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Julian Mischi, Le bourg et l’atelier. Sociologie du combat syndical, Marseille, Agone, 2016, 408 p., 23€.

À lire ici un extrait de l’ouvrage, et là un compte-rendu par Vincent Gay.

couverture

Ton livre Le bourg et l’atelier est le résultat d’une enquête ethnographique menée dans un atelier de la SNCF. Pourquoi ce choix ? Autrement dit, qu’apporte une telle méthode d’enquête pour saisir les réalités du syndicalisme contemporain ? Et en quoi cela rompt avec d’autres approches du syndicalisme ?

Ce livre repose sur une enquête de terrain : au cours d’une période de cinq années, de 2007 à 2012, je suis allé régulièrement dans une petite commune de 3000 habitants pour réaliser des entretiens et suivre les activités de syndicalistes cheminots travaillant pour la plupart dans un atelier de maintenance. J’étais présent lors des réunions du syndicat majoritaire, la CGT, réunions que je pouvais librement enregistrer.

Une telle immersion dans la durée permet d’établir des relations de confiance, essentielles pour connaître de l’intérieur le travail militant et pour tenter de donner à voir le quotidien des militants. En étant présent sur place, il s’agit de rendre compte de l’engagement tel qu’il se fait : adhérer, prendre des responsabilités, quitter le syndicat, participer à un conflit, devenir permanent, etc. La socialisation syndicale, c’est-à-dire la manière dont les individus sont transformés par leur insertion dans un collectif militant, est au cœur du livre.

Durant la période d’enquête, le secrétaire du syndicat laisse progressivement la place à un autre salarié : je peux analyser cette transmission qui se construit sur plusieurs années, en multipliant les points de vue. L’avantage de la méthode ethnographique, c’est qu’elle permet d’observer des pratiques militantes, de saisir des activités concrètes, alors que la plupart des études se contente le plus souvent de recueillir des discours à travers des questionnaires ou des entretiens.

En outre, lorsque j’enregistre des discours, il ne s’agit pas seulement de propos tenus à mon égard mais aussi d’échanges entre syndicalistes. Les cheminots ne répondent pas à mes questions, sur des thèmes qui a priori m’intéressent, mais ils discutent entre eux de sujets qui font sens pour eux. Avec ce dispositif, le chercheur est attentif à saisir les enjeux propres au milieu investi en se méfiant des questionnements préétablis.

Un autre apport de cette approche concerne l’inscription des activités syndicales dans leur contexte. Je ne reste pas cantonné au local syndical, ni centré uniquement sur les problématiques de l’atelier. Celles-ci sont reliées à ce qui se passe dans le bourg. Pour bien comprendre l’engagement des cheminots, il est nécessaire d’explorer leur situation dans l’entreprise mais aussi leur position dans l’espace social local.

Le syndicat est l’une des scènes sociales où les cheminots peuvent agir. Mais ce n’est pas la seule et pas forcément la plus importante. Les militants cheminots ne sont pas uniquement syndicalistes. C’est au regard de leur parcours professionnel mais aussi de leur trajectoires scolaires, résidentielles, familiales, que se dessine leur adhésion à la CGT. C’est ce que perdent de vue les approches du syndicalisme qui se réduisent à une étude, souvent hors-sol, des organisations.

L’engagement syndical est alimenté par tout un ensemble d’expériences vécues hors du travail et il se prolonge dans l’espace local, au sein de réseaux associatifs et politiques. Une démarche qui relie ce qui se passe dans les entreprises à la question du pouvoir local permet ainsi de souligner que les luttes municipales sont marquées par des conflits de classe.

Mener l’enquête dans un site local a l’avantage d’orienter le regard vers le syndicalisme de terrain, vers les militants d’entreprise, alors que seuls les appareils et dirigeants sont le plus souvent pris en compte. Des essais dénoncent régulièrement de façon schématique le pouvoir de permanents qui seraient coupés du monde du travail et mus par des stratégies intéressées de sortie de la condition ouvrière.

Il est vrai que les dirigeants nationaux, par la force des choses, sont éloignés du terrain de leur entreprise. Mais seule une toute petite minorité de syndicalistes sont permanents, la plupart n’ayant aucune décharge sur leur temps de travail. Et lorsqu’ils sont détachés à temps plein, c’est en général au terme d’une longue période de travail et d’engagement dans leur entreprise. Ils demeurent, en outre, presque toujours liés à leur lieu de travail d’où ils tirent leur légitimité, notamment parce qu’ils y détiennent fréquemment encore des mandats.

