Fredric Jameson, mode d’emploi
Le moment semble venu de proposer un mode d’emploi du travail de Fredric Jameson, notamment au vu de sa récente réception française.
Trois premières traductions sont parues en 2007, Le Postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif, Archéologies du futur. Le désir nommé utopie, et La Totalité comme complot (première partie de The Geopolitical Aesthetic) ; ont ensuite été publiés la deuxième partie d’Archéologies du futur et de The Geopolitical Aesthetic, Fictions géopolitiques et aujourd’hui L’Inconscient politique. Le récit comme acte socialement symbolique, accompagné d’un article essentiel, « Métacommentaire»1. Chacun de ces livres porte sur des objets différents, et qui ne se recoupent que partiellement – la science-fiction, le roman du XIXe siècle, le cinéma, et, pour le postmodernisme, la culture en général, de l’art vidéo à la littérature en passant par la théorie et l’architecture. La diversité de ces objets, renforcée par une réception tardive et incomplète, constitue clairement un obstacle à la réception de l’œuvre de Jameson en tant qu’œuvre. Les littéraires iront y chercher des analyses sur leurs auteurs de prédilection, les philosophes y trouveront une réflexion sur la causalité, les marxistes pourront s’intéresser au scandaleux mariage d’Althusser et de Lukács, les critiques se pencheront de préférence sur sa réflexion sur l’art contemporain, les architectes privilégieront la thématique de l’espace, et ainsi de suite. Mais toutes ces lectures sectorielles occultent le fait que Jameson n’est pas réductible aux objets qu’il a étudiés, pas plus du reste qu’à la légendaire difficulté de son écriture. Que ce n’est ni seulement dans ces objets ni simplement dans son écriture qu’il faut aller le chercher. Il m’a paru nécessaire de faire une mise au point sur son travail, d’en proposer un mode d’emploi, car c’est précisément dans ce qu’on pourrait appeler, pour aller vite, sa méthode, que se dessinent l’unité de son projet et sa vision particulière du marxisme.
J’adopterai ici une perspective diachronique, en m’appuyant essentiellement sur trois textes disponibles en français, « Métacommentaire » (1971), L’Inconscient politique (1981), et plus rapidement, Le Postmodernisme (1991). Nous suivrons Jameson dans l’élaboration de son herméneutique : « Métacommentaire », première esquisse d’une méthode totalisante appliquée à la littérature ; L’Inconscient politique, mise en œuvre d’une théorie marxiste et dialectique de l’interprétation, explication de la formation du roman moderne et de la trajectoire qui conduit du réalisme au modernisme, tentative de retracer la formation de la subjectivité bourgeoise tout au long du XIXe siècle ; Le Postmodernisme, enfin, tentative de penser historiquement une situation qui se présente comme post-historique.
Mon but n’est pas d’examiner ces textes dans le détail. À travers une rapide lecture, je voudrais seulement caractériser le projet de Jameson, que l’on peut ranger sous la rubrique de l’analyse idéologique ; montrer que ce projet consiste en une série d’opérations ou d’interventions sur des matériaux bruts préexistants ; et à partir de là, élargir cette pratique théorique particulière pour souligner qu’elle fait du marxisme, davantage qu’une tradition ou un sous-courant intellectuel éclaté dans diverses disciplines (l’économie, la politique, la philosophie, la théorie de la littérature, la géographie, l’histoire, etc.), le site sur lequel se disposent des objets hétérogènes et se mettent en scène des antagonismes théoriques.
Il sera peut-être bon de dire d’entrée de jeu ce que l’on ne trouvera pas chez Jameson : on n’y trouvera pas une nouvelle théorie du capitalisme ; son approche de l’économie politique s’appuie sur tous les bons auteurs de la tradition (à commencer bien sûr par Marx, mais aussi sur Ernest Mandel) et son utilisation de l’économie politique, comme du reste, d’autres matériaux est intégralement subordonnée au développement d’une herméneutique marxiste. En outre, on sera frappé, en le lisant, de retrouver une foule de concepts et de thèses célèbres d’auteurs classiques, comme Adorno, Heidegger, Lukács, Althusser, Lévi-Strauss, Debord, dont bien souvent, on pourra se dire qu’ils n’ont rien d’original. Et c’est là un point fondamental du statut et du travail de Jameson : celui-ci n’est pas un auteur, au sens traditionnel du terme, pas un philosophe, pas un producteur de concepts et d’énoncés originaux, c’est avant tout un lecteur, un lecteur qui n’entretient toutefois pas à ses objets un rapport servile, mais au contraire intégralement instrumental. Aussi le voit-on prélever, découper, et juxtaposer des segments extraits de différents corpus selon des méthodes parfaitement scandaleuses au regard des normes académiques en la matière. Chez lui cependant, cette pratique n’a rien à voir avec un quelconque zapping culturel ; elle est subordonnée à un projet, l’élaboration inlassable d’une herméneutique marxiste, qui doit être considérée en tant que telle, et qui est depuis le départ indissociable d’une double crise, crise de l’interprétation, d’une part, et crise du marxisme, d’autre part. D’où, à mon sens, la nécessité d’accorder une attention toute particulière aux textes de 1971 et de 1981, qui nous livrent la clé de ses travaux ultérieurs.
