
8 septembre, 10 septembre et après ?
Le mois de septembre voit resurgir en France la crise politique confinant à la crise de régime, que le bloc au pouvoir macrono-LR était parvenu à suspendre provisoirement avec la complicité du RN et du PS. Le gouvernement de François Bayrou a toutes les chances de tomber le 8 et, dans la foulée, le 10, s’annonce une journée de mobilisations, imprévisible dans son ampleur, ses formes et sa radicalité, mais fortement attendue.
Contretemps a demandé à plusieurs militants ou dirigeants d’organisations de la gauche sociale et politique de développer leurs positions concernant la nouvelle conjoncture politique qui s’est ouverte cet été, et les perspectives qu’ils avancent. Hendrik Davi, député de la cinquième circonscription des Bouches-du-Rhône, est membre de L’Après (mouvement politique constitué suite à l’exclusion de plusieurs députés de la France Insoumise lors des élections législatives de 2024). Invité à l’université d’été du NPA-L’Anticapitaliste, il a débattu de la situation politique de cette rentrée et de la nécessité d’un front social et politique. Il a proposé à Contretemps de publier cette intervention.
On pourra également lire sur notre site la contribution de Clémence Guetté et Hadrien Clouet, députés de la France insoumise.
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Une mobilisation sociale qui se prépare au cœur de l’été avec une date de mobilisation le 10 septembre. Un premier ministre qui demande à la surprise générale un vote de confiance de l’Assemblée Nationale le 8 septembre, perdu d’avance. Le 9 septembre, la France sera donc une nouvelle fois sans gouvernement et dans l’incertitude. La revendication d’une démission du président de la République s’amplifie sur les réseaux sociaux et les bourses dévissent…
Nous sommes à un point de basculement et nous vivons bien une crise de régime qui peut se dénouer positivement par une victoire de la gauche ou négativement par celle du Rassemblement National. Mais avant de rentrer dans le détail des issues possibles, il me semble utile d’examiner les rapports de force sociaux et politiques sur le temps long en intégrant la dimension internationale. C’est une caractéristique du matérialisme dialectique de ne jamais coller à l’évènement, mais de toujours analyser une situation politique dans sa globalité et examinant les continuités et les ruptures.
Crise de régime et crise du capitalisme
Cette crise de régime de la 5ème République n’est pas propre à notre système institutionnel et à la France. Elle est généralisée partout quelque soient les régimes, parlementaires ou présidentiels. Elle trouve sa racine, dans les contradictions fondamentales du capitalisme. Son régime d’accumulation et la compétition entre les capitalistes, rendent impossibles la satisfaction des besoins fondamentaux des populations et en même temps la garantie de rendements satisfaisants pour le Capital. Le capitalisme entre de façon chronique en crises de surproduction/ sous-consommation et a toujours des difficultés à maintenir des taux de profits élevés. A ces contradictions internes, s’ajoute aujourd’hui une contradiction fondamentale entre la nature et le Capital, entre la nécessité d’une accumulation infinie de biens et de services et la finitude de la planète.
Ces crises conduisent cycliquement à des pertes d’hégémonie des classes dominantes. Pour le dire autrement, le récit des classes dominantes n’est plus suffisamment efficace pour obtenir un consentement massif. L’agenda néolibéral du travailler plus pour gagner moins, ne fait plus rêver. Fondamentalement, c’est ce qui explique l’échec de Macron et de Bayrou à faire accepter une politique d’austérité, qui épargnerait les plus riches. Supprimer deux jours fériés était probablement un chiffon rouge, mais cela a été vécu comme une provocation dont Bayrou ne pouvait pas sortir ensuite indemne.
Ces contradictions et crises génèrent aussi une résurgence des tensions inter-impérialistes à l’œuvre de façon dramatique avec l’agression russe en Ukraine et le génocide à Gaza. Ces tensions sont plus radicales et plus visibles chaque jour qui passe, notamment avec la politique protectionniste de Trump.
Menace fasciste
Dans ce contexte, nous pourrions espérer une révolution sociale. Mais nous faisons face à deux difficultés objectives. La première est que le mouvement ouvrier est durablement affaibli. Il est matériellement affaibli en France du fait de la désindustrialisation et l’ubérisation, qui atomise le salariat. Il est idéologiquement affaibli par les divisions produites par le racisme, et le sexisme. Mais il lui manque aussi la confiance dans un horizon émancipateur. Un écosocialisme démocratique et autogestionnaire, n’a pas encore remplacé le communisme. Nous n’avons pas retrouvé la puissance de propulsion des révolutions de 1789, de la Commune ou de l’insurrection de 1917.
