscription des théories critiques et de la production de savoir dans une vigilance épistémologique éthique. Ceci a été fondamental dans le développement, par exemple, des analyses postcoloniales et dans la critique de la bibliothèque coloniale (Bates; Mudimbe & O’Bar, 1993).
Une autre valeur s’articule aux humanités et nous montre leur importance pour tout ce qui a trait à l’héritage culturel. Dans cette perspective, les humanités sont envisagées comme contribution à la compréhension et à la préservation des héritages culturels. Ces observations de premier ordre correspondent à une lecture commune des humanités qui sont étroitement liées à l’émergence des nationalismes. Mais ceci soulève immédiatement un questionnement spécifique : est-ce que ceci ne donne pas une légitimité à des lectures essentialistes d’univers culturels ?
Ce questionnement ne peut être dépassé que lorsque la compréhension des héritages culturels est faite de manière critique. Une observation de second ordre s’impose alors. Ceci est particulièrement important dans des contextes tels celui de l’Angola postcolonial, dans lesquels, par exemple, l’utilisation de l’histoire nationaliste officielle est extrêmement politisée tout autant que le débat sur les politiques de l’identité s’ancrent à une lecture essentialiste de l’ « Angolité ». Ces thèmes restent très présents dans les discours de tous les jours et distribuent le droit d’appartenance et celui de parler.
Ceci est également important en Europe dont l’histoire est profondément marquée par les expériences fascistes, les fractures historiques et les contradictions. Cet héritage a pesé de manière significative dans l’incapacité de l’Europe à formuler des politiques collectives qui traduiraient la solidarité en projet commun mais non univoque. La crise de l’Union Européenne est un signe clair de la fragilité du discours idéaliste sur lequel elle a été fondée. La fracture ne pourrait pas être plus nette entre la description de l’intégration européenne avec ses référentiels symboliques et politiques inclusifs comme la démocratie, la paix, la solidarité (Abélès, 1996; Ash, 1997) et ce que Balibar a appelé « les impossibilités européennes » incluant son « apartheid (pas si) virtuel » (2004). Rob Reimen a publié un texte en 2010 « De eewige terugkeer van het fascisme », dans lequel il envisage comment le virus du fascisme est enraciné dans l’histoire européenne, comment il conduit inévitablement au népotisme et à la violence, et encore, comment il est couramment remis au goût du jour. Il met en lumière la manière dont une atmosphère de ressentiment est produite et manipulée de pair avec une recherche obsédée de l’ennemi. En analysant l’ambiance politique actuelle de la France, Balibar réfléchit aussi comment le discours sur la laïcité et l’obligation de neutralité d’État face aux diverses demandes de la société se transforme en une laïcité identitaire qui prône une moralisation, une assimilation, une acculturation et un contrôle (2016). Dans la même veine, Iveković critique le processus de sacralisation de la tradition laïque en parlant de blocage empêchant un plus que nécessaire développement d’imagination politique dans un monde changeant (2015). Au cours de l’histoire du monde, on retrouve un lien historique qui ne devrait pas être oublié entre les formes de nationalisme d’État, les essentialismes et les perspectives normatives sur l’identité. Le retour pastoral des héritages culturels, la défense de leur pureté et de leur conservation peut ouvrir la voie à des politiques des identités excluantes et exclusives.
Ce second volet d’observation des humanités est explicitement dirigé vers ces aspects de l’expérience humaine qui produisent de la violence et de l’oppression. Ainsi, les humanités ne peuvent être pensées que comme des pratiques d’observation de second ordre. Il faudrait alors, reconnaître, et se mettre à la recherche, du rôle que les humanités prennent dans la production des réalités et des expériences humaines, en les thématisant de manière critique et en ouvrant des horizons critiques de possibilité. Bien sûr, cela soulève, comme mentionné plus haut, la question de la responsabilité et celle de l’indépendance. Par conséquent, bien qu’il semble y avoir une requalification des humanités par la notion de savoir engagé, il semblerait utile de faire la distinction entre des usages de première ordre conduisant à la formulation de lectures normatives et un deuxième ordre d’observation ou de pratique intrinsèquement critiques et ouvertes.
Éduquer par l’APP – l’apprentissage par problèmes
Certains usages de méthodologies actives d’apprentissage, telles l’APP, apprentissage par problèmes, sont une autre manière intéressante d’observer les impacts des tendances globales sur les évaluations de ce qu’est le savoir ou de ce qui est vu et enseigné comme un savoir.
La méthode APP a été mise au point dans les années 1960-1970 à la faculté de médecine de l’université McMaster au Canada[19]. Ce modèle s’est rapidement développé dans beaucoup de facultés biomédicales et a été adopté mondialement dans beaucoup d’autres champs de recherches, telles que l’ingénierie, le droit, l’éducation, les sciences sociales, etc.
Entre 2008 et 2011, on m’a demandé de donner un séminaire d’anthropologie de la santé basé sur la méthodologie APP à des étudiants en sciences biomédicales et pharmaceutiques dans une université portugaise. L’expérience s’est terminée par la production d’un texte ethnographique critique sur l’APP envisagé comme problématique pour la colonialité de son savoir et sa géopolitique (Gomes, 2012).
Sockalingam et Schmidt décrivent l’APP de la manière suivante :
« Dans cette approche, les étudiant-e-s commencent par discuter et analyser le problème par groupe. Un certain nombre de questions ou de thèmes émergent qui requiert une exploration approfondie. Les étudiant-e-s utilisent alors ces questions sans réponses ou ces thèmes comme lignes directrices de leur activité d’apprentissage auto-dirigé. Pendant le temps de l’apprentissage auto-dirigé, les étudiant-e-s trouvent plus d’information pour répondre à leur problème ou le résoudre. Après cela, ils se retrouvent à nouveau, ils compilent et se présentent les un-e-s aux autres les informations qu’ils ont réunies. Cela leur permet d’acquérir un nouveau savoir dans le contexte même du problème qu’ils se posait. » (2011: 7).
