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On a beaucoup écrit sur les zombies comme le prouvent le phénomène des Zombies Walk et le développement outre-Atlantique des Zombies Studies. Au Canada, le zombie serait le symbole de nos angoisses, le « double » (Maxime Coulombe[1]) de nous-mêmes, ou la « copie conforme à l’originale que serait la société » (Vincent Paris[2]), ou encore désignerait « le fourmillement souterrain du sous-prolétariat » (Antonio Domingue Leiva[3]). Ces perspectives ont en commun d’attribuer un sens social au zombie, car elles n’y voient rien d’autre qu’une représentation de nous-mêmes. En France, on donne une portée plus « politique » au zombie. Jean-Baptiste Thoret[4], par exemple, voit dans le zombie une sorte de « métaphore d’une Amérique déliquescente ». Toutes ces perspectives se rejoignent car elles cherchent à donner au phénomène du zombie un sens métaphorique ou à en faire un symbole de notre réalité. Qu’on le veuille ou non, c’est surtout grâce au cinéma et aux séries, que le phénomène zombie s’est cristallisé.

Dans un bel article, Zombies : Apocalypse or Rebellion[5], qui reprend certaines de ses analyses de son œuvre maîtresse, Monstres du Marché[6], McNally pointe l’enjeu du phénomène zombie en ces termes :

« c’est en Haïti moderne que les zombies ont acquis leur signification unique en tant que morts animés, simples chair et os, privés de mémoire et d’identité, travaillant au nom des autres. Cette vision des morts-vivants, qui est entrée dans l’industrie culturelle américaine dans les années 1930 et 1940, portait une charge critique : l’idée que la société capitaliste zombifie les travailleurs, les réduisant à des bêtes de somme interchangeables, à de simples corps pour la dépense du temps de travail »[7].

Puis il évoque le statut de l’apocalypse zombie à la télévision, qui, loin de contribuer à critiquer le capitalisme, l’oblitère :

« l’idée du zombie comme ouvrier mort-vivant a été remplacée dans la production culturelle américaine à la fin des années 1960 par celle de mort cannibale. Ce changement culturel pourrait être âprement satirique, comme dans le film de zombies de George A. Romero de 1978, Zombie. Mais alors que les images d’un mangeur de chair insatiable peuvent habilement ridiculiser un capitalisme tardif étouffé par ses propres excès, ces satires perdent trop facilement de vue ce que l’image haïtienne des morts-vivants a saisi »[8].

Dans ces conditions de survie, les zombies des séries ne sont rien de plus que les « « autres » fous qui nous menacent »[9]. David McNally oppose très justement à cette vision médiatique des zombies, les marches politiques de zombies qui s’organisent, en 2011, contre la politique de droite du gouverneur Scott Walker ou – sous l’impulsion de l’« Occupy movement » – contre le capitalisme financier, devant la bourse de New York. À la fin de son article, David McNally a le souhait de voir un jour « l’événement zombie » s’accomplir ; ce que l’on peut associer à une révolution politique, le Grand Soir.

Si l’on peut en effet avoir ce point de vue sur les séries, il n’en va pas de même pour le cinéma. Romero, créateur du zombie cannibale, en 1968, fait du zombie, moins l’incarnation d’un travailleur-esclave (symbole d’une réalité sociale) qu’une figure qui lui échappe, un plébéien, un ingouvernable. Romero a été le premier cinéaste indépendant à repenser entièrement le statut des zombis, depuis leur introduction dans le cinéma des années 30. Ses zombies cannibales concrétisent, sur le plan de la fiction, l’événement dont parle McNally. Ils mettent en crise (un peu comme le Covid actuel) la logique capitaliste, mais plus fondamentalement la « démocratie ».

En 2008, Sylvestre Meininger a bien évoqué dans un article du Monde diplomatique, intitulé Le retour des zombies, les enjeux politiques contemporains des films zombies de Romero : le « retour du refoulé » de la guerre du Vietnam, la « fracture raciale », le consumérisme, le terrorisme, le problème de la violence, les problématiques sanitaires, l’exclusion (vagabond, sans-papiers)[10]. Mais l’ensemble de ces contestations ne prend vraiment sens que relativement aux mécanismes biopolitiques sur lesquels s’appuient les démocraties contemporaines. On peut dire que le cinéaste saisit, bien avant Michel Foucault, sur le plan du cinéma, leur nature biopolitique, et en particulier, celle des États-Unis. C’est dire que les démocraties ne reposent pas seulement sur un principe de souveraineté, elles tissent comme une membrane : d’un côté, elles enserrent les individus par des normes et de l’autre elles peuvent à chaque instant les exclure. Le rôle des zombies, c’est de distendre cette membrane, voire la trouer.

Dans ces conditions, parler de zombie comme catégorie univoque (qu’il soit vu comme travailleur-esclave, ou comme monstre, virus…) ne peut qu’avoir un sens restreint, si l’on n’envisage pas à quelles lignées politiques le zombie appartient. Et pour mieux en prendre la mesure, rien de tel que de passer en revue l’évolution du zombie au cinéma.

 

Les régimes de possession zombi(e)s

On peut, au cinéma, distinguer trois sortes de zombies. Deux lignées ont été largement développées par Hollywood, et ce n’est pas un hasard qu’elles aient en commun d’en faire des êtres possédés et des « vivants » atténués[11] : c’est la lignée du zombi, ou N’Zumbe, qui débute dans les années 30, et la lignée des zombies actuels, qu’on voit proliférer aujourd’hui sur les écrans. Une lignée intermédiaire, celle de Romero, va opérer le changement mais aussi subir des modifications, avant de devenir « le néo-zombie » que l’on connaît.

