Brésil : un associé de l’impérialisme européen
Depuis les années 1990, les pays de l’UE, en particulier la France, ont trouvé en Amérique latine, un espace prodigieux pour étendre leur pénétration, jusqu’alors terrain privilégié de l’impérialisme des Etats-Unis. Le continent leur offre un nouveau souffle pour vaincre la crise du système, mais, ils ne comptaient peut-être pas sur la présence de gouvernements, en particulier du Venezuela et de la Bolivie, décidés à changer leur rôle de soumission aux intérêt impériaux, et une résistance populaire déterminée. La difficulté de la mise en œuvre du Traité de libre échange entre l’UE et l’Amérique latine en est un exemple, mais qui probablement pourra être surmontée, à partir des tractations entre l’UE et le Brésil ou à partir des accords entre les pays au niveau continental. Vu la place du Brésil dans les échanges commerciaux et financiers en Amérique latine, et dans une moindre mesure en Afrique ou encore au Moyen-Orient, l’Union européenne, par le biais du gouvernement français, essaye de construire un partenariat visant le développement économique, financier, commercial en prenant le Brésil comme partenaire privilégié.
En février 2008, un Plan d’action Franco-Brésilien a été décidé à Saint Georges de l’Oyapock en Guyane française, et les chefs d’Etat de ces deux pays ont pris l’engagement de coopérer et de réaffirmer le rôle particulier joué par le Brésil et la France dans le renforcement du « dialogue » entre l’Amérique latine et les Caraïbes et l’Union européenne.
Les Présidents Lula et Sarkozy ont convenu d’« agir de concert pour promouvoir une réforme équitable du Conseil de sécurité des Nations unies, visant à conférer (au Brésil) une représentativité plus large et d’y promouvoir l’accession du Brésil comme membre permanent. Le président Sarkozy a réitéré sa détermination à œuvrer à l’élargissement du G8 aux grandes puissances émergentes, dont le Brésil »[1]. En essayant de donner une réponse aux ambitions brésiliennes de participer à la gouvernance internationale de la planète, Sarkozy officialise le soutien de la France à leur requête, et indirectement le soumet aux intérêts français et européens de la gouvernance internationale.
Ce Plan devait assurer le succès du deuxième sommet Brésil-Union européenne qui a eu lieu en décembre 2008 à Rio, animé par Sarkozy alors Président de l’Union européenne et en présence du président de la Commission européenne José Manuel Barroso. Ce sommet a abouti à la signature de plusieurs accords concernant tous les domaines structurants de la société brésilienne synthétisés dans un Plan d’action pour la mise en œuvre du partenariat stratégique, couronné par la décision de faire de 2009 l’année de la France au Brésil – initiative à caractère culturel, économique, scientifique, et universitaire, avec environ 350 évènements, agissant comme écran protecteur des problèmes posés par les accords. Le deuxième sommet assumé par le Conseil de l’UE, est publié à Bruxelles le 23 décembre 2008, quand l’UE et le Brésil s’accordent à signer « conformément à la déclaration du sommet de Washington du G20, l’UE et le Brésil soulignent qu’il est capital de refuser le protectionnisme et d’éviter le repli sur soi en ces temps d’incertitude financière »[2]. En même temps, Sarkozy, alors président du Conseil européen, s’adresse aux hommes d’affaires français et brésiliens en déclarant « …Vous n’êtes pas un grand de demain au Brésil, vous être déjà une grande puissance du monde. L’Europe est venue vous dire qu’elle veut travailler avec vous, qu’elle admire ce que vous avez fait de ce grand pays, qu’elle croit en vous, en votre culture, au potentiel extraordinaire de votre économie et de vos richesses» Et il avance son raisonnement en déclarant que « L’Europe ne demande pas des droits pour elle qu’elle ne serait pas capable de donner pour vous. L’Europe demande un partenariat stratégique durable entre le Brésil et l’Europe… ».[3] Compte tenu de l’ampleur de la crise que traverse le capitalisme, ce Plan arrive à un bon moment pour l’économie européenne. Les firmes multinationales rencontrent un nouveau souffle d’investissement, une garantie d’accumulation du capital et la consolidation du système.