Dans le contexte des sciences biomédicales et pharmaceutiques ceci implique une présentation silencieuse d’un problème donné aux étudiant-e-s. Habituellement, ce problème prendrait la forme d’une situation pathologique du type quelqu’un présente X symptômes. Alors, les étudiant-e-s devraient identifier les éléments principaux de l’information et définir leur propres objectifs d’apprentissage. Une résolution réussie du problème signifierait réussir à faire le bon diagnostic. On retrouve là deux règles de base. Une est la règle de l’aide minimale qui impose que les étudiant-e-s mettent eux-mêmes en place leur processus d’apprentissage, qu’ils choisissent et définissent leurs propres objectifs d’apprentissage. Dans ce cadre, un tuteur remplace le professeur. L’autre règle de base est appelée « les bases justes-à-temps », ce qui veut dire que le tuteur peut seulement intervenir et ajouter des informations quand les étudiant-e-s font face à un blocage dans la tâche de résolution de leur problème. Le résultat général est une augmentation de l’adhésion des étudiant-e-s au discours « basé sur l’évidence » qui ne questionne même pas ce qu’est l’ « évidence ». Un exemple éclairant est l’épisode anecdotique évoqué par Nancy Scheper-Hughes et Margaret Lock (1987) : une femme se plaignait de terribles maux de têtes. Elle a cherché de l’aide et est allée à l’hôpital. Là, elle a été reçue par un docteur confirmé en médecine accompagné de ses étudiant-e-s. La femme expliqua que son mari était alcoolique, que son fils avait quitté l’école et qu’elle avait à sa charge sa vieille et dépendante belle-mère. Elle a soudainement été interrompue avec impatience par un des étudiant-e-s qui demanda de but en blanc : « Ok ! Ok ! Mais quelle est la vraie cause de ces maux de tête ? »
Malgré les claires attentes institutionnelles coloniales – qui signifiaient à la base que l’anthropologie avait été conceptualisée comme discipline pour convertir l’altérité à la modernité, symbolisée par la science –, le séminaire d’anthropologie de la santé avait pour but d’encourager la discussion de deux thèmes. Un, la diversité culturelle des systèmes de savoir en ce qui concerne la santé. Deux, la responsabilité globale de l’industrie pharmaceutique, particulièrement en ce qui concerne les déséquilibres [10/90 imbalance] au niveau de la santé, les maladies négligées, et celles qui sont extrêmement négligées, ainsi que leur répartition dans le monde[20]. Selon les méthodes APP, une situation donnée a été exposée. Par exemple, la description de la notion émique de santé ou un rapport sur la répartition mondiale de la leishmaniose ou d’autres maladies négligées. Bien entendu, la nature et le langage de ces « problèmes » diffèrent radicalement de ce à quoi s’attendaient les étudiant-e-s et les difficultés qu’ils ont eu à gérer de tels « problèmes » étaient largement significatives.
Ces difficultés sont essentiellement produites par une nette distinction entre la science comme un savoir vrai et objectif et d’autres systèmes de savoir décrits comme des systèmes de croyances et donc, subjectifs, relatifs et non-valides. Le résultat, aggravé par l’absence complète de prise en compte des processus historiques, est la production de comparaison monothétique, pour reprendre le concept d’Appadurai, et la stéréotypisation de réalités différentes. Ceci, en retour, sert à confirmer la validité de l’opinion des étudiant-e-s.
Feyerabend a critiqué ce modèle d’éducation scientifique de la manière suivante :
« Il simplifie la “science” en simplifiant ses participant-e-s : premièrement, le domaine de recherche est défini. Ce domaine est séparé du reste de l’histoire (la physique, par exemple, est séparée de la métaphysique et de la théologie) et on lui attribue une logique propre. Un programme de cours rigoureux dans une telle ‘logique’ conditionne celles et ceux qui travaillent dans le domaine, cela rend leurs actions plus uniformes et fige aussi de grandes parties du processus historique. Des “faits” stables apparaissent et persistent malgré les vicissitudes de l’histoire. » (1993: 11).
De manière générale, il est clair qu’une utilisation acritique de la méthode APP revient à la reproduction d’imaginaires modernes et positivistes qui entrent en résonance avec les thèses néo-évolutionnistes et la puissance de la bibliothèque coloniale. Latour a analysé cette sorte d’opinion :
« Une pensée et une méthode solides sont juste ce dont on a besoin pour suivre le bon chemin. De l’autre côté, comment rendre compte d’une voie fausse prise par les croyant-e-s ? Beaucoup de facteurs parmi lesquels on peut choisir dans une longue liste comprenant la “culture”, la “race”, “les anomalies du cerveau” les “phénomènes psychologiques” et bien sur les facteurs sociaux. […] Quelques esprits ont découvert que la réalité est qu’une large majorité des gens ont des idées irrationnelles ou sont, en partie, prisonniers de beaucoup de facteurs sociaux, culturels et psychologiques qui les font s’attacher obstinément à des préjugés obsolètes. » (Latour, 1987: 184).
Dans les lectures des étudiant-e-s, la diversité culturelle était attribuée au manque de savoir scientifique. Plus encore, le savoir produit en dehors des sciences reconnues n’était pas vu comme du savoir et donc, pas considéré ou approprié. Dans leurs dires, l’éducation scientifique devenait le fondement d’un vrai développement incarné par l’abandon des systèmes de « croyance » locaux.
Le choix de la méthode APP par cette université portugaise doit être analysé dans le contexte des réformes proposées par le processus de Bologne. En fait, on trouve une connexion importante entre la reproduction de cet imaginaire positiviste et des politiques néolibérales dans les institutions de l’enseignement supérieur. On demande aux institutions de se centrer uniquement sur ce qui « marche » et sur des « programmes de cours », transformant de fait les vraies valeurs du savoir et de la réflexivité en un savoir au service du marché. Le mise en avant de ce lien conduit Giroux à qualifier les politiques éducatives néolibérales de « pédagogie de illettrisme au service du marché » (cit in Bhojani, 2016: 135). Santos aussi se demande si, dans un même mouvement, en créant un savoir sans limite, nous ne serions pas entrain de créer un illettrisme sans limite ? Plus encore, « l’université est-elle prête à reconnaître que la compréhension du monde dépasse de loin la compréhension occidentale du monde ? » (Santos, 2012). Dans ce sens, l’université ne souffre pas seulement de pressions externes ; elle devient un lieu privilégié de production et de dissémination de visions du monde marquées par ce que Thiong’o appelle le « fondamentalisme capitaliste ». Et encore, s’impose d’elle-même la vieille question des humanités : qu’est-ce qu’on nous apprend à penser et comment ?
