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Sous une nouvelle direction, l’United Auto Workers (UAW) mène une campagne vigoureuse pour obtenir un nouveau contrat, notamment une augmentation de salaire de 36%, chez les trois grands constructeurs automobiles. Pour la première fois depuis des décennies, les travailleurs.ses de l’UAW se mobilisent avec des rassemblements dans les usines Ford, Stellantis et General Motors et une grève de très grande ampleur initiée vendredi dernier.

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Le dimanche 20 août dans l’après-midi, le pavillon de la Région 1 de l’United Auto Workers (UAW) à Warren, dans le Michigan, ressemblait beaucoup à une église. Les travailleurs.ses de l’automobile se sont rassemblé.es sous une chaleur étouffante pour écouter des discours enflammés, des acclamations et des chants lors de la première manifestation pour les contrats des Trois Grands (the Big Three) dont on se souvienne.

Les contrats avec Ford, General Motors (GM) et Stellantis expirent le 14 septembre.

« On m’a dit tout au long de ce processus que nous avions placé la barre trop haut. Vous avez sacrément raison, car nos membres ont des attentes élevées : des profits records méritent des contrats records, a déclaré le président de l’UAW, Shawn Fain, lors du rassemblement. En tant que syndicat, nous devons mener le combat pour la justice économique, non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour l’ensemble de la classe travailleuse. »

Les slogans accrocheurs des T-shirts étaient omniprésents : « Même équipe, différent jour », « Strike Team 2023 », « Pas de retraite, pas de capitulation », « Solidaires », « Fain ne rigole pas » et  » L’union fait la force, la division fait le malheur ».

Même la fournaise n’a pas réussi à disperser la foule de personnes qui s’étaient rassemblées dans une puissante démonstration d’unité, d’amour et de colère.

Kiada Shanklin, cheffe d’équipe au service qualité de l’usine Jeep Grand Cherokee de Stellantis, portait une chemise rouge sur laquelle était écrit : « J’ai trois raisons majeures de faire grève « . Ses trois enfants portaient chacun une chemise : « Raison n° 1 », « Raison n° 2 » et « Raison n° 3 ». Dans le dos, les t-shirts portaient l’image d’une horloge et les mots « Stellantis, tu as pointé « , « Tick », « Tock ».

Ces t-shirts témoignent de la créativité des membres du syndicat, tout comme les rassemblements qu’ils et elles ont organisés à Detroit (Michigan), Chicago (Illinois) et Louisville (Kentucky) dans le courant de la semaine du 20 août. D’autres rassemblements ont eu lieu.

L’heure des revendications

L’UAW n’a pas organisé de rassemblements pour les renouvellements des contrats des Trois Grands depuis des décennies : de mémoire humaine, les syndicalistes n’ont pas été appelés à se mobiliser pour lutter sur la question des contrats. Mais Shawn Fain, qui a été élu en mars, a encouragé les syndicalistes à organiser leurs propres piquets et des rassemblements sur les parkings, en s’inspirant de la mobilisation victorieuse des Teamsters de United Parcel Service (UPS).

« Je demande aux militant.es de base de tout le pays de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour s’organiser dans leur usine, a-t-il déclaré sur Facebook Live le 15 août. Notre secrétariat à l’organisation met sur pied des formations virtuelles hebdomadaires qui vous expliqueront comment organiser des actions sur votre lieu de travail. »

Les membres du syndicat ont répondu avec enthousiasme. Lors du rassemblement du dimanche 20 août, la foule s’est élargie à des centaines de personnes qui brandissaient des affiches avec les revendications. Celles-ci portent notamment sur la fin des salaires et des avantages sociaux à deux vitesses, le rétablissement de l’indemnité de vie chère (une clause de rajustement qui lie les augmentations  salariales  à l’inflation, à laquelle le syndicat avait renoncé lors de la Grande Récession), la réduction de la semaine de travail, le rétablissement du régime de retraite et de l’assurance maladie pour les retraité.es, la garantie de la sécurité de l’emploi pour les travailleurs.ses en cas de fermeture d’usine et la titularisation de tous les intérimaires .