Tu fais le choix d’orienter ta recherche sur un secteur professionnel fortement marqué par le syndicalisme, mais dans le même temps dans un milieu rural, souvent délaissé dans les enquêtes sur le syndicalisme. Qu’est-ce qu’apporte ce choix ? S’agit-il de contribuer aux études du salariat en milieu rural, à travers ses spécificités, ou plutôt de relativiser cette dimension rurale en travaillant sur un secteur professionnel qu’on retrouve également dans les grandes agglomérations ?

En tant que sociologue à l’INRA, je mène surtout mes recherches dans les espaces ruraux et il y a un véritable enjeu à mieux faire connaitre la réalité de ces territoires sur lesquels les images toutes faites sont nombreuses.

Il faut savoir que les campagnes françaises sont essentiellement des campagnes ouvrières. Il y a cinq fois plus d’ouvriers que d’agriculteurs : la population rurale est formée à 32 % d’ouvriers contre 6 % d’agriculteurs. Voici, dans l’ordre décroissant, la liste des 10 départements français où la part des ouvriers est la plus importante : Jura, Haute-Saône, Vosges, Haute-Marne, Mayenne, Ardennes, Aisne, Doubs, Vendée, Eure. On le voit, il s’agit de départements profondément ruraux, sans métropoles majeures.

Mais cette réalité est relativement peu connue du fait de l’urbano-centrisme des élites intellectuelles contemporaines : journalistes, cinéastes, universitaires, écrivains… les professions intellectuelles productrices de représentations dominantes se concentrent dans les grandes agglomérations, essentiellement à Paris. Elles connaissent les campagnes par leur résidence secondaire ou par leurs vacances. La vision des campagnes qu’ils diffusent se réduit au tourisme ou au monde paysan qui lui, contrairement au monde ouvrier, bénéficie d’une forte visibilité médiatique et de relais institutionnels puissants.

Les ouvriers des campagnes travaillent dans une diversité de secteurs industriels : métallurgie, agro-alimentaire, nucléaire, bâtiment, logistique, etc. Dans le bourg enquêté, outre un atelier de la SNCF, on trouve également une usine de la métallurgie et un abattoir. Un peu plus loin, sont installées des entreprises du bois et des ateliers de confection.

Si j’en viens à mener l’investigation du côté des cheminots, c’est déjà un premier résultat de la recherche. Au départ, je cherche à identifier qui sont les groupes populaires qui s’engagent dans ce territoire malgré la force des processus de dépolitisation qu’ils subissent. Il m’apparaît rapidement que les cheminots jouent un rôle clef dans la vie locale. En tant que membres des fractions établies des classes populaires locales, ils peuvent s’impliquer dans la vie militante, contrairement aux autres figures ouvrières locales plus fragilisées.

La dimension rurale n’est pas forcément très déterminante dans les processus militants que j’analyse mais il existe néanmoins des spécificités de la condition ouvrière en milieu rural. Tout comme il en existe dans les milieux urbains mais cela n’est généralement guère analysé du fait d’un implicite urbain partagé par nombre d’analystes. Les chercheurs travaillant sur les classes populaires ou l’engagement dans les zones urbaines interrogent rarement ce que leurs observations doivent au contexte spatial comme si la société française était uniformément urbaine.

Parmi les particularités du groupe ouvrier dans les espaces ruraux, on peut évoquer une accession plus répandue à la propriété, des scolarités plus courtes, une prégnance des questions relatives au surendettement et aux transports. Être ouvrier en milieu rural n’expose pas à la même stigmatisation qu’en ville. Le travail manuel y occupe une place centrale et visible dans l’espace public, du fait de la part importante des ouvriers dans la population locale, mais aussi en raison de l’omniprésence du travail agricole et artisanal. Le bleu de travail est utilisé dans le travail du bois ou lors de l’entretien des propriétés.

En ville, de plus en plus, les ouvriers quittent leurs habits de travail quand ils sortent de leur établissement. A la campagne, les usines sont visibles de tous, elles jouxtent les habitations : la condition ouvrière est moins dissimulée qu’en milieu urbain et la syndicalisation peut devenir un élément de cette appartenance ouvrière.

