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Les trois dominos – General Motors, Stellantis et Ford – sont tombés en quelques jours. Cinquante mille membres de l‘UAW viennent de reprendre le travail après avoir conclu des accords de principe qui contiennent des avancées décisives. La grève de l’UAW a été un véritable cours magistral sur la force dont peut faire preuve la classe travailleuse quand elle s’unit et entre en lutte.

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Les United Auto Workers (UAW, Travailleur·ses Uni·es de l’Automobile) ont désormais conclu des accords avec chacun des trois grands constructeurs automobiles. Les nouveaux contrats constituent un revirement radical par rapport à des décennies de reculades.

Les accords de principe vont plus loin que beaucoup ne l’auraient cru possible sur des questions que les entreprises insistaient pour ne pas traiter à la table des négociations. Stellantis a accepté de rouvrir son usine d’assemblage de Belvidere, (Illinois), qui était à l’arrêt. General Motors (GM) et Stellantis incluront dans leurs accords-cadres les travailleurs.ses qui seront embauché.es dans les futures usines de batteries.

Si les accords ne suppriment pas le système de « statut » (les « Tiers » en anglais, mis en place après la crise de 2009 qui permettaient d’embaucher des travailleurs.ses à des niveaux de salaire inférieurs  [NdT]), ils se débarrassent des nombreux niveaux de salaires que les Trois Grands avaient créés pour faire baisser les rémunérations. Certain·es travailleurs·ses verront ainsi leur salaire plus que doubler.

Ces gains témoignent de la stratégie audacieuse et agressive de l’UAW sous sa nouvelle direction, qui a intensifié les grèves, d’abord lentement, puis plus rapidement, jusqu’à ce que les entreprises cèdent les unes après les autres. Cela a été un cours magistral sur le pouvoir de la classe travailleuse.

Le 30 octobre, l’UAW a annoncé qu’elle était parvenue à un accord de principe avec GM, la dernière entreprise à avoir résisté. Les travailleurs·ses de l’usine Cadillac de GM à Spring Hill, dans le Tennessee, avaient rejoint la grève quelques jours avant.

Le syndicat a annoncé des accords de principe avec Ford et Stellantis le 28 octobre. Ces accords ont été conclus après que les membres de l’UAW s’étaient mis en grève dans l’usine de camions la plus rentable de chaque entreprise, ce qui constitue la dernière escalade dans la grève de six semaines organisée par le syndicat.

Les 146 000 membres de l’UAW des trois constructeurs automobiles se prononceront sur les contrats dans les semaines à venir. En attendant, 50 000 grévistes reprennent le travail.

Détails de l’accord avec Ford

 Shawn Fain, président de l’UAW, et Chuck Browning, vice-président, ont présenté aux membres les détails de l’accord avec Ford lors d’une apparition en direct sur Facebook. (Tous les détails, y compris le document principal et le « livre blanc » avec tous les changements, sont disponibles sur uaw.org/ford2023).

Shawn Fain a déclaré que chaque année de l’accord rapportera plus au personnel que l’ensemble du contrat signé en 2019.

L’accord prévoit des augmentations salariales de 25 % sur quatre ans et demi, dont 11 % immédiatement. Il rétablit les ajustements au coût de la vie, un objectif majeur. L’ensemble de ces mesures portera le salaire maximum des travailleurs .ses de la production à 42,60 dollars à la fin de l’accord en 2028, contre 32,05 dollars actuellement, tandis que les travailleurs.ses qualifié.es gagneront plus de 50 dollars de l’heure. Le salaire de départ passera de 18,05 à 28 dollars.

Nombre de travailleurs.ses bénéficieront toutefois d’augmentations bien plus importantes. Il faudra désormais trois ans, au lieu de huit, pour atteindre le maximum salarial. Les salarié.es actuellement en progression bénéficieront d’augmentations immédiates de 20 à 46 %.

Les travailleurs.ses de deux usines de la région de Detroit, Sterling Axle et Rawsonville Components, seront désormais sur la même échelle salariale que le reste des membres de l’UAW chez Ford, ce qui signifie que les « Tiers » chez Ford sont éliminés. Les travailleurs.ses de ces deux usines se trouvaient à un échelon inférieur depuis 2007, avec des salaires allant de 16,25 à 22,50 dollars. Ils et elles bénéficieront d’augmentations immédiates de 53 à 88 %.

