Tempête Dana dans l’État espagnol : catastrophe naturelle ou conséquence de l’inaction climatique ?
Daniel Geffner est médecin et militant de Anticapitalistas dans la communauté de Valence. Dans cet article écrit à chaud, quelques jours après le début de la tempête DANA (dépression isolée de haute altitude), il tire les premières leçons de cette catastrophe écologique, sociale et humaine, et appelle à transformer la solidarité populaire qui a vu le jour à cette occasion en une lutte pour une société entre égaux, où la vie et les soins sont au-dessus des profits de quelques-uns.
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Alors que le nombre de morts ne cesse d’augmenter et que les images et récits choquants du drame vécu par des dizaines de milliers de personnes nous bouleversent, il apparaît de plus en plus clairement que les autorités n’ont pas agi avec la détermination et la rapidité qu’exigeait la menace annoncée.
Si les phénomènes climatiques extrêmes ne peuvent être évités, le négationnisme climatique et les coupes dans les services publics affaiblissent, voire rendent impossible, la réponse à un capitalisme prédateur qui fait passer les profits avant la vie des gens et de la planète.
La négligence criminelle du gouvernement régional et des employeurs, qui ont privilégié le business as usual au détriment du droit des travailleurs à la sécurité au travail, contraste avec l’empathie et la solidarité dont ont fait preuve les classes populaires pour venir en aide aux personnes touchées par la tempête.
L’élan de solidarité et le désir d’aider les personnes touchées montrent que face au TINA (There Is No Alternative) du thatchérisme et du néolibéralisme, avec sa religion basée sur l’individualisme et la marchandisation de la vie et de la société, il est possible de contester non seulement le discours, mais aussi la pratique en créant un pouvoir populaire d’en bas et de gauche. C’est pourquoi le 9 novembre doit devenir une mobilisation de masse en solidarité avec les personnes touchées par ta tempête et en exigeant la démission du président de la Generalitat Valenciana, Carlos Mazón.
Une normalité anormale
La tempête a frappé la région de Valence avec une force extrême en ce tragique octobre 2024, qui dépasse déjà en nombre de morts et de destructions les inondations du siècle dernier, alors que le nombre de morts et de disparus continue d’augmenter[1] et que l’aide à la population touchée n’arrive pas 3 jours après le début de la tempête. L’électricité, l’eau courante et la couverture de téléphonie mobile n’ont toujours pas été rétablies et les routes sont toujours coupées ou inaccessibles dans de nombreux endroits. Les images choquantes et les récits des drames subis par des dizaines de milliers de personnes nous bouleversent et nous voyons grandir une vague d’empathie et de solidarité avec les personnes touchées.
Les faits montrent que les autorités n’ont pas agi avec la prudence, la détermination et la rapidité qu’exigeait la menace annoncée. En témoignent les retards dans l’activation de l’alarme par le gouvernement de Valence, le manque de coordination des services de protection[2] – qui a entraîné des retards dans l’acheminement de l’aide critique -, ou encore l’effondrement des centraux téléphoniques dû à la surprise de la majorité de la population face aux débordements. À tout cela, il faut ajouter le refus du gouvernement de Valence de recevoir l’aide des pompiers d’autres communautés qui étaient déjà prêts à venir à la rescousse[3].
La négligence criminelle du gouvernement a été soutenue par la collusion avec une classe d’affaires qui aurait fait pression sur le gouvernement pour qu’il n’active pas le feu rouge et continue ainsi à faire des affaires, en espérant que les pluies ne se terminent pas comme elles l’ont fait. Ce pari sur le marché et la boussole du profit a conduit les patrons à privilégier le business as usual sur le droit des travailleurs à la sécurité de l’emploi.
Les capitalistes n’ont pas changé de cap, et leurs profits l’ont emporté sur le droit à la vie et à la sécurité de leurs employés.
La normalité anormale face à la tempête a laissé les travailleur.ses enfermé.es sur leur lieu de travail, ou au volant de leur véhicule lorsque l’inondation a progressé par vagues rapides et meurtrières, alors que l’alarme de la protection civile a retenti sur les téléphones portables à 20h15, après la fin de la journée de travail pour une grande partie de la population, et deux heures après les débordements, ce qui a provoqué l’effondrement des routes avec des centaines de voitures qui rendent désormais difficile l’accès aux populations les plus touchées.
L’administration ne s’est pas non plus mieux comportée avec les employés publics qui n’étaient pas indispensables au travail face à la tempête (administration, enseignants, santé, fonctionnaires). L’occultation de l’alerte rouge par le gouvernement a fait que les élèves sont allés à l’école normalement, et les écoles et les établissements préscolaires n’ont pas été fermés par mesure de précaution.
Si les phénomènes météorologiques extrêmes ne peuvent être évités, leurs effets dévastateurs peuvent être atténués en prévoyant et en surveillant leur évolution, ainsi qu’en élaborant des plans et des actions d’urgence et en les dotant de ressources humaines et matérielles suffisantes[4].
Un exemple qui montre que l’impact de la tempête aurait été bien moindre si la gestion n’avait pas été déficiente est celui de l’UV (Universitat de València) qui, face aux alertes émises par l’AEMET le 28 octobre, a décidé d’annuler les activités d’enseignement et plus tard, le 29, lorsque l’alerte est devenue code rouge, a décidé d’annuler toutes les activités, évitant ainsi des milliers de déplacements[5].