 

Le zombi vaudou

La première lignée a donné son nom au zombie[12]. Le terme zombi est un terme vaudou. On peut le définir ainsi :

« un zombi − homme, femme, enfant − était une personne dont le métabolisme, sous les effets d’un poison végétal, a été ralenti au point d’offrir au regard du médecin légiste toutes les apparences de la mort […] Malgré ces symptômes de décès, le sujet zombifié conservait l’usage de ses facultés mentales ».

Le zombie n’est pas à proprement parler un « mort-vivant », même si on parle de lui comme d’un cadavre dans les histoires populaires qui l’évoquent. Avant tout, c’est un être possédé sous le contrôle d’un sorcier qui lui a jeté un sort. I walked with a zombie (1943) du cinéaste Jacques Tourneur illustre parfaitement ce sens. Comme le rapporte Alfred Métraux, ethnologue, dans son livre, l’article 246 de l’Ancien code pénal qualifie :

1°) d’« attentat à la vie d’une personne, l’emploi qui sera fait contre elle de substances qui, sans donner la mort, auront produit un état léthargique plus ou moins prolongé… de quelque manière que ces substances aient été employées et quelles qu’en aient été les suites ; 2°) et d’assassinat « si par suite de cet état léthargique, la personne a été inhumée »[13].

Par extension, cette définition appelle aussi une autre caractéristique plus politique : la dépendance. On parle du zombi comme d’une « personne vidée de sa substance, sans volonté », une sorte de somnambule. Le zombi est associé au magnétisme avec Moreau de Saint-Méry.

Par cette idée du magnétisme, on veut signifier que le vaudou renvoie à l’idée d’esclavage d’une personne par une autre, et ce n’est pas un hasard si ce sont les esclaves qui ont apporté le vaudou à Haïti : le vaudou est un moyen pour certains esclaves-sorciers d’inverser l’esclavage qu’ils subissent, ils s’en servent pour résister face aux maîtres, aux colons. Aujourd’hui, on retrouve l’usage du mot zombi à l’endroit des activités liées au travail. C’est un peu comme si le sens religieux (le système de possession du sorcier) et politique (sorcier qui refuse le système de pouvoir du colon) du zombi était édulcoré et déplacé du côté du champ économique et pensé comme un élément problématique de la démocratie et des normes (quelle est la bonne dose de travail ?).

 

Le zombie actuel ou néo-zombie

Le néo-zombie que nous rencontrons aujourd’hui dans la plupart des films (Bio-zombie, Pontypool, Resident Evil, Zombilandetc.) met en avant l’idée de contamination (virus ou prion). Le zombie est maintenant un être possédé par un organisme cellulaire. Son origine est toujours claire : c’est presque toujours, une expérience scientifique qui tourne mal ou une rencontre du troisième type. C’est le cinéaste Romero – sur lequel on va revenir – qui a influencé le zombie actuel, dans son apparence physique et certains de ses gestes, même si des réalisateurs, comme Danny Boyle, ont évacué l’essentiel de la portée politique de son œuvre. Si ces zombies contaminants nous fascinent, c’est parce qu’ils répondent au principe politique qui régit notre démocratie : la « biopolitique ». Ce qui veut dire que pour les spectateurs, la société doit se défendre de ce qui pourrait la contaminer, de ce qui pourrait déchirer la « membrane » qui la fait vivre. Cette membrane, c’est celle des valeurs, des normes et rien d’autre (elle s’appuie sur les corps des individus). Le zombie est le virus qui menace l’intégrité du corps démocratique. Le principe est d’ordre biologique et politique. Car qu’est-ce que la démocratie ? C’est un système biopolitique de pacification des individus qui en adoptent les principes.

Celui qui s’épanouit dans une démocratie est un « vivant » pacifié : il a un travail, il peut voter, il mange à sa faim, mais surtout il se sent en sécurité – ou, comme le dit Alain Brossat, « anesthésié ». Cela revient pour la démocratie à l’inscrire dans le circuit du « vivantisme »[14], soit une série de normes qui régissent les vivants dans leurs vies, et qui ont pour finalité de les protéger contre un ennemi. De fait, nous désirons toujours plus de normes pour nous « faire vivre ». La norme nourrit la norme. « Faire vivre » pour la démocratie, c’est aussi « faire mourir », au sens d’exclure (voire de détruire) ceux qui sont une menace potentielle. Le zombie, comme virus, est ainsi vu comme l’indésirable, comme un agent biologique (bactériologique) pernicieux, une menace pour notre sécurité, notre santé. Le zombie est un terroriste au fond, qui peut nous détruire, il est donc l’ennemi à abattre. Dès lors, il nous fascine parce qu’il est ce que nous ne voulons pas mais que nous n’arrivons pas à éliminer. Les morts reviennent toujours. Le zombie est une fonction politique.

La société imagine des « hordes » de zombies venant la contaminer, car dans le même temps, les sans-papiers, les migrants, dont les démocraties ne veulent pas, activent cette fonctionnalité. Pour le pouvoir, est mort celui qui porte potentiellement une autre fonctionnalité du pouvoir. Les migrants d’Afrique ou d’Orient apparaissent comme les incarnations d’un pouvoir qui est « mort », puisqu’il n’a pas su les garder. Le zombie apparaît bien comme l’équivalent de l’étranger. Comme ce dernier, il est vu comme une menace, car à tout moment, il peut mettre fin à la « pacification de nos sociétés », à son régime de normes (mise en question de la laïcité pour la France).