Les travailleurs.ses temporaires ayant plus de quatre-vingt-dix jours d’ancienneté seront immédiatement converti.es en employé.es permanent.es. Les futurs intérimaires deviendront des employé.es permanent.es au bout de neuf mois, et ces neuf mois compteront pour leur progression vers le maximum salarial. Au cours des deux dernières décennies, les « Big Three » (les Trois Grands) ont gardé des intérimaires pendant des années à des salaires peu élevés ; lors d’une éventuelle « promotion » au statut de salarié.e permanent.e, il leur fallait attendre huit ans de plus pour atteindre le haut de l’échelle salariale

Pour mettre un terme aux « Tiers », il faudrait que les travailleurs.ses de deuxième échelon, c’est-à-dire ceux et celles qui ont été embauché.es depuis 2007, bénéficient de pensions et de soins de santé à la retraite, comme les travailleurs.ses de premier échelon. Ford n’a accepté ni l’une ni l’autre de ces propositions, qui ajouteraient d’importantes obligations à long terme.

À la place, Ford placera 10 % du salaire de chaque travailleur dans un plan d’épargne-retraite 401(k), ce qui représente une forte augmentation par rapport aux 6,4 % actuels. Le syndicat a également obtenu la première augmentation du multiplicateur de pension (pour les travailleurs.ses embauché.es avant 2007, qui bénéficient d’une pension) depuis 2003.

Les intérimaires de Ford recevront des chèques de participation aux bénéfices à partir de 2024, ce qui est une première.

Les travailleurs.ses auront également davantage la possibilité de choisir le moment où ils et elles prendront leurs vacances. Ford ne pourra obliger les travailleurs.ses à utiliser qu’une semaine de leurs congés lorsqu’ils seront mis à pied pour la fermeture annuelle de l’usine lors du changement de modèle.

« Même si nous n’avons pas obtenu tout ce que nous voulions, nous avons gagné plus que ce que la plupart des gens pensaient possible », ont écrit Fain et Browning dans leur introduction au document sur les points forts de l’accord avec Ford.

Stellantis et GM ont aussi cédé

L’UAW et Stellantis ont également conclu un accord. Le statut de l’usine d’assemblage de Stellantis à Belvidere, dans l’Illinois, qui a été mise en veilleuse au début de l’année, obligeant 1 200 travailleurs à se disperser dans d’autres usines, constituait l’un des principaux points en litige.

Selon le syndicat, le nouvel accord ramènera des emplois à Belvidere, l’entreprise s’engageant à employer deux équipes pour produire un camion de taille moyenne. Stellantis créera également un millier d’emplois dans une nouvelle usine de batteries. « Dans le cadre de notre accord, les salarié.es de Belvidere qui avaient été dispersés dans tout le pays auront le droit de revenir chez eux », a déclaré Rich Boyer, vice-président de l’UAW.

Fain et Boyer ont déclaré que Stellantis créerait cinq mille emplois supplémentaires d’ici la fin de l’accord, une volte-face par rapport aux menaces de suppression de milliers d’emplois proférées par l’entreprise à l’approche des négociations. Le syndicat a obtenu le droit de grève sur les décisions relatives aux produits et aux investissements, ainsi que sur les fermetures d’usines. « Cela signifie que si l’entreprise revient sur sa parole concernant l’un de ces plans, nous pourrons faire grève », a déclaré M. Fain.

Le nouveau contrat supprime le salaire inférieur de la division des pièces détachées Mopar de Stellantis, plaçant ces travailleurs.ses sur la même échelle salariale que les autres travailleurs.ses de Stellantis.

Chez GM, le dernier des trois grands à céder, l’UAW a remporté une autre grande victoire contre les « Tiers ». GM a accepté d’aligner les travailleurs.ses de ses dépôts de pièces détachées (Customer Care and Aftersales, Service clientèle et après-vente), de ses usines de composants (General Motors Components Holdings) et de son usine de batteries de Brownstown, dans le Michigan, sur les salaires des travailleurs.ses de la production.