Ce Plan stratégique représente la continuité du processus d’intégration du Brésil au marché mondial. Il prévoit de faire du Brésil le relais militaire de l’impérialisme européen, son bras droit, avec notamment la vente d’un porte-avion, de quatre sous-marins dont un nucléaire. Le gouvernement brésilien, en assumant ce rôle, conforte ses intentions expansionnistes dans l’espace latino-américain. Cela permet, au passage, l’écoulement de la production de l’industrie française d’armement et du nucléaire. Dans le domaine de la défense, ce partenariat est fondée sur la participation des industries privées, mixtes ou publiques, sur les transferts de technologies… sous la tutelle des ministères de la défense et des affaires étrangères de deux pays, en entraînant le Brésil dans l’escalade belliqueuse des pays impérialistes. Il y a des raisons de croire que la France pourrait intraîner le Brésil, indirectement ou pas, à l’escalade guerrière, lorsque la France se dispose à « coopérer » dans le domaine de la défense. Le Plan d’action stratégique se propose moderniser l’Armée brésilienne – les réseaux de surveillance, de communication des forces armées, et notamment par l’achat des sous-marins, d’une cinquantaine d’hélicoptères, d’avions de combat…[4]
Ce Plan prévoit aussi d’intensifier la coopération dans le domaine de la recherche spatiale et de l’énergie nucléaire avec l’autorisation donnée aux entreprises françaises travaillant avec le nucléaire de prospecter la présence d’uranium sur le territoire brésilien, dont peuvent se réjouir les groupes Alstom, Veolia, Suez Energy, AREVA, Dalkia, et d’autres, déjà implantés au Brésil. Cela signifie davantage de déforestation, de déplacement de population et de pollutions.
Le Plan prévoit l’exploitation de la biodiversité amazonienne avec « la collecte, l’envoi et le transport du matériel biologique, ainsi que l’accès aux ressources génétiques » et… le partage des avantages découlant de leur utilisation[5], la mise en œuvre des projets de développement liés à l’utilisation industrielle de biomasses agro-forestières qui devront être exportées pour la production de combustibles en Europe ou ailleurs. Cela signifie que l’exploitation des matières d’origine végétale servira comme source d’énergie, contribuant aux dégâts de l’équilibre de l’écosystème de la région. Sous couvert d’une « coopération » technique et scientifique, ce plan ouvre d’immenses perspectives aux intérêts français étant donné les ressources du sol brésilien abondant en production d’éthanol destiné à la production de carburant, en détriment des cultures destinées à nourrir la population. Cette « coopération » doit être coordonnée par un Centre franco-brésilien de la biodiversité amazonienne, constitué d’équipes de recherche et de développement publiques et privées. Les clauses de cet accord bénéficient amplement aux industries intéressées par la recherche sur les biocarburants, les nanotechnologies, technologies de l’information et de la communication. L’interférence de l’aménagement du territoire par l’intervention sur le biome amazonien : la forêt, les eaux douces… sont autant de menaces qui pèsent sur les populations et sur l’environnement. Les accords condamnent les populations quilombolas[6] et les indigènes à subir les effets des projets, sans avoir un mot à dire.
Les accords amplifient les engagements transfrontaliers (entre la Guyane française et le Brésil) visant la répression du commerce « illégal », la pêche, l’extraction d’or. La population autochtone vivant de la pêche, les peuples indiens millénaires vivant sur leur sol sans frontières deviennent arbitrairement illégaux. L’illégalité étant établie à partir de la réglementation des activités policières transfrontalières visant à maintenir « l’ordre public le long de la frontière », à travers des patrouilles navales de deux pays. Les dispositifs favorisent les grandes firmes d’exploitation aurifères sans dire un mot sur l’utilisation du mercure par les orpailleurs. Problème majeur puisque le mercure est déversé dans les rivières et que son ingestion provoque des malformations auprès des populations fluviales et indigènes dont le régime alimentaire est à base de poisson et d’eau !
Ce contrôle des frontières vise aussi à réglementer les flux migratoires dans l’esprit de la libre circulation des marchandises et de la fermeture des frontières aux travailleurs ou de populations qui vivent de la pêche, de l’agriculture, notamment les indiens de la forêt amazonienne.