 

Double régime cinématographique

Ces deux lignées hollywoodiennes, à y regarder de près, ne sont pas, malgré des similitudes, historiquement superposables (même si elles se rejoignent sur le plan ontologique, celui mis en place par la technologie de pouvoir qu’est le cinéma). Tout d’abord, elles n’apparaissent pas en même temps sur les écrans : les années 1930/40 pour les N’zumbe, et les années 2000 pour les zombies actuels. Ensuite, ces lignées sont liées à des sociétés différentes – l’une est coloniale (société haïtienne soumise par les Français, puis partiellement par les USA), l’autre « proprement » démocratique. Toutes deux sont refusées par le pouvoir en place qui les voit comme une menace pour son exercice.

Prenons d’abord la première lignée. Le prêtre vaudou est au cinéma un maître doté d’un regard hypnotique qui lui permet de contrôler les zombies pour asseoir son pouvoir. Il est ainsi une menace pour les Colons. Le plus souvent noir, il est parfois un maître vaudou blanc qui zombifie les femmes blanches (cf. White Zombie de Victor Halperin). Pourtant le zombie, dans sa manière d’agir, de se conduire, prend certains traits du vampire (son caractère magnétique). La seconde lignée, incarnée par le zombie du cinéma actuel prend, quant à lui, les traits d’un être monstrueux, renforcés par les montages jump-cut et staccato : lui aussi ressemble au vampire par certains traits (contamination, morsures). Le zombie est donc une figure qui reçoit du vampire, la figure mort-vivante la plus terrifiante du cinéma et de la littérature, des traits qui vont aider à normaliser le spectateur. Le besoin de créer le zombie à l’image du vampire, même si ce dernier ne lui donne pas tous ses caractères, s’explique par le fait que le zombie doit pouvoir figurer l’ennemi : un ennemi politique.

En effet, le cinéma est à comprendre moins comme une industrie que comme une « technologie de pouvoir », terme qui vient de Michel Foucault et qui désigne la mise en œuvre au sein d’une architecture spécifique (par exemple la salle de cinéma) de dispositifs qui ont pour but de conduire le spectateur à « vivre » le film d’une certaine façon : ces dispositifs formés par un certain type de montage, un travail sur la narration, un certain jeu sur les appareils (caméra, relief), un travail sur les personnages, vont, à force d’être utilisés dans les films, produire des attentes, des conditionnements, des conduites. Il ne s’agit pas ici de parler de ce qui se passe au niveau du sens du film, mais de parler des effets d’une certaine configuration de procédures filmiques au niveau des conduites du spectateur lui-même. Le générique de film, par exemple, va jouer un rôle considérable dans la normalisation du film à partir des années 50 (grâce à Saul Bass, Maurice Binder et bien d’autres).

La normalisation généralisée que le cinéma américain met en place entre 1910 et 1970 passe par un certain façonnage, une certaine fabrique de l’ennemi de la démocratie. Le « zombi », dans les années 30, est récupéré par le cinéma états-unien non pas parce qu’il met en scène d’abord un « monstre » mais parce qu’il est une figure que l’on peut rencontrer comme ennemi dans les colonies : le colon peut voir dans le zombie une sorte d’ennemi qui peut s’opposer à lui, à l’exercice de son pouvoir, à sa conquête de quelques plantations – comme le montre bien le film White Zombie (1932) –, puisqu’il est contrôlé par un sorcier. À travers cette figure du zombi s’exprime aussi la peur du Noir qui peut agir sur le Blanc et limiter sa suprématie.

Mais déjà dans certains films des années 20, comme par exemple Metropolis (1927) de Fritz Lang, le zombi apparaissait sous les traits d’un ouvrier exploité par le capitalisme : dans ce film, on y voit des hordes d’ouvriers marchant au pas, en rythme et sans volonté, vidés de leurs âmes. Cet usage (vider de leur âme) est une extension du sens créole du mot zombi qui est justifiée dans la mesure où on retrouve la possession par un « vampire » (métaphore[15] qu’utilisait Marx pour définir le Capital) et l’état d’esclave de ceux qui sont « zombifiés ». Les hordes d’ouvriers sont d’ailleurs dans Metropolis déshumanisés. On montre ainsi les effets néfastes du capitalisme : le héros du film de Fritz Lang est un libérateur, une sorte de Moïse. Un peu plus tard, le zombi devient l’incarnation de la dérive économique qui déshumanise dans la mesure où le krach boursier de 1929 enlève les espoirs (démocratiques) aux hommes et aux femmes et limite leurs aspirations : certain(e) s, en se marginalisant, ne sont plus des vivants. On a ainsi une appropriation de la figure du zombi dans le cadre de la société américaine sur un plan économique (vu dans ses dérives). En ce sens, le zombi est devenu une figure de la marginalisation, de l’exploitation qui menace tout vivant, qu’on retrouvera encore dans Les Temps Modernes (1936).

Le cinéma des années 1950/1960 porte le zombi au statut d’arme contre la démocratie, notamment lorsque le zombi sera assimilé à un monstre pouvant être contrôlé par l’arme atomique (Le Tueur au cerveau atomique d’E.L.Cahn, 1955) ou par une intelligence extraterrestre (Enemy from Space de Val Guest, en 1957 et Plan 9 from Outer Space d’Ed Wood, en 1959). Le zombie d’aujourd’hui est l’incarnation de ce qui peut attaquer les individus sur le plan biologique : il menace notre société démocratique qui est une société dont le modèle politique est tissé par le savoir médical et le pouvoir des normes (ce que Foucault nomme le biopouvoir).

