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Ernest Mandel (1923-1995) est un militant internationaliste et révolutionnaire qui a su allier tout au long de sa vie pensée et action. Au niveau intellectuel, son ample production théorique, ses nombreuses analyses de conjoncture économique et politique ainsi que ses multiples articles ont influencé une importante génération de militant-es, d’étudiant-es, de chercheurs-ses, de responsables d’organisation syndicales, sociales et politiques bien au-delà de la Quatrième Internationale que Mandel contribuait à diriger.

Mandel était un constructeur d’organisation. Il a consacré autant d’énergie à la construction de la Quatrième Internationale et de ses sections nationales qu’à la production théorico-politique. Pour ce qui est de la seconde moitié du 20e siècle, Mandel figure parmi une vingtaine d’intellectuel-les marxistes de stature internationale et parmi eux il est un des rares à avoir su combiner en permanence l’action et l’élaboration intellectuelle créative et novatrice, à marcher en dehors des sentiers battus.  Ce qui est suit est écrit sur le mode du témoignage.

Dans ce premier article, Eric Toussaint propose d’abord un retour sur sa propre trajectoire militante et la manière dont celle-ci a été marquée par Ernest Mandel, puis décrit le rôle central que celui-ci a joué dans la gauche marxiste internationale au cours des décennies d’après-guerre. Dans un second texte, il abordera la relation de Mandel avec la révolution cubaine et Che Guevara.

On pourra consulter le dossier que nous avons consacré à Ernest Mandel.

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Entre 1971, quand j’ai été élu à la direction de la section belge de la Quatrième Internationale, et jusqu’à sa mort en 1995, j’ai été en contact avec Ernest Mandel. Les contacts sont devenus plus fréquents à partir de 1980 quand j’ai été invité à participer à la direction de la Quatrième Internationale, appelée le Secrétariat Unifié (SU) qui se réunissait plusieurs fois par an pendant 3 à 4 jours et le Comité Exécutif International (CEI) qui se réunissait annuellement pendant 5 à 6 jours. La collaboration s’est intensifiée à partir de 1988 quand je suis devenu membre du Bureau[1], une instance permanente plus réduite qui préparait les réunions du secrétariat unifié et qui se réunissait au moins deux fois par mois à Paris. Je suivais de près les contacts avec les mouvements sociaux et les révolutionnaires d’Amérique centrale en particulier au Nicaragua et au Salvador et plus largement dans la région qui va du Mexique à la Colombie. Dans les dernières années de la vie d’Ernest Mandel, nos rapports sont devenus de plus en plus réguliers et étroits notamment pendant la période de la Chute du Mur de Berlin en 1989, de la fin de l’Union soviétique en 1991, de la réalisation du 13e Congrès mondial de la Quatrième Internationale début 1991 et de la préparation et tenue du 14e Congrès mondial de 1995 qui s’est réuni un mois avant le décès d’Ernest Mandel. Entretemps, nous avions ensemble accompli une mission au Nicaragua en 1992.

J’ai connu Ernest Mandel (1923-1995) en 1970 quand j’avais 16 ans. C’est en effet un peu avant l’âge de 16 ans que j’ai décidé d’adhérer à la Quatrième Internationale (QI), suite à l’intervention des trotskistes belges (la Jeune Garde Socialiste et le Parti Wallon des Travailleurs) dans une grève des mineurs de charbon en Belgique, d’abord au Limbourg qui se trouve dans la partie flamande du pays puis dans la région de Liège qui se trouve dans la partie francophone. Il faut dire que je vivais dans un village de mineurs de charbon, dans la région liégeoise. Avant de devenir membre de la QI, j’étais actif dans les luttes lycéennes, dans la solidarité avec les grèves ouvrières, dans le mouvement contre la guerre au Vietnam, dans la solidarité avec la lutte des afro-descendants pour les droits civils aux États-Unis, dans l’appui à la révolution à Cuba… 

Ernest Mandel était l’un des dirigeants de la section belge de la QI, il était aussi un des dirigeants de la QI en tant que telle. Cela je ne le savais pas lorsque j’ai décidé d’adhérer à la QI. Pour moi, vu ce que les militants de la QI avaient fait en 1968, c’était à Paris que devait se situer sa direction. C’était tout à fait intuitif. J’ai décidé, avec un ami du même âge que moi, de me rendre à Paris en auto-stop en juin 1970 pour aller rencontrer la QI. La première nuit nous avons dormi à la belle étoile sous le Pont Neuf au bord de la Seine. Ensuite, nous sommes allés rencontrer la Ligue Communiste. Le même jour, nous sommes allés à Paris sonner à la porte de l’adresse de la QI, 95 rue Faubourg Saint Martin. Celui qui nous a ouvert la porte c’est Pierre Frank, qui avait été secrétaire de Léon Trotski notamment lors de son exil sur l’île de Prinkipo en Turquie en 1929, qui nous a reçus avec un grand enthousiasme. Le dialogue a été passionnant. Sans doute le fait que deux jeunes adolescents se présentent pour adhérer à la QI lui a très fortement fait plaisir. Nous ne savions pas qu’Ernest Mandel était un des dirigeants clés et qu’il était à Bruxelles et que donc si nous voulions rencontrer la QI, nous pouvions aller sonner à sa porte.

Très rapidement on s’est rendu compte qu’Ernest Mandel jouait un rôle important, même s’il n’était pas, et ça c’est très positif, présenté comme « le » leader de la QI. Par la suite, j’ai pu constater par moi-même que la direction de la QI fonctionnait collectivement. Ernest Mandel n’a jamais prétendu être son leader à la différence d’autres organisations. Je ne l’ai jamais vu faire des démarches pour affirmer une sorte de leadership personnel. Il ne cherchait à bénéficier d’aucun privilège, d’aucune priorité dans la prise de parole. Son influence était le résultat de son action et de son apport à l’analyse. Bien sûr c’est en étant présent avec lui à plus d’une centaine de réunions entre 1970 et 1995 que j’affirme cela sans hésitation.

J’ai vu Ernest Mandel pour la première fois en novembre 1970. Il était un des orateurs d’une grande conférence pour l’Europe rouge. C’était une conférence convoquée par les organisations de la QI qu’on disait à ce moment-là « liées au Secrétariat unifié de la QI », parce qu’il y a plusieurs branches de la QI ou plusieurs organisations internationales revendiquant la continuité par rapport à la IV internationale fondée en 1938 avec la participation de Léon Trotsky[2]. La QI à laquelle j’ai adhéré et dont Ernest Mandel était un dirigeant était vue comme la ‘Quatrième Internationale Secrétariat unifié’, c’est-à-dire qu’elle était le résultat de la réunification entre deux grandes composantes de la QI : la majorité des militants de la QI en Europe (animée par le trio Ernest Mandel – Pierre Frank – Livio Maitan) et la section des États-Unis, le Socialist Workers Party (SWP), réunification qui a eu lieu en 1963[3].