Enfin, ce Plan prévoit le renforcement d’une « coopération dans les pays tiers, notamment en Afrique », dans les secteurs énergétiques, agricole, forestier, médical, éducatif… à partir de projets « au profit des populations locales ». Le Brésil agirait en Afrique pour les intérêts de la France, et par conséquent, de l’Union européenne.
L’escalade brésilienne de l’« ouverture »
L’Union européenne est le premier partenaire commercial du Brésil et l’ensemble des ses échanges commerciaux représente 22,5%, et stock d’investissement de l’UE a été de 88 milliards d’euros en 2006. Les contrats militaires du Plan stratégique coûteront 6 milliards d’euros, et globalement il coûtera 8,6 milliards d’euro, une partie revenant aux sociétés brésiliennes, 1,9 milliards pour Eurocopter, filiale d’EADS, et 4,1 milliards pour les chantiers navals DCNS (dont Thales possède 25%).[7] En ce moment, le Brésil se trouve en difficultés pour l’acquisition des quatre sous-marins, étant donné l’élévation du coût du crédit et la prudence des banques en moments de crise, détails des négociations dont le résultat n’est autre que l’accumulation des dettes sur le dos des travailleurs.
Le déroulement de l’Année de la France au Brésil est de grand secours pour les entreprises françaises car elle mobilise le cercle des affaires de ces dernières, avec une quarantaine d’opérations programmées dont les projets devront être épaulés par les chambres de commerce et par les gouvernements. Selon l’Ubifrance[8], le but est de créer l’intérêt et la présence des mille entreprises françaises sur le marché brésilien, tout en « déterminant les secteurs stratégiques et prioritaires pour les intérêts français »[9]. Selon les journaux brésiliens, l’opération constitue une vraie offensive commerciale dans les domaines des transports – ferroviaires et aéronautique –, de l’informatique, des cosmétiques, de la biotechnologie, du nucléaire… ce qui renforce la tendance commerciale entre les deux pays accrue à 135% ces cinq dernières années. [10]
Le Plan stratégique et les accords qui suivent, renforcent ainsi le rôle de l’Union européenne dans l’offensive visant à la mise en place d’un « allié » stratégique, le Brésil, pour la réalisation des accords de libre échange promus par l’Union européenne dans le reste de l’Amérique latine.
Le gouvernement brésilien a des plans de domination et de préservation du système capitaliste dans le continent, malgré le handicap qu’il présente devant ses homologues au niveau international : ses ressources en matière de défense et d’armement sont encore dérisoires pour qu’il puisse se positionner en tant que puissance. La décision du président Lula da Silva de satisfaire la demande des pays impérialistes sous l’aval des Nations Unies, d’envoyer des troupes militaires brésiliennes invahir le Haïti, ne lui permet pas encore d’être considéré comme tel, même si cette invasion représente un énorme pas en avant pour qu’ils lui accordent un siège au Conseil de sécurité des Nations Unies. De cette façon il faut qu’il présente une politique d’« ouverture » vis-à-vis des exigences de l’impérialisme, par l’organisation de patrouilles navales conjointes ou coordonnées pour « améliorer la surveillance de la zone maritime des côtes », par la création d’un Centre de coopération policière transfrontalière, sous prétexte de la lutte contre les trafics de drogue… Entraîné par un raisonnement ambitieux, Lula estime que le Brésil doit être une « grande nation » sur le plan « militaire, économique et technologique », que sa prétention militaire a un caractère « défensif », car « Nous avons conscience d’aider le Brésil à avoir un statut de puissance militaire au service de la paix, comme il a un statut de puissance mondiale économique et un statut de puissance mondiale politique… »[11] Les dispositions pour « la paix » se traduisent aussi par les gesticulations avec d’autres pays. En décembre 2008, il propose la création d’un mécanisme de coopération militaire au sein de l’Union des nations sud-américaines (UNASUL)[12], institution rassemblant 12 pays de l’Amérique du sud. Les investissements militaires dans la région ont atteint 50 milliards de dollars cette même année. De même, le gouvernement du Brésil n’établi pas seulement des accords avec l’Amérique latine, la France ou l’Europe, mais aussi avec Israël. En mars dernier au Brésil, un joint-venture[13] s’est constitué entre Israël Aerospace Industries (IAI) et le Groupe Synergy, firme sud-américaine liée aux secteurs aérospatial, naval et pétrolier. Cette association s’appellera Aerospace Engineering Ltd (EAE)[14]. Cette entreprise devra travailler pour les forces armées brésiliennes dans la construction de radars, d’avions de combat, de navires de guerre, de plate-formes maritimes, de systèmes de défense frontalière… sans compter sur l’indispensable transfert de technologie et d’information.[15]
Conformément aux accords du Plan, en matière de communication gouvernementale, militaire, dans le système de contrôle du trafic aérien et la production de données météorologiques, les groupes français Thales Alenia Space e EADS Astrium s’intéressent à participer soit dans la construction, soit dans le développement d’un système de satellite qui se traduira en quelques 600 millions de dollars. Au Brésil, la matérialisation du projet du Satellite géostationnaire brésilien (SGB) est envisagée à travers un partenariat public/privée (PPP).
