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Après avoir obtenu – par des grèves de masse et une stratégie très audacieuse – des accords historiques avec les trois grands constructeurs automobiles étatsuniens, l’UAW (United Auto Workers) poursuit son offensive. Le syndicat a jeté son dévolu sur les constructeurs sans représentation syndicale, de Toyota et Hyundai dans le Sud à Tesla en Californie.

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S’exprimant sur les détails des accords de principe conclus avec les trois grands constructeurs automobiles, le président de l’United Auto Workers (UAW), Shawn Fain, a déclaré :

« L’un de nos principaux objectifs après avoir remporté une victoire avec ce nouveau contrat collectif,  est d‘organiser [de nouveaux établissements] comme jamais ».

« Lorsque nous reviendrons à la table des négociations en 2028, ce ne sera pas seulement avec les Trois Grands, mais avec les cinq ou six Grands », a-t-il conclu.

Ce n’étaient pas des paroles en l’air. Le jour même où le syndicat a annoncé qu’il était parvenu à un accord de principe avec General Motors (GM), la dernière entreprise des trois grands à en arriver là, la nouvelle est tombée que l’UAW était déjà passé à la suite. Bloomberg a rapporté que les travailleurs.ses avaient formé un comité d’organisation pour tenter d’implanter l’UAW dans l’usine phare de Tesla à Fremont, en Californie.

Avant que Tesla ne rachète l’usine en 2010, les salarié.es y étaient organisé.es et représenté.es par l’UAW. Il s’agissait d’une coentreprise (joint-venture) inhabituelle entre Toyota et GM. Les deux entreprises ont exploité l’usine pendant vingt-cinq ans ; GM s’est retiré de cette coentreprise pendant sa procédure de faillite en 2009, et Toyota a fermé l’usine l’année suivante. Lorsque Tesla a pris le relais, la reconnaissance du syndicat ne faisait pas partie de l’accord.

Aujourd’hui, l’usine de Fremont, d’une superficie de 49 hectares, emploie quelque vingt mille travailleurs.ses et, malgré des efforts considérables ces dernières années pour que l’UAW puisse les représenter, ces tentatives ont échoué, en partie grâce à l’opposition sans relâche d’Elon Musk à l’égard des syndicats. Lorsque Jose Moran, alors ouvrier de production à l’usine de Fremont, a mené la charge pour la syndicalisation en 2017, le PDG a qualifié cette campagne de « moralement scandaleuse » et s’en est pris à Moran publiquement, affirmant qu’il était un permanent de l’UAW et qu’il ne travaillait pas réellement pour Tesla. (Moran n’est plus employé à l’usine, et Musk a fait appel des décisions du National Labor Relations Boardqui ont déclaré illégales ses actions contre le syndicat). Rien de tout cela ne semble arrêter l’UAW.

« Nous pouvons battre n’importe qui, a déclaré Shawn Fain à Bloomberg à propos de la lutte contre Tesla. « Je pense que c’est faisable. »

S’attaquer à Elon Musk

En tant que premier fabricant de véhicules électriques (VE) aux États-Unis, Tesla est une cible de choix pour l’UAW. Le syndicat ne peut pas permettre que le marché des VE reste presque entièrement non syndiqué s’il veut survivre. L’UAW a fait des progrès importants vers cet objectif cette année en créant une voie pour intégrer certaines des usines de VE des Trois Grands dans les accords-cadres du syndicat, mais les constructeurs automobiles qui ne sont pas couverts par ces contrats, au premier rang desquels Tesla, restent un problème majeur.

« L’UAW s’est engagé à fournir toutes les ressources nécessaires à la campagne », a déclaré à Bloomberg une personne proche des organisateurs.trices de la campagne à venir. Cette campagne sera une guerre, où Musk jouera probablement un rôle similaire à celui du milliardaire Howard Schultz chez Starbucks. Les deux dirigeants restent étroitement liés aux entreprises qu’ils ont fondées, et Musk est plus ouvertement opposé à l’organisation des travailleurs.ses que ne l’était Schultz avant que ses employé.es n’entament leur campagne de syndicalisation. Il est également plus habitué à faire face à une couverture médiatique négative.

L’année dernière, Musk a tweeté : « Un syndicat n’est qu’une entreprise comme une autre ». Au début de l’année, il a licencié des dizaines de travailleurs.ses d’une usine Tesla à New York le lendemain de l’annonce de leur campagne de syndicalisation avec le syndicat Workers United, qui représente les travailleurs.ses de Starbucks.

D’un autre côté, les employé.es de Tesla bénéficieront avant tout de l’immense élan dont jouit actuellement l’UAW dans le secteur, au lendemain d’une grève qui a mis fin à toute une période de collaboration du syndicat avec les trois grands constructeurs automobiles au profit d’une approche beaucoup plus combative. Les scandales de corruption de la direction du syndicat ont fait partie, durant les dernières décennies, des arguments que tous les patrons utilisaient pour discréditer les actions de l’UAW, mais la stratégie du syndicat lors de la grève de cette année, menée par une direction nouvellement élue et en rupture avec les précédentes, avec Shawn Fain comme président, a mis tout cela en veilleuse. De plus la localisation géographique de l’usine Tesla, est un facteur favorable : en cas de durcissement du conflit, il y aura beaucoup de soutien public en faveur du syndicat dans la région de la baie de San Francisco.

