A lire : Un extrait de « Supports pédagogiques et inégalités scolaires » de Stéphane Bonnéry
Stéphane Bonnéry (dir.), Supports pédagogiques et inégalités scolaires, Paris, La Dispute « L’enjeu scolaire », 2015, 16 €.
Stéphane Bonnéry (maître de conférences à l’université de Paris 8, escol) a dirigé un ouvrage intitulé Supports pédagogiques et inégalités scolaires, aux éditions La dispute, pour réfléchir à l’accroissement des inégalités à l’école à partir des matériaux utilisés en classe (livres, manuels, fiches…). Autrement dit, il pose la question des conditions et des contenus d’enseignement dans un contexte où les politiques éducatives cherchent à augmenter quantitativement le niveau de qualification des jeunes : « Pense-t-on souhaitable de les y préparer tous de la même manière et de réunir les conditions pour ce faire ? Si oui, pense-t-on que c’est possible, et à quelles conditions ?«
Conclusion
Supports pédagogiques : des évolutions récurrentes
Différents chapitres de ce livre ont étudié les évolutions des exigences faites aux élèves dans les supports pédagogiques écrits : dans les manuels scolaires de l’école primaire et du collège (chapitre 1), dans les fiches de l’école maternelle (chapitre 3), dans les albums de littérature de jeunesse (chapitre 5). Des évolutions convergentes peuvent être récapitulées.
D’abord, les supports proposent des contenus plus notionnels et moins factuels ou figés, ainsi que des modes d’activité moins mécaniques, plus riches, qui sollicitent de l’élève moins de mémorisation-restitution1 et davantage un raisonnement à partir d’informations et de documents pluriels. Tout particulièrement, ils sollicitent de « mettre en relation » des éléments hétérogènes, ce qui est caractéristique de l’une des exigences de la « littératie étendue »2 ou des « dispositions scolastiques »3.
C’est le cas des manuels, dont les savoirs, moins narratifs ou informatifs, moins simplifiés, exigent moins de mémorisation-restitution que désormais une « construction » ou une déduction de notions plus conceptuelles qui sont données à voir comme étant plus relatives (l’état des connaissances savantes étant toujours provisoire). En outre, les savoirs et informations présentés par les manuels le sont de façon moins linéaire et explicite, et bien davantage à partir de documents pluriels où l’élève doit piocher des indices pour élaborer progressivement son raisonnement, en s’aidant de textes plus implicites ou synthétiques qui doivent être enrichis des informations disponibles dans les documents et activités prescrites. Enfin, là où les manuels d’autrefois délivraient « clés en main » un discours d’inscription des objets du quotidien (animaux…) et de l’expérience personnelle (la respiration…) dans le cadre scolaire de l’étude par disciplines, il est requis des élèves qu’ils sachent articuler préalablement le ressenti personnel (éprouvé dans des expériences au sein de différents milieux de socialisation, familiale, juvénile, scolaire) et la mise à distance de celui-ci pour être dans le domaine du savoir générique. Ainsi, les élèves sont confrontés non seulement à davantage de savoirs savants (très conceptuels, intégrés dans les curricula par la transposition didactique), mais aussi des pratiques sociales qui étaient autrefois prises en compte différemment (relatif rejet des ressentis individuels, exaltation des ressentis collectifs, notamment patriotiques…) ; c’est aujourd’hui à chaque élève de s’en saisir, à l’aide des supports, de la manière scolairement attendue.
On retrouve des évolutions similaires dans les fiches auxquelles est confronté l’élève à l’école maternelle, avec un cheminement intellectuel personnel attendu de sa part pour accéder au savoir (la numération jusqu’à tel chiffre, etc.) à partir des indices (mobiliser une diversité de critères de tris, de classements…) qu’il doit prélever dans des espaces graphiques moins organisés qu’autrefois. Il y a plusieurs décennies, les supports balisaient l’activité étroitement vers un objectif pédagogique plus simple (« reconnaître » des formes identiques sur un critère unique).
