Israël réprime les voix dissidentes de ses propres citoyen·nes
Des Palestinien·nes d’Israël, ainsi que des juifs·ves de gauche, sont suspendu·es de leurs universités, licencié·es ou arrêté·es la nuit, tout cela à cause de messages postés sur les réseaux sociaux.
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« Bonjour Dr. X. Une plainte nous a été soumise concernant le fait que le 7 octobre vous avez téléchargé une photo de profil sur votre page Facebook avec la légende ‘Le ghetto de Gaza sera libéré.’ En tant que membre du corps enseignant de l’université, le message que vous avez diffusé ce jour-là crève les yeux, bouleverse le cœur et ternit le nom de l’université.
Une réaction à une journée comme celle-ci, au cours de laquelle des actes définis par le droit international comme des crimes contre l’humanité ont été perpétrés par des meurtriers, visant des civils, y compris des adultes et des bébés sans défense, rappelant les actions des nazis contre les Juifs, peut être interprétée de manière tout à fait plausible comme un soutien à ces derniers.
En outre, au cours de la soirée, nous avons été exposés à votre affirmation selon laquelle l’État d’Israël commet un ‘génocide’ à l’encontre des Palestiniens. Ce type d’inversion morale constitue, à tout le moins en apparence, un comportement qui n’est pas approprié pour un membre du corps professoral, comme l’exige le règlement.
Compte tenu de la gravité de vos fonctions, vous êtes suspendu dans l’attente d’une enquête disciplinaire qui sera menée à votre encontre dans les prochains jours, et à une date qui sera déterminée dans les meilleurs délais. »
Une atmosphère de répression croissante
Depuis plus d’une semaine, l’attention du monde entier – ainsi que celle de la plupart des Israélien·nes et des Palestinien·nes – s’est portée sur l’escalade de l’attaque de l’armée israélienne contre la bande de Gaza, à la suite du massacre et des enlèvements perpétrés par le Hamas le 7 octobre dans le sud d’Israël. La persécution politique croissante à l’intérieur d’Israël contre les Palestinien·nes et certains Juifs·ves qui s’opposent à la destruction et au blocus de la bande de Gaza est passée inaperçue.
La lettre reproduite ci-dessus a été envoyée à un membre juif-israélien du corps enseignant d’un collège universitaire du centre d’Israël (la personne en question a demandé que ses coordonnées restent non-précisées). Elle n’est qu’un exemple de l’atmosphère de répression croissante qui règne en Israël depuis le début de la guerre, et en particulier dans les universités.
Selon l’organisation palestinienne de défense des droits de l’homme et le centre juridique Adalah, basés à Haïfa, une cinquantaine de Palestinien.ne.s étudiant à la Bezalel Academy of Arts and Design de Jérusalem, à l’université de Haïfa, au Western Galilee College, à l’université de Tel Aviv et dans d’autres établissements universitaires ont été convoqué.e.s ces derniers jours devant des comités disciplinaires sur la base de publications sur les médias sociaux considérées comme soutenant le Hamas – et certain·es d’entre elles et eux ont été informé·es qu’ils avaient été suspendu.e.s de leur université.
Le bureau du procureur général a annoncé lundi qu’il avait « demandé à certains directeurs d’établissements d’enseignement supérieur, qui l’ont contacté à la suite de cas d’étudiants ayant publié des propos faisant l’apologie du terrorisme, de transmettre les détails à la police israélienne, afin que leur cas puisse être traité dès que possible au niveau pénal, au-delà du niveau disciplinaire géré par l’établissement d’enseignement. Nous allons maintenant examiner le cas de plusieurs étudiants israéliens qui auraient publié des propos faisant l’éloge du Hamas et lui apportant leur soutien. »
Mais la persécution croissante de ces derniers jours ne s’est pas limitée aux institutions universitaires. La Coalition de la société civile pour les situations d’urgence dans la communauté arabe, récemment créée, rapporte qu’au moins 30 citoyen.ne.s palestinien·nes d’Israël ont été licencié·es de leur emploi – dans le commerce de détail, les entreprises de transport et les restaurants, ainsi que dans la municipalité de Jérusalem – depuis le 7 octobre, en raison de messages sur les médias sociaux perçus comme soutenant l’attaque du Hamas. Par ailleurs, les inspecteurs de la municipalité ont empêché aujourd’hui des ouvriers arabes du bâtiment – y compris des cadres supérieurs – d’accéder à plusieurs sites dans le centre d’Israël.