Les travailleurs de GM Subsystems, qui travaillent actuellement dans le cadre d’un contrat distinct et inférieur, relèveront désormais de l’accord-cadre de GM. Ces dernières années, l’entreprise a transféré des emplois d’entreposage et de manutention dans plusieurs usines GM vers la filiale Subsystems, moins bien rémunérée, et le syndicat craignait qu’elle ne profite de la transition vers les véhicules électriques pour transférer encore plus d’emplois vers cette filiale. L’accord mettra fin à ce nivellement par le bas.

Tous les détails de l’accord avec GM ont été communiqués par l’UAW le 3 novembre.

Le 1er mai 2028

Les nouveaux contrats issus de ces accords expireront tous le 30 avril 2028. D’une durée de quatre ans et demi, ils sont plus longs que les accords de quatre ans qui étaient typiques des récents contrats des Trois Grands.

Selon Shawn Fain, l’UAW veut donner le temps aux autres syndicats d’aligner l’expiration de leurs contrats sur ceux de l’UAW pour faire grève ensemble le 1er mai 2028, date de la Journée Internationale des Travailleurs.ses. « Si nous voulons vraiment nous attaquer à la classe des milliardaires et reconstruire l’économie pour qu’elle commence à fonctionner au bénéfice du plus grand nombre et non de quelques-uns », a déclaré Fain, « il est important que non seulement nous fassions grève, mais que nous fassions grève tous ensemble ».

Shawn Fain a laissé entendre que la lutte pour une journée ou une semaine de travail plus courte pourrait faire partie de la campagne de l’UAW dans quatre ans et demi. L’une des revendications publiques du syndicat au cours de ce cycle de négociations portait sur une semaine de trente-deux heures payées quarante. Les ouvriers et les ouvrières de l’automobile se plaignent souvent d’être contraint.es d’effectuer des heures supplémentaires obligatoires, y compris des semaines de soixante heures (six journées de dix heures).

« Le 1er mai est né d’une lutte intense menée par les travailleurs.ses aux États-Unis pour obtenir la journée de huit heures », a déclaré M. Fain. « Cette lutte est tout aussi pertinente aujourd’hui qu’elle l’était en 1889.

Selon Fain, l’autre raison de la prolongation de la durée de l’accord est que l’UAW prévoit d’implanter le syndicat chez les nombreux constructeurs automobiles sans organisation syndicale : Tesla, Toyota, Volkswagen, Mercedes, BMW, Honda, Nissan et d’autres. « Lorsque nous reviendrons à la table des négociations en 2028, ce ne sera pas seulement avec les Trois Grands, mais avec les cinq ou six Grands », a-t-il déclaré.

Le lendemain, l’auteur de ces lignes a reçu un message d’un travailleur de Toyota en Alabama, indiquant que la direction avait convoqué une réunion d’urgence. Toyota, manifestement effrayé, augmentait le salaire maximum à 32 dollars, disait-il, et réduisait le délai pour y parvenir de huit à quatre ans. Un autre travailleur d’une usine Toyota du Kentucky a déclaré que l’entreprise augmentait les salaires et réduisait de moitié la progression vers le maximum salarial. Le maximum salarial augmentera de 2,94 $ pour arriver à 34,80 $ pour les ouvriers et les ouvrières de production et de 3,70 $ pour arriver à 43,20 $ pour les ouvriers et les ouvrières qualifié·es.

Organisation dans le secteur des véhicules électriques

Chez Ford, le syndicat voulait obtenir l’engagement que toutes les usines de véhicules électriques, y compris les coentreprises (joint-ventures), relèveraient de l’accord-cadre. Il a obtenu de Ford l’engagement de reconnaître le syndicat dans deux usines en cours de construction, le Tennessee Electric Vehicle Center et l’usine de batteries Marshall dans le Michigan, si une majorité de travailleurs.ses signent des cartes syndicales (ce que les syndicats appellent le « card check« [1]). Cela devrait être facile pour l’UAW.

Ford prévoit trois autres usines de batteries dans le Tennessee et le Kentucky, détenues conjointement avec la société sud-coréenne SK On dont la production devrait commencer en 2025. Là, il semble que le syndicat devra s’organiser à l’ancienne.

