Lire hors-ligne :

Un recueil de textes d’André Tosel intitulé Le fil de Gramsci. Politique et philosophie de la praxis a paru en novembre dernier aux éditions Amsterdam, dans une édition préparée et préfacée par Vincent Charbonnier. Cet ouvrage représente une contribution importante à une bibliographie française consacrée au révolutionnaire italien qui ne cesse de s’étoffer – signalons notamment l’ouvrage collectif coordonné par Yohann Douet paru en 2021 aux Editions sociales – mais qui reste pauvre en monographies.

On peut penser que ce manque reflète et reproduit tout à la fois le statut paradoxal, certainement unique pour le dirigeant communiste et théoricien marxiste qu’il fut, qui est le sien aujourd’hui, en particulier en France, celui d’un auteur immensément plus cité que véritablement lu, objet d’appropriations en tout genre et couvrant la quasi-totalité du spectre intellectuel et politique. 

Ce recueil offre un aperçu du travail qu’André Tosel a mené sur Gramsci, dont il fut en France le spécialiste incontesté, tout au long de sa vie et qui a abouti à son ouvrage-somme Etudier Gramsci. Pour une critique continue de la révolution passive capitaliste (Paris, Kimé, 2016), paru peu avant son décès, le 14 mars 2017. Nous publions à cette occasion, avec l’aimable autorisation de l’éditeur, un extrait de l’ étude de Vincent Charbonnier qui sert de préface à l’ouvrage. 

Quoique Antonio Gramsci (1891-1937) soit devenu une véritable figure de la pensée internationale et que les études consacrées aux Cahiers de prison ne cessent de s’accumuler, surtout en Italie et dans le monde anglophone – composant une bibliothèque en permanente expansion, la pensée du co-fondateur du Parti communiste d’Italie demeure affectée, en France tout particulièrement, d’une « célébrité restrictive ». Nonobstant les nombreux travaux qui lui ont été consacrés, et dont certains demeurent encore aujourd’hui des références[1], Gramsci demeure toujours « ce célèbre inconnu » qu’il faut « libérer de la prison de l’ignorance où il croupit », écrit André Tosel (1941-2017) en ouverture de son dernier livre anthume, Étudier Gramsci[2].

Cette requête est d’autant plus fondée qu’il s’agit en même temps d’une invitation à effectivement étudier Gramsci et que Tosel a consacré une part essentielle de son activité intellectuelle et militante à travailler (sur) l’élaboration du penseur sarde. De ce point de vue, ce travail sur Gramsci constitue un véritable fil rouge – ainsi que le décrit Goethe – du cheminement intellectuel de Tosel, un travail qui a d’autre part et plus largement contribué à ouvrer l’ensemble de sa réflexion. Si, au point de vue strictement chronologique, Spinoza et Marx ont précédé Gramsci comme fils de la réflexion de Tosel, et l’ont sans doute nourri de manière récursive, le fil de Gramsci possède toutefois une conductivité plus substantielle pour et dans la réflexion de Tosel, et se « ressent » – au sens du « tout conspire » chez Leibniz – des deux précédents (Spinoza et Marx) auxquels il est intimement noué[3].

Aussi, cet « œuvrage » de Tosel sur la pensée de Gramsci est-il plusieurs fois singulier. Il l’est d’abord parce qu’il a toujours été remis sur le métier finalement, ainsi que le montre avec éclat son dernier ouvrage, Étudier Gramsci et ensuite parce qu’il a été (main)tenu avec une opiniâtreté, qu’il faut saluer, en raison d’une conjoncture théorique et politique difficile pour le marxisme en France à partir de la fin des années 1970, qui en ont fait vaciller plus d’un·e, de l’amende (honorable) au reniement, en passant par l’abandon pur et simple.

Singulier, cet « œuvrage » l’est aussi parce qu’il a débuté au moment où la figure de Gramsci s’effaçait de la scène théorico-politique et où débutait, ironie de l’histoire, la publication de la traduction intégrale des Cahiers de prison[4]. Singulier encore parce que cet « œuvrage » est en fait le produit inopiné d’une réponse à la proposition initiée par Louis Althusser au milieu des années 1960, d’un « recommencement » de la philosophie du marxisme, une réponse qui a conduit Tosel à progressivement mobiliser la pensée de Gramsci grâce à l’appui d’un « philosophe discret mais décisif », en la personne d’Éric Weil, sur l’importance duquel on va revenir.

Singulier, cet « œuvrage » l’est enfin par son « style » de problématisation. Tosel s’est en effet toujours efforcé d’articuler un registre didactique, visant à restituer la richesse et l’ampleur de la pensée de Gramsci, et un registre, indissociablement analytique et prospectif, visant à (re)penser et à comprendre le capitalisme mondialisé, financiarisé et liquide – ou plutôt visqueux[5] – de notre époque depuis la fin de ce « court 20e siècle » (1989), avec la question de l’émancipation pour horizon[6].

Ce « style » de problématisation qui veut combiner les dimensions didactique, analytique et prospective – lequel est particulièrement sensible dans le dernier ouvrage publié de son vivant Étudier Gramsci[7] –, est sans doute ce qui caractérise le mieux l’idée selon laquelle la pensée de Gramsci constitue un fil conducteur de l’élaboration de Tosel. Avant de revenir un plus précisément sur son dernier livre publié avant sa brutale disparition en mars 2017, on voudrait tout d’abord esquisser une problématisation de ce fil, en insistant sur la manière, elle aussi singulière, par laquelle Tosel a rencontré l’élaboration de Gramsci et sur la manière, encore une fois singulière, dont il s’est approprié et a restitué la substance.

(…)

Un « recommencement » singulier du marxisme

(…) La « réponse » de Tosel à l’intention formulée par Althusser dans les années 1960 d’un nécessaire « recommencement » de la philosophie du marxisme est consignée dans une étude importante, que l’on a déjà évoquée auparavant, « Le matérialisme dialectique “entre” les sciences de la nature et la science de l’histoire », et dans laquelle Tosel articule un bilan critique de l’intention althussérienne avec la proposition d’un « matérialisme dialectique rectifié » qui prend acte de « l’impossibilité historique d’un certain marxisme[8] ». Le pivot de cette synthèse réside dans la critique de la déviation stalinienne du marxisme, et plus exactement dans la critique de « cette forme de matérialisme dialectique qui a été le ciment du stalinisme[9] ».

Car il ne suffit pas, en effet, de simplement et sincèrement récuser le Dia-Mat stalinien, il convient aussi de le spécifier historiquement, d’en évaluer l’ordre des raisons et d’en apprécier la consistance théorique autant que l’efficace politique, en n’occultant pas le fait, sans doute désagréable, que la première formulation historique du matérialisme dialectique par Engels lui-même n’était pas totalement exempte de propositions instables ou contradictoires, versant plus ou moins explicitement dans une néo-métaphysique matérialiste[10].

La proposition de Tosel donc est de repenser le matérialisme dialectique sur le mode d’un tissu conjonctif qui noue, « sans impérialisme ni prévarication », l’ensemble des savoirs : les sciences « doivent être envisagées et dans leur teneur logique propre, et comme aspect et moment de la pratique sociale » ; comme science de l’histoire, le matérialisme historique « étudie les formes concrètes d’appartenance des sciences à la pratique sociale » et le matérialisme dialectique « analyse ce qui constitue le tissu théorique commun et transformable à un moment historique déterminé »[11].