Au-delà des variations liées à la résidence, le groupe ouvrier demeure défini par son inscription dans des rapports de classe qui s’expriment dans les espaces qu’ils soient ruraux ou urbains. Le « rural », tout comme « le quartier », sont des notions qui peuvent empêcher d’analyser la réalité des rapports sociaux, la question du territoire se substituant à la question sociale. En cela, ma recherche s’inscrit en faux avec la vision misérabiliste du géographe consultant Christophe Guilly, qui décrit les habitants du périurbain, comme étant captifs de zones reléguées, suites à des stratégies de sécession culturelle1.

Il décrit d’en haut une « contre-société » rurale homogène, repliée sur elle-même et hantée par le danger du « multiculturalisme » et de « l’immigration ». Or les conflits de classe n’ont guère disparu de ces territoires2. Loin d’être devenues secondaires par rapport à une fumeuse « question identitaire », les transformations du travail, avec la fragilisation ou le maintien relatif de collectifs ouvriers, jouent plus que jamais, en ville comme en milieu rural, dans le façonnage des représentations sociales et des possibilités de s’engager dans l’espace public.

Les principales évolutions dans les formes d’engagement syndical que je pointe dans le livre ne sont pas propres aux espaces ruraux. Elles s’observent dans la plupart des entreprises, notamment du secteur public. Par le passé, l’adhésion syndicale s’inscrivait souvent dans une logique perçue comme naturelle, issue d’un héritage familial, et elle se concrétisait au moment de l’embauche. Aujourd’hui, de nombreux syndicalistes adhèrent plus tardivement et ne font pas le récit de leur syndicalisation sur le mode de l’évidence, comme allant de soi et s’inscrivant dans une continuité familiale.

Pour les nouveaux militants, l’adhésion se fait surtout dans le cadre du travail et d’une lutte contre l’arbitraire patronal. L’engagement syndical apparaît comme un espace de défense et de recomposition de la dignité professionnelle, mise à mal par la politique de management.

Tu mets en lumière l’imbrication des identités professionnelles et militantes, qui se forgent à la fois dans l’atelier et dans les familles cheminotes et composées de syndicalistes. Qu’en est-il alors des identités et pratiques militantes qui dépassent le cadre de l’entreprise ? Par exemple, comment un tel secteur a-t-il perçu et participé au récent mouvement contre la loi travail, alors qu’on a pu percevoir des tensions dans la mobilisation des cheminots entre ce qui relevait des réformes internes à la SNCF et ce qui relevait du mouvement contre la loi travail dans son ensemble ?

L’engagement des syndicalistes n’est pas confiné dans l’enceinte de leur établissement. Il est irrigué par tout ce qui se passe dans cette région rurale profondément ouvrière. La situation vécue par leurs proches, notamment au sein de leur famille, joue beaucoup dans la prise de conscience sociale et politique des salariés de la SNCF.

Même s’ils appartiennent à des fractions stabilisées du salariat, relativement « protégés » par rapport aux autres, les travailleurs de l’atelier ne sont pas coupés des fractions plus fragiles des classes populaires locales. Leurs conjointes tout comme leurs enfants connaissent souvent des difficultés d’accès à un emploi stable. Et beaucoup sont passés eux-mêmes par d’autres entreprises où ils ont connu des statuts précaires et des conditions de travail éprouvantes.

Dans « le privé », ils n’ont en général pas rencontré de syndicats mais leur expérience du travail subalterne a progressivement nourri un sentiment d’injustice sociale. Une défiance à l’égard de l’autorité patronale peut trouver un débouché syndical lorsqu’ils entrent à la SNCF, là où il existe encore des syndicats.

Ces constats invitent à prendre en compte les différences entre salariés du secteur public et du secteur privé sans cependant poser de séparation franche entre ces deux univers, qui sont plus proches qu’on ne le pense souvent.

Comme ils bénéficient d’une continuité dans leur emploi et d’une stabilité professionnelle, les cheminots ont des ressources pour s’engager dans l’espace local. On les retrouve ainsi dans l’union locale CGT où ils s’organisent avec d’autres (métallos, enseignants, employés communaux, salariés de l’hôpital, etc.) pour soutenir les salariés qui sont en grande difficulté dans leur entreprise, notamment les femmes employées dans les grandes surfaces ou encore dans la maroquinerie.