Chez GM et Stellantis, les gains sur les véhicules électriques ont été plus importants. Les deux entreprises ont accepté de soumettre les travailleurs.ses de leurs usines de batteries en coentreprise à leurs accords-cadres. « Ils nous ont dit pendant des années que la transition vers les véhicules électriques était une condamnation à mort pour les bons emplois dans l’automobile dans ce pays », a déclaré Shawn Fain. « Avec cet accord, nous leur prouvons qu’ils avaient tort ».

Rompre avec la tradition

Shawn Fain a été élu cette année lors de la toute première élection de l’UAW selon le principe « un membre, une voix« , après qu’un scandale de corruption a conduit deux des derniers présidents du syndicat en prison. Sa victoire a mis fin à huit décennies de parti unique au sein du syndicat.

Fain s’est présenté dans le cadre de la liste de Members United  (Membres Unis) sur la base d’un programme intitulé « Pas de corruption, pas de concessions, pas de « Tiers ». Il a battu le président sortant Ray Curry avec seulement 500 voix d’avance et a pris ses fonctions moins de six mois avant l’expiration des contrats des Trois Grands.

En tant que président, Fain a finalement ramené le syndicat à l’offensive. « Pendant des décennies, nous nous sommes battu.es avec une main attachée dans le dos », a-t-il déclaré en annonçant l’accord Stellantis. « Pour vous dire la vérité, nous avons parfois eu l’impression d’avoir les deux mains attachées. Shawn Fain est un vétéran de Stellantis, ayant fait ses premières armes en tant qu’électricien à Kokomo, dans l’Indiana.

Symbole de la nouvelle orientation du syndicat, Fain a refusé d’entamer les négociations par la traditionnelle poignée de main avec les dirigeants de l’entreprise. Au lieu de cela, lui et d’autres nouveaux dirigeants de l’UAW ont inauguré ce qu’ils espèrent devenir une nouvelle tradition, la poignée de main des membres du syndicat, en accueillant les travailleurs.ses à la porte des usines pour lancer une grande campagne pour un nouvel accord.

Shawn Fain a également abandonné la traditionnelle stratégie de l’UAW, qui consistait à choisir une seule entreprise parmi les Trois Grands pour négocier en premier et obtenir un accord qui servirait ensuite de modèle. Au lieu de cela, le syndicat a négocié avec les trois entreprises et les a frappées simultanément.

Shawn Fain a diffusé publiquement des mises à jour sur les négociations via Facebook Live, rompant ainsi avec la pratique précédente de la direction du syndicat qui consistait à ne communiquer aucune information avant la conclusion d’un accord. La transparence et l’audace ont séduit les membres du syndicat : les vidéos de Shawn Fain sont régulièrement visionnées en direct par 40 000 à 50 000 personnes sur Facebook, et plus encore sur d’autres plateformes.

Il n’a jamais hésité à faire monter les attentes des membres du syndicat, en demandant une augmentation de salaire de 40 %, une semaine de trente-deux heures et le rétablissement des pensions et des soins de santé des retraité.es pour tous ceux et toutes celles travaillant dans les Trois Grands.

Les membres du syndicat décideront si les gains obtenus sont suffisants et répondent à leurs attentes. Mais l’UAW est dans une situation bien différente qu’il y a six mois : à l’offensive, présentant ses combats comme des luttes pour l’ensemble de la classe travailleuse, faisant preuve d’une puissance qu’elle n’a pas connue depuis de nombreuses années.

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Publié dans Labor Notes.

Dan DiMaggio est un collaborateur de Labor Notes depuis 2015. Il couvre les travailleurs.ses des télécommunications, des compagnies aériennes, les métiers du bâtiment, la politique des soins de santé, ainsi que la santé et la sécurité. 

Illustration : Wikimedia Commons.

Note

[1] « Card check » est une formalité à laquelle recourent des salarié·e·s aux États-Unis pour se constituer en syndicat. Selon cette formalité, la majorité des salarié.es signent un formulaire (ou « card ») leur permettant de constituer d’un syndicat qui représente effectivement la majorité des salarié.es. C’est une procédure plus simple, étant donné les campagnes patronales pour faire échec à la constitution d’un syndicat qui doit être supervisée par le National Labor Relations Board. Le NLRB est une agence dite indépendante du gouvernement fédéral, composée de membres agréés par le président des Etats-Unis avec l’accord du Sénat, chargée de conduire les élections syndicales et d’enquêter sur les pratiques illégales dans le monde du travail. (NdT)

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