Ni Covid ni Macron
L’incurie du gouvernement en matière sanitaire et ses méthodes autoritaires suscitent dans une part croissante de la population une méfiance grandissante et une opposition frontale. Celle-ci s’incarne dans d’importantes manifestations contre le passe sanitaire et les menaces qu’il fait peser sur les salarié-es et les plus précaires.
Contre l’autoritarisme de ces méthodes, cet article de Léon Crémieux revient sur la nécessité d’une généralisation de la vaccination et les moyens pour la mettre en œuvre, tout en soulignant les liens entre le capitalisme et cette pandémie – comme hélas probablement celles à venir… La situation exige une politique claire fondée sur une émancipation par rapport à la logique des intérêts privés et du profit illimité.
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Les manifestations déclenchées par les diktats concernant le passe sanitaire obligatoire et pour dénoncer les méthodes policières de Macron et de Blanquer, le chantage aux licenciements ou aux suspensions de salaire, sont justifiées. Mais les aspects contradictoires de ces manifestations imposent évidemment de mettre en avant une logique globale concernant l’action à mener contre la pandémie.
Cela impose d’avoir deux préoccupations complémentaires :
• celle d’une politique de santé publique et de vaccination générale de la population pour combattre le Covid 19 et s’en protéger. C’est l’exigence d’une politique de santé qui ne se fixe pas seulement pour but une « politique sanitaire » évitant les hospitalisations et la saturation des services de réanimation, mais une politique de zéro Covid qui vise à éradiquer la pandémie en France et dans le monde (comme cela a été pratiquement le cas pour d’autres pandémies). D’où le lien avec la campagne pour la levée des brevets, alors que les pays d’Europe et d’Amérique du Nord ont accaparé l’essentiel des doses, tout en protégeant les trusts du Big Pharma, bloquant l’accès gratuit aux vaccins pour les autres continents
• celle du refus de la politique de Macron et du passe sanitaire, d’une vaccination rendue indirectement obligatoire de façon hypocrite et culpabilisante, pour les soignant-es, les lycéen-nes et dans les lieux de loisir, avec la menace de la suspension du contrat de travail et le licenciement des salarié-es, maintenue en pratique avec la loi. Politique policière et criminalisante qui fait du contrôle par le passe sanitaire une question d’ordre public et de police et qui, par ailleurs, tourne le dos à une réelle politique de vaccination et de santé publique qui doit aller auprès des populations le moins vaccinées et, souvent, le plus à risque. Pire, la politique du passe sanitaire et du test PCR payant crée une dynamique d’évitement, amenant des malades à cacher leur maladie, d’autres à chercher de faux passes sanitaires, d’autres enfin à ne plus aller se faire tester ou soigner, y compris pour d’autres maladies.
Ces deux exigences sont présentées comme contradictoires symétriquement par le gouvernement et par les antivax, les partisans de la vaccination générale devant obligatoirement prendre leur parti de l’obligation du passe sanitaire, et les opposants au passe sanitaire faisant l’impasse sur l’impératif de la vaccination au nom de la « liberté individuelle ».
Nous devons refuser ce schéma binaire et nous positionner tout à la fois
• pour la nécessité de l’organisation, par les services publics de la santé et de la protection sociale, d’une vaccination générale contre le Covid (y compris des plus jeunes)
• et pour le refus des méthodes policières et autoritaires du gouvernement qui accroissent le système sécuritaire et policier développé par Macron et servent de substitut à une campagne organisée de vaccination.
On ne peut pas cultiver le flou sur l’une ou l’autre de ces positions, Il faut les gérer, y compris dans les manifestations, tout en essayant de donner une dynamique politique progressiste aux réactions et mobilisations actuelles contre le passe sanitaire et les mesures gouvernementales, manifestations qui vont rester présentes dans les semaines à venir (malgré le mois d’août et l’entrée en vigueur du passe), en s’appuyant notamment sur l’appel unitaire contre les mesures du gouvernement.