Crise de l’interprétation, tout d’abord. À partir de la fin des années 1960, moment où commence à prendre forme le programme herméneutique qui culminera avec la publication de L’Inconscient politique, Jameson prend acte d’une mutation épistémique (alors limitée à l’Europe continentale) qui a vu la notion d’œuvre remplacée par celle de texte. Tout le paradoxe et toute la force de l’approche jamesonienne consisteront en effet à proposer une herméneutique fondée sur la notion de texte, à une époque où l’interprétation et les présupposés sur lesquels l’interprétation s’appuie se trouvent violemment contestés. Si l’on devait prendre un seul point de repère dans ce vaste mouvement, on pourrait citer la célèbre préface à Naissance de la clinique, dans laquelle Foucault taille en pièces le modèle de la profondeur pour lui substituer l’idée d’une démultiplication des surfaces. Cette critique du dualisme surface-profondeur ne vise pas seulement un sens qui serait simultanément véhiculé par le texte et extérieur à lui ; elle a pour cible tous les dualismes dans lesquels un terme fonctionne comme la vérité latente, enfouie ou dissimulée du terme manifeste : ce sont par exemple ces dualités verticales que sont la forme et le contenu, ou bien sûr, le phénomène et l’essence ; l’analyse freudienne du rêve ; mais aussi et bien évidemment, la dichotomie marxiste classique de la base et de la superstructure.
Dès lors, pour Jameson, le problème sera de déterminer comment préserver l’interprétation ou l’herméneutique contre les attaques dont elle fait l’objet. Cependant, le souci de conserver l’herméneutique n’a rien de formel ou d’académique, et possède au contraire un enjeu politique immédiat. C’est ce que montre « Métacommentaire ». Dans ce texte remarquablement dense, il commence par mettre en scène une opposition entre les modèles formels et les modèles herméneutiques traditionnels, en prenant acte du triomphe des premiers sur les seconds. Il explique que ces nouveaux modèles formels ont eu une généalogie multiple au cours du XXe siècle, et, prenant l’exemple des formalistes russes, il montre comment ils ont inversé les priorités traditionnelles de l’analyse littéraire : à une critique qui privilégiait notamment les personnages comme imitations de sujets ou de personnes réelles, ils ont substitué une approche des personnages comme techniques permettant d’agencer et d’unifier une série d’anecdotes, d’histoires ou de niveaux narratifs hétérogènes. Ce faisant, les formalistes (au premier rang desquels Victor Chklovski, avec son analyse de Don Quichotte) ont radicalement déplacé l’objet de l’analyse littéraire, en se désintéressant du contenu (le caractère du personnage, son histoire, sa subjectivation, par exemple) au profit de la forme narrative, et en faisant du personnage un simple moyen d’organisation du récit.
La stratégie de Jameson – qui deviendra sa marque de fabrique – consistera non à réfuter l’approche formaliste ou à l’attaquer de front, mais au contraire à ne lui accorder qu’une utilité sectorielle et locale : « le modèle formaliste est essentiellement synchronique et ne peut traiter adéquatement de la diachronie, aussi bien dans l’histoire littéraire en général que dans la forme de l’œuvre individuelle. Ce qui revient à dire que le formalisme comme méthode s’arrête au moment où commence le roman comme problème » (M, in IP, p. 399). En un mot, la démarche formaliste se révèle incapable de se confronter d’une part au problème du temps (romanesque ou historique) et d’autre part, au besoin ou à l’absence de besoin d’interpréter.
Jameson va donc s’efforcer de mettre au point un modèle qui permettra tout à la fois d’inscrire la temporalité dans l’interprétation et de saisir le texte en relation avec ce qu’on pourrait appeler son « dehors » social et historique. Cependant, on insistera sur le fait qu’il n’oppose pas la diachronie à la synchronie ; pour lui, ce sont deux dimensions complémentaires du processus interprétatif. C’est ainsi qu’il est conduit à apparier deux séries diachroniques, d’une part, la succession temporelle des formes romanesques, depuis le roman à intrigue du XVIIIe jusqu’au nouveau roman en passant par le récit psychologique de la fin du XIXe siècle, et d’autre part, les progrès de l’atomisation des sociétés traditionnelles et l’avènement de la société moderne et du sujet bourgeois. Implicitement, il établit une correspondance univoque entre ces formes littéraires et ce qu’il n’ose peut-être pas encore qualifier de réification. On notera en effet qu’à l’exception d’une allusion à Ernst Bloch, dans ce texte Jameson se garde bien de mentionner aucun auteur marxiste – alors qu’en le lisant, on pense très fort au Lukács d’Histoire et conscience de classe, ou au Marx de la préface à la Contribution à la critique de l’économie politique, et alors qu’il s’apprête lui-même à publier un ouvrage qui paraîtra la même année que « Métacommentaire », Marxism and Form.