Au long de son histoire, le cinéma hollywoodien s’appuie donc sur le zombi/e parce que c’est une figure plastique, malléable, qui peut aussi bien articuler l’un ou l’autre pôle de sa définition : le cinéma tantôt le tirera du côté de la classe des morts-vivants (comme le veut la croyance populaire et dans laquelle le vampire est une figure centrale) tantôt le tirera du côté de la servitude (jouet du pouvoir économique, politique, etc.). Mais ce qui fait que c’est une valeur sûre du cinéma, c’est qu’au fil du temps, le zombie a toujours incarné ce qui peut menacer la démocratie américaine de l’intérieur comme de l’extérieur (sur un plan politique, social, économique). À leur manière, chacune des deux lignées de zombie exprime une menace pour la Nation américaine mais aussi un élément qui la renforce (la Nation unie contre un ennemi commun). À travers son usage des zombies, le cinéma laisse transparaître les manières dont nous devons nous conduire politiquement : le spectateur conçoit qu’il doit appartenir à une Nation, en la défendant contre des ennemis. Il peut arrêter dans son esprit les limites d’un cadre acceptable de la démocratie. Cependant, Romero fait un pas de côté, il transforme le zombie en opérateur pour cartographier l’état de la société et ses pouvoirs.

 

Les zombies plébéiens de George Romero

Comme le rappelle Eileen Jones[16], dans son article « Year of the zombie », les zombies de George Romero ne sont pas les descendants d’esclaves. Mais on peut ajouter qu’ils ne sont pas non plus, loin s’en faut, les ascendants des zombies actuels, qu’on vient de décrire.

 

Morts-vivants

George Romero réalise, en 1968, La Nuit des morts-vivants, qui, comme son titre l’indique clairement, évoque des morts-vivants, qui, dès son second film (1978, Dawn of the Dead)), prendront un autre nom : celui de zombies[17]. Romero fait son film en indépendant et en dehors des circuits hollywoodiens. Ses morts-vivants sont issus d’une sorte d’hybridation entre la bande dessinée, les Comics des années 1950, et le roman, en particulier : Je suis une légende de Richard Matheson. Dans les Comics, on voit des morts se lever suite à des radiations (parfois en lien, il est vrai, avec le vaudou) ; chez Matheson, on a des vampires – contaminés – qui reviennent mordre des vivants. Mais le concept de « mort-vivant », c’est-à-dire de morts qui se lèvent de leur tombe, existe depuis bien longtemps ; le mot est même devenu un terme « générique » rassemblant un nombre important de figures (vampire, momie, etc.). Mais les morts-vivants de Romero n’entrent pas dans cet « ensemble », car chaque mort-vivant romérien porte en lui l’expression générique de tous les morts-vivants traditionnels.

Tout au long du premier opus, le zombie est montré dans des postures qui jamais ne peuvent s’équivaloir et aboutir à une figure bien identifiable. Il semble même que le zombie romérien intègre, mais de manière discontinue, l’ensemble des traits propres à chacun des morts-vivants, les stigmatisés du pouvoir. On pourrait ainsi dire que :

« le zombie romérien enserre à lui tout seul tous les fils du pouvoir en même temps qu’il les empêche de se nouer entre eux » [18].

Quand on examine les caractères du zombie romérien, en effet, il nous échappe sans cesse : tel plan montre le mort-vivant comme un vampire (son côté mordant), tel autre comme un Frankenstein, tel autre comme une momie, etc. Le mort-vivant ou zombie romérien n’existe que par la variation perpétuelle de postures morts-vivantes. Romero cherche avant tout, par cette mise en scène du zombie, à opérer une rupture avec la tradition des morts-vivants au cinéma. Il ne peut être assigné à une figure connue, identifiable : tel plan est contredit par tel autre, tel trait de personnage est remplacé par tel autre trait, telle posture, par telle autre… Le zombie romérien nous échappe.

 

Stigmates du pouvoir

D’où vient cet attachement du cinéma aux morts-vivants ? Cela vient sans doute de la tradition des « tableaux » du Musée Grévin qui a influencé les débuts du cinéma. N’oublions pas que le cinématographe fut d’abord conçu comme une fantasmagorie[19], autrement dit comme une invention optique destinée au divertissement. Mais prenons les morts-vivants pour ce qu’ils sont vraiment au cinéma comme dans la réalité : les stigmates d’un pouvoir.

Au XVIIIe siècle, les vampires (« revenants en corps », comme dit Dom Calmet), apparaissent dans les Gazettes et désignent ceux qui sont une menace pour la société en général : ce sont des paysans (très rarement gentilshommes) suspects d’être porteurs de la peste et contre lesquels on organisait un rituel d’exclusion. Le rituel d’exclusion mis en place par les autorités (ou avec leur aval) consistait alors à mettre en œuvre des moyens plus ou moins religieux (on coupait la tête, on plantait un pieu, etc.) et sanitaires sur le mort et sa tombe. En faisant cela, les individus enterrés étaient maintenus sous le joug du pouvoir ; on espérait ainsi limiter le risque de contamination. Cette forme panoptique rudimentaire, mais efficace, faisait écho au dispositif de protection utilisé pour gérer le problème de la peste au niveau des villes.