On était en 1970 et la QI Secrétariat Unifié avait convoqué à Bruxelles une grande conférence de deux jours pour l’Europe rouge. Il y a eu plus de 3 000 jeunes, venant de toute l’Europe, notamment de France[4]. C’était extrêmement enthousiasmant, extrêmement combatif, ça laissait entrevoir des développements révolutionnaires en Europe, et Ernest Mandel, à côté d’autres orateurs comme Alain Krivine[5], Tariq Ali militant pakistanais vivant en Grande-Bretagne, Livio Maitan d’Italie, ont fait des interventions très combatives, et, pour quelqu’un comme moi qui avait 16 ans, ça m’a donné beaucoup de conviction et, en même temps, de punch.

J’ai connu aussi Ernest Mandel en le lisant. Comme je l’ai dit, j’ai adhéré à la QI à l’été 1970 et je me suis mis à lire des travaux de Mandel. Avant cela, j’avais lu plusieurs de ses articles dans l’hebdomadaire La Gauche qu’il avait contribué à fonder en 1956. Ce qui m’a convaincu d’adhérer à la QI, au niveau de l’analyse, en plus de la pratique et notamment cette intervention des trotskistes belges dans la grève des mineurs et dans la lutte contre l’intervention des États-Unis au Vietnam, c’est un texte d’Ernest Mandel intitulé « La nouvelle montée de la révolution mondiale ».

Ce texte a été adopté par le 9e congrès mondial de la QI tenu en avril 1969 en Italie[6]. Il mettait en évidence la dialectique des trois secteurs de la révolution mondiale. Il prenait en compte les événements de 1968, à savoir ce qui s’était passé en France et qui s’était répercuté dans le reste de l’Europe mais aussi en Tchécoslovaquie avec le Printemps de Prague de 1968 et l’offensive du Têt de la nuit du 30 au 31 janvier 1968 où les révolutionnaires vietnamiens ont réussi à prendre provisoirement Saïgon, la capitale du Sud (ce qui a anticipé la défaite totale des États-Unis en 1975). Ce texte analysait l’état des luttes et des rapports de force dans les trois secteurs de la révolution mondiale (les pays capitalistes les plus industrialisés, les pays du bloc de l’Est et les pays du Tiers monde) et montrait qu’il y avait une interconnexion entre ces trois secteurs. Mai 68, l’année 1968 et ce qui s’est passé en 1969-1970 était la démonstration évidente de ce qui était analysé dans un texte fondamental de la QI et quelle intervention cette internationale voulait avoir.

Et puis ce qui m’a beaucoup influencé en 1970 c’est la lecture du Traité d’économie marxiste[7]. J’ai dévoré l’édition de poche en 4 volumes à la fin de l’année 1970, pendant les congés scolaires de Noël. Peu après j’ai lu avidement un autre livre d’Ernest Mandel : La formation de la pensée économique de Karl Marx paru en 1967 chez l’éditeur Maspero. Cela peut paraître très précoce mais il faut dire que j’ai lu le Manifeste Communiste de Marx et d’Engels quand j’avais 13 ans, en 1967, et à partir de cette année-là, j’ai commencé à lire différents livres sur les révolutions et en particulier sur la révolution chinoise, notamment en 1967 le livre Etoile rouge sur la Chine (paru chez Stock en 1964 et emprunté à la bibliothèque de mon village) et  en 1968 La Chine en marche d’Edgar Snow . A la même époque j’ai lu La Chine de Mao. L’autre communisme écrit en 1966 par K.S. Karol. Après avoir adhéré à la IVème internationale, j’ai lu en juin – juillet 1971 L’Histoire de la Révolution russe écrit par Léon Trotsky. Ce livre m’a profondément impressionné et m’a convaincu de l’énorme capacité d’analyse des processus révolutionnaires de son auteur.

En 1971, je me suis engagé à fond dans la nouvelle section belge de la QI. En juin 1970, j’avais adhéré en fait à une organisation de jeunesse appelée la Jeune Garde Socialiste (JGS) qui était une organisation animée par des membres de la QI et qui avait rompu avec le Parti Socialiste Belge fin 1964-début 1965 quand la direction de celui-ci a soutenu le renforcement répressif de l’État belge. A partir de 1968-1969, la JGS se considérait comme une organisation révolutionnaire de la jeunesse. Elle avait le statut d’organisation sympathisante de la Quatrième Internationale.

Cette organisation avait connu un développement important pendant les révoltes jeunes qui ont démarré pendant l’année 1968 et avait recruté 150 ou 200 jeunes dans différentes villes de Belgique. Des militant·es jouant un rôle important dans leur milieu, généralement le milieu universitaire ou, comme moi, des collégien·nes, des lycéen·nes, mais aussi en milieu ouvrier. Cette organisation était en 1970 dans un processus de fusion avec la vieille génération organisée dans la Confédération Socialiste des Travailleurs. Ernest Mandel, évidemment, appartenait à la vieille génération. Il est né en 1923, il avait donc 47 ans, il n’était pas vieux, mais évidemment pour des jeunes comme moi de 16 – 17 ans, Mandel était un ainé et un représentant de la vieille génération. Une génération qui avait eu toute une trajectoire de lutte pendant l’occupation nazie en 1940-1945 et qui avait milité ensuite dans un courant de gauche à l’intérieur du Parti Socialiste Belge et de son organisation de jeunesse.

La JGS était donc rentrée dans un processus de fusion avec l’organisation des ainé·es, qui avait une importante implantation ouvrière, dans des usines, notamment dans ma ville, à Liège, dans la sidérurgie. A la fin de l’année 1970, j’avais participé au dernier congrès de la JGS à Gand et on y a validé la fusion[8]. En mai 1971, le congrès de fusion s’est déroulé à Liège qui était un des points d’implantation très important de ce qui allait être la nouvelle section belge de la QI. La Ligue Révolutionnaire des Travailleurs (LRT) est donc née de la réunion de la JGS avec la Confédération Socialiste des Travailleurs qui regroupait trois organisations : en Wallonie, le Parti Wallon des Travailleurs, à Bruxelles, l’Union de la Gauche Socialiste et Révolutionnaire, et le Socialistische Beweging Vlaanderen (S.B.V.) en Flandre (avec leur journal De Socialistische Stem, devenu Rood par la suite).

Ernest Mandel était activement présent dans ce congrès de fusion. Il y avait des délégués internationaux comme Alain Krivine de la Ligue Communiste, section française de la IV et Livio Maitan membre du secrétariat unifié de la IVème internationale et des Groupes Communistes Révolutionnaires, section italienne de la IV. On était une organisation de 350 membres environ (on pourrait même considérer qu’on était près de 500) avec une importante implantation ouvrière industrielle et une bonne implantation dans les universités flamandes, bruxelloises et francophones, ainsi que dans des lycées. Il y avait des ouvrier·es d’industrie qui avaient adhéré principalement après la grande grève de l’hiver 1960-1961. Il y avait des camarades qui avaient adhéré à la IV comme Ernest Mandel avant la Seconde Guerre mondiale et qui avaient participé à la résistance :

Emile Van Ceulen (1916-1987) ancien ouvrier maroquinier ayant adhéré à l’organisation trotskyste en 1933 (délégué en 1951 au 3e Congrès mondial de la IVe Internationale, vice-président national de la JGS après avoir mis en minorité le courant pro-atlantiste au congrès de 1954, invité officiel en Chine par le PCC) ; René Groslambert, employé (cofondateur de L’Action socialiste en 1935 avec Paul-Henri Spaak, cofondateur de L’Action socialiste révolutionnaire en 1936 avec Walter Dauge et Léon Lesoil), arrêté en 1940 et déporté en France au camp du Vernet, délégué au 2e Congrès mondial de la IVe Internationale en 1948 ; Pierre Legrève (1916-2004), membre de l’organisation trotskyste depuis 1933, enseignant qui avait été élu député de l’Union de la Gauche Socialiste de 1965 à 1968, très actif dans le soutien à la révolution algérienne[9] et dans la solidarité avec les prisonniers politiques au Maroc. Il y avait des ouvrier·es d’industrie jouant un rôle clé dans la sidérurgie à Liège et dans l’industrie du verre du côté de Charleroi et de Mons. Il y avait aussi des intellectuels renommés. A côté d’Ernest Mandel, il y avait par exemple le juriste Nathan Weinstock qui avait publié en 1969 chez l’éditeur parisien Maspero un livre remarquable et courageux intitulé Le sionisme contre Israël.