Une expérience angolaise
Nous avons donc cherché à critiquer quelques uns des effets des tendances globales qui reconfigurent en profondeur notre conception de l’université en nous concentrant sur deux exemples distincts : la pratique de l’APP et les discussions actuelles autour de la valeur des humanités. Comment cela peut-il être mis en lien avec l’expérience angolaise ?
Avant de présenter la situation angolaise et d’y réfléchir, il peut être utile de donner à voir rapidement l’histoire récente du pays. Après la déclaration d’indépendance de 1975 et l’échec des accords de paix de Bicesse, le MPLA a pris le contrôle sur l’appareil d’État et sur le gouvernement. Alors au pouvoir, il a mis en place un système politique marxiste de parti unique, tout en poursuivant des opérations militaires contre les mouvements de libération rivaux. Dans cette optique, l’indépendance a été marquée par deux faits majeurs : une violente et longue guerre civile et un régime autoritaire au pouvoir centralisé qui se caractérise par des règles (néo)patrimoniales. Ces deux aspects ont une influence forte sur ce que l’on peut appeler la « culture politique locale ».
Au milieu des années quatre-vingt, le pouvoir a dû faire face à une crise découlant principalement de la baisse des revenus de l’industrie pétrolière. À côté de cette crise économique qui a entraîné une famine de grande échelle et aggravé les conséquences de la guerre civile, la communauté internationale a fait pression sur le pouvoir en place pour forcer l’adoption d’une libéralisation économique et politique. Ceci a eu pour résultat des réformes pour l’adoption d’une économie de marché et la mise en place d’un système politique multipartite par le biais d’élections démocratiques (Vidal & Andrade, 2006). En 1992, les premières élections générales ont été organisées. Un gouvernement d’unité et de réconciliation nationale a été mis en place composé des trois anciens mouvements rivaux. Pourtant, la même année, la guerre reprit et les nouvelles négociations de paix échouèrent à faire que le conflit s’arrête. Ce qui conduisit à un long désastre humanitaire et à la destruction du peu d’infrastructures que possédait le pays.
La fin de la guerre civile fut gagnée en 2002, et elle n’est pas le fruit de négociations de paix. Cette résolution a été militaire[21]. En 2008, les secondes élections générales sont organisées et le MPLA les remporte avec 81,76 % des votes. Cette victoire impressionnante a permis la mise en place de réformes constitutionnelles qui consacre un régime présidentiel marqué par une forte concentration des pouvoirs. Les dernières élections se sont tenues en 2012 et là encore le MPLA a gagné avec 71,84% des votes.[22]
À l’heure actuelle, une autre crise économique et sociale majeure affecte l’Angola du fait de la récente chute du prix du pétrole. Cette nouvelle crise révèle la fragilité du développement depuis la fin de la guerre civile. En fait, le développement économique – attaché principalement à l’industrie pétrolière – ne s’est pas entièrement traduit en développement social et humain. En fait, les « dividendes de la paix » (cf. Gupta, S. et al; 2002) ont rapidement fait l’objet de discussions animées et, en 2004, le programme de développement des nations unies (UNPD) a déclaré publiquement que les bénéfices qui avaient pu être faits par la paix et les progrès économiques n’allaient pas être reversés pour le bien-être de la majorité de la population. Par exemple, le développement de secteurs fondamentaux tels que l’éducation et la santé ont toujours été en dessous des investissements moyens en Afrique subsaharienne (c’est-à-dire en dessous de 6 % du PIB) (CEIC, 2013: 35).
L’université Agostinho Neto est une université publique créée par les Portugais au moment où la lutte de libération anti-coloniale essaimait sur tout le territoire, en 1962. Aujourd’hui, l’université se trouve dans différents bâtiments répartis dans la capitale, Luanda, en fonction des facultés telles que l’ingénierie, la médecine, le droit, l’économie, etc.
Jusqu’en 2012, l’université avait une faculté de sciences humaines et sociales. Suite à de récentes réformes, cette faculté a été divisée en deux : d’un côté les humanités où l’on peut trouver différents diplômes en philosophie, en linguistique et en administration et de l’autre les sciences sociales. La faculté des sciences sociales est plutôt récente. Elle propose des cursus en histoire, anthropologie, sciences politiques, sociologie, psychologie sociale, info-com, marketing et administration publique.
Comme ils se trouvent dans une institution publique les étudiant-e-s qui prennent des cours les matins et les après-midi ne doivent rien payer. Une large majorité des étudiant-e-s viennent de familles à bas ou très bas revenus, au capital éducatif pauvre et avec un accès précaire aux écrits et à Internet. Ceci signifie que les coûts engagés pour se rendre aux cours (les transports, la nourriture, le matériel) sont trop élevés pour la plupart. Un nombre important d’étudiant-e-s doivent prendre des emplois plus ou moins formels pour joindre les deux bouts, attendu qu’ils ont aussi comme responsabilité familiale de contribuer aux revenus domestiques. Ou alors, ils mangent le soir lorsqu’ils rentrent à la maison. Avec la crise actuelle, beaucoup d’entre elles et eux quittent l’école.
La majorité des étudiant-e-s ont fréquenté le système d’éducation publique, qui reste fragile en termes d’accès et de qualité. Enfin, ces étudiant-e-s font face à de grosses difficultés, précisément en ce qui concerne le degré de littératie. La plupart d’entre elles et eux lisent seulement en portugais et éprouvent différentes sortes de difficultés à le faire. La plupart des étudiant-e-s et des professeurs ne connaissent pas d’autre langue nationale – et même lorsqu’ils en connaissent, on ne trouve pas de textes dans ces langues.
Le système d’éducation angolais se divise strictement en deux depuis le début des années quatre-vingt dix du fait de la libéralisation économique. En fait, l’adoption d’une économie de marché a permis la transformation de l’éducation en une nouvelle sphère d’exploitation et d’investissement capitalistes. Un grand nombre d’écoles privées, nationales et étrangères, ont été créées. Beaucoup d’entre elles accueillent comme participant-e-s des membres de l’élite économique et politique. Les frais d’inscription demandés sont impossibles à payer pour une large majorité de la population. Par exemple, l’entrée dans l’école Américaine – qui se trouve en tête de tous les classements – peut aller jusqu’à des milliers de dollars US par mois et par enfant. Ceci conduit clairement à une reproduction des fortes inégalités sociales. Dans le même temps, les écoles publiques sont sous-financées, privées des besoins de base (électricité, eau, classes), les enseignant-e-s présentent de graves lacunes dans leur préparation académiques et leurs pratiques pédagogiques. Leurs bas salaires les forcent aussi à s’investir dans d’autres sources de revenus. Ainsi, l’absentéisme des professeurs est un gros défi.