En avril 2009, le gouvernement brésilien ouvre un appel d’offre pour l’achat de 36 avions de chasse et Dassault Aviation se présente comme le plus fort concurrent aux cotés de l’américain Boeing et du suédois Saab. Le groupe Dassault présente le Rafale comme ayant l’avantage d’être 100% français, mais le Brésil exige la souveraineté de production, un clivage pratiquement résolu à l’occasion de la visite de Sarkozy au moment où le gouvernement brésilien fait le choix de se doter de plate-formes, de systèmes de combat et d’armes françaises. Les branches de l’aéronautique et de l’aérospatial comptent sur onze firmes françaises (Air France, Dassault, EADS, Omnisys, Thales…) au Brésil qui peuvent se disputer le marché lié à la défense ou à l’armement qui se développe à travers du Plan stratégique.
« Le Brésil est devenu un acteur décisif dans le monde globalisé »[16]
La présence du capital européen en Amérique latine devient de plus en plus importante. Depuis l’an 2000, l’UE aboutit à des négociations avec le MERCOSUR[17] sur un accord d’association par la libéralisation des échanges et devient ainsi son premier partenaire commercial. Les stocks d’IDE[18] européens en Amérique latine représente plus de 11% du total européen. [19]. De même la France ne cesse d’investir au Brésil et elle occupe la troisième place des IDEdepuis 2001. Par exemple, en 2005 le Groupe Accor arrive au premier rang, après une présence au Brésil de plusieurs décennies dans les secteurs de l’hôtellerie, de voyages, de la restauration, cantines collectives… Selon son président, le Brésil a été le point de départ pour le développement du groupe dans les autres pays de l’AL. Les autres firmes développent leurs opérations dans le secteur de automobile (Renault, Peugeot, Nissan,..), du textile, des biens de consommation (Leroy Merlon, Décathlon, FNAC, Lacoste, Bic, Cartier…), des cosmétiques (l’Oréal, Parfums de France…), des banques et assurance (AGF, Cetelem, CIC, Société générale…), de la chimie, du commerce (Carrefour, Cartier…), des services bio-combustibles (Rhodia, Areva…), du bâtiment et travaux publics (Lafarge, Saint Gobain…), de l’électricité, de la mécanique, de l’informatique, de la santé et de la biotechnologie (Galderma, Solabia…), de l’hôtellerie et tourisme (Accor, Club Med, Sodexho pass, Wagons-lit…), du juridique et activités comptables (JC Decaux, AGD…), des services divers, ingénierie et études techniques (CGG, HMY…), de l’agriculture, de l’industrie de l’agroalimentaire (Danone, Adisseo, Açucar Guarani…), des cabinets d’études, du pétrole et du gaz (Total, Siraga…), des transports, de l’énergie, de la minéralurgie et la sidérurgie (Arcelor, Saint Gobain…) et plus de quarante-quatre firmes de technologie de l’information. Ces firmes pourront se réjouir des possibilités de profiter directement ou indirectement de l’éventail de projets offerts par les différents accords de décembre 2008. Déjà au cours des années 1990, les transnationales transféraient à l’étranger 6 milliards de bénéfices en ne créant que 1,4 million d’emplois sur les 62 millions de travailleurs. Les Accords et Traités ne font que consolider la manne que représente le Brésil pour la France installée avec plus de 400 firmes.