J’ai été élu au Comité central (CC) dont j’étais le plus jeune membre. Je n’avais pas encore 17 ans. Je pense qu’on était un peu plus de 30 membres, et le CC qui s’est réuni 15 jours ou trois semaines après ce congrès, m’a élu au Bureau politique. Je mentionne cela parce que c’est au sein du Bureau politique que j’ai commencé à côtoyer directement Ernest Mandel ainsi que sa compagne, Gisela Scholz (1935-1982), une camarade allemande qui jouait un rôle important dans la IVe internationale. Mandel avait, en 1971, 48 ans, sa compagne avait douze ans de moins et était de la génération de la gauche révolutionnaire allemande, amie de Rudi Dutschke (1940-1979)[10], dit Rudi le rouge.

Le Bureau politique se réunissait tous les samedis à Bruxelles. Dans ce BP, il y avait une série de militant·es jeunes, par rapport à la génération d’Ernest Mandel. Dans cette génération jeune, parmi les figures marquantes, il y avait notamment François Vercammen, Eric Corijn, Denis Horman et Jan Vankerkhoven. Il y avait des femmes qui avaient la quarantaine : la juriste liégeoise, Mathé Lambert, la journaliste bruxelloise, Doudou Neyens… Il y avait également le médecin urologue Jacques Leemans. François Vercammen (1944-2015) et Eric Corijn (né en 1947) avaient une dizaine d’années de plus que moi et quand on a 17 ans et qu’on est confronté à quelqu’un de 27 ans, c’est un ‘vieux’. Tout comme Gisela qui avait 36 ans était une ‘vieille’ pour moi. Donc on avait un BP et un CC où il y avait 3 ou 4 générations politiques différentes et c’est en son sein que j’ai pu mieux connaître Ernest Mandel. J’appréciais non seulement sa connaissance historique et politique, son apport théorique avec un livre comme le Traité d’économie marxiste mais aussi son comportement dans un organe de direction d’une organisation en plein développement, confrontée à des circonstances de radicalisation de couches entières de la population, dans la classe ouvrière industrielle, dans les services publics et dans la jeunesse et avec des méthodes d’action radicales.

Dans le sillage de mai 68, les organisations de la QI étaient capables de se défendre par rapport à la répression policière, donc de s’y préparer. On avait développé une capacité d’auto-défense. On était prêt·es aussi, à certains moments, à participer à des actions dirigées contre des symboles très clairs de l’impérialisme, par exemple les États-Unis et leur rôle abominable au Vietnam. En 1970 le Vietnam était sous les bombes américaines, le napalm était très largement utilisé, mais on avait aussi des interventions par rapport aux symboles de la dictature franquiste, aux symboles de la junte des colonels grecs. Je parle bien de 1970-1971, et donc l’Espagne franquiste était bien présente et il y avait une communauté espagnole, dont une grande partie de républicain·es ou d’enfants de républicain·es, ayant quitté l’Espagne entre 1936 et 1939, victimes du franquisme, comme il y avait également une communauté grecque, notamment parmi les mineurs de charbon, et qui s’opposait au régime des colonels grecs.

A la fin des années 1960, en Argentine, une importante organisation de guérilla avait adhéré à la IVe internationale : le Parti Révolutionnaire des Travailleurs-Armée révolutionnaire du Peuple (PRT-ERP) connu au départ comme PRT Combatiente (PRT Combattant). C’était une organisation très forte se revendiquant tant de la Quatrième Internationale que de Guevara et Castro, des révolutionnaires vietnamiens et de la révolution chinoise. Le dirigeant principal du PRT-ERP était Mario Roberto Santucho (1936-1976). Il avait été présent en mai 1968 à Paris et à cette occasion s’était lié à la Jeunesse Communiste Révolutionnaire qui allait devenir la Ligue Communiste. Au quatrième trimestre 1972, Mario Roberto Santucho a eu une longue réunion avec Ernest Mandel (au domicile de celui-ci à Bruxelles), Daniel Bensaïd et Hubert Krivine. Santucho, qui s’était échappé quatre mois plus tôt de la prison de Rawson en Patagonie, allait rentrer en Argentine pour reprendre la direction de la lutte armée[11]. Au cours de cette réunion, les participants ont constaté que d’importantes divergences existaient à propos de la manière de mener la lutte armée et en octobre 1973, le PRT-ERP annonçait sa séparation de la Quatrième Internationale.

Un exemple du type d’actions à laquelle j’ai participé : en avril 1970, il y a eu une manifestation importante à Bruxelles pour protester contre la guerre du Vietnam, contre l’Otan et contre l’arme atomique. Je pense qu’il y avait 6 à 7 000 manifestant·es, et la JGS, donc l’organisation de jeunesse trotskiste, avait décidé de convaincre un secteur de cette manifestation d’aller au-delà du parcours officiel de la manifestation, d’envahir la Gare du Nord à Bruxelles et de se rapprocher le plus possible par la voie ferrée des bâtiments où se trouvait l’Otan afin de dénoncer son action. En avril 1970, je n’avais pas encore 16 ans et je participais déjà aux activités de la JGS. On était plusieurs centaines à participer à ce débordement, peut-être même 1 000.

Finalement nous ne sommes pas arrivé·es jusqu’aux bâtiments de l’OTAN mais nous étions très proches et lorsque nous avons quitté les voies ferrées nous avons été fortement réprimés par les forces de répression. Alors que je prêtais assistance à un autre jeune qui était blessé à l’arcade sourcilière et perdait pas mal de sang, j’ai été fortement matraqué par la gendarmerie puis arrêté et emmené dans un commissariat de police. De mon côté, alors que j’avais été arrêté pour avoir participé à une manifestation non autorisée et que j’ai été interrogé pendant des heures, je n’ai pas été poursuivi parce que je n’avais pas 16 ans au moment des faits. A cette époque, il n’était pas possible de poursuivre un jeune de moins de 16 ans pour ce type de « délit ». J’ai échappé à une condamnation bien que les gendarmes m’aient accusé d’avoir porté des coups et d’avoir blessé un de leurs collègues, ce qui était complètement faux. Mais ça m’a appris à savoir comment faire face aux forces de l’ordre lorsqu’on est interrogé, ça m’a appris à adopter une attitude simple : signer une déclaration qui disait que je n’avais rien à déclarer. C’est très important pour tenter d’éviter des poursuites.