Cette proposition va conduire Tosel à opérer un déplacement décisif, un « glissement » vers le thème gramscien de la « philosophie de la praxis », qui n’est pas seulement ni simplement une reformulation lexicale destinée à déjouer la censure fasciste, mais, plus fondamentalement, l’affirmation de la possibilité d’une refondation du marxisme. C’est de ce « glissement » dont témoigne Praxis (1984) qui, bien plus qu’une compilation de textes, est un recueil au sens fort du terme, une « synthèse cathartique » pour reprendre une formule ultérieure de Tosel dans Étudier Gramsci, qui noue plusieurs fils décisifs de sa réflexion. Ce recueil est la restitution raisonnée d’un cheminement théorique qui est simultanément la chronique d’un « déplacement » du centre de gravité de sa réflexion, la chronique d’un élargissement et d’un décentrement de sa perspective initiale, d’Althusser vers Gramsci, sans que son point de départ chrono-logique ne soit renié[12].

La jouvence italienne du marxisme

Ce cheminement critique s’est déployé sous les auspices du marxisme italien lequel a développé une contribution originale, indissociablement historique, philosophique et politique, dont l’élaboration de Gramsci constitue la ressource majeure. Au sein de cette contribution, Tosel a plus particulièrement individualisé la question de l’État et de sa transformation démocratique, c’est-à-dire la double et indissociable question de l’hégémonie et de l’action[13]. La novation de la contribution italienne réside dans une réélaboration ambitieuse de la théorie marxiste selon la modalité cardinale d’une traduction, ou mieux, d’une tradu(a)ction[14] qui tient compte de l’histoire concrète de la théorie, de son inégal développement, en particulier pour ce qui concerne la théorie matérialiste historique de la politique[15].

Le nœud de cette problématique, récurrente pour la théorie marxiste, se cristallise dans le double fétichisme dont l’État est l’objet, puisque le réformisme en fait « une sphère au-dessus de la société de classes » tandis que « le gauchisme maximaliste l’identifie immédiatement à la volonté de classe, aujourd’hui bourgeoise, demain prolétarienne ». Or, « envisagé comme pure volonté politique ou comme instrument de violence pure », l’État n’est, dans les deux cas, jamais compris « dans l’étendue de son lien aux rapports de production capitaliste[16] » : le fascisme a par exemple montré que l’État bourgeois « médiatise sa propre violence de classe par les moyens de la légitimation consensuelle, les fameux appareils d’hégémonie[17] ». Rejetant toute conception instrumentale de l’État, Gramsci insiste par conséquent sur la nécessité vitale pour la classe des producteurs de construire la capacité de créer un « ordre nouveau » (ordine nuovo), en se faisant tendanciellement État et surtout en se l’appropriant, c’est-à-dire en le transformant, « en construisant un rapport nouveau entre intellectuels et peuple, entre dirigeants et dirigés[18] ». Cela implique dès lors de transformer les modalités historiques du processus révolutionnaire, qui doit s’envisager sur le mode d’une « réforme intellectuelle et morale » de masse.

Pour Tosel, cette réflexion sur la théorie politique du matérialisme historique a une fonction propédeutique, puisqu’elle est la ressource de sa proposition d’une refondation du marxisme grâce et par la philosophie de la praxis. Une première ébauche de cette proposition est fournie par une étude simultanément publiée en italien et en français, « Philosophie marxiste et traductibilité des langages et des pratiques »[19], dont le motif sera développé dans une série d’études ultérieures consacrées à Gramsci, parmi lesquelles, deux sont particulièrement remarquables. La première est sa présentation à la troisième anthologie refondue des textes de Gramsci en français publié en février 1983 aux Éditions sociales, « Gramsci ou la philosophie de la praxis comme marxisme de la crise organique du capitalisme », et la seconde, qui en est le prolongement, est un article de synthèse publié dans La Pensée en octobre de la même année : « Gramsci, philosophie de la praxis et réforme intellectuelle et morale »[20].

Dans la continuité de son étude sur la traductibilité des langages et des pratiques, publiée en 1981, Tosel caractérise le marxisme de Gramsci comme une traduction de la science du mode de production capitaliste et de ses possibilités de développement en « science-action ». Les forces productives ne sont plus « considérées comme élément objectif d’un champ objectif extérieur, mais comme forces dotées simultanément d’une dimension subjective, d’une capacité potentielle d’intervention active leur permettant de transformer ce champ selon ses possibilités[21] ». Or, les producteurs sont enchaînés par un « sens commun » qui ne leur permet pas de saisir le caractère crucial de leur position dans le procès de production ni son inadéquation par rapport à leurs besoins, une position dont ils ressentent pourtant, quoique confusément, le caractère d’inutile servitude. Il y a donc, pour Gramsci, une « lutte de classe qui déjà existe » et dont il se demande comment la transformer en « forme de rationalité [supérieure][22] ».

Cette question concerne aussi le marxisme qui doit s’interroger sur la difficulté de sa propre compréhension par les masses, c’est-à-dire vaincre les résistances du sens commun, « non pas en leur apportant de l’extérieur une vision alternative du monde, un système idéologique clos, mais en les mettant en mesure de former leur propre conception du monde social, de sa structure, de la place qui leur incombe, de la fonction qui leur est assignée. » Il s’agit, poursuit Tosel, « d’un processus de compréhension modificatrice par lequel le “sujet” qui s’approprie le savoir de son monde et de sa place, se transforme et se rend à même, tout en se modifiant, de modifier le système de rapports où il figure »[23].

Trois complications émergent en ce point.

Une première dans le fait que ce processus d’appropriation du marxisme a fragmenté la « synthèse marxienne » en un marxisme de masse qui, s’il a été utile pour former une conscience de classe élémentaire, est toutefois demeuré insuffisant et inadéquat pour faire de cette conscience, « l’instance civilisatrice régulatrice et dirigeante de toute la vie sociale[24] ». La diffusion du marxisme par les organisations du mouvement ouvrier, le « marxisme » des manuels, des ouvrages de vulgarisation, etc. – ce que Gramsci a considéré comme le vecteur d’un « illuminisme de masse » –, a été limité par le fait qu’il s’est ainsi coupé des formes sophistiquées de la théorie et de ses porteurs.

