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Mercredi 12 janvier, Monsieur le Ministre de la Garderie nationale Jean-Michel Blanquer déclare : « On ne fait pas la grève contre un virus ». Jeudi 13 janvier, une journée de grève historique a lieu dans l’ensemble de son secteur.

C’est tout de même rude pour lui. Après tout, c’est loin d’être la chose la plus stupide qu’il ait jamais dite. D’ailleurs se prélasser à Ibiza en se disant que la pandémie attendra n’est même pas la chose la plus dégueulasse qu’il ait jamais faite. C’est cruel la politique !

En attendant, voilà : une bonne grosse grève comme celle-là, c’est sûr qu’il ne l’a pas volée.

Enfin ! Une grève contre des conditions de travail insupportables en pleine épidémie qui ravage la planète. Une grève qui dit bien haut ce que tout le monde pense tout bas : marre de subir cette situation de merde et de toujours devoir se débrouiller avec les moyens du bord !

Et si, après deux ans de pandémie, l’heure de la grève contre un virus était enfin venue ?

 

La loi du danger

Depuis deux ans, on a beaucoup parlé de tout ce dont les risques sanitaires nous ont privé·es. La compagnie de celles et ceux que nous aimons. Le plaisir simple de respirer l’air frais sans arrière-pensée. Tant de choses du quotidien qui font que le boulot n’est pas complètement insupportable et que le temps libre peut être doux.

Mais s’il n’y avait que ça !

Ce qui nous manque encore cruellement deux ans après, c’est une politique sanitaire efficace. On a fini par avoir des masques, des tests, et même des vaccins. Il manque toujours des lits d’hôpitaux, des postes pour les travailleurs·euses essentiel·les de la santé. Il manque une politique qui fasse de la santé publique sans flicage. Il manque des gens ne serait-ce qu’à peine un petit peu moins cramés que la Macronie pour être crédibles quand il faut convaincre tout le monde de se protéger et de se vacciner.

Résumons : on vit sous contrainte pour se protéger, mais ceux qui nous gouvernent ne nous protègent pas. Pire : on est obligé·es de se mettre en danger !

Il ne faudrait pas faire souffrir « l’économie », alors hop, au boulot. Eh oui, pour une petite minorité, pendant la pandémie, les affaires continuent, et pour eux, ça paye.

Continuer à travailler « normalement » coûte que coûte, pour des salaires et dans des conditions qui étaient déjà indécentes avant le Covid, et alors que les hôpitaux se remplissent vague après vague… Bientôt deux ans qu’on subit cette loi du danger.

À grande échelle, une des grandes lois du danger aujourd’hui est celle des brevets. Les droits de quelques grands patrons de l’industrie pharmaceutique freinent la diffusion des vaccins dans le monde. Au-delà des brevets, le fric et le pouvoir en général jouent dans le même sens à travers la planète. Loi du danger d’abord pour les populations des pays dominés. Et ensuite pour celles du monde entier, tant que circule le virus, engendrant de nouveaux variants. C’est cette loi du danger qui fait qu’on court encore après le virus deux ans après.

Mais à l’autre bout, à petite échelle, la loi du danger, c’est le danger imposé dans la vie et le travail. Vivre et travailler sans les moyens de se protéger, sans les moyens de travailler normalement, et toujours devoir faire plus avec moins (de moyens, de collègues, de forces, de santé, de confiance en un avenir un peu moins pénible). Chaque jour un coup dur, à l’horizon le désespoir, l’épuisement.

 

Aller à l’essentiel

La priorité devrait être de nous protéger tou·tes pour en finir au plus vite avec une catastrophe sanitaire qui nous ruine la vie depuis deux ans. Ça aurait dû être la priorité depuis le début.