Je mentionne cette expérience parce que, en lisant la biographie[12] d’Ernest Mandel, j’ai appris que Gisela Scholz, qui avait donc 35 ans en avril 1970, était une des organisatrices de ce débordement et de la manifestation contre la guerre au Vietnam et qu’elle était super-heureuse de la capacité que nous avions eue à organiser cette action dure, même si on n’était malheureusement pas arrivé·es jusqu’aux bureaux de l’Otan. Voici ce que Gisela Scholtz a écrit à un de ses camarades à l’époque pour commenter une action similaire à Bruxelles ayant eu lieu un an plus tôt : « Puis les chevaux, les chars, tout est entré en action. (…) Nous nous sommes battus aussi durement que nous le pouvions et nous sommes fiers de n’avoir compté que quelques blessés parmi nous. Au plus 40 blessés légers et un grave (…) Deux gendarmes m’ont jetée par-dessus une voiture, mais par chance j’ai pu ralentir ma chute »[13].

Une anecdote significative sur mes rapports avec Ernest Mandel et les questions de la répression et de la sécurité. En septembre ou en octobre 1973, j’ai été convoqué à Bruxelles dans une maison d’un vieux militant de la IVe internationale pour répondre à des questions sur la sécurité de la section belge. Étaient présents à cette réunion Ernest Mandel et Hubert Krivine, le frère jumeau d’Alain Krivine. De quoi s’agissait-il ? Mandel et Krivine m’ont demandé si je mettais en danger l’organisation en consommant et en vendant de la drogue. Je leur ai répondu que non et tout s’est très bien passé, pas le moindre énervement ou tension.

Comment Mandel et Krivine en étaient-ils arrivés à me convoquer à une réunion dans un endroit discret alors qu’ils étaient très occupés par des questions graves comme l’orientation du PRT-ERP en Argentine, l’interdiction de la Ligue communiste en France en juin 1973, l’expansion de la IVe internationale… Voici mon explication : à partir de 1972, j’ai été dans la ligne de mire des services de la police belge. C’était en relation directe avec ma participation à la direction de la LRT. En février 1972, dans la salle académique de l’université de Liège, j’avais présidé une conférence de la LRT où nous avions donné la parole à un représentant de l’armée républicaine irlandaise (IRA Irish Republican Army) malgré la décision du ministre socialiste de la justice et du gouvernement, Alfons Vranckx[14], de nous en empêcher.

La LRT avait organisé cinq meetings dans les cinq principales villes universitaires et chaque fois la police n’a pas su arrêter le camarade irlandais qui réapparaissait le lendemain dans une autre ville[15]. A Liège, il y avait eu plus de 500 personnes. Nous avions réussi à éviter l’arrestation du camarade irlandais malgré une intervention impressionnante des forces de l’ordre qui du coup s’étaient senties humiliées par une bande de jeunes et étaient tout à fait remontées contre nous et notamment contre moi. En septembre 1972, quelques semaines après que j’ai atteint l’âge de 18 ans, j’avais été convoqué à la Police Judiciaire de Liège.

L’officier de la PJ qui m’a reçu, m’a menacé de poursuite pour viol d’une mineure. C’était cousu de fil blanc : j’avais une relation amoureuse avec une fille de mon âge à quelques mois près et nous avions des rapports sexuels. Lorsque je suis devenu majeur à l’âge de 18 ans, je suis devenu « automatiquement » potentiellement coupable de viol de mineure car une mineure ne pouvait pas être consentante. Face à mes protestations, l’officier de la PJ m’a déclaré que c’est le parquet qui lui avait demandé de me convoquer et d’instruire un dossier contre moi pour viol car j’appartenais au Bureau politique de la LRT et à la direction du Secours rouge international, considérées comme des organisations mettant en danger la sécurité de l’État. Cet officier a affirmé que si je collaborais pour donner des infos confidentielles sur ces deux organisations, l’accusation de viol serait abandonnée. J’ai refusé de me transformer en indicateur et quand j’ai quitté son bureau, furieux il m’a menacé et a déclaré qu’il m’égratignerait (sic !). Le lendemain la police se présentait au domicile de mon frère, puis de mes parents puis d’une journaliste amie afin de nous intimider.

J’ai relaté cela dans le journal La Gauche daté du 22 septembre 1972. J’ai porté plainte pour atteinte à ma vie privée et la PJ ne m’a plus convoqué. Mes avocates ont fait l’erreur de ne pas demander un dédommagement financier, ce qui a permis au parquet de ne pas donner suite à ma plainte. Fin 1972 – début 1973, je suis devenu un dirigeant et porte-parole d’un très puissant mouvement lycéen. Selon les chiffres de la police, 160 000 lycéen-nes ont fait grève et ont manifesté dans tout le pays contre un projet d’obligation de faire son service militaire dès l’âge de 18 ans. Le même type de mesure a produit quelques mois après la Belgique un énorme mouvement de protestation en France (connu comme le mouvement contre la loi Debré). Le gouvernement et son ministre de la défense nationale accusaient la LRT de manipuler les lycéen-nes. Vu mon rôle dans le mouvement aux côtés d’autres membres de la LRT, la volonté des forces de l’ordre de me causer des ennuis a été renforcée.

Au printemps 1973, j’ai appris par un ami plus âgé que moi et qui n’avait rien à voir avec la LRT que la police essayait de me faire dénoncer pour trafic de drogue. Cet ami m’a révélé qu’il était un indicateur de la police. Celle-ci le tenait pour une affaire de drogue et menaçait de lui retirer le droit de visite à ses enfants. Il m’a appris que la police essayait de le faire témoigner contre moi. Il ajoutait que lors d’arrestations, la police montrait ma photo à des jeunes attrapés pour consommation de drogue et retenus provisoirement en prison afin qu’ils me dénoncent comme trafiquant. Il se fait qu’un membre de la LRT était assistant social et assistait à des interrogatoires à la prison. Voyant ma photo parmi celles de trafiquants, il avait réellement cru que je mettais en danger l’organisation et peut-être que j’étais un trafiquant moi-même. Il avait fait remonter l’information au sein de l’organisation sans me prévenir. C’est pour cela que j’avais été amené à rendre des comptes à Ernest Mandel et à Hubert Krivine. Je considère qu’Ernest et Hubert se sont très bien comportés avec moi alors que des accusations infondées m’étaient adressées. Par la suite, la police, en particulier la BSR (Brigade de Sécurité et de Recherche) a encore essayé de me transformer en indicateur en me proposant de me communiquer des informations confidentielles sur les groupes néonazis de ma région à la condition que je donne des infos sur la LRT et la Quatrième Internationale. Et puis ils ont abandonné mais m’ont constamment gardé dans leur viseur. Ce serait trop long de résumer différentes péripéties ultérieures.

Il faut avoir à l’esprit que le ministre socialiste de la justice Alphons Vrankx en voulait aux trotskystes qui avaient été expulsés du Parti Socialiste Belge en 1965 et surtout que, lors de voyages aux États-Unis pour renforcer la collaboration entre services de sécurité, il avait été convaincu par l’administration Nixon qu’il y avait une connexion à faire entre organisations d’extrême-gauche et trafic de drogue.