Même si certains s’engagent initialement sur des problèmes personnels, par exemple pour obtenir une aide juridique un travail de politisation des engagements qui est ensuite mené incitant aux rapprochements avec d’autres groupes dans les luttes. Les syndicalistes en viennent à insérer la situation locale de l’atelier dans des enjeux globaux, sur la politique ferroviaire ou le nouveau management par exemple. De la même façon, alors que les élus locaux se présentent le plus souvent comme étant a-politiques, les syndicalistes dévoilent leur positionnement politique et informent les législations qu’ils soutiennent, concernant notamment la défense des services publics.

Sans ce travail quotidien, on ne pourrait comprendre l’ampleur d’une protestation telle que celle dirigée contre la loi Travail. Ce sont les réseaux militants, organisés dans les localités et les entreprises, qui ont assuré le succès d’une mobilisation de rue même si celle-ci dépasse les seules organisations syndicales. Les mobilisations collectives peuvent soutenues par un activisme sur le net mais elles ne naissent pas de nulle part. Il y a un travail militant sur le terrain, pendant les périodes creuses du mouvement social, qui édifie les cadres des protestions populaires futures.

Oui, il y a pu avoir des tensions dans la mobilisation contre la loi El Khomri car les cheminots ont leur propre calendrier et leur problématique de mobilisation. Depuis surtout 1995, on attend beaucoup d’eux, on met continuellement en avant leur rôle moteur, mais ils doivent également s’assurer du maintien d’une assise militante conséquente dans leurs établissements. Être un syndicat d’adhérents mettant l’accent sur la constitution d’une organisation produit des contraintes que les plus petits collectifs n’ont pas.

À la CGT, la consolidation de l’organisation, sa pérennité, constitue une priorité, parfois davantage que le maintien d’une conflictualité sociale lorsqu’elle est jugée peu productive. Mais, dans les faits, les deux dimensions vont ensemble : le déclenchement de grandes mobilisations fait venir de nouveaux adhérents au syndicat.

Tu évoques à plusieurs reprises les formes de politisation, les engagements extra-syndicaux des cheminots, notamment dans l’arène électorale locale. D’un autre côté, tu soulignes que le syndicalisme reste quasiment la dernière forme d’encadrement militant des classes populaires, ou du moins d’une partie d’entre elles. Comment alors décrirais-tu les processus contemporains de politisation de ces classes populaires en milieu rural ? Peux-tu établir des comparaisons avec tes recherches antérieures sur les militants du PCF ?

La domination politique des classes populaires et, plus particulièrement des fractions ouvrières, est aujourd’hui particulièrement prononcée. Les ouvriers sont largement absents des assemblées électives, bien sûr à l’Assemblée Nationales mais aussi dans les municipalités, y compris au sein des campagnes françaises pourtant très majoritairement populaires. Le pouvoir local est monopolisé par des représentants des classes moyennes et supérieures pourtant minoritaires dans les territoires ruraux.

Cette exclusion politique des classes populaires est, on le sait, une auto-exclusion. Outre le temps et la fragilité économique, c’est surtout un manque de confiance en soi, un sentiment d’incompétence au sein des classes populaires qui assure l’assise de la domination politique des fractions bourgeoises et petites-bourgeoises de la population. Or le syndicat est un outil de combat contre la honte sociale qui freine la participation politique. Je montre dans l’ouvrage que le passage par le syndicat permet aux ouvriers du site de déployer de nouvelles pratiques dans la vie locale, au sein des municipalités ou de diverses associations.

L’apprentissage militant à l’œuvre au sein du syndicat permet aux ouvriers de tenir un rôle de représentant dans l’espace public. Il offre, plus largement, la possibilité aux catégories populaires de s’affirmer dans un espace émancipé de la domination salariale et de contrer les processus qui les excluent de la vie publique au motif qu’ils seraient moins compétents que d’autres. Oser tenir tête au patron dans l’entreprise amène à s’affirmer également dans la localité face au directeur d’école, au notable, au maire, etc.

Ce livre vient à la suite de recherches menées sur le PCF et de l’ouvrage Le Communisme désarmé (Agone, 2014). Il poursuit une réflexion sur les difficultés de la gauche de gauche à être en phase avec les aspirations des classes populaires. De façon significative, plus aucun cheminot en activité du syndicat étudié n’est membre du PCF. Certains l’ont quitté lorsque la direction nationale ne donne pas d’orientations claires concernant les alliances électorales pour les municipales de 2008 et 2014.