Il y a là un évitement conscient et délibéré du marxisme comme nom : l’université américaine a été, au cours des années 1950, très systématiquement nettoyée de ses éléments subversifs, communistes ou apparentés, y compris de libéraux comme John Dewey2. Ce dernier, malgré son aura d’avant-guerre (et son opposition au marxisme), a été rayé de la carte académique. Plus spécifiquement, Jameson publie cet article dans Proceedings of the Modern Language Association, revue alors dominée par un total apolitisme en matière littéraire. N’oublions pas qu’aux États-Unis, les recherches sur la littérature sont dominées depuis les années 1950 par des théoriciens d’inspiration analytique, du type Cleanth Brooks ou Monroe Beardsley, qui ont consacré tous leurs efforts à définir l’objet littéraire en l’expurgeant de tout contenu cognitif, moral, anthropologique et bien évidemment historique, social ou politique. Ainsi le démystificateur Jameson avance-t-il masqué.
Avant d’en venir à la définition de la notion de métacommentaire, ou plus exactement pour y venir, on peut marquer une pause pour se demander si Jameson n’esquive pas tout simplement le problème bien réel de la textualité ou de l’écriture ; si, en un mot, il n’élimine pas l’aiguillon de la critique de l’interprétation ; si cette défense de l’interprétation ne constitue pas une simple répétition, par ailleurs assez grossière, du geste consistant à poser un phénomène et la vérité de ce phénomène ; si ce que j’ai qualifié d’appariement de l’histoire du roman et de l’histoire sociale ne reproduit pas la tant honnie « théorie du reflet » ; donc si Jameson ne se contente pas de réaffirmer ce qu’il lui faut précisément démontrer, la validité du modèle surface-profondeur, et implicitement, base-superstructure. Pour répondre à cette question, on examinera un assez long passage de l’article :
« Toute pensée de l’interprétation doit s’immerger dans l’élément étrange et contre-nature de la situation herméneutique ; ou, pour le dire autrement, toute interprétation individuelle doit inclure une interprétation de sa propre existence, elle doit se justifier et prouver sa légitimité : tout commentaire doit être, également et simultanément, un métacommentaire.
La véritable interprétation redirige donc l’attention vers l’histoire ou la situation historique, celle du commentateur comme celle de l’œuvre. De ce point de vue, il devient évident que les grands systèmes herméneutiques traditionnels (…) sont nés de la tentative désespérée, de la part de sociétés données, pour assimiler les monuments produits en d’autres temps et d’autres lieux, et qui, parce qu’ils obéissaient à l’origine à des élans tout à fait étrangers, nécessitaient une sorte de réécriture – un commentaire complexe, la théorie des figures – pour pouvoir s’inscrire dans une situation nouvelle. C’est ainsi qu’Homère fut allégorisé, et que les textes païens, et même l’Ancien Testament, furent remodelés pour être rendus conformes au Nouveau Testament.
On ne manquera pas d’objecter qu’à notre époque, ce type de réécriture est tombé en discrédit, et que si l’invention de l’Histoire possède une quelconque signification, elle implique un respect de la différence intrinsèque du passé et des autres cultures. Mais à mesure que le système mondial s’unifie, à mesure que les autres cultures disparaissent, nous seuls héritons de leurs différents passés pour tenter de maîtriser cet héritage » (M, in IP, p. 395-396).
On constate, là encore, qu’il n’y a pas seulement une association, mais une véritable justification du métacommentaire par ce qui constitue son objet, à savoir l’histoire et l’évolution historique : le métacommentaire est rendu nécessaire, non seulement par le recodage de la tradition antique et médiévale de la figura dans les termes plus contemporains de la réécriture, mais par l’unification tendancielle du monde et le passage d’une pluralité de systèmes-mondes à ce que Jameson qualifie de système mondial. Cependant, ce qui l’autorise à parler de « métacommentaire », c’est le déplacement de la problématique de l’interprétation à un autre niveau, auquel il s’agira d’interroger non la nature de l’interprétation, mais sa nécessité même. Ce qui va donc rendre nécessaire l’herméneutique, ce n’est pas la nature de l’objet étudié – qui, peut-être, résiste à l’interprétation, soit parce qu’il est trop transparent, Jameson prend l’exemple de Tom Jones, soit parce qu’il est trop opaque et résiste à l’interprète en se présentant comme simple surface ou pure écriture –, mais c’est la position de l’interprète par rapport à son objet : le métacommentaire est donc une inclusion de l’objet dans la situation de l’interprète, un élargissement de l’objet au sujet, une interprétation en situation, une tentative de maintenir l’attention focalisée simultanément sur le sujet interprétant et sur l’objet interprété. Ainsi Jameson rethéorise-t-il le problème du cercle herméneutique ; à ceci près que même si l’objet et le sujet partagent une commune historicité, il ne s’agit pas ici de définir les conditions de possibilité de la connaissance historique. L’enjeu est plutôt de souligner que l’objet, loin d’être seulement localisé en un point spatio-temporel, ou défini par un ancrage spatio-temporel précis, est aussi bien constitué par ses reprises et ses réinterprétations, qu’il est à chaque fois de nouveau présent pour de nouveaux commentateurs. Réciproquement, la saisie de l’objet comme cet objet-ci ancré dans un moment et dans un espace précis va permettre de perturber l’identité à soi du présent et de problématiser la position de l’interprète (Jameson parlera plus tard, à propos de ce type de déplacement, d’étrangisation).