Le Traité d’économie marxiste

C’est vraiment très important de souligner que son livre le Traité d’économie marxiste constituait une alternative aux traités d’économie marxiste qui dominaient la pensée « marxiste » ou « communiste » de l’époque, c’est-à-dire les textes d’économie politique ou les manuels qui venaient d’Union soviétique ou qui étaient produits à Pékin, qui étaient à la fois dogmatiques et pauvres dans la réflexion et dans la méthode.

Le Traité d’économie marxiste, qui est paru en 1962, adoptait une démarche génétique, c’est-à-dire traversait l’histoire de l’humanité à partir des premiers stades connus de l’humanité et essayait de voir l’évolution des relations humaines et comment se construit l’économie des différentes sociétés, à différents endroits de la planète. C’est très clair que, pour des marxistes critiques, il n’y a pas 5 ou 6 étapes par lesquelles toutes les sociétés seraient passées, du communisme primitif à la société esclavagiste, puis au féodalisme et à la petite production marchande pour arriver au capitalisme et enfin au socialisme, voire éventuellement au communisme. Cette idée des étapes par lesquelles toutes les sociétés passeraient est étrangère à la pensée de Marx que Mandel prolongeait. C’est clair dans les travaux de Marx à partir des années 1850-1860, dans les Grundrisse et d’autres travaux de Marx, notamment en 1881 sa correspondance avec Vera Zassoulitch.

Le travail d’Ernest Mandel est un travail décapant par rapport à la manière dont le marxisme était pratiqué jusque-là. Il n’était pas le seul évidemment mais ils n’étaient pas nombreux à suivre la même démarche et en conséquence, il a eu un écho très important pour toute une génération, génération qui m’a précédée, c’est-à-dire la génération des années 1963-1964 à 1968. Moi j’appartiens à la génération de 68, génération qui a eu la chance de vivre d’énormes mobilisations remettant à l’ordre du jour la révolution. Cette génération comme d’autres qui l’ont précédée s’est plongée dans le marxisme pour essayer de comprendre la société qui nous entourait, pour essayer de détruire le capitalisme et construire une société libérée de toutes les formes d’oppression. Pour détruire le capitalisme, il fallait comprendre exactement comment il fonctionnait et Ernest Mandel a aidé puissamment dans ce sens de très nombreux-ses militant-es.

Son Traité d’économie marxiste, dans le quatrième volumecontenait une analyse des sociétés de transition vers le socialisme. Il essayait d’interpréter et de faire comprendre la réalité du « socialisme réel » et des sociétés comme l’Union soviétique et d’Europe de l’Est, la dégénérescence d’une société de transition au socialisme en une dictature de la bureaucratie sans qu’il y ait pour autant restauration capitaliste. Dans le troisième tome, il essayait et il réussissait à faire comprendre ce qu’était la société capitaliste des années 1950-1960, donc la société héritée de la période de grande croissance économique qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, présentée comme les ‘Trente Glorieuses’. Mandel, montre les caractéristiques et les contradictions de la société capitaliste de l’après-seconde guerre mondiale, pour démontrer que les crises étaient toujours bien une constante de la société capitaliste et qu’elle nécessitait une perspective de dépassement du capitalisme et une solution révolutionnaire[16].

Quand j’ai connu Ernest Mandel en tant que membre de la direction belge en 1971, celui-ci enseignait à l’université libre de Berlin où il se rendait toutes les semaines pour donner cours devant 1000 étudiant-es[17]. Il venait de terminer sa thèse de doctorat qu’il a rédigée et défendue en allemand. Je me souviens très bien qu’il nous l’a annoncé avec enthousiasme à une réunion du Bureau politique de la LRT à l’été 1971. Cela a donné lieu à un livre publié en français en 1976 sous le titre Le troisième âge du capitalisme (l’édition allemande a été publiée en 1972, avec pour titre Spätkapitalismus). Ernest Mandel était à son apogée au niveau intellectuel. Il avait de nombreux contacts, il travaillait énormément, nous pouvions le constater. Il était également professeur de sciences politiques à la Vrije Universiteit Brussel (l’Université libre de Bruxelles, secteur néerlandophone). Il travaillait en termes de lecture, de rédaction et d’action un grand nombre d’heures chaque jour.

L’influence d’Ernest Mandel dans les syndicats

Il avait un écho dans le monde syndical, dans le monde ouvrier et dans la jeunesse étudiante. Dans le monde ouvrier, notamment en Belgique, son écho remonte aux années 1950, parce qu’il a été un des collaborateurs étroits d’André Renard, le principal dirigeant syndical belge de l’aile radicale du syndicalisme dans laquelle se retrouvaient les militant·es socialistes, communistes, trotskistes, c’est-à-dire la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB) qui comptait plus d’un million de membres. Deux congrès en 1954 et 1956 sur le thème « Holdings et Démocratie économique » ont introduit l’idée des réformes de structures anticapitalistes[18]. Mandel en était un des inspirateurs.

Il a, pour André Renard, rédigé un grand nombre de documents et il était invité à donner une quantité énorme de conférences dans des usines, dans des sections syndicales, à intervenir dans des congrès syndicaux. Il avait une très grande capacité de communiquer des choses apparemment compliquées de manière simple et compréhensible. Il avait aussi une capacité d’essayer de montrer à son public qu’il fallait agir pour changer la réalité et donc il prenait très souvent des exemples de comment agir en tant que délégation syndicale pour lutter dans une société transnationale, quels contacts prendre avec des travailleur·es d’autres sièges d’usines, comment communiquer, comment essayer de mener des actions en commun. Et la question de l’auto-organisation et du contrôle ouvrier y constituaient des éléments centraux[19].

Pour Ernest Mandel, il ne s’agissait pas d’expliquer simplement le fonctionnement du capitalisme, il s’agissait de montrer comment les travailleur·es, à partir d’exemples concrets, et de luttes concrètes, pouvaient devenir capables de contrôler ce que faisaient les patrons, notamment en imposant l’ouverture des livres de comptes, en imposant le contrôle sur les heures de travail, en imposant une réduction du temps de travail, quand on recourait à la grève, en s’organisant de façon à ce que la grève soit la plus efficace possible pour obtenir le plus rapidement possible des concessions de la part des patrons. Une grève peut faire tache d’huile, peut amener à la conquête de droits importants pour les travailleur·es et ça peut aller jusqu’à la grève générale, voire la grève insurrectionnelle. Il intervenait dans des assemblées de travailleur·es sur ces sujets-là.

Et, bien sûr il donnait des formations aux militant·es anticapitalistes, aux militant·es révolutionnaires au sein de la LRT, des sections de la QI. Il était un communicateur passionné, un formateur de très haut niveau. J’ai suivi de nombreuses formations données par Mandel et cela m’a aidé à devenir moi-même un formateur. Beaucoup de militant·es se souviendront de ses cours, des formations qu’il donnait sur la révolution allemande, sur la révolution russe, sur qu’est-ce qu’une grève générale, comment passer d’une grève générale à une grève active avec occupation, une grève générale débouchant sur la création d’organes de pouvoir ouvrier, sur la base des expériences les plus avancées du mai 68 français, du mai rampant italien mais aussi de l’expérience des conseils ouvriers italiens de 1920-21, des conseils hongrois de 1918-19, bien sûr des soviets de la révolution russe, des organes de pouvoir populaire ou des organisations des travailleur·es et des paysan·nes dans la révolution espagnole de 1936-1938/39.