« Les veines de plus en plus ouvertes de l’Amérique latine » [20]
En 2000, est née l’Initiative d’intégration d’infrastructure en Amérique du sud (IIRSA) [21], un traité dont l’objectif est, entre autres, de faciliter la pénétration des transnationales européennes et en particulier françaises sur le continent. L’IIRSA est la réponse matérielle des politiques du libre commerce, dont la mission principale est l’élimination des obstacles physiques et institutionnels au libre échange, et le secteur privé est partie prenante du financement, de la réalisation et de l’exploitation de ce traité. La mise en place de ce traité transforme les accords du Plan stratégique, passés avec le Brésil en 2008, en caractère complémentaire aux projets du Traité.
Son apparition sert aussi à combler l’échec de la mise en œuvre de l’ALCA, traité pour le libre échange favorisant la place des Etats-Unis sur le marché mondial. Masqué par un statut d’institution de coopération intergouvernementale entre douze pays sud-américains, l’IIRSA est d’orientation libérale, reposant sur des privatisations permettant l’exploitation des ressources naturelles et de l’énergie. Pour mener ce projet, des constructions des voies de communications intercontinentales sont prévues. Le programme s’organise, en effet, autour d’axes routiers et hydriques construits pour faciliter les flux d’exploitation des ressources (des sols, agricoles, minières…) vers des ports, vers l’exportation. La cordillère des Andes et la forêt amazonienne deviennent, dans ce projet, les obstacles à surmonter.
Le programme s’organise autour de dix axes dits « d’intégration et de développement », passant par l’Amazonie, les Andes du nord et du sud, le Pérou, le Brésil, la Bolivie, les Guyanes, le Chili, le Parana, le Paraguay. Leur définition implique surmonter les obstacles géographiques en favorisant les flux de la production par la construction de ports, d’axes routiers, de 6000 km de voies fluviables navigables, des usines hydroélectriques, d’usines de traitement du soja, de production de café instantané, de conditionnement de viande….[22]. Environ 300 méga-projets quadrillent le continent, en le découpant au nom du « développement » d’un coût de 86 milliards de dollars, des projets conçus lorsque sont définies les zones régionales spécialisées dans la production de matières premières, dans l’offre déréglementée de la terre, de l’eau, de l’énergie et de la biodiversité.
Les projets du traité sont délimités dans les zones territoriales sans la moindre réglementation sociale, communautaire ou des Etats. Les populations indigènes ou migrantes vivant dans le périmètre concernés ne sont ni consultées, ni considérées par les autorités brésiliennes. Le découpage physique du continent est assuré par un Comité de coordination technique composé d’institutions financières. Les enjeux relatifs à ces institutions sont immenses, puisque 62% des investissements des projets proviennent des trésors publics des pays, 21% de l’initiative privée, et le restant sont financés par la Banque interaméricaine de développement (BID), par la Corporación Andine de Fomento – Corporation andine de promotion – (CAF), et par la Banque nationale de développement économique et social (BNDES)[23], tout un processus qui contribue à l’accroissement de la dette externe des pays sud-américains qui assure le renforcement des profits des institutions financières et des firmes transnationales.
En décembre 2004 la Banque européenne d’investissement (BEI) a signé un protocole d’accord avec la Banque interaméricaine de développement (BID), dans le cadre de l’IIRSA, afin de financer des projets dans les régions d’Amérique latine et des Caraïbes « tout en tenant compte de leurs avantages comparatifs respectifs… » … mais « à condition qu’ils prévoient une forme de participation du secteur privé européen ». Malgré les tentatives tant de la part de l’Union européenne – mais aussi du Brésil, d’engager les douze pays dans les circuits productifs et financiers mondiaux de soumission aux exigences impériales, les processus progressistes des politiques menées principalement en Bolivie, au Venezuela et en Equateur ont empêché l’accélération de cette dynamique, mais c’est surtout l’action des mobilisations des Peuples Indigènes de la région amazonienne (des huit pays qui la composent), des mouvements des endommagés par les barrages hydroélectriques, des femmes, des syndicats, des mouvements des Sans Terre, … qui résistent et luttent contre ce traité et contre les accords de libre échange.