Une seconde complication réside dans le fait que « la haute culture bourgeoise » a été aussi « capable d’une opération complexe de “traduction”-désagrégation », filtrant les « éléments compatibles avec sa propre hégémonie[25] », administrant la preuve de son extraordinaire capacité d’intégration, de la formidable plasticité de son cosmos et du mode de production capitaliste qui en est au fondement. Ce point est particulièrement souligné par Gramsci dans une note de ses Cahiers de prison, que Tosel citera quelques années plus tard en liminaire de son premier ouvrage consacré à la question de la mondialisation capitaliste[26]. Gramsci écrit : « La révolution apportée par la classe bourgeoise à la conception du droit et donc à la fonction de l’État consiste spécifiquement dans la volonté de conformisme […]. Les classes dominantes antérieures étaient essentiellement conservatrices en ce sens qu’elles ne tendaient pas à assimiler, à élaborer un passage organique des autres classes à elle-même, à élargir leur sphère de classe “techniquement” et idéologiquement, conception d’une caste fermée. La classe bourgeoise se pose elle-même comme un organisme en continuel mouvement capable d’absorber toute la société, l’assimilant à son niveau culturel et économique : la fonction de l’État dans son ensemble est transformée. L’État devient “éducateur”, etc.[27] »

Une troisième complication, la plus compliquée sans doute, réside dans la recomposition du marxisme engagée par Lénine à l’occasion de la Révolution d’Octobre. Pour Tosel, Lénine a compris que « l’analyse des rapports de production n’est pas une fin en soi » et qu’elle n’a de sens que si elle forme, solidairement, « une initiative politique, une initiative de la volonté sur le terrain des rapports politiques et culturels[28] ». C’est sur cette base que les classes subalternes ont pu être organisées en « force de rupture de l’ancien État, et enclencher le processus de domination des rapports sociaux par les capacités intellectuelles des producteurs, rassemblés autour de leur intellectuel collectif, le parti. » Telle est, conclut Tosel, la leçon à réfléchir et à poursuivre, à rendre féconde dans la période de “crise organique” du capitalisme occidental.[29] » Cependant, et en accord avec Gramsci, Tosel estime que Lénine n’a pas pu correctement réfléchir sa recomposition du marxisme et qu’il est demeuré tributaire d’un marxisme inadéquat, concevant ce dernier, à la suite de Plekhanov – son « maître » en philosophie – comme l’union d’une science naturelle et d’une philosophie matérialiste (matérialisme historique + matérialisme dialectique)[30].

Pour une Réforme intellectuelle et morale

L’ensemble de ces questions constitue l’arrière-plan théorique et le point de départ de l’élaboration de Gramsci. Il s’agit de réaliser la théorie marxiste comme forme supérieure de la culture et de la rendre capable de penser les processus où elle figure. Cette nouvelle formation se cherche sous le nom de « philosophie de la praxis » et s’investit sous la forme de la « science de la politique » adéquate à la construction de l’hégémonie. Elle trouve sa plus haute expression dans la thématique de la « réforme intellectuelle et morale », qui concerne les masses autant que le Parti, en tant qu’intellectuel collectif et « Prince moderne ». Une part importante de ce dernier devra, selon Gramsci, être consacrée « à la question d’une réforme intellectuelle et morale, c’est-à-dire à la question religieuse ou d’une conception du monde. […] Le Prince moderne doit et ne peut pas ne pas être le champion et l’organisateur d’une réforme intellectuelle et morale, ce qui signifie créer le terrain pour un développement ultérieur de la volonté collective nationale-populaire vers la réalisation d’une forme supérieure et totale de civilisation moderne.[31] »

Cette réforme intellectuelle et morale poursuit deux tâches étroitement imbriquées : la première est de recomposer le marxisme dans la sphère de la haute culture, et de transformer ses formes idéologisées au sein des masses ; la seconde est d’assurer la réduction tendancielle des oppositions dirigeants et dirigés, entre intellectuels et simples. Puisque ce qui existe est une combinaison de vieux et de nouveau, puisqu’il s’agit d’un équilibre provisoire, la tâche de la philosophie de la praxis est de construire pratiquement les formes et les conditions de l’hégémonie par la catharsis, c’est-à-dire « le passage de la phase économico-corporative à la phase éthico-politique ». Sur le plan théorique, la tâche est de « réinterpréter la “synthèse” de Marx dans cette perspective et de penser l’unité structure-superstructures sous la catégorie de “bloc historique”. Il s’agit donc de penser la médiation du moment économico-corporatif, le moment où « les masses commencent par s’identifier dans une critique rudimentaire de l’économie politique, [le moment] où elles accèdent à la conscience de leur intérêt économique de classe, violemment séparé, jaloux de sa différence », et du moment éthico-politique, « phase de la lutte […] qui est celle de la conquête du pouvoir d’État, et de la direction-transformation de toute la société.[32] »

Cette médiation du moment économico-corporatif au moment éthico-politique exige de complètement renouveler la façon de concevoir les rapports entre masses et intellectuels, entre dirigés et dirigeants, entre production et pouvoir. La réforme intellectuelle et morale est « le thème où s’articulent le mouvement réel et la théorie qui le guide, le procès de constitution du “bloc historique” et [celui] de la forme théorique adéquate à ce bloc (la “philosophie de la praxis”).[33] » Il s’agit d’un double procès de recomposition tendancielle du marxisme dans la haute culture comme “science de la politique” [et de] recomposition du marxisme des masses dans le sens de son élévation au niveau d’un marxisme plus cultivé, comme constitution des masses en instance dirigeante.[34] » Dès lors, le problème n’est plus tant celui « de la disponibilité du savoir », que celui « du mode de production d’un savoir qui est formateur de son auteur, qui n’est compréhension modificatrice de son monde d’objets que s’il est auto-compréhension, auto-modification de son sujet…[35] ».

La dimension « morale » de cette réforme ne concerne pas uniquement le sujet individuel sur le plan de sa conduite personnelle, mais plus largement la collectivité, au sens de la Sittlichkeit (« éthicité ») chez Hegel, de l’élaboration d’une moralité objective, c’est-à-dire l’élaboration d’un ensemble de normes ou de schèmes d’action qui cristallisent une forme de rationalité supérieure, visant ainsi une certaine universalité[36]. La réforme intellectuelle et morale vise le changement de constitution et de conception du savoir de la politique, dont l’enjeu est simultanément anthropologique et politique puisqu’il s’agit d’unifier tendanciellement le genre humain en lui donnant les moyens théoriques et pratiques de construire son émancipation.

Cette réforme doit par ailleurs s’appliquer au réformateur lui-même. C’est la question du parti, « Prince moderne », qui doit être l’appareil de tradu(a)ction de l’hégémonie politique des producteurs en fait culturel et moral. Rappelant l’origine aristotélicienne du concept de catharsis, et en particulier sa connotation de purgation et d’objectivation des passions, Tosel ajoute qu’il faudrait aussi s’interroger sur « la dimension pédagogique »[37] et même « esthétique » de l’hégémonie qui « est discipline, direction rationnelle et raisonnable de la spontanéité passionnelle. » Le parti politique et l’État réformateur jouent ce rôle par rapport « à l’instinctualité de leur base de masse » mais qui, sans cette base, ne sont rien, puisque, comme Hegel l’a dit, « rien de grand ne se fait sans passion, sans passion éduquée, dirigée, hégémonisée comme Raison. On a là aussi, poursuit Tosel, la base d’une morale politique, militante, qui est une curieuse transposition de stoïcisme : se rendre maître de ce qui dépend de nous, discipliner, diriger par le principe de “l’hegemonikon”, la raison directrice[38] ».

Cette réforme est enfin solidaire d’une véritable réforme économique, autrement dit d’une révolution des rapports sociaux, en particulier des rapports de production capitalistes, se délivrant aussi comme une socialisation simultanée de la politique et de l’économique qu’elle peut alors réunifier. Pour Tosel, la réforme intellectuelle et morale est par conséquent la pointe fine de la reformulation du marxisme en philosophie de la praxis et Gramsci un « théoricien révolutionnaire » qui « projette les catégories de la « science » marxienne dans la perspective d’une science-action où la thématique de la formation d’une volonté politique nationale-populaire est comme reconquise sur une interprétation déterministe de la critique de l’économie politique, et assurée contre toute dérivation des superstructures politiques et culturelles à partir de la structure économique[39] ».