Le métacommentaire s’articule sur une dialectique de la rupture et de la continuité, appréhendant l’histoire à la fois comme succession ininterrompue et comme pluralité éclatée, donc diachroniquement et synchroniquement. C’est ce modèle que l’on retrouve, sous une forme beaucoup plus élaborée et fondée sur la théorie des modes de production, dans L’Inconscient politique.
Cependant, il semble qu’à ce moment de la carrière de Jameson, deux systèmes herméneutiques se superposent – d’un côté, une sorte de théorie du reflet ou de l’expression, qui s’appuie de façon assez grossière ou irréfléchie sur le rapport entre base (l’histoire en général et des processus historiques particuliers, comme la destruction des sociétés traditionnelles, l’individualisation, etc.) et superstructure idéologique (les textes, théoriques aussi bien que littéraires) ; d’un autre côté, le métacommentaire proprement dit, effort complexe pour faire éclater l’unité et l’intégrité du texte en inscrivant l’historicité et l’interprétation dans sa nature même. En somme, on a, d’une part, une approche transcendante et générale, et de l’autre, une approche immanente et spécifique. D’un côté, l’histoire paraît donnée d’avance et imposée de l’extérieur ; de l’autre, elle semble surgir du texte même, comme matériau travaillé par ce dernier.
Mais ce qui apparaît comme une incohérence, voire comme une contradiction, peut aussi être envisagé dialectiquement, comme des moments différents d’un même processus d’interprétation, moments qui, envisagés d’un autre point de vue, constitueraient également des échelles de lecture : c’est précisément le décalage entre ces modèles antagonistes, entre l’immanence et la transcendance, la lecture formaliste ou structurale et la lecture sociale, à quoi il faut ajouter, entre autres, les lecture psychanalytique et mythocritique, que L’Inconscient politique va permettre sinon de combler, du moins de reformuler. Puisque tout le problème réside dans l’hétérogénéité des modèles textuels proposés par les différentes théories, il s’agira de définir les médiations adéquates entre ces modèles. On en conçoit l’enjeu : à défaut d’intégrer ou de subsumer tous ces modèles dans un schéma matérialiste unifié, l’approche marxiste du texte littéraire restera une méthode parmi d’autres sur le marché des idées (marché qui s’est en outre considérablement agrandi au cours des années 1970, avec l’arrivée massive de la French Theory, les premières traductions de Foucault, de Derrida, etc., qui passent d’abord par les départements de littérature).
Pour défendre le marxisme comme « horizon ultime de l’interprétation », L’Inconscient politique va proposer non pas un cadre interprétatif, mais « trois cadres concentriques » : l’histoire politique, la société, et l’Histoire au sens large. Le premier cadre maintient le texte comme énonciation individuelle mais le reconstruit comme un acte symbolique, le second socialise le texte en saisissant l’énonciation individuelle comme instanciation d’un discours collectif, autrement dit, comme acte socialement symbolique, et le troisième appréhende le texte sur fond de l’histoire humaine tout entière, de la succession des modes de production ou de la coexistence de différents modes de production au sein d’une même société.
Ces trois cadres peuvent s’envisager aussi bien comme des moments du processus interprétatif que comme des échelles d’interprétation différentes, étant entendu que chaque moment ou changement d’échelle s’accompagne d’une reconstruction de l’objet. À chaque fois, c’est en quelque sorte à un autre objet que l’on a affaire. L’Inconscient politique en vient ainsi à brouiller la distinction sujet-objet qui demeurait claire dans « Métacommentaire », ou plutôt il la complique en introduisant un rapport de circularité entre l’interprète et le texte. Quand Jameson écrit que les textes littéraires « se présentent […] à nous comme le toujours-déjà-lu » (IP, p. 7-8), il veut dire que nous projetons toujours et à notre insu une grille d’analyse sur les textes, et qu’inversement, les objets eux-mêmes nous imposent déjà les conditions de leur interprétation. Le texte dicte à l’interprète les conditions de possibilité de son interprétation, et celui-là en retour a pour tâche de mettre au jour les conditions de possibilité sémantiques de celui-ci. Il s’agit en clair de faire violence au texte en l’obligeant à sortir de lui-même. De plusieurs façons : 1) accepter le texte tel qu’il se présente, c’est-à-dire comme une énonciation individuelle présentant une structure et des thématiques qui lui sont propres ; 2) tenter d’en extraire le contenu social en le réinscrivant dans sa situation d’origine (c’est tout le travail philologique, en quelque sorte), en le rattachant à d’autres textes ou séries de textes mais aussi à ce qui, à ce stade, n’apparaît encore que comme un contexte social et historique – on se trouve là dans ce qu’on peut qualifier l’opération de juxtaposition ; 3) à partir de là, montrer comment le texte tente de résoudre symboliquement des contradictions sociales, en quoi il est, dans sa forme même, un mécanisme d’accomplissement de souhait – premier niveau d’émergence de l’inconscient politique ; 4) du même coup, cela implique de détecter les aspérités du texte : celui-ci nous apparaît d’abord comme un objet autonome et unifié (quand bien même d’ailleurs il aurait une structure éclatée) car il se présente comme un objet ; mais la tâche de l’interprète sera justement, dans ces aspérités, de repérer des tensions, éventuellement des contradictions, en tout cas de fracturer l’unité du texte pour le révéler comme combinaison de matériaux bruts hétérogènes : soit dit en passant, cela suppose de se faire violence à soi-même, tant est ancrée en nous l’idéologie moderniste de l’unité de l’objet esthétique. En ce sens, on peut considérer que le formalisme russe possède des vertus thérapeutiques, dans la mesure où il prend le récit et les personnages comme un ensemble de procédés destinés à produire un effet particulier. 5) Cette identification du texte comme hétérogénéité constitue une opération cartographique : à ce niveau, on cherche à reconstruire le texte comme un mécanisme idéologique permettant de donner cohérence à une série de sèmes incompatibles les uns avec les autres.