Pour ne pas tourner autour du pot, on doit clairement dire que nous sommes pour la mise en œuvre, par une campagne systématique, de la vaccination collective de toute la population contre le Covid (et sûrement donc pour que cette campagne se prolonge par les rappels nécessaires cet automne…), afin de rendre les contaminations les plus marginales possibles. Cela suppose une organisation systématique de la vaccination (alors que celle-ci repose essentiellement aujourd’hui sur une démarche individuelle, notamment par la prise de rendez-vous par internet sur Doctolib), par une politique active des services de santé et de la Sécurité sociale, visant les personnes non vaccinées, les populations et les générations restées le plus à l’écart de la vaccination, en organisant des campagnes, non pas de culpabilisation et de menace, mais de transparence, d’information et de conviction nécessaires. Ce n’est ni une question de police ou de chantage à l’emploi ou à l’éducation. Une grande majorité de la population est favorable à la vaccination et le retard de la France, par rapport à la moyenne de l’UE, pour le nombre de personnes vaccinées est davantage dû au manque d’organisation et de moyens qu’à la partie réticente de la population. Inutile de refaire l’historique des errances du gouvernement cherchant à masquer sans cesse, par des prétextes fallacieux, l’absence de masques, de tests, de vaccins, d’organisation de la vaccination en masse. Ce n’est, par exemple, que depuis début avril que 35 grands centres de vaccination ont été ouverts (dénoncés auparavant comme « vaccinodromes » par le gouvernement) , depuis le 16 avril que les moins de 70 ans sans facteur de comorbidité peuvent prendre rendez-vous pour se faire vacciner (!!!!), depuis le 15 juin que les 12-17 ans peuvent se faire vacciner. De même, on se rappelle l’insistance à dire pendant des mois que les jeunes n’étaient pas à risque, justifiant l’absence de réels protocoles sanitaires dans les collèges et lycées. Au fil de mois, le gouvernement lui-même a flotté avec complaisance sur les réticences à la vaccination générale de la population, au lieu de dire clairement qu’il devrait organiser la vaccination globale pour combattre le virus.
Nous ne sommes pas agnostiques en ce qui concerne la place des vaccinations dans les politiques de santé. Ce n’est pas un choix individuel, une opinion laissée à la liberté et au choix de chacun. C’est une question de santé publique. Il en a toujours été ainsi (sauf contre-indication médicale à la vaccination) et les vaccinations infantiles n’ont jamais reçu que des refus marginaux (même l’extension aux 11 vaccins il y a 4 ans qui s’était faite de façon tout aussi autoritaire avec une totale complaisance pour les trusts pharmaceutiques et sans aucune démocratie sur l’utilité des nouveaux vaccins et l’utilisation des adjuvants). Mais la pandémie du Covid depuis 18 mois, les traitements et les vaccins ont alimenté, notamment en France avec les errements de Macron, le scepticisme et fait les choux gras des thèses complotistes et antivax. Si celles-ci dépassent les milieux habituels, c’est bien que les thèses complotistes (bien présentes parmi les salarié-e-s, et même dans nos milieux syndicaux) ont été renforcées par tous les errements de la communication gouvernementales, des déclarations et décisions contradictoires de Macron, Castex et Cie. Mais c’est aussi l’effet boomerang du manque de transparence et d’association de la population pour tout ce qui a concerné le Covid, des politiques de profits des trusts pharmaceutiques, souvent au mépris de la santé des patients, des scandales créés par la mise sur le marché ou l’utilisation détournée de divers médicaments, comme le Mediator, le Levothyrox nouvelle formule, le Distilbène, et l’absence d’action des pouvoirs publics dans ces affaires. Il en est de même du scandale du chlordécone aux Antilles, qui a alimenté les réticences d’une partie de la population à la vaccination. Tout cela a largement érodé la crédibilité des communications gouvernementales sur le terrain médical, liée à l’absence de transparence et d’une politique réellement indépendante des trusts pharmaceutiques. Enfin, la cacophonie de la communication scientifique a permis que certains réseaux sociaux et des chaînes comme CNews et BFM créent un brouillard et une absence de repères rationnels pour une partie de la population, aucune voix et aucune information ne devenant plus crédible qu’une autre. De manière générale, la perte de crédibilité des dirigeants politiques, la désorganisation et la pénurie de moyens des services de santé et de Sécurité sociale, leur éloignement physique croissant pour la population, liée à la faiblesse d’un mouvement social et ouvrier porteur d’une parole audible, accentuent ce phénomène.