La refondation du marxisme par la philosophie de la praxis

On l’a déjà souligné, le syntagme « philosophie de la praxis » dont use Gramsci dans ses notes de prison n’est pas simplement un artifice lexical pour déjouer la censure fasciste[40]. La philosophie de la praxis cristallise le « bilan d’une tradition » et doit s’entendre comme « un essai de transformation du paradigme même de rationalité théorique et pratique », un essai que, souligne Tosel dans sa longue conclusion de Praxis[41], Gramsci a tenté « à l’écart de de la tradition théorique dominante (Engels, Plekhanov, Lénine, Staline)[42] ». La philosophie de la praxis n’est donc pas une philosophie « à côté des autres, déjà dotée d’un contenu déterminé » mais une philosophie qui se conçoit comme « une transformation du rapport à la philosophie, aux sciences et à la pratique sociale[43] ». Il s’agit d’une philosophie qui pense « sa dépendance à la praxis en se donnant la responsabilité de penser les limites de la pensée actuellement disponible, comme limites du monde existant, d’un monde qui n’est pas donné, dans un tableau spéculatif, fût-il matérialiste, mais d’un monde transformable, aux limites déplaçables, d’un monde qui reste à “concevoir” au sens actif, génétique, voire génésique du terme, et à constituer théoriquement et pratiquement ». Ces formulations, observe Tosel, sont solidaires d’une « perception très aiguë de la pluralité des logiques spécifiques des niveaux matériels. Elles interdisent toute projection récurrente sur un fond cosmique hypostasié des propriétés qui ne valent que pour un niveau du réel[44] ».

Conformément au thème de la réforme intellectuelle et morale, la visée de la philosophie de la praxis est de montrer que « la conquête marxiste d’une vision “scientifique” de l’histoire porte en elle la possibilité d’une innovation dans la structure et le concept du savoir. » Il ne s’agit pas de circonscrire exactement le marxisme mais de « penser et [de] résoudre, selon une précieuse indication [d’Antonio] Labriola, le problème de la défense et du développement du contenu de la “scientificité” propre du marxisme, hors de tout mécanisme économiste (qu’il soit scientifique ou philosophique).[45] » Il ne s’agit évidemment pas de nier la scientificité du marxisme mais de souligner au contraire la portée de cette nouvelle conception de la scientificité soutenue par l’entreprise marxienne de la critique de l’économie politique. C’est ainsi que « pour Labriola, note Tosel, le noyau originaire du concept de praxis est celui du travail, mais d’un travail compris de manière élargie, intégrant le développement des aptitudes mentales et opératoires, les modes de vie, les institutions, l’État, les Églises, la tradition historique[46] ».

Cet élargissement n’est pas une dissolution du matérialisme ni de la dialectique, mais plutôt le nœud de leur réarticulation, dans cette praxis, « comme deux pôles s’appelant réciproquement dans un même champ de tension ». Matérialisme : la production et le travail demeurent, comme « échange organique avec la nature » (Stoffwechsel), une transformation des choses naturelles, une « nécessité naturelle et inaliénable avec son instrumentalité propre ». Cette « matière » objective ne sera cependant jamais « un autre soi, un alter ego, mais un Autre, un non-identiquenon intégralement réductible à l’identité de l’esprit et de la volonté humaine[47] ». Matérialisme historico-dialectique : ces matériaux de la nature retournent élaborés aux hommes comme objets socialement produits « selon la forme de rapports variables et contradictoires. » Dialectique : les hommes peuvent « identifier et s’approprier les légalités naturelles à travers la forme de leur praxis. » L’échange organique avec la nature constitue bien à ce niveau une « seconde nature, intérieure », dont la régulation rationnelle n’est pas inenvisageable. Ici, « la praxis médiatise les lois causales mécaniques et chimiques, par des finalités finies sans téléologie providentialiste[48] ».

Forme de médiation entre instruments, objets, travailleurs et but, la praxis est un « processus de formation et de transformation des limites de ce monde, dans le sens d’une possibilité immanente de maîtrise de la nécessité propre à la production par une sphère ou niveau communicationnel et institutionnel que l’on peut nommer éthico-politique (praxis au sens antique et restreint du terme)[49] ». Tosel peut alors souligner que le terme de praxis est recours à un concept majeur de la tradition philosophique, signifiant une « action juste, belle et bonne accomplie par les libres citoyens gérant leurs affaires dans la cité des égaux ». Il insiste également sur le fait que ni Marx ni Gramsci n’invalident la sphère de l’action mais la refondent plutôt « en ne l’opposant plus à la gestion de l’échange organique avec la nature (production), mais en la pensant dans son articulation à cet échange, considérant que sa forme sociale capitaliste de cet échange porte avec elle la possibilité de faire cesser la nature servile du travail[50] ».

La philosophie de la praxis développe ainsi une conception de l’action aux antipodes de celle, uni-causale et technologico-instrumentale, de la tradition du matérialisme dialectique, de sorte que « la problématique de la praxis exclut la compréhension de l’action comme application technique de la connaissance ». Elle permet en outre de comprendre comment « la sphère des rapports sociaux de production, analysée comme conséquence inintentionnelle de la totalité des rapports de ses agents, libère la possibilité d’agents mis à même de prendre conscience de leurs besoins sociaux et de concevoir une action stratégique d’expérimentation des possibles, de transformation de la situation[51] ».

Les ouvertures d’une refondation

Ce choix de la philosophie de la praxis conduit alors Tosel à entreprendre un retour critique sur deux « questions-problèmes » qui sont aussi des ouvertures possibles de ce « recommencement du matérialisme historique dans le sens de la constitution d’un bloc historique et de l’analyse des conditions de ce bloc aujourd’hui [en juin 1984][52] ».

La première concerne Lénine et le léninisme. Tosel forme l’idée que la critique de Boukharine par Gramsci dans les Cahiers de prison[53] peut être lue comme la critique indirecte de la philosophie de Lénine : « la proposition de la philosophie de la praxis se veut la forme théorique du marxisme adéquate au meilleur Lénine, au théoricien politique et au constructeur de l’hégémonie », celui qui s’autocritique et qui « discute son objectivisme, son matérialisme plekhanovien en cherchant dans la dialectique l’organe théorique de la saisie de la complexité et de la pluralité des niveaux du réel » saisi dans la perspective de sa « transformation hégémonique[54] ». Si le Dia-Mat est un produit historique, « un résultat et un moment d’une tradition » canonisé dans Matérialisme dialectique et matérialisme historique publié par Staline en 1938, il relève en réalité d’une tradition « déjà connue comme le présupposé commun des acteurs des débats philosophiques des années 1920-1930 en URSS[55] ». Et en deçà des années 1920, cette tradition passe par Lénine, non pas celui des Cahiers philosophiques sur la logique de Hegel, que celui de Matérialisme et empiriocriticisme. Tosel ajoute que cette tradition remonte à la Deuxième Internationale et « à celui que Lénine a considéré jusqu’au bout comme son maître en philosophie, par-delà les oppositions politiques, à savoir Plekhanov[56] ».