Dans les albums de littérature de jeunesse, les conclusions ou morales sont délivrées moins explicitement que dans les récits d’autrefois, qui étaient linéaires avec des textes et images redondants : là encore, des indices sont maintenant à prélever dans une pluralité de sources (texte, image, texte inséré dans les images, typographie, mise en page, autres histoires du patrimoine supposées être connues…) et doivent être confrontés car ils délivrent des informations complémentaires et discordantes, pour conduire un cheminement intellectuel d’élucidation des sens possibles et pluriels de l’histoire. Ici encore, il est requis d’articuler l’identification d’indices objectifs et les impressions ou les ressentis subjectifs qu’encouragent les implicites du texte.
Enfin, l’évolution des savoirs musicaux enseignés au collège (chapitre 4) recoupe celle des manuels : le curriculum musical est moins organisé en apparence par des savoirs formels à retenir (histoire de la musique, répertoire d’œuvres canoniques, solfège…) et de plus en plus porté sur une formation des dispositions requises d’un auditeur averti sachant « mettre en relation » différentes pièces musicales selon des critères variés (entrée en scène des instruments, structure de composition des morceaux, etc.). Cette possibilité est permise par les nouveaux supports numériques d’écoute musicale, à la fois grâce à la disponibilité facilitée des morceaux (enregistrements MP3, internet…), et la possibilité d’intervenir grâce à des interfaces numériques sur le flux de la diffusion (s’arrêter à un moment précis, revenir en arrière avec exactitude, réécouter successivement deux passages de deux morceaux), avec, en quelques « clics », bien plus de précision et moins de temps de manipulation que ne le requerraient les cassettes ou les disques. Ces nouveaux supports numériques facilitent les comparaisons de passages musicaux sans recourir trop longtemps à la mémoire auditive. Ainsi, si ces supports d’écoute musicale se distinguent de tous les autres qui ont été évoqués sur le fait qu’ils ne sont pas imprimés, la numérisation permet une manipulation de la musique qui revêt des caractéristiques très proches de formes littératiées évoquées dans les autres chapitres. De plus, la sollicitation de ces dispositions élaborées se réalise sur des répertoires « éclectiques », aussi bien les plus légitimes que ceux empruntés aux musiques contemporaines et juvéniles, que les adolescents doivent apprendre à écouter autrement que la manière plus personnelle qu’ils ont constituée en habitude, basée sur le ressenti plutôt que sur l’intellectualisation de l’écoute.
Cette analyse de l’évolution tendancielle, constatée en maternelle, élémentaire et collège pour différentes disciplines, mériterait d’être systématisée, dans les différentes disciplines de la scolarité unique et dans les diverses filières du lycée, général, technique et professionnel, voire dans l’enseignement supérieur.
D’ores et déjà, toutes ces évolutions convergent vers un constat : les exigences dont les supports pédagogiques sont porteurs s’avèrent plus complexes, dans le sens où elles sont plus stimulantes et plus difficiles. Cela fait des supports et de leurs usages une entrée particulièrement utile pour l’étude de la manière dont se construisent les inégalités scolaires aujourd’hui.
Etudier les supports actuels au risque des inégalités
Ces constats sur les évolutions des types de savoir et d’activité intellectuelle qui sont matérialisées dans les supports conduisent à reconsidérer ce que l’on entend par « difficultés » et « inégalités » scolaires. Ces formules ne désignent pas les mêmes réalités qu’autrefois. Alors même que le primaire devenait une préparation pour accéder au collège et au lycée massifiés, les exigences s’élevaient dans chacun des degrés du système4. Et les conceptions de l’enseignement évoluaient : les enseignants « disent » moins ce qui est à apprendre et essaient de conduire les élèves vers le cheminement intellectuel attendu. Ainsi les supports pédagogiques nous semblent avoir une fonction différente de ce qu’ils avaient autrefois où les textes de savoirs longs servaient surtout à être oralisés et mémorisés, et guidaient de ce fait une activité des enseignants et des élèves dont les enjeux étaient plus explicites. Aujourd’hui, les supports ne guident pas seulement par ce qu’ils « disent » mais par ce qu’ils suggèrent au travers de consignes d’activité, de documents à analyser, et des informations qu’ils rendent disponibles pour que l’élève construise le savoir réellement attendu.