Nous sommes donc dans une course de vitesse avec des nouvelles formes de fascisme. Elles prospèrent sur le terreau fertile du patriarcat et du racisme. L’islamophobie se nourrit du passé colonial de la France. C’est un mouvement de fond puissant. Par ailleurs, ce processus de fascisation est lui-même dynamique. Le second Trump qui envoie l’armée à Washington est plus violent que le premier. Il y a une radicalisation du processus de fascisation. Le dénouement d’une crise de régime par une victoire en France du RN, serait un risque mortel pour notre camp. La dissolution de forces politiques ou syndicales pourrait être l’étape d’après. Cela aurait aussi des conséquences majeures sur les relations internationales notamment sur le dénouement des conflits en Ukraine et en Palestine. Vu l’importance militaire et politique de la France, il est d’ailleurs possible que les USA et la Russie participent à déstabiliser la France en sous-main, pour provoquer l’avènement d’un gouvernement d’extrême droite qui leur soit favorable. Nous devons être lucides sur ce sujet.
Unité et radicalité
C’est dans ce contexte qu’intervient cette rentrée sociale et politique. Nous sommes donc du point de vue du rapport des forces dans une situation défensive, où le plus urgent est d’éviter que les fascistes prennent le pouvoir d’État, notamment en France où le président de la République concentre des pouvoirs énormes. C’est ce contexte qui exige une unité sociale et politique sans faille. Il faut travailler à la convergence du front social et politique, mais tout en respectant les spécificités et les rythmes de chaque champ.
Cette unité est possible. Nous ne partons pas de rien. Dans le champ social, l’unité des organisations syndicales a été une des conditions du mouvement massif sur les retraites (massif, mais pas suffisant, j’y reviendrai après). Dans le champ politique à deux reprises avec la NUPES et le NFP, les partis de gauche et les écologistes se sont mis d’accord sur un programme en rupture avec l’agenda néolibéral.
Un programme de rupture
Évidemment une unité sans contenu n’est pas de nature à mobiliser le peuple de gauche. L’unité pour l’unité n’aura pas la force propulsive suffisante. Les gens n’arrivent pas à finir leurs fins de mois, ils ne trouvent pas à se loger, les prix de l’énergie et de l’alimentation flambent, la planète brûle littéralement avec les canicules et les incendies de forêt. Nous devons proposer des solutions concrètes à tous ces enjeux.
Notre projet de société doit répondre de façon crédible aux attentes du plus grand nombre :
-Vivre dignement avec une augmentation des salaires et prestations sociales.
-Bloquer les prix de l’énergie, de l’eau et des biens de premières nécessités pour que l’on puisse se déplacer, se chauffer, boire et manger
-Se loger avec la construction massive de logements sociaux, la réquisition des logements vides et un vrai service public du bâtiment capable de rénover globalement les bâtiments
-Manger sainement avec une sécurité sociale de l’alimentation qui rapproche producteurs et consommateurs, sans craindre de mourir d’un cancer à cause des pesticides et autres polluants qu’on respire. C’est pour cela qu’il faut abroger la loi Duplomb.
-Donner plus de moyens à la santé, pour que tout le monde ait accès aux services de soins publics et de l’éducation en augmentant les cotisations sociales et les impôts des plus riches
-Réduire le temps de travail pour mieux le partager et en finir avec les logiques managériales qui génèrent de la souffrance au travail, et redonner du pouvoir aux organisations syndicales.
-Favoriser le rail et les transports en commun en tendant vers la gratuité avec un ticket climat social par exemple.
A bien des égards après huit ans de Macronisme, la gauche est plus homogène sur le fond qu’à d’autres périodes de notre histoire. Cette homogénéisation autour d’un socle de rupture avec le néolibéralisme vient de loin. On la doit aux grandes mobilisations de 1995 sur la sécurité sociale, aux mouvements sur les retraites en 2003 et 2009, à l’émergence du mouvement altermondialiste et d’ATTAC, à la victoire du NON de gauche en 2005 et aux trois campagnes présidentielles de Jean-Luc Mélenchon.
Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas des combats à mener, notamment avec le PS, pour que le programme soit le plus audacieux possible. Mais sur le fond, c’est la puissance du mouvement social et la lutte des classes, avant et après une éventuelle victoire de la gauche, qui déterminera la radicalité des mesures prises.