La seconde « question-problème » concerne la question de la morale dans le marxisme, ce qui nous renvoie d’ailleurs aux réflexions d’É. Weil. « Une chose est sûre, écrit Tosel, le “matérialisme dialectique” ne peut plus être la forme théorique d’un marxisme adéquat aux complexités d’un réel » ni adéquat « aux exigences d’une nouvelle science de la politique qui prenne au sérieux l’exigence de la démocratie “jusqu’au bout” ». Ce « matérialisme dialectique » ne peut plus être la forme théorique d’un marxisme adéquat « aux impératifs d’une nouvelle pratique politique », laquelle ne peut plus fonctionner « à l’instrumentalisation » mais « à la compréhension modificatrice de ses agents », c’est-à-dire, « à l’effort incessant de subjectivation et d’autonomie[57] ». Si ces remarques sont sans doute conjoncturelles et implicitement adressées au PCF – dont Tosel est encore membre à cette époque –, elles possèdent également une dimension plus structurelle, théorique et politique, renvoyant précisément à la problématique de l’autonomie.

Considérant que le système des normes et de conduites est lié à un état historiquement déterminé des rapports sociaux de production, toute une partie de la tradition marxiste a pu en effet être tentée de subtiliser la morale comme un « effet de superstructure » et la confondre sans reste avec le moralisme, en procédant ainsi « au rejet total de l’idéologie du “sujet” juridico-moral » et en donnant « une “explication” idéologique de la morale ». Or la lutte, politique comme économique, implique que l’autonomie est « bonne », non pas seulement comme « but de la société à construire, mais comme instance déjà agissante », de manière immanente[58].

Citant une étude d’Agnes Heller sur l’héritage de l’éthique marxienne qui revendique l’idée que l’autonomie marxiste renvoie à Kant et à Spinoza[59], Tosel rappelle d’abord qu’être autonome c’est vivre sans puissance ni autorité extérieure au-dessus de soi. Il souligne ensuite que « le procès historique de formation de l’espèce est régi par le passage de la causalité in alio [en un autre] à la causa sui [cause de soi, par soi-même] (relative, certes) ». Les normes morales sont donc à critiquer « pour autant qu’elles s’érigent comme les structures incomprises de la nature sociale (marché, procès de production, État ou autorités supérieures)[60] ». Mais « il ne revient pas au même de faire de l’autonomie un but et un résultat, et de formuler une théorie du devoir. » Et Tosel d’insister sur ce paradoxe que la lutte politique de classes, qui se donne pour fin la construction d’une communauté de libres individus, n’exige « aucun principe moral » au sens où « elle se borne à obéir à la logique des rapports de force » et à « user de la contre-violence pour riposter à la violence secrétée par l’objectivité des rapports sociaux de production », l’autonomie étant « libérée à la fin, après la destruction des autorités extérieures (les rapports sociaux comme nature coercitive, l’État qui leur correspond)[61] ».

Une telle négation de l’instance éthique est en fait la doublure – comme un vêtement – du providentialisme historique, car, non seulement la libération est (serait) assurée, mais elle est (serait) inéluctable puisqu’il suffi(rai)t de « développer le cours de cette action, en tenant compte de ses contraintes instrumentales propres », muni de l’assurance que son cours permet à ses agents « de rejoindre sa fin », c’est-à-dire la libération[62]. Le prix d’une telle position est toutefois d’une « lourdeur effroyable », note Tosel, puisque « si le prolétariat et son représentant, le parti, n’a pas à se donner la peine inutile […] de réfléchir comme obligation morale la tâche de sa libération, qui est celle de l’humanité, s’il est assuré que le cours de l’histoire [la] produit nécessairement », il est alors « dispensé de toute obligation morale. » Son action politique est par conséquent « méta-éthique », d’où il s’ensuit que, pour le prolétariat, « la seule morale possible » est « l’intelligence de son intérêt de classe » relié à « la fin éthique suprême » coïncidant avec la stratégie du parti qui dirige sa lutte. S’hypostasiant en « autorité extérieure », l’intérêt de classe y assujettit les membres du parti, qui se transforme alors en « impératif catégorique[63] ».

La philosophie de la praxis est donc affrontée à une exigence théorique qui est aussi une tâche politique : élaborer une théorie de l’obligation morale puisque « l’histoire tragique du socialisme montre que toute dérobade ne peut qu’aggraver la question morale du marxisme[64] ». La difficulté réside dans le fait qu’il faut répondre à cette exigence sans pour autant capituler devant un moralisme aussi médiatique et intéressé à suffoquer la véritable discussion, en particulier dans un contexte historique marqué, au début des années 1980, par l’épuisement de plus en plus perceptible du « communisme historique » à l’Est de l’Europe, et par l’influence croissante de dispositifs théoriques tels celui de l’agir communicationnel d’Habermas, qui se présentait aussi comme une rénovation « raisonnable » du marxisme visant clairement à l’hégémonie, à l’Ouest. À rebours de celles et ceux qui, pour le marxisme, n’envisagent la question de la morale que comme l’inextinguible amende des crimes du « communisme historique » – un mauvais infini en somme –, et concurremment à l’entreprise d’Habermas, Tosel ne fétichise pas ce qui demeure une question mais s’en ressaisit plutôt par sa dimension génétique, celle de l’autonomie et de l’agir[65].

Cette réflexion sur la morale nous reconduit alors à la question politique et plus précisément à deux catégories majeures de l’élaboration de Gramsci, l’hégémonie et la révolution passive, qui se réfractent dans la double problématique de la volonté et de l’action. C’est ainsi que, dans son étude consacrée à la question du jacobinisme chez Gramsci, Tosel note que ce dernier « n’accepte pas la thèse selon laquelle la révolution n’est possible que sur la base de certaines prémisses propres à la seule société capitaliste développée. L’élément décisif est celui de la volonté qui sait façonner l’objectivité des rapports économiques et qui évite de se laisser engluer dans l’attente de la maturité à venir des temps révolutionnaires[66] ». C’est dire, par conséquent, que la volonté est praxis et que « la philosophie de la praxis prend au sérieux l’action : elle n’est pas reflet spéculaire et spéculatif d’une praxis immobilisée dans le passé de rapports de production qui auraient comme avenir le présent éternel de leur reproduction. Elle échappe à la conception traditionnelle (la tradition de la science moderne) – fût-elle matérialiste – de la theoria qui se donne un objet à refléter et à manipuler[67] ».

Cette affirmation de la centralité de la praxis est au cœur de la « “réforme” [gramscienne] du matérialisme historique, centrée sur la critique de l’économisme et sur la réévaluation de la politique. » Gramsci s’affronte ici à l’énigme de « l’extraordinaire capacité de résistance du capitalisme » à laquelle il propose une réponse par le truchement de cette « réforme », celle de « la théorie de l’hégémonie, qui naît de la reconnaissance précise des formes et des modes de l’hégémonie bourgeoise et de son État élargi »[68].