Les possédés (sorciers), quelques siècles plus tôt, avaient fait aussi l’objet d’une exclusion dont le terme funeste était le bûcher. Par l’aveu, qui précédait la mort, le pouvoir cherchait sa propre légitimation auprès des prévenus.

Les morts-vivants ne sont pas des fantasmes. Ce sont des noms que le pouvoir donne à certains individus de la société pour marquer son emprise sur eux. Dracula est le nom d’un être maudit qui épingle le vampirisme sous la forme de l’aristocratie. Quoi qu’il en soit de cette longue histoire politique des morts-vivants qui reste à écrire, ils sont réinvestis par l’industrie du cinéma avec l’idée qu’ils peuvent servir à normaliser le spectateur. Dans les films, la société doit les contenir, les détruire, si elle n’y arrive pas, c’est sa mort qu’elle prépare. La société se protège par la mise en place de processus d’exclusion, de stigmatisation. Les morts-vivants ne sont donc pas de simples symboles, ils incarnent les types d’exclusion eux-mêmes dont le pouvoir est capable. On pourrait dire : là où le pouvoir stigmatise, il y a du mort-vivant.

Le pouvoir n’a eu de cesse dans l’histoire d’inventer des régimes d’exclusion. Michel Foucault[20] a raconté dans son Histoire de la folie comment les lépreux au Moyen-Âge avaient été mis à l’écart de la société.

« Ce qui va rester sans doute plus longtemps que la lèpre, et se maintiendra encore à une époque où, depuis des années déjà, les léproseries seront vides, ce sont les valeurs et les images qui s’étaient attachées au personnage du lépreux ; c’est le sens de cette exclusion, l’importance dans le groupe social de cette figure insistante et redoutable qu’on n’écarte pas sans avoir tracé autour d’elle un cercle sacré » (p. 15-16).

« Le classicisme a inventé l’internement, un peu comme le Moyen Âge la ségrégation des lépreux ; la place laissée vide par ceux-ci a été occupée par des personnages nouveaux dans le monde européen : ce sont les « internés » » (p. 64).

« Les lépreux étaient porteurs du visible blason du mal ; les nouveaux proscrits de l’âge classique portent les stigmates plus secrets de la déraison » (p. 119).

Et Hannah Arendt[21] s’est intéressée à la figure du paria du XIXe au XXe siècle, en particulier le Juif qui connaîtra un terrible sort sous l’ère nazie.

« Ainsi, plus la condition des Juifs devenait l’égale de celle des autres populations, plus les caractéristiques qui les en différenciaient devenaient surprenantes. Cette nouvelle conscience suscitait à la fois le ressentiment social contre les Juifs et une attirance particulière vis-à-vis d’eux. Ces réactions conjuguées déterminèrent l’histoire des Juifs occidentaux. […] La formation d’un type juif vient à la fois de cette discrimination et de cette sympathie particulière ».

Dans la même optique que les philosophes, bien que sans contact avec eux, Romero crée de toute pièce un nouveau mort-vivant pour s’affranchir du pouvoir normalisateur de la démocratie, pour le rendre inefficace. Le zombie apparaît donc tout au long du film comme insaisissable, et donc comme une menace extraordinaire, terrifiante. Dans La Nuit des morts-vivants (1968), les hommes font face à un nouveau type de mort-vivant qui leur échappe, et réagissent en conséquence instinctivement : la peur leur fait adopter des conduites qui rappellent les modes punitifs du K.K.K (qui rappellent The Birth of a Nation, de Griffith), encore pratiqués dans le Sud des États-Unis dans les années 60[22]. Sur ce point, le générique de fin est très explicite et mériterait à lui seul de voir le film. La frontière entre homme/zombie n’est plus très claire : le héros, afro-américain, est assimilé aux morts-vivants ; après avoir été tué, son corps est transporté sur un bûcher, pour y être brûlé avec les cadavres zombies.

 

Catastrophe

Les zombies sont semblables à une catastrophe, un ouragan ou une tornade qui vient emporter les hommes[23], qui ne peuvent plus, dès lors, s’enfermer dans aucun lieu et qui doivent modifier leurs conduites jusqu’alors tissées et fabriqués pour correspondre exclusivement aux utopies de la démocratie. Le zombie vient tout balayer et si les hommes veulent survivre : ils doivent lutter contre lui. Mais du point de vue de Romero, cette catastrophe est salutaire. Les « zombies incarnent le changement »[24] ; ils modifient par leur présence l’ordre établi. L’homme a en fait deux attitudes possibles par rapport aux zombies : soit l’homme « change » à leur contact (il devient « zombie » à son tour) soit il renforce sa « membrane protectrice » (celle que lui donne la démocratie) et veut tous les éliminer jusqu’au dernier.

Le désastre, c’est qu’avec la fin de la mort, les vivants sont contraints désormais de modifier leurs conduites, de sortir de leur vie normalisée, cadrée par la démocratie, et de sortir de ses « utopies » (consumérisme, finance, gouvernance technocratique, destruction de la planète).