Le 10 septembre, faisons grève pour la justice sociale
L’annonce du 8 septembre vise précisément à tuer dans l’œuf la mobilisation du 10 septembre. Il faut donc assurer sa réussite et pour cela que les objectifs soient clairs. La CGT et Solidaires appellent à faire grève à cette date : c’est une bonne nouvelle. LFI donne comme mot d’ordre la démission de Macron. Cela peut avoir une certaine efficacité, car celui-ci est détesté et effectivement il est le dernier verrou.
Mais ce mot d’ordre pose plusieurs difficultés. La première est que le rapport de force pour obtenir la démission d’un président de la République est très élevé et probablement hors de portée. Et si le mouvement y parvient, la question de la démission de Macron deviendrait par ailleurs accessoire. Nous serions dans une vraie insurrection sociale qui pourrait exiger l’expropriation des capitalistes et la socialisation des moyens de productions. L’autre problème plus sérieux est que le corps social a assimilé l’idée selon laquelle en cas d’élection présidentielle, la gauche serait divisée et le RN gagnerait l’élection. A quoi bon faire grève, si c’est pour ensuite avoir Bardella ou Retailleau président de la République ?
Il me semble que ce mouvement social, comme celui des Gilets jaunes ou des Indignés auparavant, ou de la mobilisation contre la réforme des retraites, doit d’abord mettre en avant l’exigence de justice sociale et écologique et l’exigence démocratique. Nous ne voulons pas de Bayrou, ni d’un quelconque autre premier ministre qui mènerait la même politique. Nous ne voulons pas de Macron, ni d’un autre président mènerait la même guerre de classe.
Sur les méthodes d’action, le mot d’ordre de blocage est pour moi confus. Pour beaucoup, sur les réseaux sociaux, c’est tirer de l’argent pour que les banques n’aient plus de liquidités ou refuser de consommer. Ce type de mots d’ordre épargne le patronat en tant qu’exploiteur dans la lutte des classes. Et surtout cela produit des mouvements assez individualistes, incapables de contagions. A mon avis, les manifestations de rue, l’occupation des places ou des ronds-points et des lieux de travail et la grève surtout demeurent les modes d’actions que nous devons privilégier, car ces actions collectives créent du commun sont de nature à généraliser le mouvement et donc le massifier.
Enfin, il nous faut articuler le rythme de l’intersyndicale et l’auto-organisation à la base. Cela ne peut que se faire par des AG interprofessionnelles massives et dynamiques qui fonctionnent démocratiquement. Les collectifs du NFP peuvent contribuer à initier ou accompagner de telles AG. Rapidement, elle devrait avoir lieu dans chaque village et chaque quartier.
Le 8 septembre et après ?
Évidemment, le dénouement de la crise politique et les suites du 8 septembre, dépendront de la puissance du mouvement social. Les deux sont liés.
Visiblement, Bayrou avait l’accord de Macron. Ils ont donc préparé un plan B. Il y a deux possibilités, un gouvernement avec un premier ministre qui trouve un compromis soit avec le PS soit avec le RN, ou la dissolution de l’Assemblée Nationale. Trouver un compromis avec le RN semble compliqué, puisque le RN exige une dissolution. Trouver un compromis avec le PS exige que Macron accepte un peu, de faire payer les plus riches et les entreprises (seule façon de juguler la dette sans une politique d’austérité massive), ce qu’il a toujours refusé jusqu’à maintenant. Il faut donc se préparer à l’éventualité d’une dissolution.
L’annonce des élections municipales en mars 2026 prépare peut-être une dissolution à la même période pour profiter de la division de la gauche à ce moment-là. Mais Macron peut être contraint de dissoudre avant.
En cas de dissolution, si la gauche est unie et que les salariés sont dans la rue, nous pouvons battre le RN et avoir une majorité de gauche. Évidemment ce ne sera pas le grand soir au vu des rapports de force, mais une telle victoire préserverait les possibles pour la suite. Ce scénario semble impossible en cas de division. La division alimentera par ailleurs la résignation, l’abstention et ne facilitera pas les manifestations ou les grèves.
Au moment où j’écris ces lignes, le PS semble refuser toute alliance avec LFI et LFI semble refuser tout accord avec le PS. Cela me semble irresponsable. Nous ne devons pas être prisonniers de l’obsession présidentielle. Évidemment l’unité ne sera pas simple. Mais nous l’avons fait à deux reprises et la dernière fois nous avons gagné.
C’est la raison pour laquelle l’APRES a adressé une lettre ouverte à toutes les composantes du NFP, pour que nous nous réunissions, nationalement, mais aussi localement le plus vite possible pour renouer avec l’unité du NFP.
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Illustration : © Raphael Lafargue/ABACAPRESS.COM