Mandel avait une connaissance de l’histoire des luttes d’émancipation, pas simplement des dix-neuvième et vingtième siècles mais de la longue histoire de l’humanité à l’échelle planétaire, une connaissance approfondie et une volonté de communiquer à la jeune génération ce qu’on pouvait tirer de mieux de ces expériences.

Ses écrits syndicaux

Ernest Mandel, par rapport au mouvement ouvrier dans son pays, la Belgique, plus généralement en Europe et dans le reste du monde, était systématiquement à l’écoute des luttes qui se déroulaient. Il y intervenait.

Il a produit des quantités énormes d’articles dans l’hebdomadaire qu’il avait fondé avec d’autres militant·es anticapitalistes dans la gauche du PS, le journal La Gauche qu’il a créé en 1956 avec le soutien du syndicaliste André Renard que j’ai nommé précédemment. Mandel a entretenu avec lui des relations de plus en plus tendues au fur et à mesure que Renard adoptait une position de plus en plus modérée. La Gauche « avait » aussi une version en néerlandais (Links) dans laquelle il jouait aussi un rôle important. Il a rédigé des centaines d’articles et il écrivait aussi dans de nombreuses revues dans d’autres langues, des journaux, des magazines, des revues lues par des syndicalistes et des universitaires. En Belgique, il a produit des rapports très importants pour le syndicat FGTB, sur la structure du capitalisme en Belgique, ou sur la façon dont une série de grandes entreprises capitalistes, notamment de sociétés holdings, contrôlait l’économie de la Belgique.

Il a produit une brochure d’une soixantaine de pages que je trouve extrêmement importante qui s’appelle ‘Le socialisme par l’action’ qui a été signée par André Renard et a été diffusée à des dizaines de milliers d’exemplaires, si ce n’est des centaines de milliers d’exemplaires. Elle a été lue par des dizaines de milliers de délégué·es syndicaux/ales en Belgique et les a influencé·es très fortement dans la deuxième moitié des années 50. Il faut aussi avoir à l’esprit que, à cette époque-là, la Belgique avait connu de très grandes grèves.

Il y avait d’abord eu, pendant la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses grèves d’usine et une résistance contre l’occupant nazi à laquelle le jeune Ernest Mandel avait participé (ce qui lui a valu d’être arrêté 3 fois par les autorités nazies et de s’échapper à deux reprises). Il y a eu la grève générale pour la république, pour l’abdication du roi, en 1950. Il y a eu une très importante grève des mineurs dans les années 50 afin d’obtenir la nationalisation, et une très importante grève des sidérurgistes et des métallurgistes, pour le treizième mois de salaire. Il y a eu la grève générale de l’hiver 1960-61, avec plus d’un million de travailleur·es en grève, sur un pays de dix millions d’habitant·es. Il y était comme un poisson dans l’eau. Ses liens avec le mouvement ouvrier étaient très resserrés. Une de ses priorités était de stimuler une dynamique d’auto-organisation.

Après 30 ans de militantisme dans des conditions difficiles, la deuxième moitié des années 1960 fut donc marquée par une profonde radicalisation de la jeunesse et de la classe ouvrière dans les pays d’Europe, à quoi s’ajoutait la création en 1971 de la nouvelle section belge de la QI, la LRT, qui avait une véritable influence dans des usines.  D’une manière certaine, Ernest Mandel pouvait constater que ses propositions trouvaient une concrétisation dans la pratique du contrôle ouvrier dans plusieurs usines importantes en Belgique, notamment l’usine sidérurgique Cockerill à Liège et l’usine Glaverbel à Gilly, une usine verrière dans région de Charleroi.

Mandel et la jeunesse

J’ai indiqué l’influence qu’il a eue dans la classe ouvrière, en Belgique à partir des années 1950-1960. Cette influence s’est étendue à d’autres pays car des militant·es ouvrier·es et des responsables syndicaux étaient à l’écoute des propositions d’Ernest Mandel en France, en Italie, en Allemagne, en Grande-Bretagne à cette époque et plus tard en Espagne et au Portugal. Il a eu aussi un impact sur la jeunesse étudiante radicalisée en Allemagne avec le mouvement étudiant anticapitaliste et internationaliste, le SDS[20] dont un des dirigeants était Rudi Dutschke, avec qui il a entretenu des rapports étroits, à partir de 1966-1967, c’est-à-dire avant mai 68. Il a épousé en 1966 une des dirigeantes de ce mouvement étudiant, Gisela Scholz. Et bien sûr il avait un impact sur les jeunes trotskistes français, dont Alain et Hubert Krivine, frères jumeaux, Daniel Bensaïd, Henri Weber, Pierre Rousset, Janette Habel, Catherine Samary, Josette Trat et Janine, sa sœur jumelle, qui ont fondé la Jeunesse communiste révolutionnaire, après leur exclusion de l’Union des Étudiants Communistes (UEC) de France. Et en Belgique, il avait un impact sur la jeunesse étudiante radicale, dont une partie est entrée ou dirigeait la JGS, qui a fusionné avec la Confédération Socialiste des Travailleurs pour former la LRT en mai 1971.

En 1971, comme je l’ai indiqué plus haut, alors qu’il avait terminé sa thèse de doctorat à l’Université libre de Berlin, il est devenu professeur à l’Université libre de Bruxelles, dans la section néerlandophone, donc la Vrije Universiteit Brussel. J’étais basé à Liège, et sous pression du mouvement étudiant et de professeurs progressistes, marxistes, Mandel a été invité à donner un cours d’économie marxiste à l’université de Liège, en 1972-73-74, alors que j’y devenais moi-même étudiant, en compagnie d’autres étudiant·es de ma génération. Je cite parmi eux Luc, un des deux frères Dardenne qui sont devenus des cinéastes liégeois de réputation internationale, puisqu’ils ont obtenu à deux reprises, par la suite, la palme d’or à Cannes, notamment pour le film Rosetta. Jean-Luc Dardenne et moi on a suivi les cours donnés par Ernest Mandel à l’université de Liège.

Ernest Mandel en débat avec d’autres intellectuels marxistes devant de larges auditoires

Il faut souligner l’écho des interventions d’Ernest Mandel dans la période 1967-fin des années 1970. C’est important d’indiquer qu’il avait à la fois un écho avec ses écrits. Il débattait avec des grands auteurs marxistes comme Perry Anderson, Ernst Bloch, Herbert Marcuse, Roman Rosdolsky, Lucien Goldman, Jean-Paul Sartre. Il polémiquait avec des grands historiens,  économistes ou philosophes du Parti communiste français comme Charles Bettelheim[21], Jean Ellenstein, Louis Althusser dans des débats publics.