« Le zombie, ce n’est pas ce qui m’intéresse. Ce qui importe, c’est la manière dont les gens réagissent à cette horrible situation, se conduisent mal, se trompent. »[25]

Certes, en voyant le film, on pourra toujours objecter que la catastrophe a peut-être, dans La Nuit des morts-vivants, une origine humaine, qu’elle est sans doute le fruit de sorciers (militaires et politiques) qui n’ont pas su s’empêcher de fabriquer du matériel radioactif. L’hypothèse d’une sonde désagrégée dans l’atmosphère est abordée par la voie des médias, mais n’est pas validée. Romero jette délibérément le flou sur la vérité de la cause naturelle qui a engendré cette catastrophe. C’est que la cause de cette catastrophe importe peu, ce qui compte, c’est que le pouvoir ne puisse le récupérer. L’important, c’est que le zombie nous apparaisse dans ses gestes, ses conduites comme d’une tout autre nature que le zombie « nucléaire » ou « envahisseur » des années 50, comme autre chose qu’un monstre apparu par magie ou par superstition. Le travail des effets et de l’affect (effets sur le spectateur) compte plus que celui de l’étiologie, de la connaissance des causes, car se poser la question des causes c’est encore chercher à identifier un phénomène, scientifiquement, donc tenter de le rabattre sur un discours « rassurant », acceptable rationnellement (ce que veut la démocratie actuelle).

Le zombie est non seulement étranger au dispositif biopolitique, mais il lui est même symétriquement opposé, en tant qu’il incarne la figure thanatopolitique par excellence. Il est ce qui défait la norme (orientée vers le vivant, la vie). Il rend impossible l’exclusion la plus problématique pour le pouvoir : la mort. Le zombie instruit un geste de soulèvement hors du commun : sortir de sa tombe, briser la dalle de l’intérieur. Par là, il abolit la fonction « biopolitique » du cimetière, instruite au XIXe siècle, qui en faisait, plus qu’un lieu de repos éternel, un rempart contre la propagation des maladies au sein de la ville : d’où le fait que le cimetière avait été placé à l’extérieur des villes. En se soulevant la dalle qui recouvre son cercueil, le zombie fonctionne aussi comme une « hétérotopie » (pour parler comme Foucault) ; il libère aussi tout une gamme de figures hétéroclites de cadavres, des plus décomposés aux plus frais. Le zombie peut alors errer sans but, et il déchire et ingère tout ce qui sur son passage est tissé par des normes, par des conduites normalisées. Neutraliser par l’anthropophagie les corps vivants qui mettent des barrières entre eux.

En ce sens, le zombie « exacerbe » le dispositif démocratique, en ce qu’il porte à ses limites tout le système à sauvegarder les principes fonctionnels qui le régissent. C’est pourquoi le zombie est une « catastrophe » destinée à modifier, jusqu’à l’implosion, l’homme. Il n’est pas seulement un plébéien, mais le plus grand plébéien. Celui qui n’a plus aucun maître et qui n’est pas lui-même un maître.

 

Cartographie

La marque de fabrique de Romero c’est de ne pas faire des zombies des « personnages » mais de décomposer les relations sociales entre les individus ou au contraire de les renforcer. Le zombie est non seulement un révélateur des fonctionnements des gens, de leur désordre, mais aussi un indicateur du fonctionnement de la démocratie, lorsqu’il intègre un de ses lieux. Romero propose ainsi de faire une cartographie des lieux de la société américaine.

« Vous savez, ce que j’essaie de faire, tout au moins avec mes films de zombies, c’est de prendre un cliché de ce qui arrive à un moment donné, en Amérique du Nord, et en particulier aux États-Unis. Juste un cliché de l’état des lieux, de l’impression que j’ai de ce qui se passe »[26].

Il est vrai que l’évolution de l’œuvre de Romero a subi elle aussi son lot d’inflexions décisives et d’incompréhensions, car ces lieux de la démocratie qu’explore le cinéaste, sont aussi des pièges dans lesquels le zombie peut « se perdre » (re-normalisation).

Dans Zombie (1978), les morts-vivants ne se ré-humanisent pas, comme on a pu le dire[27], ils ne renouent pas non plus avec leurs consciences, mais avec les circuits de la marchandise. Le film se passe dans un Mall, où jamais aucun zombie ne pourrait redevenir humain ou vivant, exception faite peut-être du film Warm Bodies, de Jonathan Levine, sorti en 2013 – dans lequel l’amour peut changer un zombie, le film étant une sorte de réécriture de Romeo et Juliette. Cette ré-humanisation n’existe pas chez Romero, elle n’a aucun sens. Car vivant et mort ne sont plus de même nature. Personne ne redevient vivant, personne ne retrouve ses souvenirs, mais ce qui fait retour, ce sont les morts : ils débarquent dans la vie, l’existence de ceux qui les ont exclus. Quand les zombies jouent avec les marchandises, dans le Mall, ce sont des gestes de normalisation, ceux-là mêmes qui ont forgé les individus vivants qu’ils ont été, mais qu’ils ré-intériorisent par leurs corps, aussi délabrés soient-ils : cette activation des gestes consuméristes du capital est rendu possible par le lieu lui-même. Les zombies ne retrouvent donc pas la conscience de soi, un certain état du passé. Cela n’aurait aucun sens. Le lieu est à lui tout seul un dispositif propre à régénérer le « vivantisme » du consumérisme, à faire vibrer la mécanique des gestes de consommation, mais il ne régénère pas la vie. Ce sont toujours les forces du pouvoir qui activent ou réactivent des processus en nous.