On comprend mieux maintenant l’expression d’« acte socialement symbolique ». Le texte est un acte dans la mesure où il intervient dans et sur une situation sociale particulière, il l’exprime en même temps qu’il la reconfigure symboliquement ; le terme « symboliquement » indiquant le niveau de l’intervention et sa modalité : la situation est reconfigurée en étant à la fois reconstruite et déplacée. Car, comme chez Freud le symptôme, le symbole est tout autant révélation qu’occultation, indication que distorsion. Le référent extra-textuel vers lequel tend le texte n’est lui-même qu’une réalité interne au texte. C’est en ce sens qu’on peut dire qu’il n’y a pas de hors-texte. La symbolisation est omniprésente, incontournable, et englobe les distinctions entre l’intérieur et l’extérieur, l’infrastructure et la superstructure, le texte et le monde social, le texte et l’histoire. Cependant, « l’histoire n’est pas un texte, ni un récit, maître ou autre, mais, en tant que cause absente, elle nous est inaccessible sauf sous forme textuelle ; notre approche de l’histoire et du Réel lui-même passe nécessairement par une textualisation préalable, par une narrativisation dans l’inconscient politique » (IP, p. 39). Jameson navigue ainsi entre deux positions, d’une part, celle du marxisme « vulgaire », qui pose une prééminence de la réalité infrastructurelle sur la superstructure, réduite au statut d’émanation ou d’expression de la première ; d’autre part, la position poststructuraliste, fort à la mode dans les années 1970, et qui voyait du texte partout (on pense par exemple aux formulations outrancières de Clifford Geertz dans son fameux article sur la « thick description »). Sur ce point, et comme l’a déjà indiqué la notion de « conditions de possibilité », la démarche de Jameson se révèle profondément kantienne. Nous ne pouvons échapper au cadre linguistique collectif qui structure notre pensée, mais nous ne pouvons pas ne pas supposer une extériorité à ce cadre, quand bien même cette extériorité ne serait elle-même qu’un effet du cadre.
C’est précisément ce que souligne la notion de cause absente, empruntée bien sûr à Althusser, et celle d’Histoire au sens large, en tant que séquence totale des modes de production : l’Histoire, c’est la structure qui n’est présente qu’en ses effets, et qui, comme la substance spinozienne, est partout et nulle part à la fois. Mais pour cette raison, et à la différence des Idées kantiennes de la raison, cette Histoire comme Réel, comme substance, comme cause absente, s’impose à nous de l’extérieur sous la forme de la Nécessité, de conditions que nous n’avons pas produites ou choisies. Je citerai la conclusion du premier chapitre de L’Inconscient politique : « l’Histoire, c’est ce qui fait mal, ce qui refuse le désir, ce qui impose des limites inexorables à la praxis individuelle comme collective, ce qui, par ses « ruses », renverse, de façon horrible ou ironique, les intentions affichées. En ce sens ultime, l’Histoire comme fondement et horizon indépassable n’appelle donc aucune justification particulière : si fort que nous cherchions à les oublier, nous pouvons avoir la certitude que ses nécessités aliénantes ne nous oublieront pas » (IP, p. 126).