En devenant une organisation décentralisée dont les dirigeants adoptent des stratégies électorales à géométrie variable selon les rapports de force électoraux locaux, le PCF s’éloigne du mode de fonctionnement de la CGT reposant sur la force du collectif. Les cultures organisationnelles communistes et cégétistes se distancient, et les syndicalistes se trouvent en porte à faux avec un PCF qui n’a plus de ligne et devient, dans certains territoires, une coquille vide au service des élus. Les trajectoires contemporaines vers le syndicat se distinguent des modalités d’engagement au sein du parti que j’avais analysé précédemment et où prédominent les logiques d’héritage.

Le faible renouvellement des réseaux communistes à partir des années 1980 se traduit par la prégnance des logiques familiales de reproduction du corps militant. Pierre Laurent, par ailleurs fils de Paul Laurent (député et cadre de l’appareil dans les années 1970-1980) et frère de Michel Laurent (ancien responsable de la fédération de Seine-Saint-Denis) symbolise la puissance de l’engagement familial au sein du PCF que l’on retrouve dans les municipalités et les directions locales du PCF.

S’ils peuvent être issus de familles ouvrières, parfois politisées à gauche, les dirigeants de la CGT sont rarement des enfants de cadres syndicaux. Souvent, ils rejoignent le syndicat lors de conflits au travail et prennent des responsabilités à l’issue de mobilisations collectives.

On peut aussi mentionner que les processus de professionnalisation ou de spécialisation de l’engagement ne sont pas du même ordre pour les deux organisations. La base militante du PCF s’est profondément réduite depuis les années 1980, laissant au premier plan essentiellement les élus et leurs collaborateurs. Les cadres de la fonction publique territoriale forment un groupe central au sein du PCF, qui a perdu son lien privilégié avec le syndicalisme qui, lui, dans une entreprise comme la SNCF reste ancré dans certains milieux populaires.

Les militants de la CGT ont souvent connu des trajectoires scolaires courtes ou accidentées, subi les remises en cause de l’emploi public et demeurent en contact régulier avec les classes populaires déstabilisées. Le fait que, dans la fonction publique, la CGT soit surtout influente au sein du corps des salariés de catégorie C, chargés des fonctions d’exécution, alors que les militants et élus communistes proviennent davantage du corps des encadrants, de catégorie A, rend compte de cette différenciation sociale entre les deux organisations.

Autre différenciation significative : l’accès aux postes de permanent ne suit pas les mêmes temporalités selon les organisations. Au PCF, les jeunes militants qui prennent des responsabilités se professionnalisent souvent dès leur sortie du système scolaire, en devenant par exemple collaborateur d’élu ou chargé de mission dans une collectivité territoriale après parfois un cursus universitaire de formation aux métiers politiques (communication, science politique, gestion publique locale, etc.).

L’accession au poste de permanent est plus long pour les syndicalistes. Dans le syndicat étudié, les cheminots de l’atelier acquièrent souvent tardivement ce statut lorsqu’ils ont une quarantaine d’années. Loin d’être spécifique aux dirigeants locaux, ce type de parcours se retrouve au sommet du syndicat. En raison de ces parcours, même si les cadres syndicaux s’éloignent progressivement de la condition ouvrière, ils maintiennent pendant une longue période des liens forts et quotidiens avec les classes populaires. Du fait de leurs lieux de résidence, des liens entretenus avec leurs anciens collègues mais aussi de leurs relations familiales, ils demeurent souvent toujours inscrits dans les milieux du salariat subalterne. Ce qui est rarement le cas des permanents politiques du PCF.

Propos recueillis par Vincent Gay.

Notes

1 La France périphérique : comment on a sacrifié les classes populaires, Flammarion, 2014. Voir Benoît Bréville & Pierre Rimbert, « Une gauche assise à la droite du peuple. De Terra Nova à Christophe Guilluy, recompositions idéologiques autour des fractures territoriales », Le Monde Diplomatique, mars 2015, p. 8-9.
2 Cf. « Campagnes populaires, campagnes bourgeoises », Agone, 51, 2013.
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