Dans Land of the Dead (2005), un zombie (pompiste) qui semble avoir intégré les bases d’un geste technique, est capable de diriger un troupeau de zombies. C’est le signe non d’une soudaine intelligence, mais plutôt le fait que le pouvoir est plus membranique, plus pastoral qu’auparavant. Le zombie, « saisi » par la technique, devient dès lors capable de contrôler non plus seulement lui-même mais des populations de zombies comme lui : il produit un geste qui active autour de lui leur grégarisation. Romero souligne ainsi que nous sommes bien à l’ère des portables, où la technique a pris le dessus sur les hommes. Nul besoin d’invoquer une évolution « biologique » du zombie, Romero cherche simplement à montrer comment la normalisation du biopouvoir se resserre en fonction de l’actualité de la société. La démocratie, instrumentalisée par la technologie, est devenue plus « protectrice » et enserre davantage les individus.

Si durant sa vie, Romero n’a cessé de mettre en scène le zombie, c’est pour montrer que toute révolution politique, si elle est un jour possible dans la réalité, doit tenir compte des changements propres du pouvoir ; car le zombie, par son évolution comportementale, trace la carte du pouvoir. Le zombie romérien nous fait prendre conscience de la nécessité de nous émanciper de la démocratie (celle, bien sûr, qui est accolée au dispositif du biopouvoir)[28].

Mais, le zombie ne peut nous porter au « changement » que si lui-même n’est pas un simple mort-vivant traditionnel, car cela le placerait, on l’a vu, dans la logique cinématographique proposée par la « technologie de pouvoir » du cinéma hollywoodien depuis ses origines. En effet, si le zombie romérien se fixait dans les traits d’un mort-vivant unique, en particulier ceux du vampire (pièce centrale du dispositif de normalisation du cinéma et de la télévision – dans le genre fantastique), alors il perdrait automatiquement sa singularité. C’est justement ce qui arrive avec les films et les séries d’aujourd’hui, comme l’a bien vu à sa façon McNally.

Le zombie est, dans les séries et les Blockbusters, de plus en plus rapide, de plus en plus mordant ; en tant que doublure dégénérée du vampire, le zombie romérien, perdant ses traits singuliers, devient une pièce du dispositif du pouvoir médiatique. Le zombie ne crée du plus du « jeu » dans le dispositif « mort-vivant » du cinéma, pour le rendre inopérant. A son propos, actuellement, on ne peut plus dire qu’il met en œuvre un devenir-zombie, selon une expression qui aurait peut-être plu à Gilles Deleuze.

 

Dégénérescence de la lignée

Cinématographiquement, le zombie romérien ne peut donc être assimilable ni au zombie-esclave – qui le précède – ni non plus au zombie-virus qui le suit, mais cela n’empêche pas certaines « interférences » entre les différentes lignées : Craven renoue par exemple avec le zombi, lorsqu’il réalise The Serpent and the Rainbow, à une époque de grande effervescence romérienne, tout comme aujourd’hui, des films néo-zombies, comme le blockbuster Dernier train pour Busan (Sang-Ho Yeon), oscillent du côté de Romero. Les lignées peuvent s’enchevêtrer et la fonction politique du zombie est en train de se complexifier (Peninsula, Bio-zombie).

Entre les années 70 et 2000, Romero inspire beaucoup de cinéastes, en France, aux USA, en Italie, en fait partout. Le plus souvent, on décline le zombie socialement et on l’associe à de multiples genres existants, comme le genre « cannibale », en Italie, dans Zombi Holocaust (Marino Girolami, 1980), ou le porno, avec La Nuit fantastique des morts-vivants (Joe d’Amato, 1980). Le zombie est avec ces deux genres métaphore de la déshumanisation. Il est aussi associé, en France et en Espagne, à l’écologie, avec des films comme Le Massacre des morts-vivants (Jorge Grau, 1974) ou Les Raisins de la mort (Jean Rollin, 1978). La filiation à la lignée romérienne est plus ou moins présente dans tous ces films. Dead of Night (Bob Clark, 1972) est un film très romérien, alors que L’Enfer des zombies renoue davantage avec le zombi vaudou. Le personnage du zombie romérien finit par subir, à force de torsions, une dégénérescence.

Les cinéastes actuels qui écartent la fonction politique du zombie inventée par Romero vont privilégier la dimension contaminante (morsure) et cannibale. Ceci tend évidemment à infléchir en partie le zombie du côté des monstres classiques (de Dracula à La Momie). Mais d’un autre côté, contrairement aux zombies des années 30 à 50, le néo-zombie est plus difficile à déceler. Il est moins un ennemi qu’une menace sourde et incontrôlable. Les humains infectés sont indécelables, les zombies sont furtifs, plus rapides, plus dangereux, parfois même plus intelligents : ils sont souvent plus proches des vampires, avec une apparence physique qui rappelle la porphyrie, ou de la camarde des danses macabres, que de simples morts qui reviennent. Ils n’ont plus de portée critique, car ils nous font peur et ne permettent donc plus de faire réfléchir à la société : ils déclenchent en nous le réflexe de la survie et aussi de la préservation de la société (cf. The Walking Dead). Le zombi(e) incarne, ainsi, dans l’histoire du cinéma, un très grand nombre d’inflexions du pouvoir : travailleurs esclaves, exclus de la société, menace virologique, etc. Il est devenu au fil du temps un indicateur du fonctionnement de la démocratie. Qui sait ce que le cinéma nous réserve encore ? La figure du zombi(e) n’a peut-être pas fini de nous étonner.

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Crédit photo : Zorik D on Unsplash.

 

Notes

[1] Maxime Coulombe, Petite Philosophie d’un zombie, Paris, P.U.F, 2012, p.19 : le zombie « sait se faire la métaphore du sujet contemporain » ; « il est, au sens plein du terme, une figure du refoulé et une figure grotesque » ; « il trahit un fantasme émergent dans notre culture, celui d’en finir ».