Depuis plusieurs années, les fronts de résistance se multiplient dans les différents pays du continent, non seulement vis-à-vis l’IIRSA, mais aussi contre l’application des clauses des traités de libre échange contracté avec les Etats-Unis, ou des Accords d’association entre l’Union européenne et les pays andins. Mais ce sont précisément les Peuples Indigènes qui se trouvent à la pointe des réflexions les plus approfondies sur l’avenir du continent et des peuples de la planète. Ils mènent des luttes dures contre les projets qui visent détruire leur peuple, leurs ressources et leurs terres… Puisque la majorité d’entre eux se trouve dans les territoires amazoniens et des Andes, les luttes pour leur préservation dans la forêt, dans leurs territoires et pour la conservation de leur patrimoine, sont les éléments unificateurs de ces peuples. Les luttes menées par les peuples amazoniens du Pérou les mois d’avril, mai, juin 2009 est illustratif. Sous massacre et une répression féroce ordonné par le président Alan Garcia, ils réussissent à unifier les paysans et travailleurs urbains de la région, font tomber deux décrets importants concernant le Traité avec les Etats-Unis,
Des résistances qui s’opposent à l’impérialisme
Le bassin amazonien, fortement convoité par les puissances impérialistes, est composée d’environ 400 Peuples Indigènes qui représentent presque 3 millions de personnes, habitant dans un territoire de plus de 10 millions de km², occupés par 33,5 millions d’habitants[24]. Il touche neuf pays de l’Amérique du sud, dont 60% de la forêt se situe au Brésil et le reste en Bolivie, Colombie, Equateur, Guyane, Pérou, Suriname, Venezuela et Guyane française. L’actuelle population indigène est celle qui reste des 2000 peuples indiens d’avant l’arrivée des européens sur le continent[25], à partir du 12 octobre 1492[26]. Le bassin amazonien représente une aubaine pour l’impérialisme européen. La présence de l’or, du silicium, de minéraux, d’une riche flore potentiellement profitable à l’industrie pharmaceutique, la culture ancestrale des indigènes en matière de la biodiversité végétale et des êtres vivants font partie du biome amazonien, des trésors que l’impérialisme européen et mondial ont l’intention de piller.
Au moment du Forum social mondial à Belém do Para au Brésil, en janvier dernier, la Coordination des organisations indigènes du bassin amazonien (COICA) a décidé de lancer un appel conjoint avec toutes les populations de l’Amazonie et aussi celles originaires d’autres régions, afin de construire une alliance mondiale sur des bases anti-capitalistes, anti-eurocentristes, contre la marchandisation de la vie, contre la criminalisation des mouvements sociaux, contre les méga-projets et l’IIRSA. A partir de l’unité entre la Mère Terre[27], la société et la culture, ils proposent la décolonisation du pouvoir et l’établissement d’un auto-gouvernement communautaire, des Etats plurinationaux[28], l’autodétermination des peuples, l’unité dans la diversité et d’autres formes d’autorité collective, avec des dispositifs de control populaire sur la production, les marchés et l’économie. L’idée d’un Etat plurinational consiste en la recherche d’une relation inédite entre les Etats classiques en Amérique et les Peuples Indigènes. Ils prônent l’unité, la dualité, l’équité et la complémentarité du genre, la libération de toute forme de domination ou de discrimination raciste, ethnique ou sexiste, la décolonisation des sciences et technologies, l’expansion de la réciprocité dans la distribution du travail, des produits, des services. Par-dessus tout, produire une nouvelle éthique sociale, alternative à celle du marché et du profit colonial-capitaliste. Les attaques systématiques du capitalisme impérialiste sur les populations de tous les continents, les transforment en sujets actifs dans la réponse à donner à l’échelle planétaire avec un caractère d’urgence. Pour y parvenir, les peuples indiens ont fixé une mobilisation mondiale du 12 au 16 octobre 2009.