Un négationnisme climatique criminel
Cette insensibilité de la classe d’affaires et du gouvernement, qui a eu des conséquences tragiques, contraste avec l’empathie et la solidarité dont ont fait preuve les classes populaires en aidant les personnes touchées par la tempête, en surmontant l’inconfort, en offrant un logement pour passer une nuit terrible dans la maison d’un étranger par solidarité, et même dans certains cas en prenant des risques avec leur propre vie pour sauver celle d’un étranger.
La crise climatique et le réchauffement de la planète, selon la science, augmentent la fréquence et l’intensité de ces événements météorologiques extrêmes, et la région méditerranéenne est la plus vulnérable.
Le négationnisme climatique du gouvernement Mazón est à l’origine des échecs de la réponse à la tempête. L’inaction et les retards sont motivés par une idéologie de négation de la crise climatique.
Dans le domaine de la santé publique, nous avons eu l’exemple des effets néfastes sur la santé du négationnisme propagé et financé par l’industrie du tabac. En semant le doute sur ses effets pervers, puisque « le cancer du poumon existait naturellement », les mesures de prévention ont été retardées, et l’industrie, en semant ces doutes, n’a pas hésité à continuer à tirer profit de son activité. Le négationnisme climatique est néfaste car il empêche d’agir sur les risques et menaces réels, ainsi que sur les causes qui les provoquent.
Le départ de Vox du gouvernement valencien n’a pas changé d’un iota la pratique négationniste du PPCV (Parti populaire de la Communauté valencienne). L’extrême droite a également marqué de son empreinte la loi de concorde et sa politique éducative contre la langue et la culture valenciennes. L’extrême droite a fixé l’agenda et ce qui a été convenu à l’époque avec le PP est toujours en vigueur, signe de la « lepénisation des esprits », c’est-à-dire de la normalisation de son discours et de sa vision réactionnaire[6].
Si le négationnisme climatique nourrit l’inaction du gouvernement régional, l’orientation néolibérale de réduction des services publics essentiels affaiblit la capacité à répondre à des événements comme cette tempête. Les attaques contre l’État social, l’externalisation et la privatisation des services publics – qui sont l’affaire de tous – sont accentuées par la réduction des impôts pour les riches. Ces œillères négationnistes et néolibérales justifieraient la fermeture de l’unité d’urgence de Valence. C’est un exemple de ce qu’il ne faut pas faire en cas d’urgence climatique.
La vision selon laquelle le changement est déjà là et que cette décennie est vitale pour relever le défi de la décroissance en l’articulant avec la justice sociale et l’amélioration de la qualité de vie, appelle à une action ferme et énergique contre un capitalisme prédateur qui fait passer ses profits avant la vie des gens et la santé de la planète.
Une marée de solidarité
Horta sud-Valencia, Paiporta, Sedavi, Chiva, Utiel et tant d’autres villes ont été témoins de la marée humaine de solidarité qui a aidé de toutes les manières possibles, en offrant un abri, de la nourriture, de la compagnie, en nettoyant, en donnant de l’affection et en respectant le chagrin que tant de familles sont encore en train de vivre.
Des leçons de vie dans les moments critiques, et certainement une bonne leçon pour le retour à la routine : apprendre à transformer cette solidarité populaire en une lutte pour une société entre égaux où la vie et les soins sont au-dessus des profits de quelques-uns, ainsi qu’à mettre en place des plans de reconstruction très éloignés des modèles de spéculation urbaine qui, depuis les années 1960, s’étendent dans les zones inondables et à risque.
Faisons monter la marée face à l’adversité, afin d’organiser cette solidarité et cet élan de défense de la vie contre le profit et l’égoïsme d’une minorité puissante et dangereuse.
Il est temps de continuer à créer un pouvoir populaire d’en bas et de gauche.
Mais une fois le deuil assumé, avec tout le respect et la solidarité envers les personnes touchées, le moment est venu de demander des comptes au gouvernement de Carlos Mazón pour sa négligence criminelle dans la réduction de l’impact de la tempête, qui a laissé tant de personnes sans défense, terrifiées et avec tant de morts.
C’est pourquoi nous nous joignons à l’appel à une manifestation le 9 novembre à Valence pour exiger la démission de Mazón, pour négligence criminelle[7] Il ne peut pas être responsable s’il n’a pas été capable de défendre la vie et la sécurité de tant de Valenciens.
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Publié le 2 novembre dans la revue Viento Sur.
Traduction, titre et intertitres : Contretemps.
Notes
[1] https://www.eldiario.es/comunitat-valenciana/acta-reunion-crisis-mazon-marlaska-1-900-desaparecidos-provisionales-riesgo-colapso-hospitales-valencia_1_11785052.html
[2] https://www.cgtvalencia.org/bombers-forestals-de-la-generalitat-denuncien-que-no-van-ser-mobilitzats-durant-la-dana-per-la-descoordinacio/ Révisé le 1er novembre 2024
[3] https://www.elplural.com/politica/mazon-rechazo-ayuda-bomberos-elite-catalanes-tragedia-valencia_340587102
[4] https://x.com/JuanBordera/status/1851424165875917310
[5] https://www.levante-emv.com/comunitat-valenciana/2024/10/30/dana-valencia-universidades-clase-lunes-110903113.html
[6] https://x.com/MiguelUrban/status/1787962687885865127
[7] https://intersindical.org/noticies_actualitat/article/les_entitats_civiques_socials_i_sindicals_exigeixen_responsabilitats_politiques_per_la_dana_al_pais_valencia