Une description assez similaire peut être faite concernant le système d’éducation supérieure angolais. À côté des universités publiques présentes dans les provinces angolaises, une grande offre existe au niveau des institutions privées. Là encore, celles-ci sont tenues par des membres de l’élite politique et économique, par des entreprises et des grandes compagnies. À l’exception de l’université catholique, ces universités tendent à être aussi mal équipées et offrent des cours de mauvaise qualité. La plupart des cursus sont en droit, en économie, en ingénierie, etc. Ces institutions reçoivent les enfants de l’ancienne classe moyenne émergente. Les enfants de l’élite rejoignent des universités étrangères, en Europe, aux États-Unis, et en Russie. Ces différents parcours universitaires montrent ainsi, clairement, la reproduction et l’augmentation des dynamiques et des structures des inégalités sociales.
À l’instar de nombreux autres contextes (pas seulement africains), le système de l’enseignement supérieur est à l’heure actuelle confronté aux demandes globales en termes de politiques au service du marché. À côté des difficultés auxquelles on peut s’attendre au niveau des processus de démocratisation, cette tendance produit plusieurs effets.
Un – éducation, employabilité et citoyenneté
On constate une nouvelle vision normative de l’éducation plus comme le moyen d’acquérir d’une employabilité et moins comme une possibilité émancipatrice et d’empouvoirement, de capacitation, (empowerment). Prenons par exemple la réforme actuelle des écoles publiques du second degré. Dans le nouveau cadre légal récemment approuvé[23], le système public d’éducation a été profondément réformé. En termes de programme, par exemple, la réforme parle de l’acquisition de compétences et de niveau alors que précédemment on insistait sur l’acquisition de savoirs.
En ce qui concerne les étudiant-e-s, on constate l’augmentation de l’idée naturalisée que l’éducation sert en premier lieu à assurer le succès du marché. Naturellement, cela va avec les aspirations légitimes des personnes à améliorer leurs conditions de vie. Dans ce sens, et dans certaines circonstances, les inégalités et la pauvreté peuvent devenir des outils utiles de reproduction d’un cadre néolibéral pour l’éducation.
Étant données les transformations de notre économie globale du savoir, le discours précédemment critiqué, qui agglutine théoriquement éducation, employabilité et citoyenneté gagne en visibilité et se présente comme prioritaire. En fait, de quoi a t-on besoin ? De nouvelles subjectivités si possible avec une large gamme de compétences surtout techniques, dotées d’un esprit flexible et adaptable pour faire face aux fluctuations et à l’évolution des marchés. Il y a quelques décennies, Paulo Freire (1985), un éducateur brésilien, parlait de l’illusion de l’émancipation dans ce modèle éducatif. La docilité, des êtres dépolitisés. Pourquoi a-t-on besoin de cela ? Deux forces semblent rentrer en jeu. D’un côté, les pressions de la globalisation néolibérale. De l’autre côté, l’économie politique nationale qui du fait des choix de développement continue à être ancrée dans les dynamiques d’accumulation privée du capital et de la culture autoritaire. En ce qui concerne les programmes, Francis B. Nyamnjoh décrit la situation générale avec une grande pertinence. L’auteur avance que l’éducation est toujours enfermée dans le cadre de l’épistémologie coloniale et que le « système éducatif est trop standardisé, uniformisé, technicisé, dépolitisé et détaché de tout, pour être en accord avec les malheurs des Africains ordinaires et marginaux, qui ont soif et faim de reconnaissance, de représentation et envie de s’élever. » (2012: 9). Ce modèle éducatif ne peut pas être détaché des dynamiques de la globalisation néolibérale et de l’économie politique nationale. Peut-on espérer que cette sorte de modèle éducatif puisse dépasser les exclusions, en augmentation ? Selon, ce que Ndlovu-Gatsheni a pointé comme la relation de proximité entre la colonialité du pouvoir et la colonialité du savoir (2013). L’éducation comme normalisation.
On peut s’attaquer à ces questions en prenant en compte le degré de dépendance, toujours plus important, en Angola, mais pas seulement, comme nous le savons, entre les recherches universitaires dans les humanités et les contrats avec des entreprises privées, des mécènes internationaux ou encore des agences gouvernementales et/ou de développement. À l’heure actuelle, il n’y a pas de financements publics de la recherche dans les humanités. La plupart des centres de recherches de l’université publique sont soit des structures fantômes soit des bureaux d’experts-conseils. Ils doivent néanmoins se plier à la législation qui les définit comme des institutions de recherche. Et cela est très bien défini. Dans une culture autoritaire, recherche et cabinet-conseil sont mis en conformité. Le savoir technique est préféré. Le savoir socialement engagé ne doit pas être trop politique. Nussbaum pose le problème de cette tendance comme ceci : « les informations sur les stigmatisations et les inégalités sociales ne peuvent pas transmettre l’ensemble de la compréhension des besoins des citoyens démocratiques » et cela joue même « en inhibant l’accès par l’imagination à ce que veut dire la position stigmatisée » (2010: 109). En fait, est-ce qu’une perspective technocratique sur le savoir peut apporter une compréhension de la nature expérimentale de l’existence ? Est-ce que cela permet de bien faire résonner ce qui cimente notre sens de l’appartenance mutuelle ou de la vulnérabilité partagée ? Savoirs dépolitisés. Simulacre de savoirs.
Deux – colonialité
En général, on note soit l’absence d’un débat sur la colonialité soit un engagement plutôt superficiel dans la critique du savoir. Comme mentionné précédemment, les deux semblent être liés au contexte général de l’Angola, autant au niveau des pressions globales qu’à celui des systèmes d’enseignement supérieur.