Et, quand il prenait la parole dans certains meetings, quand on annonçait sa présence, il y avait, pendant toute la période entre 1967 et la fin des années 1970, 1 000, 2 000, 2 500, 3 000 personnes. C’était vrai en Allemagne, en 1967-68. C’est redevenu vrai en Allemagne, de manière très importante en 1988-89, avec des débats avec des dirigeants communistes critiques comme Gregor Gysi avec 3 000 personnes, 4 000 personnes à Berlin. Si l’on revient à l’époque de mai 68, il a contribué à de très importantes prises de parole, par exemple lors de l’énorme meeting organisé par la JCR le 9 mai, le soir des barricades à Paris, devant 2 500 personnes ; en 1971, pour la commémoration du centenaire de la Commune de Paris, près du Père Lachaise, il devait y avoir entre 15 000 et 20 000 personnes ; des meetings au Portugal juste après la révolution des œillets, en 1974-75 avec 2 000, 2 500 auditeurs, des meetings en Espagne, à la chute du franquisme, avec aussi 2 000 ou 3 000 personnes, le grand meeting dont j’ai parlé pour l’Europe rouge en novembre 1970 à l’Université libre de Bruxelles avec 3 000 participant·es…

Donc Mandel était un orateur avec un écho de masse dans l’avant-garde radicalisée et il était capable à la fois de parler à des étudiant·es et à des ouvrier·es. Il s’exprimait très couramment, en allemand, en français, en néerlandais, mais il n’hésitait pas aussi à faire des discours en espagnol (en Espagne et en Amérique latine), en portuñol (un mélange de portugais et d’espagnol) au Portugal, en italien. Il alliait une grande force d’analyse à une impressionnante capacité de transmettre au cours d’interventions publiques une analyse, un message, de l’énergie, et d’en appeler à chaque fois à l’anticapitalisme, à l’internationalisme, au projet émancipateur et révolutionnaire.

La Quatrième Internationale

Ernest Mandel a adhéré à l’âge de seize ans à la QI, en 1939, juste avant la guerre, il a participé à la résistance dès le début de l’occupation allemande, il a été arrêté à trois reprises par les nazis. Lors de sa deuxième arrestation, il était en train de distribuer des tracts aux travailleurs de la sidérurgie, à Liège, le 29 mars 1944. Il a été arrêté par l’armée allemande, traduit en procès à la prison de St Léonard à Liège, condamné à des années de travaux forcés. Il a eu « la chance » d’être condamné par l’armée allemande comme résistant politique et pas par la Gestapo. S’il avait été condamné par la Gestapo il aurait purement et simplement été envoyé dans un camp d’extermination ou exécuté sur le champ. Déporté en Allemagne au début du mois de juin 1944, il s’est sauvé d’un des camps dans lequel il était emprisonné grâce à sa capacité à provoquer la sympathie de deux geôliers anciens membres du parti socialiste pour l’un et du parti communiste pour l’autre. Il a été rapidement repris et transféré dans différents camps. Il a été emprisonné successivement dans six camps en Allemagne nazie. Il a été libéré en mars 1945, par l’armée américaine dans le camp où il se trouvait. La liste des camps où il a été interné est dans les archives allemandes et reprise dans sa biographie par Jan Willem Stutje[22].

A partir de la fin de la seconde guerre mondiale Ernest Mandel est devenu un dirigeant de la QI. Il a participé à la première conférence clandestine européenne de relance de la QI, pendant l’occupation et avant sa deuxième arrestation. Les délégués belges et français de la QI se sont réunis dans une ferme à St Hubert dans les Ardennes belges en février 1944. Puis il a participé à la relance de la QI après la libération. Là il est devenu, avec Michel Pablo, un des dirigeants les plus importants de la QI. A la libération, il avait 23 ans. Son rôle de dirigeant de la QI dans les années 1940-50 jusqu’au début des années 1960 a été à la fois très important et discret. Il était connu comme un économiste marxiste pour la publication de son Traité d’économie marxiste, il était fondateur de l’hebdomadaire belge francophone La Gauche, il était journaliste au quotidien socialiste Le Peuple puis il est devenu journaliste au quotidien syndical de la FGTB liégeoise La Wallonie.

C’est après son exclusion du Parti socialiste belge au milieu des années 1960 et dans la foulée de mai 68 qu’il est apparu publiquement comme un dirigeant de la QI, et, à ce titre-là, vu son rôle dans le mouvement étudiant et ouvrier révolutionnaire international, il s’est vu interdire l’accès de plusieurs pays par différents gouvernements, notamment français, états-unien, suisse, allemand et australien. Dans le cas allemand, c’est particulièrement scandaleux puisqu’il avait résisté contre le pouvoir nazi, il avait une médaille décernée par les autorités allemandes post-Seconde Guerre mondiale pour sa participation à la résistance antinazie, il était titulaire d’une thèse de doctorat, et des intellectuel·les allemand·es antinazis, ainsi que, évidemment, le mouvement étudiant protestaient contre cette interdiction et exigeaient la levée de cette mesure. Je me souviens d’ailleurs qu’Ernest Mandel m’a demandé d’intervenir à Liège lorsque le chancelier socialiste allemand Helmut Schmidt a été reçu à l’université de Liège pour protester publiquement contre son interdiction sur le territoire allemand.

Ces interdictions ne l’ont pas empêché de franchir les frontières. Ernest Mandel voyageait beaucoup et, notamment, malgré son interdiction en France, il a très régulièrement franchi la frontière, et notamment je me souviens très bien, comme des milliers de manifestant·es français, de son arrivée à la commémoration de la Commune de Paris, en mai 1971, convoquée par la Ligue communiste et Lutte ouvrière. On était facilement dix ou quinze mille manifestant·es et Ernest Mandel est arrivé pour prendre la parole, à l’arrière d’une moto, conduite par Hubert Krivine. Il lui est arrivé d’être arrêté par les autorités françaises, reconduit en Belgique et comme le raconte son biographe néerlandais : alors qu’il était expulsé à son arrivée à l’aéroport Roissy Charles de Gaulle, le jour même un camarade de Bruxelles le ramena en voiture à Paris par un itinéraire discret  parce qu’il y avait une réunion de la direction de la QI à Paris.

Post-scriptum

Après avoir terminé la rédaction de ce témoignage, j’ai reçu le commentaire suivant de Rafael Bernabe, professeur d’université et sénateur à Porto Rico : « Quand on parle de figures ou de polémiques avec lesquelles Mandel a dû composer, on pourrait aussi inclure la polémique avec Martin Nicolaus (traducteur anglais des Grundrisse) sur l’impérialisme américain (publié en espagnol par Anagrama et aussi dans la collection Ensayos sobre el neocapitalismo de la maison d’édition ERA) ; la polémique avec Baran et Sweezy sur le capital monopolistique (également recueillie dans Ensayos sobre el neocapitalismo) ; la polémique avec Nicolás Krassó sur le marxisme de Trotsky, initialement dans New Left Review et ensuite en espagnol dans Cuadernos Pasado y Presente, qui a été largement lue ; ses critiques de Soljenitsyne et ensuite de L’Alternative de Rudolf Bahro, également publiées à l’origine dans New Left Review. Et bien sûr, les réponses aux eurocommunistes (Enrico Berlinguer, Santiago Carrillo, Fernando Claudin) qui sont brillantes.