Les autres entreprises sans représentation syndicale

Cependant, Tesla est loin d’être le seul problème de l’UAW. Le nombre de travailleurs.ses de l’automobile aux États-Unis n’a pas diminué au cours des dernières décennies, mais la proportion de ces travailleurs.ses qui sont membres de l’UAW a chuté. Alors que 586 000 ouvrier.es de l’automobile étaient membres de l’UAW en 1983, on n’en comptait plus que 225 000 en 2022.

Aujourd’hui, la majorité des ouvrier.es de l’automobile aux États-Unis ne sont pas syndiqué.es. Cela représente une menace existentielle pour l’UAW : les constructeurs automobiles avec une représentation syndicale peuvent invoquer les faibles coûts de main-d’œuvre de leurs concurrents non syndiqués pour expliquer qu’ils ne peuvent pas se permettre d’accepter les revendications du syndicat. Pendant ce temps, les ouvrier.es de l’automobile non syndiqué.es, concentré.es dans le Sud des États-Unis, doivent se contenter de salaires et de couvertures sociales inférieures.

Le succès de la grève chez les « Big Three » de cette année, combiné aux grandes mutations qui ont suivi la pandémie, à savoir le resserrement du marché du travail, un État-providence plus généreux que d’habitude et la délégitimation généralisée des directions d’entreprises qui ont largement échoué à assurer la sécurité de leurs employé.es, a changé la donne. Depuis que le syndicat a suspendu sa grève et tandis que ses membres continuent de voter sur la ratification, plusieurs constructeurs automobiles ont commencé à imiter les Trois Grands, en augmentant les salaires pour tenter de contrecarrer d’éventuelles campagnes de syndicalisation dans leurs propres ateliers.

Honda a annoncé qu’il augmenterait les salaires de certains travailleurs de 11 % en janvier 2024, soit la même augmentation que celle dont bénéficieront de nombreux membres de l’UAW chez les Trois Grands au cours de la première année de leur contrat. Toyota augmente les salaires de 9,2 % pour la plupart des travaillers.ses des chaînes de montage. Hyundai déclare qu’il augmentera les salaires de 25 % d’ici à 2028, ce qui correspond aux augmentations que les travailleurs.ses des Trois Grands connaîtront. Une note interne de la seule usine de fabrication de Subaru aux États-Unis, consultée par Bloomberg, indique que « nombre » de travailleurs.ses ont également demandé à l’entreprise de s’aligner sur les contrats des Trois Grands, ce qu’elle prévoit de le faire dans le courant du mois.

« UAW : c’est l’abréviation de « You Are Welcome » [de rien / littéralement, vous êtes les bienvenu.es] », a déclaré Fain en réponse aux augmentations accordées chez les constructeurs automobiles sans représentation syndicale. Sur Facebook, le syndicat s’est adressé directement aux travailleurs.ses non syndiqué.es, déclarant que des milliers d’entre elleux l’avaient contacté au cours des trois derniers mois.

« Si vous travaillez chez Toyota, Honda, Hyundai, Tesla, Nissan, BMW, Mercedes, Subaru, Volkswagen, Mazda, Rivian ou tout autre constructeur automobile : une vie meilleure est possible », a écrit le syndicat. « Il ne tient qu’à vous d’agir. Rejoignez notre mouvement, et rejoignez l’UAW ». Le message se termine par un lien vers un formulaire de contact destiné aux ouvrier.es de l’automobile non syndiqué.es.

Outre Tesla, Honda, Hyundai et Subaru, la liste des cibles possibles comprend l’usine d’assemblage de Volkswagen à Chattanooga, dans le Tennessee, que l’UAW n’a pas réussi à syndiquer en 2019. De nombreuses autres entreprises ont des ateliers non syndiqués dans le Sud : Nissan, Mercedes-Benz, Hyundai et BMW ont des usines en Alabama, au Mississippi, en Géorgie, au Tennessee et en Caroline du Sud. (Les travailleurs.ses de l’un des rares ateliers automobiles où l’UAW est implanté dans le Sud, un fournisseur de pièces détachées de Mercedes-Benz en Alabama, ont récemment mis fin à une grève de près d’un mois). Il existe également des usines non syndiquées en dehors du Sud : dans l’Indiana, par exemple, des milliers d’ouvrier.es de l’automobile ne sont pas syndiqué.es.

À l’offensive

Le moment est venu pour le syndicat de passer à l’offensive dans le secteur automobile sans représentation syndicale. Alors que les membres de l’UAW des Trois Grands continuent de voter la ratification des accords de principe signés par leur direction, leurs homologues des ateliers non syndiqués utilisent déjà les gains obtenus à ces tables de négociation pour obtenir davantage pour eux-mêmes. Tout porte à croire que l’UAW est en train de rattraper le temps perdu précédemment sous des directions corrompues.

Quant aux constructeurs automobiles sans représentation syndicale, s’ils pensent que l’augmentation des salaires suffira à repousser les tentatives de syndicalisation, ils se trompent complètement.  Cette stratégie a fonctionné par le passé, mais nous entrons dans une nouvelle ère.

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Cet article a d’abord été publié en anglais par Jacobin. Traduit en français par Christian Dubucq pour Contretemps.

Alex N. Press est rédactrice salariée de Jacobin.

Photo d’illustration : compte Twitter de l’UAW.

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