Lorsque le débat sur la colonialité est absent, les discours les plus courants célèbrent la modernité de l’Angola, son intégration dans le monde et dans les systèmes régionaux son pouvoir émergent[24]. Ces discours célèbrent le succès du nationalisme d’État angolais. L’exceptionnalité angolaise (mais aussi les exceptionnalités d’ « Autres ») au cours de sa libération et de son développement postcolonial, est articulée politiquement à l’accomplissement de politiques de l’identité construites autour de la notion d’ « angolité ». Cette notion décrit la citoyenneté et aussi les politiques de reconnaissance, elle opère comme « point de vue décolonisant » ce qui contribue à l’invisibilité de la colonialité (Ndlovu-Gatsheni, 2013).
Quand le débat sur la colonialité est présent, il tend aussi à se réduire à une « politique des identités » au travers de lectures essentialistes qui sont popularisées. Ainsi, on trouve deux essentialismes de base, apparemment paradoxaux, qui sont manipulés selon les contextes et les besoins : un essentialisme qui met en lumière l’héritage culturel, la pureté et un essentialisme qui insiste sur la distinction, l’exceptionnalité et la modernité du caractère national.
Les formes locales et institutionnelles de l’engagement dans le débat sur la colonialité tendent à être marquées par ces deux formes basiques d’essentialisme. Le premier conduit à une tentative de retrouver l’authentique, pur et unique héritage culturel. Une lecture de première ordre des humanités est particulièrement utile pour cet usage. L’autre conduit à l’affirmation de la distinction du caractère national du fait de son intégration dans la « modernité » et ses orthodoxies globales. Les deux entraînent vers la miniaturisation de l’esprit humain, comme le dit Sen (2007). Les deux sont mixés ensemble pour promouvoir une acceptation acritique des politiques de l’identité construites autour de la notion d’ « Angolité » d’un côté et de l’autre, à la notion qu’il n’ « y a pas d’autre voie possible » du fondamentalisme capitaliste pour utiliser la formule de Thiong’o.
Tout débat sur la colonialité doit être développé autour de ces trois axes : la colonialité du pouvoir, du savoir et de l’existence. Ces interrogations que permettent ces axes défient directement les structures du pouvoir. Elles remettent en cause ce qu’est ce pouvoir, comment il est organisé, exercé et distribué. Elles portent sur qui produit du savoir, avec quoi, pour quoi et avec quelles conséquences. Elles s’intéressent aux politiques des identités et expriment la volonté d’aller au delà des limites imposées dans la compréhension de nous-mêmes et des autres. Dans ce sens, voir les possibilités d’articuler librement ces interrogations est une mesure de la réflexivité critique qui ne peut que fleurir avec des développements démocratiques plus grands.
Trois – inconscience
Dans le contexte d’une culture autoritaire, l’habitude incorporée de ne pas questionner l’autorité tend à prévaloir. En ce qui concerne la relation pédagogique entre le professeur et l’étudiant-e, par exemple, une pratique commune consiste à rejeter les interprétations et les lectures des étudiant-e-s parce ce qu’ils sont vus comme mal outillés pour le faire. Communément on demande aux étudiant-e-s une sorte de récitation. La réflexivité est détachée de la sphère privée individuelle et des capacités propres, perdant ainsi son pouvoir cathartique. En même temps, l’insistance sur la « preuve », l’ « objectivité » et la « fonctionnalité » promeut une vision de la science comme lecture neutre du monde, à des kilomètres de la politique. Et, comme cela c’est passé avec les étudiant-e-s portugais-es mentionné-e-s plus haut, l’adoption de ce modèle de scientificité entraîne l’abandon des autres possibilités de compréhensions disponibles.
Un autre des faits courants est aussi que les étudiant-e-s ne sont pas habitué-e-s à écrire avec leurs propres mots. Ce phénomène ne peut pas être compris comme étant seulement une question de plagiat. C’est aussi le résultat de pratiques éducatives éparses qui conduisent à une sorte de pensée par imitation et à un simulacre de savoir selon lequel aucune appropriation du savoir ou remise en cause ne peut être développée à proprement parler, dans lequel les étudiant-e-s peuvent difficilement s’affirmer comme producteurs de savoirs. Dans leurs propres mots, et pour reprendre une expression populaire de la période Marxiste-léniniste, les étudiant-e-s sont « chaînes de transmission ». Même dans le cas d’une méthodologie active, comme l’APP, dans laquelle la créativité et l’autonomie sont supposément développées, la remise en question des hypothèses peut difficilement se faire sans prendre sérieusement en compte comment la science est culturellement et politiquement produite. Ainsi, par exemple, les étudiant-e-s portugais-es pouvaient s’affirmer comme producteurs de savoir, mais seulement dans le champ de ce modèle de scientificité.
On est dissuadé de penser de manière critique, de faire de la pédagogie critique aussi. L’ « activisme social » n’est pas le bienvenu. Les arguments sur la neutralité et l’objectivité sont encore et encore évoqués, ils ouvrent la voie à un savoir dépolitisé, même si socialement engagé. Ceci est compréhensible si l’on s’en tient à considérer la pédagogie comme une « méthode technique » alors qu’elle « doit être comprise comme une pratique morale et politique qui présuppose toujours des interprétations particulières de ce que représente le savoir légitime, les valeurs, la citoyenneté, les modes de compréhension et les visions du futur » (Giroux; Giroux, 2006: 28). On devrait aussi mettre en avant la différence entre pédagogie critique et propagande : la pédagogie critique s’implique dans l’autonomie de la pensée critique, la conscience et la puissance d’agir (agency) individuelle/collective.
Hannah Arendt parle d’absence de pensée de l’incapacité fondamentale à penser, comme un des éléments de base de toute expérience totalitaire et de l’extrémisme idéologique. Dans les tendances globales telles que celles décrites ci-dessus, le manque de considération n’est pas une déficience individuelle ; cela devient une structure cognitive et affective activement produite. Contre cela, Arendt propose la pratique de la pensée comme interruption de l’unité. Rada Iveković parle de la « nécessité vitale de penser » comme d’ « un besoin aigu de citoyenneté et d’espace mental et de pensée » (2015: 40-41). En effet, penser libère l’humain des croyances inexplorées et ouvre l’humain à la réalité des autres et de l’altérité (Antaki, 2010). Dans la tradition herméneutique européenne, Gadamer définit la compréhension comme « liberté de l’esprit ». Dans la philosophie africaine, Fabien Eboussi-Boulaga argumente que la philosophie se transforme en pratique émancipatrice quand un individu construit de manière critique et systématique « un discours pour lui/elle-même » (2014). Dans la pratique éducative indienne de Tagore, la liberté est comprise comme la capacité à produire nos propres pensées (Nussbaum, 2010).