Je voudrais souligner qu’entre Le Traité et Le Troisième âge du Capitalisme, Mandel a insisté dans sa thèse (contre des représentants du courant dominant et de la gauche) sur le fait que ni les monopoles, ni les mesures keynésiennes ou sociales, ni la planification « indicative », ni la soi-disant « économie mixte », ni les institutions de Bretton Woods, etc. n’avaient permis et ne permettraient au capitalisme de surmonter ses contradictions fondamentales et que, par conséquent, le boom de l’après-guerre prendrait fin, comme tous les booms antérieurs. Il s’ensuivrait une nouvelle attaque contre les acquis de la classe ouvrière. Une analyse qui s’est avérée correcte à partir de la crise généralisée de 1974-75, ou un peu avant. Par rapport à ceux qui considéraient le boom capitaliste de l’après-guerre comme une réfutation du marxisme et ceux qui, pour défendre le marxisme, niaient la réalité du boom, Mandel a défendu et développé un marxisme dynamique (orthodoxe, mais non dogmatique, dira-t-il), capable d’expliquer les nouveaux développements du capitalisme sur la base de ses catégories fondamentales. Il n’était pas nécessaire de nier la réalité du boom ou du capitalisme dans sa nouvelle phase, ni d’abandonner l’analyse marxiste. Au contraire, le marxisme pouvait expliquer le premier, à la fois son émergence et ses limites.

Bien sûr, je pense que Mandel s’attendait à une réponse plus large et plus énergique de la classe ouvrière à l’offensive des patrons… qui, après 1980 ou avant, ne s’est pas matérialisée comme il l’espérait… et nous sommes toujours dans cette lutte…

Voici mes commentaires, dans la mesure où ils peuvent être utiles.

Je pense que les œuvres complètes de Mandel devraient être publiées un jour, il a un héritage militant et intellectuel impressionnant.

Dernier point, je trouve aussi admirable sa volonté constante jusqu’au bout de consacrer du temps à écrire des textes d’introduction au marxisme, en pensant toujours non pas aux grands intellectuels mais aux militants qui débutent (depuis Introduction au marxisme, qui a beaucoup circulé en Amérique latine, jusqu’à La place du marxisme dans l’histoire, qui a été le dernier et qui est très bon). » (Fin du commentaire envoyé par Rafael Bernabe en août 2023)

Notes

[1] Le bureau de la IV entre 1988 et 1991 était composé de Ernest Mandel, Livio Maitan, Claude Jacquin, Gilbert Achcar, Janette Habel, Daniel Bensaïd et moi-même. Penny Duggan participait à toutes les réunions. Suite au 13e Congrès mondial de début 1991, le nouveau bureau élu par le secrétariat unifié était composé de la manière suivante : Gilbert Achcar, Janette Habel, Phil Hearse, Claude Jacquin, Livio Maitan, Ernest Mandel, Braulio Moro et moi-même. Penny Duggan participait à toutes les réunions (voir Livio Maitan, Pour une histoire de la Quatrième Internationale, La Brèche-IIRE, Paris, 2021. p. 475). 

[2] Voir Daniel Bensaïd, Les Trotskysmes, Paris, PUF, 2002.

[3] Ont participé à la réunification également des militants en Amérique latine comme le leader indigène et paysan Hugo Blanco (1934-2023) au Pérou qui au moment du Congrès venait d’être emprisonné dans son pays. Il y avait également des militants très actifs en Bolivie. Sur le Congrès de réunification de la IVème internationale, lire Livio Maitan, Pour une histoire de la Quatrième Internationale, Paris, La Brèche-IIRE, 2021, p. 146 à 159. Lire également la revue Quatrième Internationale, Le Congrès de réunification de la Quatrième Internationale, Numéro spécial 3e trimestre 1963, Paris, 72 pages.

[4] Lire la revue Quatrième Internationale, n°47, janvier 1971, Paris, p. 14 à 20.

[5] Voir la vidéo de Usul, Ostpolitik réalisée pour Blast : « Alain Krivine : le trotskisme permanent »  https://www.youtube.com/watch?v=8Zent93oWko et lire  dans dictionnaire Maitron https://maitron.fr/spip.php?article136624 

[6] Le rapport d’introduction de ce texte par Ernest Mandel est disponible ici.

[7] Le premier tome est disponible ici : https://www.marxists.org/francais/mandel/trait-eco/traite.pdf

[8] Lors du congrès de la JGS de 1970, j’avais soutenu avec d’autres une proposition consistant à appeler la nouvelle organisation Ligue Socialiste Révolutionnaire, plutôt que Ligue Révolutionnaire des Travailleurs. Je reste convaincu que cela aurait été mieux.

[9] Pierre Le Grève a été l’objet d’une tentative d’assassinat au colis piégé dans le cadre de son activité en faveur de l’Algérie indépendante par l’organisation La Main rouge en 1960 directement liée aux services secrets français.

[10] Rudi Dutschke a eu plusieurs débats publics avec Ernest Mandel devant de grandes assemblées en Allemagne. Il a séjourné deux semaines chez Ernest Mandel et Gisela Sholtz en septembre 1968 après avoir été victime d’un attentat visant à l’assassiner. Voir Jan Willem Stutje, Ernest Mandel Un révolutionnaire dans le siècle, Paris, Syllepse, 2022, p. 278 à 286.

[11] Ces faits sont rapportés dans la biographie de Mandel par Jan Willem Stutje, Ernest Mandel. Un révolutionnaire dans le siècle, Paris, Syllepse, 2022, p. 319.

[12] Jan Willem Stutje, Ernest Mandel. Un révolutionnaire dans le siècle, op. cit.

[13] Gisela Scholtz à Ray, 13 mars 1969, Archives Ernest Mandel, dossier 652 cité par Jan Willem Stutje, Ernest Mandel. Un révolutionnaire dans le siècle p. 322.

[14] Voir son portrait dans La Gauche du 11 février 1972, p. 2.

[15] Voir le compte-rendu des trois premières conférences (500 personnes à Liège, 1500 à Bruxelles, 1000 à Louvain) dans La Gauche du 11 février 1972, p. 5 et l’interview exclusive de Jerry Lawless (partie 1) p. 4 et 5 et la partie 2 dans La Gauche du 18 février 1972, p. 4 et 5. A noter que la presse quotidienne de droite comme de gauche avait donné un large écho à ces conférences.

[16] Pour en savoir plus sur le Traité d’économie marxiste dans l’œuvre de Mandel, je recommande de lire le chapitre 5 de la biographie d’Ernest Mandel par Jan Willem Stutje, p.153 à 169.

[17] Jan Willem Stutje, Ernest Mandel. Un révolutionnaire dans le siècle, p. 235

[18] A propos des réformes de structures néocapitalistes versus anticapitalistes, lire Ernest Mandel, « La stratégie des réformes de structure », 1965.

[19] http://www.ernestmandel.org/new/ecrits/article/controle-ouvrier-et-strategie et   http://www.ernestmandel.org/new/ecrits/article/autogestion-occupations-d-usines

[20] Sozialistischer Deutscher Studentenbund (Union socialiste allemande des étudiants).

[21] Charles Bettelheim a été membre du PCF jusqu’en 1937, proche des trotskystes français ensuite, puis, du maoïsme et de Louis Althusser à partir des années 1960 [NdR].

[22] Jan Willem Stutje, Ernest Mandel… note 142, p. 79.

Lire hors-ligne :