Au centre technique de GM, les ouvrier.es qualifié.es ont fait mine d’apporter et de stocker de grandes quantités de nouilles ramen, un clin d’œil à l’histoire du syndicat qui, dans les années 1930, occupait les usines, a déclaré Jessie Kelly, membre de la section 160 de l’UAW et ouvrière fabriquant des coques d’automobiles, qui s’est entretenue avec ses collègues pour répondre à toute question concernant leur préparation à la grève si cela s’avérait nécessaire.

« Je cherchais à prendre le pouls de l’usine, parce que tout est tellement différent aujourd’hui par rapport à 2019, a-t-elle déclaré, faisant référence à la dernière grève des travailleurs.ses de GM. Êtes-vous prêts et prêtes à faire grève si c’est ce que nous devons faire ? L’un d’entre eux a répondu : « je ne veux pas faire grève ».

Elle lui a demandé ce qui n’allait pas. Il lui a répondu : « Pouvons-nous occuper le lieu de travail comme ils l’ont fait pendant la grève de Flint? »

Ce qui se passe

Les un.es après les autres, les membres du syndicat s’émerveillent des changements depuis que la liste des Membres Unis (Members United) a obtenu la majorité au sein du bureau exécutif. Cassandra Rudolph, de l’assemblée de Sterling Heights (Michigan) de Stellantis, a déclaré que la plus grande différence était « la transparence ».

« Au lieu qu’il [Shawn Fain] soit fermé, il nous fait savoir chaque semaine ce qui se passe », a déclaré son collègue Joe King. Et Cassandra Rudolph d’ajouter : « Plutôt que de se contenter d’un coup d’éclat et que nous soyons pris au dépourvu sans comprendre ce qui se passe. » « C’est la première fois dans l’histoire de l’UAW que les membres voient ce que le syndicat demande dans les négociations », a déclaré la Directrice du district n°1, LaShawn English, à la foule, suscitant un tonnerre d’applaudissements.

Cela faisait longtemps qu’on l’attendait. « J’attendais cela depuis longtemps », a déclaré Bill Bagwell, employé de GM depuis trente-huit ans au sein de la section locale 174 de l’UAW. « Une augmentation de 10 dollars de l’heure pourrait me permettre de rester au travail. J’ai soutenu le principe « un membre, un vote » avec New Directions Movement [une tendance d’opposition dans les années 1980] et j’attends depuis lors. Il a fallu que la corruption des précédents dirigeants de l’UAW apparaisse au grand jour pour obtenir la gloire que nous méritons. »

« Prêts à montrer au monde ce que nous méritons« 

Lynda Jackson, secrétaire de séance de la section locale 7 de l’UAW, a fêté son treizième anniversaire au sein du syndicat en juin dernier et a déclaré qu’elle n’avait jamais rien vu de tel que le rassemblement du dimanche 20 août. « Je n’ai jamais vu le pavillon aussi bondé », a-t-elle déclaré. « Je n’ai jamais vu autant de personnes engagées et enthousiastes, prêtes à montrer au monde ce que nous méritons. »

Selon Lynda Jackson, les ouvriers et les ouvrières de l’automobile méritent des salaires plus élevés en raison des profits qu’ils ont générés :

« Ma mère a pris sa retraite de chez Ford en 2004 et son salaire maximum était de 28 dollars de l’heure. Le nôtre est de 31,77 dollars. En vingt ans, le salaire maximum n’a donc augmenté que de 4 dollars. »

« Nous devons évoluer avec notre temps. Le coût de ces véhicules ne cesse d’augmenter, mais pas notre salaire ».

Les sacrifices consentis à l’époque de la pandémie sont un point sensible.

« Nous avons été considéré.es comme des travailleurs.ses essentiel.les en 2020 et nous avons dû retourner dans ces usines pour construire ces véhicules », a déclaré M. Jackson. « Il est donc essentiel que nous obtenions des compensations. »

Dans ses présentations sur Facebook Live, « honnêtement, il semble que Shawn Fain nous écoute », a-t-elle déclaré. « Tout le monde est sur la même longueur d’onde, qu’il s’agisse de travailleur.ses remplaçant.es (comment obliger quelqu’un à faire toutes ces heures supplémentaires et ne lui accorder que trois jours de congé par an ?) ou à temps plein avec treize ans d’ancienneté sans pension ». Dans le jargon de Stellantis, le terme « remplaçant.e » désigne les travailleurs.ses temporaires.