[2] Interview de Zombies Culture avec Vincent Paris (à propos de son livre : Zombies, Sociologie des morts-vivants, Québec, XYZ, 2013). « Le zombie est une machine triviale. Un dispositif à fonction unique : ingérer de la chair ». Le zombie est « bien au dessus (ou en dessous!) de la politique ». « Les zombies permettent à la société de s’immuniser contre un risque potentiel et de se reproduire aussi…jusqu’à ce que ça se produise vraiment ».

[3] Antonio Domingue Leiva, Paris, Invasion Zombie, Paris, Les Éditions le Murmure, 2013. Dans cette lignée, on pourra se reporter aussi au très beau livre de Jean et John Comaroff, Zombies et frontières à l’ère néolibérale, Paris, Les Prairies Ordinaires, 2010 : les auteurs proposent rien moins qu’une anthropologie historique de la « culture du capitalisme » ; le néolibéralisme, dépassant le cadre des dirigeants ou des économistes, imprègne l’univers symbolique des jeunes sans emploi, des membres des ONG, etc. Les zombies incarnent, dans l’Afrique du Sud contemporaine, les nouveaux esclaves du monde moderne.

[4] Jean-Baptiste Thoret (coordonné par), Politique des zombies, L’Amérique selon G. Romero, Paris, Ellipse, 2007. Le zombie est ce qui nous fait abandonner « les codes et les motifs fantastiques », car il travaille « l’indifférenciation figurative et plastique entre eux et Nous » par l’abolition de la frontière entre champ et hors-champ, défini « comme lieu historique du Mal ». Avec le « zombie, métaphore limpide d’une Amérique en proie à un refoulé qui fait retour, Romero propulse le film d’horreur sur un terrain explicitement politique ».

[5] David McNally, « Zombies : Apocalypse or Rebellion », Jacobin, le 31 octobre 2010.

[6] David McNally, Monsters of the Market : Zombies, Vampires and Global Capitalism, Boston, Brill, 2011.

[7] David McNally, « Zombies : Apocalypse or Rebellion ? ».

[8] Ibid.

[9] Ibid.

[10] Sylvestre Meininger passe en revue une série de films zombies notamment ceux de George Romero. Cf. « Le retour des morts-vivantes », Le Monde Diplomatique, mars 2008.

[11] Seule la lignée de Romero, que l’on suivra dans la seconde partie, issue en partie des Comics, ouvre la voie à un rapprochement effectif avec les morts-vivants.

[12] L’orthographe zombi renvoie en général au zombi vaudou, les autres lignées sont communément marquées par l’ajout d’une lettre e. Nous respecterons l’usage.

[13] Alfred Métraux, Le vaudou Haïtien, Paris, Gallimard, 1958, p. 249-254.

[14] Alain Brossat, Droit à la vie ?, Seuil, 2010.

[15] Karl Marx, Le Capital, PUF, 1993, Livre I, chapitre VIII, p. 259 : « Le capital est du travail mort, qui, semblable au vampire, ne s’anime qu’en suçant le travail vivant, et sa vie est d’autant plus allègre qu’il en pompe davantage. Le temps pendant lequel l’ouvrier travaille, est le temps pendant lequel le capitaliste consomme la force de travail qu’il lui a achetées ».

[16] Selon cette auteure, la vieille société américaine, traditionaliste, est dévorée par les événements politiques (Vietnam), les changements moraux (la famille américaine) et sociaux (statut du personnage noir dans le film) qu’elle subit.

[17] D’ailleurs, c’est le cinéaste et producteur Dario Argento qui, dans la version européenne du film, change le titre originel du film (évoquant des mangeurs de chair) et réintroduit le terme « zombie » dans le cinéma. Romero adoptera par la suite le terme de « zombie » tout en ayant conscience que ce qu’il nomme ainsi, ses cannibales, n’a plus rien du zombie vaudou.

[18] Joachim Dupuis, George A. Romero et les zombies, autopsie d’un mort-vivant, L’Harmattan, 2014, p. 121.

[19] Jonathan Crary, Techniques of the Observer, The MIT Press, 1990.

[20] Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Paris, Collection Tel Gallimard, 1976.

[21] Hannah Arendt, Les Origines du totalitarisme, trad. de l’anglais par M. Pouteau et H. Frappat, Paris, Gallimard, 2002, p. 104.

[22] Teresa Castro, « La »race » des morts-vivants ? Zombies, Postcolonialisme », La Nuit des morts-vivants George A Romero, Précis de recomposition, Paris, Collection cinéfocales, Le Bord de l’eau, 2016, pp. 129-146.

[23] « I think the zombies could be anything. They could be a hurricane or a tornado ». George A. Romero : «  The Walking Dead is a soap opera with occasional zombies », The Big Issue, 3 Novembre 2013.

[24] Revue Positif, n°568, 15 juin 2008, p.25.

[25] Ibid., « It’s not about the zombie. The important thing to me is the way the people react to this horrible situation, misbehave, make mistakes and screw themselves up ».

[26] Revue Positif, op. cit., p.23

[27] Jean-Baptiste Thoret, Politiques des zombies, op. cit., p.13 : « Le zombie n’est pas un être nouveau mais une créature grosse de son passé humain ».

[28] Pour l’articulation biopouvoir/démocratie, je me permets de renvoyer à mon article : « Abécédaire d’un mort-vivant », Materiali foucaultiani, mars 2014.

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