Cette « extraordinaire capacité de résistance du capitalisme » peut en effet être lue comme une « révolution passive » puisque, si les classes dominantes dominent, elles semblent ne plus diriger, incapables qu’elles sont, désormais, « de faire de leurs intérêts de classe les vecteurs d’une nouvelle universalité », développant au contraire des « formes “réduites” » de celle-ci[69]. Tout cela invite donc à « une réévaluation du moment éthico-politique dans la structure de la philosophie de la praxis », dont la leçon, conclut Tosel, est que, en raison de la désagrégation du « “sujet” révolutionnaire […] sous les coups de la restructuration capitaliste » – signifiant en fin de compte une « menace radicale » de désassimilation de masse –, « l’intérêt pour la vie bonne et l’intérêt pour la simple survie coïncident à terme », ce qui « laisse la politique face à son défi, d’être acte de création ou de n’être rien[70] ».

Dans les termes de Gramsci, que Tosel cite en conclusion de son texte : « le politique en acte est un créateur ; il suscite, mais il ne crée pas à partir de rien et il ne se meut pas dans le vide trouble de ses désirs et de ses rêves. Il se fonde sur la réalité effective. Mais qu’est-ce que cette réalité effective ? Est-ce quelque chose de statique ou d’immobile ou n’est-ce pas plutôt un rapport de forces en continuel mouvement et en continuel changement d’équilibre ? Employer sa volonté à créer un nouvel équilibre des forces qui existent et agissent réellement, en se fondant sur cette force déterminée qu’on pense être progressive, et accroissant sa puissance pour la faire triompher, c’est toujours se mouvoir sur le terrain de la réalité effective, mais pour la dominer et la dépasser (ou contribuer à le faire). Le “devoir-être” est donc du concret, c’est même la seule interprétation réaliste et historiciste de la réalité ; le devoir-être est seulement histoire en acte, philosophie en acte, seulement politique »[71].

L’ensemble de ces réflexions reconduisent à la problématique de l’hégémonie (et de sa construction), laquelle reconduit à celle de la traductibilité des langages et des pratiques, qui est en l’opérateur d’effectivité. Ces problématiques sont appréhendées par le truchement de la question de l’américanisme en tant qu’il s’agit d’une transformation-rationalisation de la production capitaliste doublée d’une révolution anthropologique fondamentale. « Gramsci a toujours pensé le mouvement d’expansion des forces productives comme requérant une hégémonie, comme se formant en cette hégémonie même », affirme Tosel, qui ajoute : « les universels de la rationalisation n’ont une dimension hégémonique que s’ils passent l’épreuve de leur devenir langage commun comme des universels de communication et de reconnaissance réciproque par et dans les conflits[72] ».

Dès lors, l’hégémonie est elle-même pensée « sous l’analogie forte de la diffusion et [de la] constitution d’une langue nationale, commune. » Si donc, « la production se fait en quelque sorte langage », ce dernier n’est pas cependant « absorbé dans la production comme son moyen instrumental », mais conserve au contraire « sa nature de “medium” et ses propriétés d’espace d’individualisation commun »[73]. Au-delà du dualisme et de la dichotomisation des paradigmes de la production et de la communication (Habermas), Gramsci invite à rechercher l’idée d’une articulation forte entre le langage et les autres dimensions de la pratique[74]. Aussi, faut-il solliciter les réserves de sens propres à la philosophie de la praxis et mesurer ce que peut la thématique de la conception du monde entendue en sa dimension ontologique et non pas idéologique.

(…)

« Étudier Gramsci pour une critique continue de la révolution passive capitaliste »

(…) Ce nouveau cycle de travail sur la pensée de Gramsci, trouve sans doute son origine et son impulsion dans un regain des études gramsciennes en Italie avec, notamment, la publication de deux ouvrages issus d’un séminaire d’études initié par l’International Gramsci Society en 2000, auxquels Tosel tient « à reconnaître une dette inestimable[75] ».

La pièce maîtresse de ce nouveau cycle d’études est constitué, pour Tosel, par le dernier ouvrage publié de son vivant en 2016, Étudier Gramsci, dont il n’est évidemment possible de résumer ici, fût-ce en quelques lignes, la richesse et la profondeur, et pour la présentation desquelles je renvoie de nouveau à la note de lecture que lui a consacrée Isabelle Garo[76]. Plus modestement et plus brièvement je voudrais en souligner quelques éléments essentiels et qui le différencient de ses productions antérieures sur Gramsci.

D’une manière générale d’abord, par son exigence théorique et intellectuelle, cet ouvrage cherche à se démarquer d’un « Gramsci faible » et de tous ces « gramscismes » à la mode qui pullulent mais n’enrichissent pas toujours la réflexion sur sa pensée, que ce soit un Gramsci culturaliste, chez lequel l’hégémonie est réduite à l’idée de gagner la bataille des idées, ou encore, un Gramsci post-moderne, constructiviste intégral, grâce auquel on pourrait construire un « peuple » par le biais du discours en agrégeant des « demandes » autour de signifiants vides qu’on arrive à hégémoniser[77].

Étudier Gramsci est ensuite, et de manière complémentaire, un ouvrage « somme », au sens premier du terme, de ce « qui est au point le plus haut » (summa) et qui, ce faisant, vise une forme d’exhaustivité, sans toutefois être synonyme de clôture, au sens d’une mauvaise encyclopédie. Étudier Gramsci se présente ainsi sous la forme d’un « état des savoirs » et se caractérise également par la consistance de son propos, qui ne cesse de reprendre, tout au long de l’ouvrage, quelques-unes des catégories essentielles de sa pensée, telle la « révolution passive » ou encore l’« hégémonie ».

Concernant tout particulièrement cette notion, dont il est beaucoup fait usage aujourd’hui, Tosel prend soin de souligner combien la problématique qu’elle désigne est l’objet de distorsions qui en amenuisent la charge critique. Il montre surtout, que la problématique de l’hégémonie en est précisément une (problématique), qu’elle est infiniment plus complexe et raffinée que sa réduction à quelques formules ou slogans tend à le faire accroire. Tosel insiste aussi de manière continue et répétée sur le caractère historique et complexe de ce qui demeure un processus articulant plusieurs dimensions (économique, politique, militaire). L’hégémonie ne peut dès lors se réduire à une simple et pure domination mais exige plutôt « de se faire direction », d’être tout à la fois une orientation et une direction, une « orientation-direction » qui s’inscrit dans un rapport de forces, impliquant la construction d’un consensus actif et passif des groupes dominés et dirigés. Aussi, la problématique de l’hégémonie est-elle indissociablement liée à la problématique de la réforme intellectuelle et morale, et par extension, à celle des formes politiques d’organisation des masses : la construction du « Bloc historique » et les questions du Parti, « Prince moderne », et de l’État.