Le cadrage de l’activité de l’élève que le support réalise nous semble devenir de plus en plus décisif, c’est pourquoi nous avons privilégié l’analyse des formes que prend ce cadrage. Nous avons encore étudié (même si nous avons fait le choix de moins les développer ici) les usages de ces supports dans la classe car leur influence n’est pas mécanique sur les pratiques des enseignants et des élèves. Le support est une condition de possibilité des usages : il en encourage ou tolère certains tandis qu’il en gêne d’autres.
Et il s’avère que si l’évolution des supports enjoint les élèves à des activités plus difficiles, elle n’est pas uniforme. Les manuels sont influencés tout d’abord par une première définition sociale de l’apprenant qui est dans la connivence avec les activités implicitement attendues, ce qui se traduit par un cadrage assez distendu, comme si des questions peu précises et des consignes d’activité suffisaient à guider les élèves. Or, ces cadrages trop imprécis laissent souvent leurs attendus dans l’implicite et favorisent donc les élèves qui ont acquis, hors l’école, les dispositions requises. Simultanément, une deuxième définition sociale est matérialisée dans les supports, celle de l’élève qui connaît des difficultés d’apprentissage, et qu’il faut enrôler, avec un cadrage étroit, dans des tâches déconnectées des enjeux de savoirs notionnels, relevant plutôt de l’exécution : les élèves que l’on encourage à se focaliser sur ces aspects sont privés de sollicitation à aller plus loin.
Cette cohabitation d’influences, dans les manuels et autres supports à vocation essentiellement scolaire, se retrouve dans les albums de littérature de jeunesse, dont le marché semble de plus en plus segmenté. On trouve aussi bien des œuvres actuelles dont la lecture attendue, à l’instar des albums anciens, peut se limiter à l’oralisation du texte qui délivre l’essentiel du sens d’un récit explicite et linéaire, que d’autres albums, que nous avons davantage décrits, ayant évolué vers une lecture requise qui ressemble à la conduite d’une « enquête » sur les sens cachés de l’histoire.
Ainsi les supports peuvent participer à la fabrication d’inégalités scolaires, à la fois du fait de leur caractère implicite reposant sur une connivence qu’ils ne construisent pas, et de ce que les explicitations ou cadrages qu’ils comportent peuvent guider les élèves vers des exigences moindres et vers autre chose que les apprentissages attendus. Les supports influencent la manière d’enseigner et d’apprendre, et peuvent contribuer à expliquer la récurrence des observations dans des classes et situations différentes, où ils véhiculent des influences similaires (conception de l’enfance et de l’apprentissage, des connaissances supposées être acquises hors l’école, conception de l’enseignement, etc.).
Ces résultats de recherche confirment l’intérêt que peut revêtir, pour la compréhension des inégalités scolaires, l’étude sociologique des supports pédagogiques et de l’ensemble de ce qui contribue à modeler l’activité cognitive, en se situant à une échelle intermédiaire d’analyse entre, d’une part les situations de transmission-appropriation en classe toujours spécifiques, et d’autre part les constats quantitatifs à l’échelle du système ou ceux des évolutions historiques de l’école.
