Les attentats d’Israël au Liban sont du terrorisme d’État
Le moins qu’on puisse dire c’est que la dernière vague d’attentats israéliens au Liban n’a guère suscité d’émotion dans les médias et les opinions publiques occidentales, qui les ont à peu de choses près présentés comme la riposte inévitable (voire justifiée) d’Israël aux actions que mène le Hezbollah contre Israël et au son soutien qu’il accorde au Hamas.
Le 19 septembre, Le Monde titrait ainsi « le Hezbollah pris au piège dans son soutien au Hamas ». D’autres médias donnent complaisamment la parole à des spécialistes et des anciens agents du renseignement qui s’extasient devant cette prouesse du Mossad. Pourtant, même s’il est supposé viser des combattants ennemis, l’usage détourné d’appareils civils à des fins létales en dehors des zones de combat est illégal au regard du droit humanitaire, comme l’a rappelé le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Volker Türk, dans l’une des très rares déclarations de responsables d’organismes internationaux condamnant ces attentats.
La directrice pour le Moyen Orient et l’Afrique du nord de Human Rights Watch Lama Fakih a souligné de son côté que « le droit international humanitaire interdit l’utilisation d’engins piégés, c’est-à-dire d’objets susceptibles d’attirer les civils ou associés à un usage civil quotidien normal, précisément pour éviter d’exposer les civils à un risque grave et de produire les scènes dévastatrices qui continuent de se dérouler dans tout le Liban aujourd’hui. Une enquête rapide et impartiale sur ces attaques doit être menée d’urgence. »
En effet, une proportion indéterminée (pour l’instant) des 3000 blessés et des dizaines de morts sont de simples civils, souvent des enfants, qui se trouvaient à proximité de utilisateurs des bipeurs ou des autres appareils piégés de télécommunications lorsque ceux-ci ont explosé, c’est-à-dire, la plupart du temps, dans des commerces, dans la rue, dans des espaces publics très fréquentés ou dans le domicile.
Selon Amnesty International, qui demande également une enquête internationale pour établir la responsabilité de ces attentats, « les éléments dont [nous] disposons indiquent que les bipeurs n’ont pas seulement été distribués à des combattants, mais probablement aussi à des employés d’institutions du Hezbollah qui travaillent à titre civil. Le Hezbollah a déclaré dans un communiqué publié le 17 septembre que les téléavertisseurs appartenaient à des ‘employés de diverses unités et institutions du Hezbollah’. Le ministre de la santé du Liban a déclaré à l’organisation qu’au moins quatre professionnels de la santé avaient été grièvement blessés lors de ces attaques. Deux d’entre eux (…) sont décédés des suites de leurs blessures ».
Le but premier de ces attentats est en effet de semer la terreur dans la population libanaise et préparer le terrain à des attaques d’ampleur, voire à une guerre en bonne et due forme, contre ce pays martyrisé à plusieurs reprises au cours des dernières décennies par les agressions et l’occupation infligées par Israël.
C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre le volet proprement militaire de ces actes terroristes, à savoir désorganiser temporairement une partie du système de communication du Hezbollah, tout en poursuivant les assassinats de ses figures dirigeantes. En ligne de mire, l’embrasement de toute la région et une guerre avec l’Iran, qui impliquerait les Etats-Unis et les puissances occidentales, objectif stratégique d’Israël, et tout particulièrement de Netanyahou, depuis plusieurs décennies.
Quant aux médias et aux responsables politiques, en France plus particulièrement, on notera leur silence, qui vaut complicité, face à ce terrorisme d’Etat. Les vies de civils libanais, arabes, musulmans, ne méritent aucun acte, même formel, de contrition ou de compassion. Seule exception, une fois de plus, parmi les formations représentées à l’assemblée, la France insoumise, qui souligne, dans son communiqué, que « ces actes de guerre ont touché indistinctement les personnes présentes autour des appareils piégés, tuant ou mutilant notamment des enfants.
Quelles que soient les justifications avancées, ces attaques constituent de nouvelles violations du droit international, et de la souveraineté du Liban ». Dans un message sur son compte X, Jean-Luc Mélenchon est encore plus explicite : « Netanyahou massacre à présent aussi au Liban. Après l’assassinat des porteurs de bipeurs, de nouveau des frappes visant à terroriser la population non-combattante ». Mais comme le Figaro, non sans malice, le relève : « Si La France Insoumise est rapidement montée au créneau, ses partenaires de gauche sont pour le moment bien silencieux ».
Les attentats ont également été vigoureusement condamnés à l’extrême gauche, notamment par le NPA, qui pointe dans son communiqué « le cynisme et la cruauté d’un État sans aucune limite et dont l’objectif principal est d’entraîner l’ensemble de la région dans une guerre totale et de poursuivre la colonisation effrénée de la Palestine et bientôt du Liban sud ».
Dans l’article qui suit, Madeleine Hall, responsable des médias numériques de Jewish Voice For Peace, le réseau de militant·es Juif·ves basé aux Etats-Unis qui se mobilise massivement contre le génocide à Gaza et en soutien du peuple palestinien, analyse la signification de ces attentats et pointe les responsabilités écrasantes des Etats-Unis, de leur politique étrangère et du poids de leur complexe militaro-industriel.