Ouvrage « somme », Étudier Gramsci l’est aussi parce qu’il est l’occasion, pour Tosel, de renouer plusieurs fils antécédents de son élaboration, sur la thématique de la re-mondialisation capitaliste par exemple, que la pensée de Gramsci a toujours nourrie, avec la problématique cardinale de l’hégémonie en particulier. « La grammaire générale de l’hégémonie, écrit ainsi Tosel, se dit et se concrétise dans la sémantique plurielle des déterminations géopolitiques qui sont autant de langues à traduire les unes dans les autres, sous l’opérateur de traduction qu’est l’hégémonie. Les oppositions structurelles entre les deux classes fondamentales, entre celles-ci et les autres classes, entre les dirigés et les dirigeants, entre les dirigés eux-mêmes, entre les masses subalternes et les dominants, entre les simples et les intellectuels, qu’ils soient traditionnels ou organiques, ne se limitent pas à se transformer selon périodes et à s’historiciser. Elles sont recouvertes ou plutôt incorporées dans des partitions spatiales, elles aussi affectées d’une historicité différenciée et transformable. » On pourrait parler, poursuit Tosel, « d’un matérialisme original, historique-géographique-culturel, esquissé par Marx, mais négligé ensuite jusqu’aux recherches de Henri Lefebvre, de Fredric Jameson, Immanuel Wallerstein et David Harvey. » Gramsci, conclut-il, « ouvre là un chantier immense que travaillent les anthropologues actuels anglo-saxons […] et qui oblige à revoir la notion européenne et occidentale d’universel. En ce sens, Gramsci innove radicalement dans le champ du marxisme du xxe siècle.[78] »

(…) Dire qu’Étudier Gramsci est une « somme » n’entend pas signifier qu’il s’agirait d’un ouvrage de « clôture ». Si la brutale disparition de Tosel l’a de fait constitué comme une sorte de « testament », au sens étymologique du terme de ce qui porte témoignage, il s’agit aussi d’un ouvrage prospectif et heuristique. En témoignent, de manière selon moi remarquable, les deux derniers chapitres consacrés à la question de la personnalité et de sa formation, qui soulignent la productivité, toute spinozienne finalement, de l’élaboration gramscienne pour penser le présent et le futur.

Dans le premier de ces deux textes, consacré à la question de « la survie en prison », Tosel insiste sur la portée générale de la réflexion de Gramsci relativement au processus de trans-formation « moléculaire » de la personnalité – y compris, donc sa dé-formation et sa ré-formation possibles –, en lien avec celle de la volonté collective. Il observe ainsi que « la catégorie de moléculaire et de transformation moléculaire est chargée d’une portée herméneutique et réflexive générale qui caractérise les Lettres et les Cahiers de la prison : il s’agit d’une métaphore de la méthode gramscienne qui permet de faire communiquer dans un espace de traductibilité la méthode de la connaissance et la méthode de la transformation du réel socio-historique[79] ».

Le second texte, qui prolonge le précédent, porte quant à lui sur « la dimension pédagogique propre au rapport d’hégémonie », qui recouvre « la question redoutable » des rapports de l’individuel et du social. Tosel écrit ainsi que, excluant leur opposition comme autant de « réalités séparées » ou de « substances distinctes », Gramsci propose un double mouvement de pensée, de l’individuel au social, et réciproquement, avec un double objectif, théorique et politique de « penser et d’œuvrer » tout à la fois à la formation « d’une volonté collective des masses subalternes devenues hégémoniques » et à celle « d’une personnalité humaine de masse s’harmonisant avec les singularités individuelles.[80] » Cette question débouche sur une autre, « peu fréquentée dans le marxisme » insiste Tosel, celle de savoir si l’on peut établir, et si oui, comment, « des formes de congruence entre pensabilité de l’individu et pensabilité de la société »[81]. C’est sur cette vaste question que se clôt matériellement l’ouvrage et que s’ouvre, pour nous, une réflexion à poursuivre et à développer plus avant, laquelle ne peut que se nourrir de l’élaboration de Tosel.

Notes

[1]. Pour n’en citer qu’un, aussi éminent qu’essentiel : Christine Buci-Glucksmann, Gramsci et l’État : pour une théorie matérialiste de la philosophie, Paris, Fayard, 1975.

[2]. André Tosel, Étudier Gramsci. Pour une critique continue de la révolution passive capitaliste, Paris, Kimé, 2016, p. 7 et 14. 

[3]. Sur ce point je me permets de renvoyer à Vincent Charbonnier, Le devoir et l’inquiétude. André Tosel ou l’acuité du marxisme (2018) ‹https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01889320› (consulté le 4 décembre 2021), en particulier p. 8 sqq. et passim. Voir également Gianfranco Rebucini« De Spinoza à Gramsci : entretien avec André Tosel »Période, 28 mai 2016 [en ligne].

[4]. Sur ce point, voir Étudier Gramsciop. cit., p. 7 sq., et « Gramsci en France », p. 315-339 de ce recueil.

[5]. Sur cette question, voir ses travaux consacrés à la mondialisation capitaliste où l’élaboration de Gramsci est constamment présente en filigrane : Un monde en abîme. Essais sur la mondialisation capitaliste, Paris, Kimé, 2008 ; Scénarios de la mondialisation culturelle : I. Du retour du religieux et II. Civilisations, cultures, conflits, Paris, Kimé, 2011, 2 vol., et enfin, pour une synthèse remarquable de concision et de clarté, André Tosel, Essai pour une culture du futur, Bellecombe-en Bauges, Le Croquant, 2014.

[6]. Voir André Tosel, Émancipations aujourd’hui. Pour une reprise critique, Vulaines-sur-Seine, Le Croquant, 2016, et plus particulièrement, p. 117-127, « Avec Gramsci et au-delà », qui conclut son propos.

[7]. Comme le montre bien Isabelle Garo dans la note de lecture qu’elle lui a consacrée : « André Tosel, lecteur de Gramsci et penseur du présent », apud Marie-Claire Caloz-Tschopp, Romain Felli et Antoine Chollet (dir.), Rosa Luxemburg, Antonio Gramsci actuels, Paris, Kimé, 2018, p. 43-55.

[8]. André Tosel, « Éric Weil, 1904-1977 », Annales de la faculté des Lettres et Sciences humaines de Nice, 1977, no 32, p. 12.

[9]. « Le Matérialisme dialectique “entre” les sciences de la nature et la science de l’histoire » [1977/1978], repris in André Tosel, Praxis. Vers une refondation en philosophie marxiste, Paris, Editions sociales, 1984, p. 35.

[10]. Voir « Le développement du marxisme en Europe occidentale depuis 1917 » et « Formes de mouvement et dialectique dans la nature selon Engels » repris dans André Tosel, Études sur Marx (et Engels). Vers un communisme de la finitude, Paris, Kimé, 1996, p. 105-138.

[11]. « Le fil rouge de l’hégémonie » [1984], Praxisop. cit., p. 18. C’est une annonce de la problématique de la traductibilité des langages et des pratiques et celle de la construction de l’hégémonie.

[12]. On peut d’ailleurs observer que la critique althussérienne de Gramsci constitue le point de départ de la réflexion de Tosel dans Étudier Gramsci.

[13]. « Le fil rouge… », Praxisop. cit., p. 13 sq.

[14]. Je m’approprie, en la faisant ici varier, une invention lexicale de Tosel dans son article « Quelle pensée de l’action aujourd’hui ? », Actuel Marx, 1993, no 13, p. 16-39, qui parle de « produ-action » (p. 31 sq.) pour désigner la médiation réciproque de la production et de l’action comme perspective critique sur l’agir social du monde historique.

[15]. Voir « Notes pour une histoire critique de la théorie politique du marxisme italien » [1977], in Praxisop. cit., p. 137-153 et « Les critiques de la politique chez Marx », apud Étienne Balibar, Cesare Luporini et André Tosel, Marx et sa critique de la politique, Paris, Maspero, 1979, p. 11-52.

[16]. « Notes pour une histoire critique… », Praxisop. cit., p. 143.

[17]Ibid., p. 146.

[18]Ibid., p. 146-147.