Les enjeux pour la sociologie des questions pédagogiques
Nous venons de voir que le support pédagogique, dans la manière dont il matérialise des activités intellectuelles attendues, facilite ou opacifie la mobilisation effective de ces dernières. Comme cette condition d’apprentissage est souvent méconnue ou minorée, nous en avons fait l’objet central de ce livre, ce qui permet de relier les pratiques dans la classe aux influences qui s’exercent sur elles. Mais bien entendu, la forme et le contenu des supports ne constituent pas la seule condition d’utilisation inégale de ces derniers.
Les manières différentes de les utiliser d’un enseignant à l’autre sont bien sûr à prendre en compte, selon les formations initiale et continue dont ils ont pu, ou pas, bénéficier, comme selon leurs connaissances extérieures et le temps dont ils disposent, ou encore selon leurs liens avec la hiérarchie ou des réseaux pédagogiques, les informations qu’ils détiennent pour se repérer dans le marché des outils pédagogiques, la vision qu’ils ont de leurs élèves ou bien selon l’existence ou pas de relations d’entraide dans l’établissement. En liant les caractéristiques des enseignants (et de leurs conditions d’exercice) et celles des supports, on pourrait ainsi mieux comprendre pourquoi les professeurs choisissent tels supports et s’en servent de telle manière, plutôt que de considérer leurs pratiques comme si elles découlaient uniquement de leur volonté.
Par ailleurs, les savoirs et dispositions que les élèves ont acquis hors l’école et qu’ils peuvent utiliser dans celle-ci (aspects déjà développés par les recherches précédentes des contributeurs de l’ouvrage), sont encore une autre condition d’utilisation différente des supports. Elle devient décisive quand ces derniers, pas plus que les pratiques pédagogiques, ne lèvent les implicites5.
Au-delà de ces prolongements directs de notre livre sur l’étude des supports et de leurs usages dans les classes, plusieurs autres projets de recherche se dessinent qui pourraient contribuer à la sociologie des inégalités scolaires, en continuant à prendre au sérieux la question pédagogique.
L’une de ces recherches consisterait à étudier dans quels types sociaux d’établissements scolaires sont utilisés prioritairement des supports aussi exigeants que ceux que nous avons décrits, qui cadrent plus ou moins l’activité intellectuelle, et dans quels autres établissements les supports prédominants correspondent plutôt à des activités d’exécution, sur le modèle des supports plus anciens. En effet, si l’on connaît les effets de ségrégation sociale des élèves selon les classes à profils ou établissements6, on ne sait presque rien des outils pédagogiques qui pourraient être inégalement utilisés dans ces contextes, et par là contribuer à des curricula inégaux.
Plus largement, à l’issue de ce livre, il nous semble nécessaire de développer des recherches sur la production des programmes et des supports, en centrant le regard sur les modalités de constitution des contenus précis et des exigences cognitives, afin que nos études des caractéristiques de ces supports et programmes (qui sont à compléter) puissent mieux être reliées aux raisons et aux conflits qui les ont générés. Il s’agirait là de travailler avec les sociologues des curricula qui ont essentiellement étudié les groupes d’influence et des contenus, mais avec un grain d’analyse moins précis quant aux savoirs et aux activités intellectuelles requises.
D’autres recherches encore pourraient être conduites en partenariat entre des didacticiens et historiens, s’attachant à préciser les grandes évolutions d’exigences selon les supports, avec des étapes caractéristiques selon les périodes7.
Par ailleurs, le net développement d’un marché de l’édition parascolaire depuis quelques années interroge sur la division du travail qui semble s’opérer, pour les mêmes éditeurs, entre d’une part les supports pour la classe très exigeants mais peu accompagnateurs du travail enseignant et de l’activité des élèves pour que ceux-ci surmontent les difficultés, et d’autre part les supports parascolaires, à destination des parents et enfants. Ces outils parascolaires semblent souvent bien plus proches des anciens manuels, comme si à la famille était dévolue la responsabilité d’instruire de savoirs factuels et explicites, les éditeurs encourageant les enseignants à ne conserver que la mise en activité intellectuelle de l’élève à partir des documents. Cette étude reste à faire, mais un premier corpus constitué nous conduit à en faire l’hypothèse.