La police israélienne a déclaré qu’au moins 170 Palestinien·nes ont été arrêté·es ou interrogé·es depuis l’attaque du Hamas sur la base de l’expression en ligne. Selon Adalah, ce nombre – qui comprend à la fois des citoyens de l’État et des résidents de Jérusalem – représente le taux d’arrestations le plus élevé en si peu de temps depuis 20 ans, et survient après que le procureur de l’État, Amit Aisman, a autorisé de telles enquêtes sans l’approbation préalable de son bureau.
Le bureau du procureur général a déclaré dans un communiqué qu’il avait une « tolérance zéro » pour ceux qui expriment un « soutien à l’ennemi » et pour celles et ceux qui souhaitent du mal aux soldats israéliens « à un moment où [ils et elles] … combattent l’ennemi meurtrier. »
Le directeur général d’Adalah, Hassan Jabareen, a déclaré à +972 qu’Adalah « reçoit des rapports d’arrestations illégales, souvent effectuées brutalement et tard dans la nuit, sans justification, toutes basées sur des publications sur les médias sociaux ». Ces arrestations reflètent « une tendance alarmante à la persécution délibérée et à l’interdiction de l’expression légitime ». Nareman Shehadeh-Zoabi, collègue de Jabareen à Adalah, a ajouté qu’ils ont reçu des rapports sur des personnes convoquées à des enquêtes de police ou à des interrogatoires simplement pour avoir « liké » des posts sur les médias sociaux – y compris une enseignante arabe travaillant à Tibériade qui a été suspendue parce qu’elle a liké un post partagé par la page Instagram « Eye on Palestine ».
« Toute expression de solidarité avec les victimes civiles palestiniennes, toute opposition à la guerre contre Gaza ou toute qualification de crime de guerre est perçue comme un soutien à la terreur ou à une organisation terroriste », a déclaré Hassan Jabareen. « Ces arrestations et ces mesures indiquent que toutes les institutions appliquent désormais la politique du ministre israélien de la sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, qui considère les citoyen.ne.s arabes comme des ennemi.e.s. Je ne peux pas faire de distinction entre Ben Gvir et la police, le procureur général et les universités ».
« Aider l’ennemi »
Autre cas étrange survenu la semaine dernière : un candidat à la mairie de la ville bédouine de Rahat a été arrêté, soupçonné d’avoir « aidé l’ennemi en temps de guerre », sur la base d’une brève analyse politique qu’il avait rédigée et partagée sur Facebook. Dans le message incriminé, Amer Al-Huzail, docteur en sciences politiques et figure bien connue de Rahat, donnait son interprétation des possibilités d’une réoccupation israélienne de la bande de Gaza.
Dans son billet du 13 octobre, qui reste en ligne et n’a pas suscité beaucoup d’intérêt, il évalue quatre scénarios possibles pour l’invasion terrestre prévue par Israël dans la bande de Gaza assiégée. Le plus probable, selon lui, est « une invasion profonde dans des zones à densité de population relativement faible, afin de diviser la bande de Gaza en zones coupées les unes des autres. » Le billet contient également une carte annotée de Gaza illustrant ce scénario.
Al-Huzail a été arrêté et amené au tribunal de district de Be’er Sheva le jour même où il a publié son message. Le représentant de la police, Mohammed Ibrahim, a déclaré qu’Al-Huzail « a publié plusieurs messages, dont un qui, selon nous, aide l’ennemi, le Hamas, [et dans lequel] il explique comment les Forces de Défense d’Israël peuvent envahir la bande de Gaza. Il a écrit ce texte lui-même, il ne l’a pas copié ailleurs. Compte tenu de l’état d’urgence dans le pays et de la guerre, nous considérons qu’il s’agit d’une aide à l’ennemi en temps de guerre. »
L’avocat d’Al-Huzail, Shehada Ibn Beri, a déclaré lors de l’audience que son client « est un personnage respecté, titulaire de diplômes universitaires, avec mention, obtenus en Allemagne. Il lit, il comprend, il analyse. Je pense que ce qui se passe ici dépasse les bornes ».
Le juge, Amir Doron, a déclaré qu’il était trop tôt pour décider si les messages d’Al-Huzail constituaient une « aide à l’ennemi », mais il a semblé faire preuve d’une plus grande indulgence à l’égard de la liberté d’expression. M. Doron a toutefois noté qu’un élément des documents secrets utilisés par la police pour monter son dossier contre M. Al-Huzail était considéré comme dangereux, et a donc prolongé la détention du candidat à la mairie jusqu’au 16 octobre. La détention a ensuite été prolongée jusqu’au 19 octobre à la suite d’une seconde audience.