Toutefois, si l’on revient cent pages en arrière, Jameson semble nous dire exactement l’inverse, dans un passage fameux que je citerai presque in extenso, dans la mesure où il constitue une véritable profession de foi :
« Seul le marxisme peut nous offrir une description adéquate du mystère essentiel du passé culturel, lequel, comme Tirésias s’abreuvant de sang, se voit momentanément rendre vie et chaleur, autoriser une fois encore à parler, pour délivrer, dans un environnement absolument étranger, son message depuis longtemps oublié. Ce mystère ne peut être remis en acte que si l’aventure humaine est une ; c’est ainsi, et ainsi seulement […] que nous pouvons saisir, l’espace d’un instant, les exigences vitales que nous imposent des questions mortes depuis longtemps, l’alternance saisonnière de l’économie d’une tribu primitive, les disputes passionnées sur la nature de la Trinité, les modèles conflictuels de la polis ou de l’Empire universel, ou, apparemment plus proches de nous dans le temps, les poussiéreuses polémiques parlementaires et journalistiques des États-nations au XIXe siècle. Ces sujets ne retrouveront pour nous leur urgence originelle que s’ils sont racontés à nouveaux frais, dans l’unité d’une seule grande histoire (story) collective ; que s’ils sont perçus comme partageant, sous des formes si déguisées ou symboliques que ce soit, un seul et unique thème fondamental – pour le marxisme, la lutte collective pour arracher le royaume de la Liberté au royaume de la Nécessité – ; que s’ils sont saisis comme des épisodes capitaux dans une seule, dans une immense intrigue inachevée ».
S’ensuit une longue citation de l’ouverture du Manifeste du Parti communiste, après quoi Jameson conclut : « C’est de la détection des traces de ce récit ininterrompu, c’est de la restauration, à la surface du texte, de la réalité refoulée et enfouie de cette histoire fondamentale, que la doctrine d’un inconscient politique tire et sa fonction et sa nécessité » (IP, p. 17-19).
Il semble donc que coexistent deux versions de la Nécessité. D’un côté, le Réel inébranlable (et inthématisable) qui écrase et broie implacablement la vie humaine, de l’autre, ces nécessités, sociales ou naturelles, sur lesquelles nous avons prise et qu’il est possible de surmonter, ou avec lesquelles, tout du moins, nous pouvons vivre. Mais au lieu d’essayer de résoudre cette contradiction ou cette antinomie, je préfère lui en ajouter une autre : entre le Manifeste communiste comme récit eschatologique ou, selon Hayden White, comique (dans le sens où il évoque des lendemains qui chantent) et un autre cadre marxiste, qui consiste à ne pas (se) raconter d’histoires, à reconnaître les limites de la praxis comme des interventions intellectuelles. En somme, le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté. Ou, pour le dire dans les termes de Jameson, la dialectique de l’idéologie et de l’utopie.
Il y a en effet toute une dimension, fondamentale et que je n’ai fait qu’effleurer, le fait que L’Inconscient politique peut se lire comme un manuel d’analyse idéologique. Du reste, tous les aspects de son herméneutique que j’ai évoqués précédemment, tous ces moments, ces changements d’échelles, ces variations de point de vue, ces élargissements du cadre d’analyse, tout cela vise précisément à examiner le texte dans sa clôture idéologique. Car l’idéologie, chez Jameson, n’est pas (seulement) la fausse conscience, mais avant tout une limitation des possibilités qui, pour des classes déterminées, à un moment et dans un lieu donnés, s’offrent à la pensée et au récit. C’est pourquoi la reconstruction rétrospective des contradictions – qui correspondent à des antagonismes de classes – permettra de faire apparaître la structure de l’espace cognitif ou les systèmes de valeurs qui rendent possible le récit et à l’intérieur duquel il se déploie. Ainsi verra-t-on comment chez Balzac, le récit est entièrement placé au service d’un accomplissement de souhait qui vise à apporter une solution à la tension entre énergie napoléonienne, stabilité aristocratique et égalité démocratique (chapitre 3 de L’Inconscient politique) ; ou comment chez Gissing, le motif de la philanthropie recèle une véritable haine du peuple et un profond ressentiment envers la classe ouvrière (chapitre 4).
L’Inconscient politique va ainsi fonctionner comme un instrument de détection de la constitution d’une subjectivité bourgeoise ou du sujet centré à travers la formation du roman moderne, et le passage du réalisme au modernisme ; pour le dire vite, Jameson tente de montrer comment l’histoire, la collectivité humaine et la politique se trouvent progressivement exclues et refoulées de la surface du texte et enfouies dans ses profondeurs. À un certain niveau, donc, ce texte, qui s’interroge sur les conditions de possibilité des textes littéraires, fait donc le récit de ses propres conditions de possibilité en tant que texte théorique, et les chapitres de mise en pratique de la méthode (Balzac, Conrad, Gissing) nous racontent comment a pu se former un inconscient politique du texte, comment la dissociation et l’autonomisation des sens corporels, l’émergence du binôme du bien et du mal et du sujet centré ou bourgeois, comment tout cela a pu refouler ce moment où le capitalisme, qui entrait dans sa phase impérialiste, connaissait une expansion sans précédent.
Cependant, comme on le voit dans le chapitre sur Conrad, et comme Jameson le montre dans d’autres articles sur la littérature moderne, toutes ces mutations se trouvent enregistrées dans les textes, et il faut aussi voir la constitution d’une subjectivité monadique et de toute une littérature axée sur la conscience et l’intériorité comme un mécanisme de défense, tandis que des sociétés qui étaient auparavant plus ou moins autosuffisantes se voient soudain dépendantes de processus se déroulant à des milliers de kilomètres.