Devant la crise économique, financière, alimentaire, social et politique que traverse les Etats, les Peuples Indiens ont décidé organiser un sommet fin mai à Abya Yala, au Pérou, pour discuter les alternatives aux problèmes posés par les différents gouvernements, mais aussi par la politique de globalisation néolibérale, par l’exploitation des transnationales et par les traités de libre commerce. Dirigeants syndicaux, représentants des mouvements sociaux, des paysans, et d’autres catégories y participeront et d’ores et déjà ils discutent à partir des bases contenues dans la déclaration faite au FSM, à Belém. Les préparatifs du sommet, ont comporté des réunions préalables – des femmes, de la jeunesse, des enfants indigènes, pour aboutir au IV Sommet continental de peuples et nationalités indigènes à Abya Yala, au Pérou[29]. Leurs dirigeants considèrent que ce sommet est un pas décisif dans le procès d’articulation et construction collective des propositions du mouvement indigène continental, il s’agit ainsi d’une contribution politique en tant que message aux Etats et aux institutions internationales car le changement climatique, la transformation des Etats, les alternatives à la crise économique, alimentaire, environnementale et politique sont les thèmes à l’ordre du jour. A cette dynamique, se joignent d’autres Peuples Indigènes en dehors de l’Amazonie – ceux du Guatemala, ceux du Chili, etc.
Les réflexions que font ces peuples en Amérique du Sud aujourd’hui ne peuvent qu’enrichir les expériences de résistance d’autres peuples de la planète exploités et opprimés par les politiques capitalistes. La proposition des Peuples Indigènes pour une mobilisation mondiale entre le 12 et le 16 octobre pour défendre la Mère Terre (la planète), contre le mercantilisme, le racisme et la criminalisation des mouvements sociaux, résume le sentiment latente des travailleurs du monde entier qui résistent aux attaques de ceux qui les font payer la crise du système.
Paris, juin 2009
[1] Déclaration conjointe de M. Luiz Inacio Lula da Silva, président de la République fédérative du Brésil et de M. le Président de la République française concernant le Plan d’action Franco-Brésilien.
Accessible en juin 2009 en : http://www.elysee.fr/documents/?mode=view&lang=fr&cat_id=1&press_id=1033.
[2]Conseil de l’Union européenne. Deuxième somme Brésil-Union européenne. Rio de Janeiro, le 22 décembre 2008.
Accès en : http://www.consilium.europa.eu/ueDocs/cms_Data/docs/pressData/fr/er/105022.pdf
[3] Allocution de M. le Président de la République.
Accès en : http://www.elysee.fr/documents/index.php?mode=cview&cat_id=7&press_id=2152&lang=fr
[4] Plan d’action pour la mise en œuvre du Partenariat stratégique entre la République française et la République fédérative du Brésil. Accès : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/europe_828/union-europeenne-monde_13399/relations-exterieures_853/.
[5] Plan d’action pour la mise en œuvre du Partenariat stratégique entre la République française et la République fédérative du Brésil. Accès : http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/europe_828/union-europeenne-monde_13399/relations-exterieures_853/.
[6] Ce mot désigne les populations afro-descendantes vivant sur place aux marges des fleuves ou dans les agglomérations.
[7]Latin Reporters. Brésil-UE-France: Lula et Sarkozy consolident le partenariat stratégique.
Accessible en : http://www.latinreporters.com/bresilpol27122008.html
[8] Agence française pour le développement internationale des entreprises (UBIFRANCE).
[9] Accessible en mai 2009 en : http://anodafrancanobrasil.cultura.gov.br/br/2009/05/07/ano-economico-da-franca-no-brasil-fortalecera-parcerias-comerciais/
[10] AFP. Avril 2009. Voir França busca mais espaço na economia brasileira. Accessible en avril 2009 en :
[11] Latin Reporters. Idem.
[12] L’UNASUL a été crée lorsque l’Accord de libre échange proposé par les Etats-Unis a été enterré en 2005, et est composé des pays suivants : Argentine, Brésil, Bolivie, Colombie, Chili, Equateur, Guyenne, Suriname, Paraguay, Pérou, Uruguay et Venezuela. Il s’agit d’un traité qui présente les axes de fonctionnement dont la principale fonction est celle d’approfondir l’intégration régionale. Etant donnée la diversité d’orientation et de sensibilités politiques des 12 pays les objectifs d’intégration de cette institution restent encore lointains.
[13] Les deux groupes se sont associés sans perdre leur identité juridique.
[14] http://www.tecnodefesa.com.br/laad. Accès: mai 2009.
[15]Tecnodefesa, en : http://www.tecnodefesa.com.br/laad. Accès: avril 2009.