Pourtant, Al-Huzail n’est pas le seul analyste à avoir publié des cartes et des interprétations sur l’invasion attendue de Gaza par Israël au cours des derniers jours. Le journaliste israélien de droite Arnon Segal a partagé une carte très similaire sur X (anciennement Twitter) deux jours plus tôt, mais cette fois en hébreu et non en arabe. Et le journaliste israélien Ronen Bergman a écrit un article dans le New York Times, publié le 14 octobre, détaillant entièrement ce que l’on sait des plans d’invasion d’Israël. Ni l’un ni l’autre n’ont été arrêtés ou convoqués pour être interrogés.
Une chanteuse vedette palestinienne d’Israël arrêtée
La chanteuse palestinien populaire Dalal Abu Amneh, qui compte plus d’un million de followers, a également été arrêtée lundi en raison d’un message en arabe publié sur les réseaux sociaux, le 7 octobre, dans lequel on pouvait lire : « Il n’y a pas d’autre vainqueur que Dieu ».
Abu Amneh était en train de déposer une plainte au poste de police de Nazareth contre des militants de droite qui lui avaient envoyé de multiples messages de menace incitant à la violence contre elle et sa famille, lorsqu’elle a reçu un appel de ses enfants : des policiers du département d’Afula frappaient à la porte de leur maison de Nazareth et demandaient à la voir. Après lui avoir parlé au téléphone, les policiers sont arrivés au poste de police de Nazareth et l’ont arrêtée.
Abeer Baker, l’avocat d’Abu Amneh, a déclaré à +972 magazine que la cour avait prolongé sa détention jusqu’à mercredi, et que leur appel avait été rejeté. Lors de la première audience, a ajouté Baker, la police a prétendu que le poste d’Abu Amneh pouvait « provoquer des émeutes » et qu’elle avait entravé le travail de la police lorsqu’elle a été arrêtée. « Toutes ces allégations sont peu convaincantes », a déclaré M. Baker, « il s’agit de persécution politique ».
La répression à l’encontre de la liberté d’expression s’étend également du niveau de l’État et des institutions universitaires à la société dans son ensemble. Israël Frey, éminent journaliste juif ultra-orthodoxe de gauche et critique virulent de la politique israélienne – qui a déjà été convoqué pour un interrogatoire de police à cause de ses tweets – a fait l’objet d’une campagne d’intimidation à son domicile de Bnei Brak dans la nuit de dimanche à lundi, lorsque des manifestants d’extrême droite ont tiré des fusées éclairantes sur son appartement et l’ont poursuivi alors qu’il s’enfuyait.
Alors qu’il était escorté par la police, M. Frey a déclaré que les agents lui avaient craché dessus et l’avaient agressé physiquement, l’accusant de « soutenir le Hamas ». La police a démenti ces accusations.
Par ailleurs, le ministre des communications, Shlomo Karhi, a présenté lundi au cabinet de sécurité de la Knesset une nouvelle législation qui lui donnerait le pouvoir de retirer des émissions des ondes et de confisquer le matériel de diffusion si un programme est considéré comme portant atteinte à la sécurité nationale ou à l’ordre public, ou comme contribuant à la « propagande de l’ennemi ». Le ministre du Likoud aurait déjà proposé une loi encore plus draconienne – abandonnée au profit du projet de loi relativement plus modéré présenté lundi – qui aurait donné à la police le pouvoir d’arrêter les civils qui partagent des informations qui « sapent le moral des soldats et des résidents d’Israël face à l’ennemi ».
Karhi aurait également demandé la fermeture du bureau d’Al-Jazeera en Israël pour des raisons similaires.
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Ghousoon Bisharat est la rédactrice en chef du magazine +972.
Oren Ziv est photojournaliste, reporter pour Local Call et membre fondateur du collectif de photographes Activestills.
Baker Zoubi est un journaliste originaire de Kufr Misr qui vit actuellement à Nazareth. Il travaille depuis 2010, d’abord en tant que reporter pour des médias arabes locaux, puis en tant qu’éditeur du site web Bokra. Aujourd’hui, il travaille également comme chercheur et rédacteur pour des programmes télévisés sur les chaînes Makan et Musawa et collabore à Local Call.
Cet article a été publié le 17 octobre 2022 sur le site +972 magazine. Traduction Contretemps.