Le Postmodernisme (premier article éponyme, 1984) reprend le problème précisément là où L’Inconscient politique l’avait laissé, en soulevant le problème de la représentation du décalage entre l’expérience individuelle et le système mondial. Mais cette fois, dans un saut par-delà le moment moderniste (que Jameson étudiera en détail dans A Singular Modernity, 2002), l’action commence une soixantaine d’années plus tard, dans une société de consommation de masse, où le lien entre la crise de l’interprétation et la crise de la politique se pose avec une acuité plus grande que jamais. Car L’Inconscient politique s’inscrivait encore dans une conjoncture haute pour la gauche, à la toute fin certes, mais son enthousiasme théorique montrait bien qu’il participait encore de cette grande dynamique théorique et politique enclenchée au début des années 1960. Le Postmodernisme nous présente en quelque sorte l’envers des sixties, et les autres tendances à l’œuvre dans la période. Non pas les mouvements contre-culturels, les révoltes ouvrières et étudiantes ou les mouvements d’émancipation dans le Tiers-Monde, de l’Asie à l’Amérique du Sud en passant par l’Afrique, mais l’établissement de ce que Jameson appelle un impérialisme proprement américain, une extension sans précédent de la sphère de la marchandise, et (à partir des années 1970) l’essor du capitalisme financier, la délocalisation de l’industrie dans les pays en voie de développement, l’affaiblissement du mouvement ouvrier, toute cette cohorte de phénomènes que ne nous connaissons aujourd’hui que trop bien.
Encore une fois, le problème est posé sous l’angle idéologique et culturel ; mais on a moins remarqué qu’il l’était aussi, plus spécifiquement encore, sous celui de l’interprétation. L’article de 1971 faisait du métacommentaire une réflexion sur la nécessité de l’interprétation ; L’Inconscient politique, dix ans plus tard, montrait que l’anti-herméneutique est encore une herméneutique ; Le Postmodernisme doit à présent se confronter à une multiplicité de produits culturels. Le livre s’ouvre sur une longue énumération de problèmes, d’artistes et de styles surgis de nulle part et qui demeurent pour l’heure impensables en tant que tels ; en particulier (et c’est l’origine de la théorisation jamesonienne de la postmodernité) à des formes architecturales qui bouleversent complètement le rapport de l’individu à l’espace. Pour bien comprendre cet ouvrage et surtout son texte inaugural, il faut essayer de se représenter le choc, la sidération, le désarroi, l’ahurissement suscités par la prise de conscience que tout peut-être avait changé. La célèbre analyse de l’hôtel Bonaventure de Portman tient lieu, sur ce plan, d’allégorie du postmodernisme en tant que tel, principalement du rapport entre le sujet et l’espace bâti qui le désoriente et l’exclut. Jameson évoque une mutation de l’objet-monde qui n’a pas encore trouvé de pendant dans une mutation subjective. En un mot, nos catégories cognitives sont en retard sur le monde nouveau dans lequel nous venons soudain de nous apercevoir que nous étions entrés. Ce qui signifie que le rejet de l’interprétation n’est plus seulement une affaire théorique, cantonnée à l’univers des sciences humaines ; désormais, ce sont notre cadre de vie et les objets culturels eux-mêmes qui semblent bloquer toute interprétation, exclure le rapport surface-profondeur et n’être que pure surface ou « absence de profondeur ». Du même coup – et c’est encore une manière d’explorer l’envers des sixties –, le rejet poststructuraliste de l’interprétation apparaît rétrospectivement comme un symptôme du postmoderne.
Par conséquent, on peut tout à fait considérer que Jameson, entre le début des années 1971, au moment où il constitue son herméneutique marxiste, et le milieu des années 80, où s’élabore sa théorie du postmodernisme, mène au fond la même réflexion de plusieurs points de vue théoriques et temporels différents. À chaque fois, la question posée est celle de la possibilité de l’interprétation et du marxisme. Cependant, avec l’avènement de l’ère Reagan et l’adoption de brutales mesures néolibérales (à commencer par le plan Volcker et la répression de la grève des contrôleurs aériens), la gauche américaine (et mondiale) subit de plein fouet un brutal retournement de conjoncture. C’est cette situation politiquement neuve que Le Postmodernisme tente de penser, d’une part, en la replaçant dans une perspective historique, culturelle et politique de plus longue durée, et surtout, d’autre part, en faisant du postmodernisme une « hypothèse de périodisation » et en le définissant non plus comme simple courant artistique ou culturel, mais comme une période nouvelle.