Étant donné sa relation à l’expérience et à l’exercice de la liberté, la pensée critique ne peut que se manifester dans le politique. Penser c’est « demeurer dans l’espace entre le passé et le futur » (Antaki, 2010: 63). C’est une quête de sens incessante qui ne peut jamais être cristallisée, qui se dissout et examine à nouveau tout ce qui a été accepté. En termes existentialistes, cela permet l’expérience du néant et, par conséquent, de la liberté.
Peut-on parler ?
Nous avons cherché à évaluer de manière critique quelques-uns des effets des tendances globales qui reconfigurent notre idée de l’université. Nous nous sommes concentrés sur deux exemples distincts, en évoquant la pratique de l’APP et en problémmatisant des discussions courantes sur la valeur des humanités. Et nous avons essayé de décrire, bien que rapidement, quelques uns des défis auquel doit faire face le système public d’éducation supérieure angolais.
En faisant cela, nous sommes capable d’identifier une production massive raisonnements fallacieux (fallacy) qui entravent toute forme d’engagement dans des dialogues interculturels, tout autant que la construction à mener d’un rôle social de l’université dans la contribution à la formation de citoyens cosmopolites. Cela façonne aussi profondément les efforts d’internationalisation qui sont présents au cœur des discours sur la globalisation.
L’encyclopédie de philosophie de Stanford, dans une entrée écrite par Hans Hansen (2015), nous propose deux significations principales pour la notion de raisonnements fallacieux : cela peut désigner à la fois des croyances fausses et populaires, d’un côté et de l’autre, des arguments trompeurs. Un des plus intéressants développements dans la recherche est celui qui essaye de comprendre les liens entre les biais et les idées fausses. Par exemple,
« Correia (2011) a fait un pas de plus avec l’idée de Mill que les biais sont des causes prédisposant aux idées fausses en mettant en lien des biais identifiables avec des idées fausses particulières. Les biais peuvent mener à des idées fausses de manière non intentionnelle, même s’il n’y a pas d’intention de tromper, observe t-il. Si l’on prend les biais pour des “erreurs systématiques qui de manière invariable pervertissent le raisonnement et le jugement du sujet”, l’image dessinée montre que les biais particuliers sont activés par les désirs et les émotions (motivées par le raisonnement) et une fois qu’ils sont en jeu, ils affectent négativement la bonne évaluation de la preuve. Par conséquent, par exemple, le biais “l’illusion du zoom” (focusing illusion) entraîne la personne à se concentrer juste sur un des bouts disponible de l’évidence, en ignorant ou en déniant l’évidence qui pourrait conduire dans une autre direction. Correia (2011, 118) lie ce biais aux idées fausses des généralisations hâtives et des faux arguments, en suggérant que c’est notre désir d’avoir juste qui active ce biais qui nous permet de voir l’évidence dans un sens positif et négatif, comme cela peut-être le cas. » (Hansen, 2015).
Prenons quelques unes des idées fausses qui affectent en négatif l’idée et la pratique de l’université. Premièrement, en ce qui concerne les systèmes d’enseignement supérieur et les débats actuels sur l’idée de l’université, les discours dominants appellent presque immédiatement, à son internationalisation. L’internationalisation est, par conséquent, couramment décrite comme une condition forcée pour exister au niveau de l’ordre global. Ses échos impliquent des idées satellites telles que savoir global, économie globale, coopération internationale, mobilité des étudiant-e-s et des universitaires, évaluations de qualité ou encore classements.
Peu importe comment l’on pense le « savoir global », on est amené à penser que les personnes parlent d’un savoir qui serait produit globalement ; qui aurait en son cœur la participation de la communauté globale. Lorsque l’on pense à la « coopération internationale », on pourrait aussi penser que cela renvoie à un projet d’apprentissage en dialogues et croisé dans lequel les participant-e-s peuvent se transformer, se réinventer et s’enrichir. Lorsque l’on pense « savoir global » et « coopération internationale », on pourrait voir le besoin de mobilité des étudiant-e-s et des universitaires. Et, par conséquent, c’est un besoin bien établi dans le discours politique qui traite du système d’enseignement supérieur à l’ère de la globalisation.
Bien que formellement logique, il manque quelque chose dans ce raisonnement. En fait, tout ce raisonnement se transforme facilement en idée fausse. Souvent, le « savoir global » n’est pas quelque chose qui est produit de manière globale, mais une production particulière qui aspire à gagner un rang global et normatif. Souvent la « coopération internationale » est prise dans des rapports de pouvoir inégaux qui réduisent la participation d’un des côtés pour la réalisation de l’agenda de l’autre. Et, bien entendu, la mobilité des étudiant-e-s et des universitaires doit faire avec les politiques migratoires et leurs exigences, qui souvent n’ont pas de sympathie pour les collaborations universitaires internationales et pour la mobilité de celles et ceux qui vivent et travaillent en dehors des zones de confort des États.