[16] A l’occasion des commémorations de l’Année de la France au Brésil, déclaration de Christophe Lecourtier, directeur-général de l’Agence française pour le développement internationale des entreprises (UBIFRANCE) et président du Conseil administratif de la Chambre du commerce du Brésil en France. França busca mais espaço na economia brasileira. Accessible en avril 2009 en :
[17] Mercado Comuún deAmerica del Sur. Mercado Comun del Sur Marché commun de l’Amérique du sud, crée en 1991 entre l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay. En 1996, la Bolivie et le Chili ont le statut de « pays associés. Le Pérou rentre en 2003, la Colombie et l’Equateur depuis 2004 et le Venezuela a entamé son processus d’adhésion en décembre 2005.
[18] IDE – Investissement direct à l’étranger.
[19]Elysée. Les relations commerciales entre l’Union européenne et l’Amérique latine/Caraïbes. Accessible en :
[20] Igor Ojeda et Luís Brasilino. Les veines de plus en plus ouvertes de l’Amérique latine. Le journal Brasil de fato, 06/02/08. Les journalistes s’inspirent du titre de l’ouvrage de Eduardo Galeano Les veines ouvertes de l’Amérique latine. Paris, Plon. 1971.
[21] En 2000, Fernando Henrique Cardoso, l’ex-président libéral du Brésil propose la création de l’IIRSA, inspiré par la création de l’Union européenne, repris ensuite par Lula, son successeur.
[22] Amazonie : en quête d’affaires, l’IIRSA voit grand. Accessible en : http://www.risal.info/spip.php?article2054#texte_2054
Article publié le 6 avril 2007. Les détails des projets sont accessibles en : www.iirsa.org/proyectos
[23] Accès in; http://www.brasildefato.com.br// e Conjuntura América Latina e Caribe. ABONG. Mars 2008.
[24] Gonzalez, Gerney Rios, Salvemos la Amazonia. Mars 2009.
Accès : http ://www.nasaacin.org/uploads/agenda_indigena.pdf
[25] Coordinadora de la s Organizaciones Indíginas de la Cuenca Amazónica (COICA). Página oficial de la COICA: http://www.coica.org
[26] Date de la découverte de l’Amérique. De 14921 à 1493, durera le voyage de Christophe Colomb . Il découvre d’abord le Bahamas, ensuite les Antilles(Cuba, Haïti, Guadeloupe).
[27] La Mère Terre, Madre Tierra en castillan signifie Terre nourricière, dans laquelle les droits des humains doivent être respectés, ainsi que ceux des animaux, des végétaux, de la planète. La terminologie a une portée symbolique et politique. La première, pour marquer l’interdépendance entre l’être humain, les espèces vivantes et la planète Terre. La deuxième, illustre le rapport avec la Terre, dont l’être humain n’est ni propriétaire, ni dévastateurs, ni vendeurs et que « le capitalisme impérialiste a démontré non seulement dangereux par la domination, exploitation, violence structurelle, mais aussi parce qu’il tue la Mère Terre, en nous amenant au suicide planétaire, qui n’est ni ‘utile’, ni ‘nécessaire’ ». Déclaration des peuples indigènes. Appel des peuples indigènes face à la crise de civilisation occidentale. Forum social mondial. Belém, 2009.
[28] La notion d’Etats plurinationaux est controversée parmi les organisations indiennes. Les unes qui prétendent gagner le respect des Peuples Indigènes par les réformes de l’Etat, les autres qui prétendent instaurer des régimes basés sur le droit à la libre détermination, comme au Chili, les Mapuches Conseil de toutes les terres, qui proposent un auto-gouvernement. Mais, ce qui semble faire consensus selon Aucán Huilcarnán Paillama, est que « la vieille structure politique juridique, économique et administrative connue comme « Etat » par les peuples indiens historiquement se définit comme une structure coloniale, et par conséquent, de domination, d’oppression politique et dans ses actes répressifs viole systématiquement les droits humains des Peuples Indigènes ». Aucán Huilcamán Paillama, Estados plurinacionales. Marzo 2009. Accessible en : http://www.cumbrecontinentalindigena.org
[29] Accès en juin 2009 : www.ivcumbrecontinentalindigena.org.