Il est donc vital que se fasse entendre une parole claire et audible concernant les questions de santé publique. Il faut qu’elle fasse le lien entre les exigences sur ce terrain et le combat pour une société fondée sur les biens communs, la gestion publique et transparente de toutes les productions et services vitaux pour la population. Cela concerne aussi bien le domaine de la santé, des transports et de l’énergie. De même la pandémie met en relief les conditions de vie des classes populaires, concentrant plusieurs facteurs qui aggravent la vulnérabilité aux virus et aux maladies en général (habitat, alimentation, souffrance au travail, violences familiales). Cette vulnérabilité est bien la conséquence d’un système économique et politique. Toutes ces questions sont liées et imposent encore davantage le refus de culpabiliser des exploité-es et des opprimé-es rendu-es responsables de leur protection vaccinale plus faible que les classes dominantes ou aisées. Aujourd’hui, si les manifestations regroupent beaucoup de personnes hostiles à l’idée de se faire vacciner, avec des tentatives d’hégémonisation par des antivax et l’extrême droite, elles regroupent aussi des couches, souvent militantes, de personnes soit déjà vaccinées soit qui vont l’être mais qui refusent les diktats de Macron et combattent le gouvernement comme sa politique autoritaire et policière.
C’est bien une question de santé publique, de protection de l’ensemble de la population contre ce virus. C’est une question collective qui concerne toute la société, tout comme l’a été et l’est encore à l’échelle mondiale la lutte contre les épidémies mortelles. C’est bien la découverte de la vaccination par le médecin anglais Jenner à la fin du XVIIIe siècle qui a permis d’éradiquer la variole. La poliomyélite, la diphtérie, la rougeole, le tétanos, la tuberculose ne sont plus des fléaux grâce aux vaccins. Nous nous sommes toujours prononcé-es pour des politiques de santé et de prophylaxie organisées pour protéger la population. Les vaccinations infantiles font partie de ces politiques. Nous ne partageons donc pas la logique antivax, nous la combattons et sommes au contraire pour que l’ensemble de la population de la planète ait accès rapidement et gratuitement aux doses nécessaires pour se protéger, avec évidemment un contrôle public et transparent des produits mis sur le marché. Dans l’état actuel des connaissances disponibles, les vaccins anti covid représentent une efficacité massive réelle et ne présentent pas de risques particuliers par rapport à d’autres vaccins. Bien sûr il ne faut pas nier qu’il y ait des effets secondaires bénins ou plus graves possibles, mais sans rapport avec les chiffres catastrophiques annoncés sur les réseaux sociaux par les antivax, qui mettent en avant ces risques pour refuser les vaccins – et certains parmi eux sont antivax dans l’absolu. Des polémiques identiques ont existé et existent sur tous les autres vaccins, la variole, l’hépatite B, le BCG… avec des campagnes de vaccinations qui ont rencontré des vrais problèmes, limités mais réels… Encore une fois comme pour beaucoup de médicaments, d’actes médicaux ou comme l’hospitalisation elle-même avec les maladies nosocomiales. Cela renforce la nécessité de contrôler et limiter ces effets secondaires, d’un système de santé publique solide et équipé, d’une socialisation des trusts pharmaceutiques, d’une pharmacovigilance publique et indépendante du Big Pharma… Mais cela ne doit pas nous faire rejoindre le camp des vaccinosceptiques.
Par ailleurs, tous les rapports des épidémiologistes préviennent (et prévenaient déjà avant 2020) qu’avec la facilité des transports internationaux, humains et de marchandises, les conséquences de l’urbanisation, des déforestations et des changements climatiques, et la situation sanitaire et de logement des classes populaires dans beaucoup de pays, nous devons nous attendre à d’autres catastrophes sanitaires, notamment par des zoonoses, comme celle du Covid 19. Donc autant essayer d’être clairs et cohérents. En cela la lutte contre les pandémies et la lutte contre les changements climatiques et les méfaits de la mondialisation capitaliste sont directement et durablement liés.
L’hypocrisie du gouvernement est de masquer la nécessité d’une véritable politique de santé publique, avec les moyens nécessaires, et de vaccination générale en faisant porter sur les soignants et les jeunes la responsabilité de stopper la quatrième vague et il mène donc une campagne « d’urgence », pour faire baisser les courbes, contre ces catégories de la population. Pourtant, et depuis des mois, la situation exige, non pas d’organiser des contrôles policiers, des menaces d’amendes, de suspensions de salaire et de licenciements, mais la vaccination collective, dans notre pays et dans le monde entier, avec une campagne de santé publique, notamment auprès des plus précaires: organiser dans les quartiers populaires et auprès des personnes âgées des tournées de personnels de santé et des services sociaux pour amener l’information et les vaccins auprès de celles et de ceux qui y ont le moins accès, mettre à contribution les services de la Sécu (avec le personnel et les moyens nécessaires) et garantir de manière durable un système de santé qui protège la population de nouvelles épidémies, avec des lits et des personnels dans les hôpitaux et dans tous les services de la protection sociale.