Mais non, il faut aller tous les jours fabriquer ou vendre des joujoux en plastoc à obsolescence programmée. Ou garder les enfants de celles et ceux qui vont le faire. Ou soigner celles et ceux qui tombent forcément malades dans ce cirque. Et faire attendre les autres au risque de laisser leur santé se dégrader à jamais. Pendant ce temps, laisser tant de gens sans emploi ni formation alors qu’il manque des gens partout (malades ou simplement jamais recrutés). Etc., etc. Et vogue la galère.

Alors bien sûr, avec le premier confinement est venu un coup de projecteur sur les travailleurs·euses essentiel·les.

Mais on a vite vu que même les autres devaient retourner au travail au plus vite. Parce que dans notre société, apparemment, il n’y a rien de plus essentiel que celles et ceux pour qui on travaille continuent de se remplir les poches. Et depuis deux ans à vrai dire ça marche bien pour ces gens-là. Eh oui, la loi du danger, c’est aussi la loi du profit de quelques poignées de grands propriétaires.

Et les essentiel·les ? Ah bon, c’est toujours la galère deux ans après ?

Bon, on est pas complètement stupides non plus. On ne va pas attendre que la reconnaissance de ceux d’en haut vienne toute seule. Si vous vous demandez quel genre de morale ils peuvent bien avoir, fermez les yeux, visualisez Blanquer à Ibiza, et puis regardez autour de vous.

La reconnaissance de tout ce qu’on subit et de tout ce qui nous est dû, il nous faudra la prendre de force, le seul langage que ces gens comprennent, celui qu’ils parlent tous les jours en nous soumettant à la loi du danger (et en envoyant les flics dans les quartiers populaires et les manifs). Mais quelle force peut-il bien nous rester tant qu’on continue à accepter d’aller bosser tous les jours dans cette galère ?

 

S’arrêter, pour quoi faire ?

Alors oui, de grandes grèves contre le virus, on en rêve depuis deux ans. Et il y en a déjà eu, des grèves, des arrêts de travail, des droits de retrait, des freinages, des actions collectives pour refuser de travailler dans des conditions inacceptables en temps de pandémie. Lorsque travailler devient répandre le virus, ou subir des conditions inacceptables sur place ou en télétravail, ou même se tuer à la tâche sous la pression que la pandémie exerce partout. Lorsque travailler est tout sauf la bonne priorité, beaucoup ont pensé à tout arrêter, et certain·es l’ont fait.

Pour quoi faire ? Il y a beaucoup de réponses possibles à cette question (et autant de façons d’arrêter ou de transformer notre travail). Revendiquer des salaires, des embauches, des moyens, du matériel, des conditions décentes. Reprendre un peu de contrôle sur nos vies au travail, et retrouver notre vie en dehors du travail. Réduire le danger pour ne plus le subir.

Tout ça, c’est aussi imposer d’autres priorités, au travail et dans la société.

Combien de fois on s’est retrouvé·es obligé·es d’aller bosser pour faire des choses qui ne devraient pas être prioritaires au milieu d’une pandémie ?

Et ça ne vaut pas seulement pour le travail « productif », pour les « choses » que nous fabriquons. Le travail « reproductif », celui qui nous sert à prendre soin les un·es des autres, et sans lequel personne ne pourrait bientôt plus aller bosser nulle part, il nous faut tout autant le reprendre en main.

La santé est encore l’exemple le plus évident. Pas besoin de chercher plus loin pour trouver la démonstration terrifiante du sort des « essentiel·les » après deux ans de pandémie. Les luttes des salarié·es de ce secteur sont et seront donc… essentielles.

Du côté de l’éducation, si les profs en ont marre de « faire de la garderie » dans les pires conditions, c’est bien parce qu’il y en a marre de cette priorité au fric que quelques-uns se font sur le dos des parents d’élèves qui doivent aller au travail coûte que coûte pour vivre. Et tant pis si c’est la 3e année scolaire consécutive où les conditions d’éducation ne sont pas bonnes pour la plupart des élèves et étudiant·es : on se contentera de donner les moyens que « la garderie nationale » reste ouverte.