Deuxièmement, les idées fausses de l’éducation. Toutes les discussions préalables sur la relation entre les tendances globales et la nouvelle forme donnée à l’université, sur la relation entre l’érosion des humanités et la disparition de la démocratie, sur l’instrumentalisation de l’éducation comme une manière de la convertir en une ressource pour l’employabilité, nous fait réaliser comment il est absolument crucial de se poser la question : l’éducation au service de quoi ? On pourrait ici reprendre le travail de Bourdieu. Son analyse a constitué une rupture importante avec les narrations triomphalistes sur le progrès de la modernité. En fait, en dévoilant comment les systèmes éducatifs contribuent à la reproduction des inégalités sociales, Bourdieu a fourni une critique puissante contre la corrélation linéaire et naïve entre éducation de masse et égalité. On peut aussi se souvenir d’Edgar Morin et de son argument pour une « éco-sociologie du savoir » – une qui construirait la connaissance sur une constitution dynamique et mutuelle de la science et de la culture. Comme le savoir n’est pas produit dans le vide, il est produit par la culture, en même temps qu’il la produit. Et, dans ce même geste il permet à certains horizons de possibilité pour l’existence humaine d’émerger, tandis qu’il en bloque d’autres. On pourrait à nouveau évoquer Paulo Freire. Sa pensée critique était basée sur l’idée que l’éducation doit servir la citoyenneté et l’émancipation. L’éducation a par conséquent une claire responsabilité dans la critique des rapports de pouvoir quant aux inégalités et à la soumission. L’intérêt de l’éducation envisagée comme « technique de conversion » (Mudimbe, 1988) tient à la production de subjectivités normalisées, ce qui peut encore plus être apprécié dans l’expérience historique de la domination coloniale. Ces leçons semblent avoir été oubliées. En effet, où se trouve la critique systématique de l’éducation en tant qu’axe d’inégalités alors que nos systèmes éducatifs sont de plus en plus duels et sujets aux classements qui influencent le financement et l’investissement ? Où est la connaissance de Morin, selon laquelle le savoir peut ouvrir ou fermer les possibilités de l’existence humaine ? Comment les politiques répondent-elles à « l’illusion d’émancipation » critiquée par Freire ?
Troisièmement les idées fausses comme formes ravivées d’essentialisme. Pour Sen (2007), la politique des identités courante, exclusive et normative a un caractère tranchant qui s’accompagne toujours, sur la scène globale, d’une logique confrontationnelle et de bellicisme. Il est clair que cette sorte de politique des identités est basée sur des mécanismes du type la comparaison monothétique, discutée plus haut, et sur la notion d’identité comme la découverte ou la reprise d’une réalité naturelle. Sen critique cette posture parce qu’elle forclos tout acte de liberté et tout choix conscient sur les questions d’identité condamnant les personnes à un dilemme pérenne entre aliénation et authenticité, allant jusqu’à une lecture simpliste et stéréotypée de l’expérience historique et à des positionnements défensifs.
La plupart des critiques se centrent sur les effets négatifs qu’il y a à voir l’autre comme un stéréotype. Pourtant, une critique plus compréhensive va montrer qu’une telle vision culturaliste et exclusive de l’identité ne fait pas que produire des stéréotypes dans notre perception des autres, mais aussi produit des stéréotypes dans notre perception de nous-mêmes. Pour Sen, ceci correspond à une « miniaturisation de la pensée humaine » qui dans un même mouvement réifie l’autre et réduit le soi à un ensemble de conceptualisations pré-mâchées de l’identité, diminuant dramatiquement la capacité d’exercer la liberté, le raisonnement, la pensée critique et le choix conscient. La miniaturisation de l’esprit humain est un geste de réification de l’autre et de nous-mêmes.
Penser avec quoi ? Conclusions…
Hannah Arendt a formulé un autre concept qui semble être plutôt pertinent et qui est un peu négligée. Elle parle de « l’ordre du monde mensonger ». Le concept ne renvoie pas simplement à la fausseté qui peut être définie comme la victoire d’un argument au dépend de la vérité. Pour Arendt, un « ordre du monde mensonger » est celui de la victoire de l’argument au dépend de la réalité elle-même (Birmingham, 2010).
Pour éviter ces pièges, les réalités factuelles jouent un rôle fondamental, avance-t-elle. Celles-ci relèvent de la vie sociale et collective, des expériences individuelles et sont, de fait, contingentes. De ce fait, leur potentiel à défaire le mensonge de l’ordre du monde se tient dans être témoin et témoigner. Pour Arendt, la perte des réalités factuelles est une précondition pour ce qu’elle appelle les totalitarismes ou peut être ce que l’on pourrait aujourd’hui appeler le fascisme social. Et la pensée critique, d’un autre côté, représente cet exercice essentiel pour préserver la liberté et amplifier les horizons humains.
Et qu’est-ce que la pensée critique ? La principale perception, si l’on s’en tient au rapport « Humanities World 2015 », mentionné plus haut, est que la pensée critique est une manière de mettre en question et de défier les visions dominantes. Bien qu’à ce point, la définition pourrait être trop restrictive.
La pensée critique pourrait être la mieux comprise et pratiquée comme condition de l’évitement de la normalisation coercitive. C’est l’outil par lequel les individus peuvent maintenir un contrôle démocratique sur les institutions, les sociétés, les destins ou les futurs.
Par conséquent, la pensée critique pourrait être mieux décrite comme une attitude de transcendance systématisée et exigeante. Ce sens est porté par la notion d’ « ontologie critique » formulée par Michel Foucault. Une « ontologie critique » est, donc sous-entendue dans la critique des humanités ; un horizon est ouvert par les humanités avec une observation de deuxième plan. En effet, si ces « êtres-au-monde » devraient correspondre à une expansion des horizons des possibles, s’ancrer dans des processus d’apprentissage croisés, qui ne sont pas imposés, mais seulement disponibles comme des recueils de processus de construction de sens qui peuvent nous soutenir dans le futur. Ou comme Fabien Eboussi Boulaga l’explique, la pensée critique est une activité de recherche de conscience pour se comprendre dans ses réalités et s’actualiser de manière critique.
Pourrait-on envisager cela sans les contributions critiques des sciences humaines ? Ou sans adopter une idée et une pratique de l’université qui aille avec la liberté, l’exercice conscient de la transcendance et un monde de citoyen-ne-s ? Comme le dit Nussbaum :
« Est-ce que la citoyenneté a vraiment besoin des humanités ? Beaucoup de savoir factuel est requis, ceci les étudiant-e-s peuvent l’avoir sans une éducation humaniste […]. Une citoyenneté responsable demande, pourtant, beaucoup plus : la capacité d’accéder à l’évidence historique, d’utiliser et de penser de manière critique les principes économiques, de rendre des comptes en terme de justice sociale, de parler une langue étrangère, d’apprécier la complexité des principales religions du monde. […] un catalogue de faits sans la capacité de les estimer, ou de comprendre comment une narration est faite évidence, est presque aussi mauvais que l’ignorance. » (2010: 93-94).
Ce sont peut-être quelques uns des nombreux casse-têtes de nos universités actuelles qui arrivent de ces tendances globales. Ils appellent à un repositionnement de l’université à fins morales, pour des buts et un engagement civique au travers desquels « des sujets isolés deviennent citoyens » et ont l’ « obligation d’exprimer leur citoyenneté en terme de reconnaissance mutuelle » (Nixon, 2008: 8). Cela ne peut pas être fait sans une restructuration globale des rapports de pouvoir, sans une critique du fondamentalisme capitaliste et sans une conversation globale sur les savoirs et la liberté.