L’intérêt de l’étude des supports d’activité pour étudier ce qui se transmet d’une génération à l’autre nous semble dépasser la seule question de l’école, et concerne donc d’autres sous-champs spécialisés de la sociologie qui étudient la socialisation.
La sociologie de l’appropriation au-delà de l’école
Au-delà de l’école elle-même, comme nous avons commencé à l’étudier avec la musique et la littérature de jeunesse, ce serait un prolongement logique de ce livre que d’étudier l’évolution des supports pour les pratiques qui se situent à la frontière du scolaire, des pratiques culturelles, du familial et du ludique, notamment les jeux ou pratiques culturelles. Nous formons en effet l’hypothèse que cette prédilection grandissante pour des supports qui sollicitent une activité intellectuelle de mise en relation de critères variés n’est pas seulement une caractéristique scolaire, mais qu’elle existe aussi dans d’autres domaines de socialisation enfantine et juvénile, parmi les plus « légitimes ». On pense ainsi aux supports tels que certains jouets (Cluedo, Qui est-ce ?, …), des logiciels éducatifs, certains films à destination de la jeunesse. Ce pourrait encore être le cas des supports (imprimés, audios, signalétiques) spécifiquement destinés aux enfants pour la visite de musées (artistiques, scientifiques et techniques) ou de lieux touristiques.
En effet, notre livre confirme la similitude des évolutions entre les exigences portées par les supports pédagogiques, et celles identifiées dans les pratiques culturelles relevant de « l’éclectisme éclairé » : les contenus légitimes du patrimoine d’œuvres objectivées, s’ils ne sont plus les seuls investis par les classes dominantes dans le champ culturel, semblent bel et bien utiles pour se saisir d’autres contenus avec des grilles de perception intellectualisantes et esthétisantes, en « mettant en relation » ces différents contenus : différents morceaux de musiques (chapitre 4), différents indices dans un album de littérature évoquant d’autres œuvres (chapitre 5). Si nous avons commencé à montrer que ces nouvelles dispositions cultivées sont sollicitées dès l’école, et qu’elles ressemblent à celles de la culture « adulte », il pourrait être intéressant d’étudier comme on vient de le voir les supports des pratiques culturelles hors du temps scolaire, pour enfants mais aussi pour les adultes. L’analyse par exemple des modalités par lesquelles s’opèrent les « mises en relations » entre les éléments empruntés à différents horizons culturels pourrait contribuer à expliquer ce qui fait une pratique distinctive dans la contemplation artistique aujourd’hui. Plus généralement, au-delà du seul champ artistique, des recherches commencent à converger pour montrer que les évolutions des formes culturelles, mais aussi celles des sciences et techniques8 et du procès de travail, participent d’un changement des formes de lecture et de raisonnement liés à l’évolution des supports d’activité dans ces domaines.
Ceci nécessiterait d’éclairer les points aveugles respectifs des sociologies du travail, de la culture et de l’école. Cette dernière s’intéressant peu à la proximité entre culture scolaire et formes légitimes, populaires ou juvéniles de culture, et étudie peu les liens entre l’évolution des formes de travail chez les adultes et celles des formes de l’étude. Tandis que la sociologie de la culture et du travail laissent souvent de côté les processus d’appropriation qui sont utiles pour comprendre tant la réception des œuvres que les formes de raisonnement sollicitées sur les postes de travail.
Des questions sociologiques pour la pédagogie et la politique éducative
Si nous avons plaidé pour une meilleure prise en compte des questions pédagogiques par la sociologie des inégalités scolaires, inversement, l’apport des recherches sociologiques questionne et éclaire sous un autre angle la réflexion pédagogique et les politiques éducatives.