« Je n’ai pas de pension. Je n’ai pas droit à l’assurance maladie pour retraité.es, déclare Jackson, une travailleuse de niveau 2. Je ne suis même pas retraitée. Quelle gifle cela représente-t-il? »

« Nous sommes tous et toutes engagé.es dans le même combat, a-t-elle déclaré. Et ce que j’aime vraiment dans tout cela, ce sont les mises à jour de l’information : elles montrent au monde que nous ne sommes plus silencieux.ses. »

Demande d’emplois permanents

Les trois principales revendications des travailleurs.ses supplémentaires et des autres travailleurs.ses intérimaires sont l’égalité des soins de santé, le statut d’employé.e permanent.e et les augmentations.

Ron Sabatula a été embauché à 17,46 dollars en tant qu’intérimaire après la grève de 2019 chez GM. Ses collègues de la chaîne de montage gagnent 28 dollars de l’heure. « Mais nous faisons le même travail », a-t-il déclaré.

Stellantis compte le plus grand nombre d’intérimaires parmi les trois grands constructeurs automobiles. Un travailleur supplémentaire qui a demandé l’anonymat par crainte de représailles de la part de l’entreprise a déclaré que les travailleurs.ses de Stellantis sont les moins bien payé.es des Trois Grands.

« Chacun des Trois Grands publie des profits », a-t-il déclaré. Stellantis vient d’annoncer 12 milliards de dollars de bénéfices au cours des six derniers mois. Cela m’indique qu’elle est la plus rentable, mais qu’elle exploite le plus profondément les travailleurs.ses sur le terrain. »

Dans l’usine d’assemblage de Stellantis de Jefferson North Assembly Plant (JNAP),à Detroit,  les travailleurs.ses sont enthousiastes à l’idée de transformer des emplois temporaires en emplois permanents. « Ils sont prêts à faire grève pour les employés temporaires », a déclaré le même travailleur à propos de ses collègues. »

« Laissez-nous nous reposer« 

Leta Pollard travaille, au fil des fusions, pour Stellantis, depuis vingt-quatre ans, à l’époque où l’entreprise s’appelait Chrysler. Stellantis a été créée en 2021 par la fusion de Fiat Chrysler et de Peugeot ; elle est la société mère de Jeep, Ram Trucks et Chrysler. Des générations de sa famille ont travaillé chez Chrysler et Ford, à partir de 1969. Ses principales préoccupations sont l’augmentation des salaires, la fin des niveaux de rémunération et les heures supplémentaires forcées.

« Ils nous ont divisés il y a quelques années, avec les réorganisations, a déclaré Leta Pollard. Mais aujourd’hui, nous sommes de retour et nous disons : « Nous voulons récupérer ce que vous nous avez pris ». Cette organisation à trois niveaux (équipementiers de rang 1,2,3), tout cela doit disparaître. Parce que, dès que nous embauchons, nous faisons le même travail. Nous voulons que les jeunes adultes reçoivent le même salaire, les mêmes prestations médicales que nos parents avant nous ont défendues sur les piquets de grève. Nous n’allons pas y renoncer pour que vous puissiez mettre plus d’argent dans votre poche. Nous voulons de l’argent dans nos poches pour pouvoir acheter ce que nous construisons ».

Selon Leta Pollard, les gens ne veulent pas travailler chez Stellantis parce qu’ils et elles sont obligé.es de faire des tranches de travail épuisantes de dix heures d’affilée. Le salaire de départ est de 15,78 dollars.

« Vous ne voulez pas nous donner nos jours de vacances », a-t-elle déclaré. « Vous ne voulez pas nous donner nos jours de congé pour convenances personnelles lorsque c’est nécessaire. Voulez-vous une voiture bien construite ? Alors, laissez-nous nous reposer. Laissez-nous passer du temps avec nos familles. »

Que peuvent faire les membres du syndicat avant le 14 septembre pour montrer aux entreprises qu’elles doivent nous prendre au sérieux ? « Portez vos badges », a déclaré Charles Mitchell, un collègue de Jackson. « Portez votre badge rouge. Exercez votre droit à l’activité syndicale. Organisez des réunions à l’heure de la pause autour de la table dans la salle de repos. Organisez-vous. Mobilisez-vous. »

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Luis Feliz Leon est un rédacteur pour Labor Notes. Publié par Labor Notes puis par Jacobin. Traduit par Christian Dubucq pour Contretemps.

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