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Séminaire « Lectures ontologiques du Capital »
18 mai 2017 @ 17 h 00 min - 19 h 00 min
Jeudi 18 mai, salle L 312 : Toni Negri
« Quelques remarques sur l’ontologie et le matérialisme historique »
L’objectif de ce séminaire est de participer au regain d’intérêt actuel pour Le Capital de Marx en le confrontant aux différents programmes de recherche qui, en philosophie, en anthropologie, en sociologie ou en économie, s’intéressent à la nature de la réalité sociale et sont en conséquence qualifiés « d’ontologiques ». On connaît le mot de Marx dans les Thèses sur Feuerbach : « L’essence humaine n’est pas une abstraction inhérente à l’individu pris à part. Dans sa réalité, c’est l’ensemble des rapports sociaux ». Dans cette perspective, l’étude engagée dans Le Capital n’est pas seulement celle de rapports économiques, susceptibles de donner lieu à une critique philosophique. Les concepts y ont d’emblée un potentiel tout à la fois économique et juridique, social et politique, structurel et historique. C’est dans cette unité plurielle et dynamique de « rapports sociaux » que se profile selon nous le dessein d’une « ontologie sociale ». Reste alors à savoir ce que cette approche vaut en elle-même et quelle signification elle peut avoir pour notre temps. On peut à cet égard distinguer deux manières principales d’adopter une perspective ontologique en théorie sociale : la première consiste à socialiser l’ontologie, la seconde, à élaborer une ontologie du social.
Généralement associée au constructivisme en théorie sociale ou au « tournant ontologique » en anthropologie, la première perspective considère que les catégories aux travers desquelles nous rendons compte de la réalité sociale sont socialement déterminées. Il s’agit alors de mettre au jour les schèmes pratiques et symboliques qui structurent l’expérience sociale et varient d’une formation sociale à l’autre. Dans cette perspective, on pourra s’attacher à lire Le Capital comme une ontologie sociale du capitalisme, au sens où ce mode de production génèrerait une forme de socialité spécifique, dont des concepts comme ceux de valeur ou de fétichisme permettraient de rendre compte. Conformément à l’orientation critique de la théorie marxienne, on pourra alors s’attacher à relativiser cette ontologie du capitalisme : 1) en en faisant apparaître le caractère historiquement déterminé ; 2) en la comparant aux ontologies structurant les formations sociales non-capitalistes et en étudiant les transformations qu’elles subissent du fait de la tendance expansive du capital ; 3) en examinant la manière dont les dichotomies catégorielles au travers desquelles nous rendons traditionnellement compte de la réalité sociale (entre nature et histoire ou entre individu et société par exemple) expriment ou sont imbriquées dans les pratiques constitutives du capitalisme comme forme de vie sociale.
Or, pour penser la spécificité des sociétés dites capitalistes et de notre être social moderne, une deuxième perspective est possible, qui consiste cette fois à l’appréhender du point de vue d’une ontologie du social, c’est-à-dire d’une théorie des traits génériques de la socialité. Là encore, plusieurs options sont possibles. On pourra ainsi s’interroger sur les entités génériques (par ex. individus, groupes, relations, institutions, travail, propriété) qui sont selon Marx constitutives de toute société et étudier l’articulation spécifique qu’elles reçoivent dans les sociétés capitalistes. L’on pourra également s’attacher à produire la genèse conceptuelle de la société, distinguée d’autres régions de l’être telles que « la nature ». La question est alors de savoir si les hypothèses directrices du « matérialisme historique » sur la centralité des rapports d’échange et de production dans la formation des sociétés sont suffisamment robustes pour rendre compte des traits génériques de la société et des traits spécifiques des sociétés capitalistes. Enfin, on pourra interroger le mode d’être qui revient en propre à la société selon Marx : faut-il par exemple penser l’être social de manière substantialiste, relationnelle ou processuelle ? Dans quelle mesure ces options sont-elles respectivement compatibles avec la dimension critique de la théorie marxienne et le projet de transformation sociale radicale qui en est solidaire ?
Au-delà de ces différentes perspectives, qui ne se veulent que des pistes de recherche et de réflexion, le séminaire vise à éclairer les proximités et les divergences entre les différentes approches théoriques en sciences sociales se revendiquant de Marx et du marxisme à partir de la conception implicite ou explicite de l’ontologie sociale qu’elles mobilisent et dont Le Capital serait la source d’inspiration. Il ambitionne ce faisant d’établir une espèce de bilan sur le renouveau du marxisme en interrogeant la racine même des diverses filiations au projet théorique de Marx.
Et, au-delà encore de ces échanges, il voudrait être partie prenante d’un grand débat politico-théorique sur cette œuvre confrontée à la mélancolie des révolutions manquées qui se réclamaient d’elle et au basculement de notre monde dans un futur qu’elle ne pouvait appréhender, celui d’une planète en proie au néolibéralisme, face au péril écologique. Gageons que le 150e anniversaire du Capital (1867) sera propice à un Capital Debate, désormais incontournable, et qui semble avoir été à ce jour esquivé.
Le séminaire durera deux ans, dans l’horizon d’un colloque en 2018.
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Date :
Une séance un jeudi par mois, de 17h à 19h.
Lieu :
Université Paris-Ouest Nanterre La Défense
Bâtiment L (indications sur les salles dans le programme ci-dessous)
Organisation du séminaire :
Laurent Baronian, Jacques Bidet, Frédéric Monferrand
Programme :
Jeudi 8 décembre, salle L 312 : Frédéric Monferrand
« Le capital et son monde : contribution à une lecture ontologique du Capital »
Jeudi 5 janvier, salle L 312 : Jacques Bidet
« Pour une théorie de l’être social : au-delà de Marx et la Loi-Travail, Le corps biopolitique du Capital, Éditions Sociales, 2016 »
Jeudi 2 février, salle L 311 : Laurent Baronian
« L’ontologie du Capital au prisme du matérialisme spéculatif »
Jeudi 2 mars, salle L 311 : Catherine Colliot-Thélène
« Retour sur le concept de la propriété chez Marx »
Jeudi 30 mars, salle L 311 : Alix Bouffard
« De la classe au genre Humain : l’ontologie sociale de Lukács et ses enjeux politiques »
Jeudi 27 avril, salle L 311 : Pierre Dardot
« Valeur capital et logique spéculative »
Jeudi 18 mai, salle L 312 : Toni Negri
« Quelques remarques sur l’ontologie et le matérialisme historique »