Traduit de l’anglais par Céline Belledent.
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Notes
[1] La première version de cet article a été écrite pour une conférence publique donnée par l’auteure au Centre for Humanities Research, département des Arts (Faculty of Arts), de l’université du Cap Occidental en Afrique du Sud, juin 2016.
[2] Le terme de globalisation et ses adjectifs (global, globalisé…) rendent au mieux compte de ce qui est décrit dans cet article, c’est-à-dire d’une mondialisation néolibérale. [NDT]
[3] Il serait aussi utile de distinguer d’un côté la prééminence de visions eurocentrées du monde – qui sont actuellement reproduites et complexifiées par le capitalisme globalisé – et le déclin géopolitique de l’Europe. En fait, la finance globale et l’intensification du capitalisme néolibéral sont les piliers de la reproduction d’une vision occidentale/eurocentrée du monde. Cela a une implication importante : dans le contexte de transformations globalisées contemporaines géopolitiques et géo-économiques, l’Europe est décentrée bien que l’eurocentrisme ne soit pas « provincialisé » (Gomes, 2012).
[4] Cf., Nixon, 2008 et 2012; Giroux, 2010 et 2016; Ndlovu-Gatshany, 2013; Nyamnjoh, 2012; Shizha, 2010 entre de nombreux autres.
[5] Un des développements qui joue un rôle crucial dans la remise en question de cette forme de hiérarchie est le débat sur la colonialité du savoir (Mignolo, 2000).
[6] Pour Américo Boavida, un nationaliste angolais : « les colons portugais insistent à refuser le droit à l’Angolité aux peuples angolais et imposent une nouvelle réglementation, la citoyenneté portugaise pour tous les natifs. » (1981: 46).
[7] Movimento Popular de Libertação de Angola [Mouvement populaire de libération de l’Angola].
[8] Ce discours politique est devenu la politique officielle de l’Europe depuis le sommet de Lisbonne en 2000.
[9] En fait, la notion d’employabilité est définie comme la capacité individuelle à « trouver une place sur le marché du travail. L’employabilité comprend plus qu’une simple formation : elle donne à l’individu la possibilité de mieux comprendre le changement, le besoin de la mobilité et les moyens de développer ses qualifications au mieux. En résumé, elle signifie que les personnes ont plus de confiance dans leur propre adaptation au changement ». (Grupo de Alto Nível sobre as Implicações Económicas e Sociais da Mutação Industrial, 1998: 6).
[10] Cf. Moller; Lind, 1999; Moller, 2000; Gallie et Paugam, 2000; Berkel et al, 1997.
[11] Pour des raisons d’économie dans le texte, j’utiliserai maintenant l’expression « les humanités ». Dans ce texte, une vue plurielle de ce champ est envisagée qui comprend tout autant les disciplines classiques des sciences humaines que les nouveaux champs d’investigations critiques et artistiques et toutes les pratiques des sciences sociales.
[12] Les négociations intergouvernementales en vue de la déclaration de de Bologne commencèrent à la fin des années 1990. Voir la déclaration de la Sorbone (1998) et celle de Bologne (1999).
[13] Là encore: ce n’est pas un phénomène nouveau, particulièrement si l’on prend en compte les critiques de ce que l’on appelle la culture de l’obsolescence, en lien non seulement avec la culture de la consommation mais aussi en lien avec la société du savoir et le paradigme économique.
[14] Il est important de souligner qu’en la présence de différents lieux d’énonciation et de diverses traditions universitaires, le champ ne prend pas le risque d’être monoculturellement délimité.
[15] Il parait intéressant de dire que cette taxonomie plausible se compose de huit entrées : a) la valeur intrinsèque ; b) la valeur sociale ; c) l’héritage culturel ; d) la valeur économique ; e) les contributions à d’autres disciplines f) l’innovation ; g) le développement personnel et spirituel, et h) l’appréciation esthétique. Interrogeons ces valeurs (Holm et al, 2014: 13).
[16] On devrait peut-être prendre sérieusement en compte les critiques que beaucoup avancent. Par exemple, ‘Critical investigations into humanitarianism in Africa’ [Enquêtes critiques sur l’humanitarisme en Afrique] (www.cihablog.org.).
[17] Ce qui est aussi, comme une sorte de paradoxe à première vue, une caractéristique classique du champ.
[18] On peut ici penser aux questions multidisciplinaires et interdisciplinaires ou au dialogues entre trois cultures scientifiques, comme Jerome Kagan (2009) l’a déjà proposé.
[19] http://www.mcmaster.ca/opr/html/mcmaster_home/main/search_results.html?cx=017110053273856412988%3Aakq6v26t6nm&q=PBL&sa.x=8&sa.y=3&hq=inurl%3Amcmaster.ca&cof=FORID%3A11 (Page consultée pour la dernière fois le 23 septembre 2011.)
[20] MÉDICOS SEM FRONTEIRAS; CAMPANHA POR ACESSO A MEDICAMENTOS ESSENCIAIS; GRUPO DE TRABALHO DE DROGAS PARA DOENÇAS NEGLIGENCIADAS, 2002, « Desequilíbrio Fatal. A crise em pesquisa e desenvolvimento de drogas para doenças negligenciadas ». Sept. 2001. Genève.
[21] En avril 2002, les troupes du MPLA ont réussi à battre leur rival direct, UNITA, União Nacional para a Independência Total de Angola.
[22] Il faut néanmoins préciser que le taux d’abstention avoisinait les 40 % et que l’Angola a connu des mouvements sociaux contre le pouvoir en place inspirés par les printemps arabes.
[23] Loi de base du système éducatif – Lei de Bases do Sistema de Educação.
[24] « La colonialité du savoir relève directement la question cruciale de comprendre comment la modernité occidentale s’est disséminée en déplaçant d’autres cultures, en en subordonnant certaines et en colonisant les imaginaires […] Le continent africain n’a pas réussi à se libérer […] de la colonisation des esprits et des imaginaires. » (Ndlovu-Gatsheni, 2013: 20).