[19]. « Philosophie marxiste et traductibilité des langages et des pratiques » [1981], Praxisop. cit., p. 115-135.

[20]. « Gramsci ou la philosophie de la praxis comme marxisme de la crise organique du capitalisme », apud Antonio Gramsci, Textes, Paris, Éditions Sociales, 1983, p. 9-40 et Tosel, « Gramsci, philosophie de la praxis et réforme intellectuelle et morale », La Pensée, 1983, no 235, p. 39-48 ; repris dans Praxisop. cit., p. 203-217..

[21]. « Gramsci, philosophie de la praxis… », Praxisop. cit., p. 203.

[22]Ibid., p. 204.

[23]Ibid..

[24]. « Gramsci, philosophie de la praxis… », Praxisop. cit., p. 206.

[25]Ibid.

[26]Un monde en abîme, Paris, Kimé, 2008, p. 9.

[27]Cahiers de prison : cahiers 6 à 9, Paris, Gallimard, 1983, p. 255.

[28]. « Gramsci, philosophie de la praxis… », Praxisop. cit., p. 207.

[29]Ibid., p. 207-208.

[30]Ibid, p. 209.

[31]Cahiers de prison : cahiers 10 à 13op. cit., p. 358..

[32]. « Gramsci, philosophie de la praxis… », Praxisop. cit., p. 210, 205 et 208..

[33]Ibid., p. 210.

[34]Ibid., p. 211.

[35]Ibid.

[36]. On touche ici à la problématique de l’« Américanisme et du fordisme ». Voir Cahiers de prison : cahiers 19 à 29, Paris, Gallimard, 1992, p. 173-213 et Tosel, « Américanisme, rationalisation, universalité selon Gramsci » [1989], p. 243-256 de ce recueil.

[37]. Voir Cahiers de prison : cahiers 10 à 13op. cit., p. 130 : « Tout rapport d’“hégémonie” est nécessairement un rapport pédagogique ».

[38]. André Tosel, « Gramsci, philosophie de la praxis… », Praxisop. cit., p. 213-214, n. 18..

[39]. André Tosel, « Sur quelques distinctions gramsciennes : économie et politique, société civile et État » [1995], p. 259 de ce recueil (je souligne VC).

[40]. À ce propos, voir « Philologie et philosophie dans la “philosophie de la praxis” », in André Tosel, Le marxisme du 20e siècle, Paris, Syllepse, 2009, p. 115-146.

[41]. « Penser, construire la praxis (d’)aujourd’hui » [1984], in Praxisop. cit., p. 253-313.

[42]Ibid., p. 274.

[43]Ibid.

[44]Ibid., p. 275-276. Sur cette question, voir aussi son article, « Formes de mouvement et dialectique dans la nature selon Engels », op. cit.

[45]Ibid., p. 276.

[46]Ibid. Sur cette question, voir ses travaux consacrés à Labriola et en particulier, André Tosel, « Antonio Labriola et la proposition de la philosophie de la praxis : la pratique après Marx », Archives de philosophie, 2005, t. 68, no 4, p. 611-628.

[47]. Peut-être Tosel fait-il ici implicitement référence à la problématique, centrale chez Adorno, du non-identique, du nécessaire maintien de la tension sujet-objet. Voir par exemple « Épilégomènes dialectiques : sujet et objet » apud Theodor W. Adorno, Modèles critiques : interventions, répliques, Paris, Payot, 2003, p. 301-318.

[48]. « Penser, construire la praxis (d’)aujourd’hui » [1984], in Praxisop. cit., p. 277 (je souligne).

[49]Ibid., p. 280.

[50]Ibid., p. 282. 

[51]Ibid., p. 280 (je souligne).

[52]Ibid., p. 289.

[53]Cahiers de prison : cahiers 10 à 13op. cit., p. 161-303. Il s’agit d’une lecture critique de Nicolas Boukharine, La Théorie du matérialisme historique. Manuel populaire de sociologie marxiste [1921], traduction française : Paris, Anthropos, 1969.

[54]. « Penser, construire la praxis (d’)aujourd’hui », Praxisop. cit., p. 285.

[55]. Ibid., p. 254. Sur ces débats, voir René Zapata, Luttes philosophiques en URSS, 1922-1931, Paris, PUF, 1983.

[56]Ibid., p. 255.

[57]Ibid., p. 295 

[58]. « Penser, construire la praxis (d’)aujourd’hui », Praxisop. cit., p. 296.

[59]. Agnes Heller, « L’eredità dell’etica marxiana », apud Eric J. Hobsbawn et alii. (dir.), Storia del marxismo, vol. 4, Il Marxismo oggi, Turin, Einaudi, 1982 p. 483-509.

[60]. « Penser, construire la praxis (d’)aujourd’hui », in Praxisop. cit., p. 297.

[61]Ibid., p. 298.

[62]Ibid.

[63]Ibid., p. 299.

[64]Ibid., p. 301.

[65]. Il poursuivra ce travail au début de la décennie 1990. Voir notamment André Tosel (dir.), Les logiques de l’agir dans la modernité, Paris, Les Belles Lettres, 1992, son article « Quelle pensée de l’action aujourd’hui ? », op. cit., ainsi que son recueil Démocratie et libéralismesop. cit.

[66]. « Gramsci face à la Révolution française : la question du jacobinisme » [1984], infra, p. 289 de ce recueil.

[67]. « Philosophie de la praxis et dialectique » [1984], infra, p. 70 de ce recueil.

[68]. « Orient et Occident. Les problèmes de la stratégie révolutionnaire dans l’analyse gramscienne des Cahiers de la Prison » [1988], infra, p. 197 de ce recueil.

[69]. « Pour une réévaluation du moment éthico-politique chez Gramsci » [1990], p. 225 de ce recueil.

[70]Ibid, p. 240 de ce recueil.

[71]Cahiers de prison : cahiers 10 à 13op. cit., p. 375.

[72]. André Tosel, « Américanisme, rationalisation, universalité selon Gramsci » [1989], p. 255 de ce recueil.

[73]Ibid. Sur cette question, Tosel renvoie également à l’ouvrage de Franco Lo Piparo, Lingua, intellettuali, egemonia in Gramsci, Bari, Laterza, 1979.

[74]. Sur cette question, voir aussi André Tosel, Marx en italiquesop. cit., p. 163-169.

[75]Étudier Gramsciop. cit., p. 324. Il s’agit des ouvrages de Fabio Frosini et Guido Liguori (dir.), Le parole di Gramsci : per un lessico dei « Quaderni del carcere », Rome, Carocci, 2004 et de Guido Liguori et Pascale Voza (dir.), Dizionario Gramscianoop. cit.

[76]. Isabelle Garo, « André Tosel, lecteur de Gramsci… », art. cit., p. 43-55.

[77]. Voir Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, Hégémonie et stratégie socialiste. Vers une politique démocratique radicale, 2e édition : Paris, Fayard, 2019 ; Ernesto Laclau, La guerre des identités. Grammaire de l’émancipation, Paris, La Découverte, 2015, p. 93-107 : « De l’importance des signifiants vides en politique ».

[78]Étudier Gramsciop. cit., p. 212-213.

[79]Étudier Gramsciop. cit., p. 295.

[80]Ibid., p. 305

[81]Ibid., p. 320.

Lire hors-ligne :