La question de la vaccination collective renvoie tout de suite à des maux générés ou aggravés par le système capitaliste : la dégradation de la couverture hospitalière avec le manque de lits et de personnels de santé, le manque de personnels de services sociaux dans les collectivités territoriales, la situation précaire des EHPAD, dont la moitié est privée, le maintien dans le secteur privé de la production pharmaceutique. Dans des départements comme la Seine-Saint-Denis, la pénurie de services sociaux est patente devant l’absence de moyens pour donner accès à la vaccination à des populations précaires. Enfin la question de la prise en charge pratique et financière de l’isolement est toujours béante. Les conditions d’habitat pour une grande partie des familles des classes populaires rendent inopérant tout isolement à domicile et il n’y pas de prise en charge financière globale des frais d’hôtel ou de résidences dédiées.
Macron a décrété l’obligation vaccinale pour « certaines » professions, stigmatisant à grand renfort de presse les soignants « irresponsables » et imposant le passe sanitaire pour les loisirs (bars, restaurants, voyages train/avion) et galeries commerciales, clients et commerçants. Les enseignant-es, policiers, militaires, agents SNCF et des compagnies aériennes (sauf les hôtesses et stewards), postier-es ne sont pas encore concerné-es par l’obligation vaccinale. À juste titre, les syndicats de la santé se sont insurgés devant cette stigmatisation, mesure venant d’un gouvernement qui, il y a quelques mois, obligeait les soignants testés positifs, mais asymptomatiques, à continuer de venir au boulot. De même, SUD Santé et la CGT, tout en refusant la stigmatisation des soignants, multiplient les exigences pour une politique de santé publique, à même de lutter contre cette pandémie… et d’autres zoonoses à venir !
De manière immédiate et pour les semaines qui viennent, il faut évidemment aller vers la vaccination collective en France et assurer la levée des brevets, la production et la gratuité des vaccins pour que toutes les régions du monde qui n’ont pas accès aux vaccins en disposent rapidement. Des effectifs, lits et services en nombre suffisant. Une politique de santé publique revenant sur toutes les coupes faites pour les services de santé dans les collectivités locales.
Combattre pour la vaccination collective contre le Covid, comme mesure de santé publique et non pas comme « libre choix individuel », ne veut pas dire imposer aujourd’hui la vaccination obligatoire contre le Covid qui, en prenant un aspect légal, prendrait aussi un aspect pénal et répressif ! Aussi devons-nous combattre la vaccination obligatoire hypocrite de Macron qui tourne le dos à une campagne de vaccination collective.
On ne peut pas échapper à la question d’être pour ou contre la vaccination collective contre le Covid comme mesure de santé publique visant à protéger l’ensemble de la population. De même, que, en général, on ne peut pas échapper à une prise de position pour ou contre les vaccinations infantiles telles qu’elles existent aujourd’hui (même si on devrait pouvoir débattre de l’utilité des fameuses 11 vaccinations obligatoires), en comprenant bien que la vaccination contre le Covid deviendra, probablement, elle aussi un impératif mondial dans les années à venir, ce qui impose encore plus la gratuité des vaccins et la levée des brevets.
La méthode hypocrite et contraignante utilisée pour arriver à la vaccination (le passe obligatoire) entraîne évidemment une colère importante que n’ont jamais engendrée les autres vaccinations obligatoires. La pénurie hospitalière, l’opacité des contrôles sur les grands groupes industriels pharmaceutiques, les mensonges et incuries successives du gouvernement, les mensonges fréquents et la politique de profits des trusts pharmaceutiques, les méthodes autocratiques et autoritaires du gouvernement entraînent, pour certains, un rejet pêle-mêle de la vaccination et du passe sanitaire, avec un large mécontentement et des manifestations populaires qui rappellent le début des mobilisations des gilets jaunes. Mais elles sont essentiellement motivées par l’obligation de l’instauration immédiate du passe sanitaire et de la vaccination obligatoire sous peine de licenciement ou de suspension de salaire. Soutenir ce mouvement ne doit pas empêcher de combattre les ambiguïtés ou, pire, les positions des antivax sur la nécessité même de la vaccination.
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Léon Crémieux est technicien aéronautique à Air France, retraité, et syndicaliste Sud Aérien.
Illustration : Daniel Capilla