Se pose donc la question de la validité des catégories d’analyse développées dans ses textes précédents, à commencer par celle de l’impératif sur lequel s’ouvre L’Inconscient politique : « Historicisez toujours ! ». Comment historiciser quand partout autour, il n’est question que de fin des grands récits et de fin de l’histoire ? De triomphe définitif du marché ? Quand la gauche est en lambeaux ? Jameson apportera la réponse suivante, qui conserve toute sa validité dans ses œuvres les plus récentes : en reconnaissant cette défaite tout en redéployant un projet dialectique, spatialement réorienté. En montrant que tous les symptômes du postmoderne, la multiplicité, la dispersion, la spatialité, le déclin de l’affect, l’absence de profondeur peuvent être saisis comme le « moment de vérité » du postmoderne, donc utilisés pour construire un concept du postmoderne. Postmoderne qui n’est lui-même pensable que par rapport à ce qu’il nie. Ainsi, en remettant en œuvre la dialectique de la différence et de l’identité, de la continuité et de la coupure, de l’histoire et de la structure. En un mot, tout comme auparavant pour les textes littéraires, il s’agira de faire violence à des objets qui se présentent comme autosuffisants, autonomes et anhistoriques, de les juxtaposer à leur terme opposé, non pour rétablir le modèle de la profondeur en arguant que toute cette planéité n’est qu’apparence, mais, dans un univers spatialisé ou dans le système mondial réalisé, pour contrer une apparence par une autre apparence, une surface par une autre surface, et par là même restaurer une part de praxis, fût-elle seulement intellectuelle ou symbolique. Praxis qui, pour l’interprète, se présente sous l’aspect de l’étrangisation (estrangement), concept qui comprime tous ensemble l’ostranenie des formalistes russes et le Verfremdungseffekt brechtien, et qui par les décalages et les renversements qu’il produit, dialectise les objets et leur saisie, les met en mouvement et en action, les arrache à leur lieu « propre » et défait les effets de nature dont eux comme nous sommes les porteurs.
On peut donc dire, pour conclure, que Jameson est le praticien et le défenseur d’un marxisme hétéroclite, syncrétique et amphibie, et qu’à ce titre, il était particulièrement bien armé pour survivre à une longue période de défaite et de réaction. Contraint dès le début de s’accommoder d’une situation hostile, viscéralement anti-dogmatique, il envisage le marxisme non pas seulement comme une doctrine, ni comme une tradition, mais comme un site irréductible à ses manifestations particulières : le marxisme « n’est que le lieu d’un impératif de totalisation, et les diverses formes historiques qu’il a revêtues peuvent également et de la même façon être critiquées pour leurs limites idéologiques locales ou pour les stratégies de contention qu’elles ont déployées » (IP, p. 39). En tant qu’impératif de totalisation, il accorde une validité sectorielle aux différentes théories ou langages dont il fait ses matériaux bruts, il les absorbe tout en leur reconnaissant une autonomie relative, il joue sur des juxtapositions, des renversements, des élargissements, des changements d’échelle et des dynamiques interprétatives à géométrie variable, mais maintient comme horizons ultimes (ou, ainsi que Jameson le dit aujourd’hui, comme « absolus ») l’histoire de la lutte des classes et le mode de production. Ces horizons (par opposition à des « fondements ») remplissent une fonction de cadres et de stabilisateurs théoriques, et empêchent à chaque instant le texte jamesonien de basculer dans un pur et simple perspectivisme ou dans un jeu sans fin de déconstruction des dualismes, même s’il partage avec Derrida (et Nietzsche) l’hostilité à tout « binôme » et le goût de la processualité. C’est précisément en vertu de ces horizons – dont le statut n’est du reste pas sans poser problème – que le marxisme de Jameson, si syncrétique soit-il, n’est pas réductible à un pluralisme libéral, ni à un dialogisme théorique, ni à une forme quelconque d’interdisciplinarité : il s’agit en vérité d’un site de production des antagonismes. C’est pour cela aussi que, à un moment où le mot « marxisme » semble ne plus être seulement une insulte, à un moment où d’autres tentent de s’approprier des aspects du marxisme pour les subsumer dans des projets conversationnels ou des théories de la reconnaissance, cette œuvre ouverte mais fondamentalement conflictuelle pourrait n’être pas dénuée d’utilité.
à voir aussi
références
⇧1 | Dans l’ordre de publication : La Totalité comme complot. Conspiration et paranoïa dans l’imaginaire contemporain, trad. N. Vieillescazes, Paris, Les Prairies ordinaires, 2007 ; Le Postmodernisme, ou la logique culturelle du capitalisme tardif, trad. F. Nevoltry, Paris, Beaux-Arts de Paris, 2007 (rééd. poche, 2012) ; Archéologies du futur. Le désir nommé utopie, trad. N. Vieillescazes et F. Ollier, Paris, Max Milo, 2007 ; Penser avec la science-fiction. Archéologies du futur 2, trad. N. Vieillescazes, Paris, Max Milo, 2008 ; Fictions géopolitiques, trad. J. Verraes et N. Vieillescazes, Paris, Capricci, 2011 ; L’Inconscient politique. Le récit comme acte socialement symbolique, trad. N. Vieillescazes, Paris, Questions théoriques, 2012. |
---|---|
⇧2 | Ce que Jameson rappelle dans l’avant-propos à l’édition française de L’Inconscient politique, p. II. |