Et même pas assez pour ça, d’ailleurs. Le virus continue de gagner la course pour l’instant. Alors même dans ces conditions la garderie est de nouveau désorganisée par l’épidémie. Voilà pourquoi les salarié·es de l’éducation ont fait une grande grève : d’abord contre le chaos des écoles, contre la contagion, même si au fond c’est aussi contre la priorité « à l’économie » : aux patrons des parents par rapport à la santé publique.

Le travail reproductif, c’est aussi le travail domestique, forcément alourdi quand les écoles dysfonctionnent, que les gens tombent malades, s’isolent, télétravaillent, etc. Un travail réalisé de façon disproportionnée par les femmes. Toutes les formes de travail reproductif sont d’ailleurs portées majoritairement par des femmes, et dans les secteurs les plus durs et les moins bien payés, par des personnes non-blanches.

Et si la grève contre le virus, c’était aussi une grande grève des femmes en France le 8 mars prochain ? Et si c’était encore une grève antiraciste sous une forme qui reste à (ré)inventer ?

 

Notre guerre au virus, c’est la grève

Face au virus, les grèves pourraient pleinement montrer qui sont les essentiel·les, sans qui plus rien ne peut fonctionner. Et dans le climat politique nauséabond de la présidentielle 2022, elles ouvriraient enfin la voie à d’autres priorités dans la société (et même si un espoir devait renaître pour cela dans ces élections, nos luttes seraient encore essentielles pour qu’il devienne réalité). De grandes grèves une année électorale, voilà qui serait assez extraordinaire dans notre vieille République. Mais nous ne vivons pas des circonstances ordinaires.

En tout cas, il faudra bien ça. On voit déjà ce que valaient les promesses d’embauche de contractuels au lendemain de la grève du 13 janvier. Le chaos continue à l’école. L’éducation comme tous les services publics est dégradée, elle n’embauche plus assez, et parfois elle n’y arrive plus même quand elle essaye (AESH). Des décennies de casse du service public sont redoublées par les ravages de deux ans de pandémie sur les corps, les esprits, les collectifs de travail.

Quand ça va craquer, il faut arrêter le cours « normal » des choses par tous les moyens que nous avons, pour nous protéger et pour imposer nos priorités, les faire céder quand ils sont si déterminés à ne pas le faire (comme ils l’étaient déjà en décembre 2019 et début 2020).

Ceux qui nous gouvernent n’ont pas été capables de stopper le chaos global depuis deux ans qu’ils ne nous écoutent pas, combien de temps encore les laisserons-nous faire ?

Partout où on n’en peut plus, on s’arrête. Partout où on va bosser la boule au ventre parce qu’on a peur de tomber malade ou de contaminer les autres, partout où on enchaîne des doubles et triples journées, de travailleuse, de mère, d’aidante et de soignante, partout où on a à peine le temps de respirer que la prochaine vague est déjà là… On s’arrête, ensemble !

Notre guerre au virus, et à tous ceux qui nous épuisent, c’est la grève.

Nous serons donc de celle du jeudi 27 janvier 2022. Et de toutes celles que nous déciderons pour la prolonger.

Dans le passé, on a pu faire grève contre la famine, la pénurie, la guerre, la discrimination, le racisme, le patriarcat, la destruction de l’environnement, et pourquoi pas, la bassesse ou la connerie d’un ministre… Faire grève contre tout ce qu’on ne veut plus, parce que la grève est une force comme les exploité·es et les opprimé·es en ont peu. Et qu’elle sert à (presque) tout, sauf si on ne s’en sert pas tou·tes ensemble.

Alors oui, trois fois oui, faisons grève contre ce maudit virus, contre tous ceux qui sont responsables de la gestion de cette crise qui nous laisse à bout de souffle, faisons grève pour mettre fin aux mauvais jours.

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