Stathis Kouvélakis
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Israël a perpétré deux attentats terroristes au Liban cette semaine, amenant un peu plus la région entière au bord dela guerre totale. Ces actes sont ceux d’un État voyou et le résultat direct d’un sentiment d’impunité totale. Mardi et mercredi, ce sont den effet des milliers de bipeurs et de walkies-talkies chargés d’explosifs qui ont explosé dans tout le Liban. Les explosions ont eu lieu dans des supermarchés bondés, sur des routes très fréquentées, dans des maisons, des écoles et des hôpitaux. Cette vague d’attentats a mutilé plus de 3 000 personnes et tué au moins trente, dont des enfants.
« Israël n’a ni confirmé ni nié son rôle dans les explosions », rapporte le New York Times, « mais 12 responsablesactuels et anciens de la défense et du renseignement [des Etats-Unis] qui ont été informés de l’attaque affirment que lesIsraéliens en sont à l’origine, décrivant l’opération comme complexe et longue à mettre au point ».
Des voitures et des appartements ont été incendiés et les hôpitaux ont été submergés par des milliers de victimes. Comme les engins en question émettaient des signaux sonores répétés avant d’exploser, de nombreuses victimes les tenaient près de leur visage lorsqu’ils ont explosé, provoquant des blessures horribles.
Une grande partie des médias occidentaux s’est émerveillée de la soi-disant « précision » et de la « sophistication »de l’attaque, la présentant comme une opération destinée uniquement à cibler les membres du Hezbollah. C’est manifestement faux, car de nombreux civils ont été blessés et tués.
Le véritable objectif d’Israël était clair : susciter la peur et la panique au sein d’une population entière. Lors de la deuxième attaque, mercredi, des explosions ont été entendues pendant les funérailles de quatre personnes tuées laveille. Selon des informations non confirmées, des panneaux solaires et des distributeurs automatiques de billets ont également explosé lors des attentats. Les habitants de toutes les régions du Liban ont déclaré qu’ils avaient peur d’utiliser des appareils électroniques.
Il existe un mot pour cela : le terrorisme.
Netanyahou, la guerre sans fin pour rester au pouvoir
Les attentats terroristes perpétrés au Liban sont des actes qui pourraient entraîner toute la région dans la guerre, lesautorités israéliennes menaçant d’une invasion imminente le sud du pays.
Le génocide perpétré par Israël à Gaza a dévasté sa propre économie et suscité l’indignation et la condamnation de la communauté internationale. Pourtant, le premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a toujours intérêt à ceque la guerre s’éternise. C’est la raison pour laquelle il a à chaque fois fait échouer les négociations sur le cessez-le-feu, en insistant sur des conditions impossibles à satisfaire pour prolonger indéfiniment le génocide à Gaza.
C’est également la raison pour laquelle il tente d’entraîner toute la région dans une guerre plus vaste. Après tout, legouvernement israélien bombarde le Liban depuis le début du génocide à Gaza. Ces bombardements ont comporté de nombreuses attaques au phosphore blanc dans des zones peuplées, ce qui constitue une violation flagrante du droit international. En octobre, quelques jours seulement après le début du génocide, une frappe israélienne dans le sud du Liban a tué un reporter de Reuters et blessé six autres journalistes.
Netanyahou veut une guerre sans fin parce qu’il veut rester au pouvoir. Sa coalition gouvernementale est faible et elles’effondrera probablement lorsque l’assaut génocidaire d’Israël sur Gaza prendra fin. Une invasion du Liban entraînerait l’Iran et la Syrie dans la mêlée et transformerait le génocide de Gaza en une guerre sur plusieurs fronts. Il est alors probable que la coalition autour de Netanyahou puisse se maintenir et que son procès pour corruption soit évité.
La guerre signifie plus d’armes pour Israël et plus d’argent pour les entreprises de défense étatsuniennes
Les États-Unis ont déclaré qu’ils s’opposaient à toute nouvelle « escalade » et qu’ils soutenaient une « solution diplomatique » au conflit entre Israël et le Hezbollah. Quoi qu’en disent les responsables étatsuniens, une guerre d’Israël contre le Liban garantira à Israël davantage d’armes et de financements militaires américains – et remplira les poches des fabricants d’armes basés aux États-Unis.
Quand la région est au bord de la guerre, les entreprises de défense comme Lockheed Martin voient leurs actions grimper en flèche. Elles font, en effet, partie d’une industrie dont le chiffre d’affaires est de plusieurs milliards de dollars qui a tout intérêt à ce que la guerre s’éternise.
Voici comment cela fonctionne : les États-Unis envoient à Israël des milliards d’argent du contribuable qui sont ensuite utilisés pour acheter des armes sur le marché américain, produits par des industriels de l’armement basés aux États-Unis, qui exercent une influence énorme sur la politique étrangère et de défense des États-Unis et ont un impact massif sur leur économie.
Israël s’appuie sur un flux constant d’armes étatsuniennes pour maintenir un « état de guerre permanent », y compris son occupation militaire de plusieurs décennies sur des millions de Palestinien.nes et près d’un an degénocide à Gaza. En échange du soutien militaire et diplomatique indéfectible des États-Unis, Israël joue le rôle de pilier central de la domination américaine dans la région en protégeant ce que l’on appelle les « intérêts américains ». Les fabricants d’armes étant très influents, les « intérêts américains » s’alignent généralement sur ceux des entreprises basées aux États- Unis qui fabriquent les bombes.
Israël est un État voyou. S’il continue à bénéficier de l’impunité, il n’y aura que davantage de morts et de destructions. Le seul moyen de mettre fin au génocide à Gaza et d’empêcher une guerre régionale est que le gouvernement américain cesse d’armer Israël, un point c’est tout.
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Article initialement publié sur le site de Jewish Voice For Peace : The Wire.
Illustration : Wikimedia Commons.