Nos recherches sur différents supports montrent qu’une élévation des exigences a eu lieu, depuis plusieurs décennies, en termes d’activités cognitives requises chez les élèves. Les supports font ici écho à l’évolution dans plusieurs domaines des programmes de la maternelle au lycée. Le « niveau » ne baisse donc pas de façon globale comme on l’entend souvent dire trop rapidement dans les discours qui visent à disqualifier l’école publique. Inversement, on ne peut pas non plus affirmer qu’il monte sans autre précision. Car si c’est le cas pour ce qui est requis aujourd’hui afin de préparer aux études longues, la réponse est plus nuancée, tant pour ce qui est enseigné de manière effective dans les classes (parfois avec des exigences dénivelées comme on l’a vu), que pour ce qui fait l’objet d’une appropriation effective par les élèves.
Se posent alors des questions que le sociologue peut pointer, mais qu’il appartient au débat politique d’exposer, de conduire et de trancher. En effet, parler « d’échec » dans l’apprentissage aujourd’hui ne recouvre pas la même réalité qu’autrefois. Les élèves doivent apprendre des choses plus complexes pour se préparer à poursuivre des études longues et à se confronter à la vie sociale de demain. Pense-t-on souhaitable de les y préparer tous de la même manière et de réunir les conditions pour ce faire ? Si oui, pense-t-on que c’est possible, et à quelles conditions ?
C’est au niveau des choix politiques que peuvent être créées les possibilités effectives (temps, lieux de formation initiale et continue, lieux d’échange entre pairs, élaboration raisonnée et réflexive de supports pédagogiques…) qui permettraient aux enseignants de pourvoir mieux travailler sur les supports et les dispositifs pédagogiques. Et c’est encore une question de choix politique qui conduirait à repenser les curriculums formels afin qu’ils ne reposent plus sur des implicites que partagent seulement une minorité d’élèves.
à voir aussi
références
⇧1 | Rappelons que ce constat est relatif, les manuels d’après-guerre, et même ceux des débuts de l’école républicaine, portaient déjà une volonté de rompre avec la simple mémorisation-restitution, ces évolutions se sont faites par étapes. |
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⇧2 | Élisabeth Bautier, « Pédagogie invisible et littératie étendue. Construire des significations à partir de supports composites », Seventh International Basil Bernstein Symposium (Actes), Aix-en-Provence, 27-28 juin 2012. |
⇧3 | Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, op. cit. |
⇧4 | Au-delà des supports, ce constat tend à s’imposer pour l’ensemble des aspects du curriculum : Élisabeth Bautier, « Changements curriculaires, des exigences contradictoires qui construisent des inégalités », in Ben Ayed Choukri, L’école démocratique. Vers un renoncement politique ?, Paris : Armand Colin, 2010. |
⇧5 | On rejoint ainsi l’idée selon laquelle les pratiques humaines gagnent à être comprises en articulant les « dispositions » précédemment acquises par des êtres sociaux (ici les enseignants ou les élèves) et les « contextes » qui influencent les pratiques (un même enseignant, ou un même élève, n’utilisera pas de manière identique des supports différents) : Bernard Lahire, Monde pluriel, Paris, Le Seuil, 2012. |
⇧6 | Van Zanten Agnès, L’école de la périphérie, Paris, PUF, 2001. Ben Ayed Choukri & Broccolichi Sylvain, École : les pièges de la concurrence, Paris, La découverte, 2010. |
⇧7 | Cette idée est encouragée dans : Joigneaux Christophe et Rochex Jean-Yves, « La construction de l’élève à l’école maternelle : regards croisés et apports de Vygotski, Bernstein et Goody », in Brossard Michel et Fijalkow Jacques (dir.), Vygotski et les recherches en éducation et en didactiques, op. cit. |
⇧8 | Voir les travaux de Chartier, Gardey, Herrenschmidt et Olson dans la section bibliographique « Sur les formes de raisonnements associés aux formes de l’écrit ». |