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À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour

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L’essentiel de la journée

Présentation du rapport Appert

Alors que l’état de siège est toujours en application, le général Appert a présenté à l’Assemblée un rapport de toutes les décisions « relatives à l’insurrection de 1871 » prises par la  justice militaire. Les insurgé.e.s ont tous.tes été jugé.e.s par cette justice d’exception dans le cadre de l’état de siège par vingt-six conseils de guerre (vingt-deux créés spécialement). Et d’autres continuent à être jugé.e.s encore aujourd’hui.

Il reste le bilan des morts de la répression versaillaise : des milliers d’inconnu.e.s, enterré.e.s dans des fosses communes lors de la semaine sanglante et des jours qui l’ont suivie.Versailles ne l’a pas fait, n’ose pas le faire. Ce sont 15 000, 20 000, 25 000 parisien.ne.s qui ont disparu.e.s ainsi, un massacre de masse d’une ampleur et d’une sauvagerie sans pareille.

Les arrestations de masse ont commencé dès les premiers combats, trois mille cinq cent gardes fédérés ont été faits prisonniers entre le 2 avril et le 20 mai, des dizaines de milliers en mai, et elles ont continué en juin, juillet, et encore les mois suivants dans une moindre mesure, dans des quartiers ouvriers étroitement contrôlés par la police. La police affirme avoir reçu près de 400 000 dénonciations du 22 mai au 13 juin… Un bourbier d’ignominies !

L’appel au meurtre des journaux et auteurs versaillais a été indigne.

Figaro 8 juin 1871

La répression doit égaler le crime… Les membres de la Commune, les chefs de l’insurrection, les membres des comités, cours martiales et tribunaux révolutionnaires, les généraux et officiers étrangers, les déserteurs, les assassins de Montmartre, de la Roquette et de Mazas, les pétroleurs et les pétroleuses, les repris de justice, devront être passés par les armes… La loi martiale devra s’appliquer dans toute sa rigueur aux journalistes qui ont mis la torche et le chassepot aux mains de fanatiques imbéciles… Une partie de ces mesures ont déjà été mises en vigueur. Nos soldats ont simplifié la besogne des cours martiales de Versailles en fusillant sur place ; mais il ne faut pas se dissimuler que beaucoup de coupables ont échappé au châtiment…

Paul de Saint Victor, Barbares et bandits

L’internationale, cette franc-maçonnerie du crime […] trônait et régnait à l’Hôtel de ville. Elle avait recruté les routiers et les malandrins de l’Europe entière. Des faussaires polonais, des bravis garibaldiens, des pandours salves, des agents prussiens, des flibustiers yankee, cavalcadaient en tête de ses bataillons […] Paris était devenu l’égout collecteur de la lie et de l’écume des deux mondes…

En tout, 38 614 personnes ont été arrêté.e.s, 36 909 hommes, 1 054 femmes et 651 enfants de moins de 16 ans. Près d’un millier, 967, dont 101 enfants sont morts en détention, du fait des conditions dans lesquelles étaient gardé.e.s les communeux.ses, dans les prisons, les camps et les pontons qui ont concerné 28 000 prisonnier.es. Manifestement ce chiffre de décès n’intègre pas les centaines et peut-être les milliers de morts des premiers jours.

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Prosper-Olivier Lissagaray, 33 ans, journaliste

La prison la plus cruelle fut celle de Saint-Marcouf. Les prisonniers y restèrent plus de six mois, privés d’air, de lumière, de conversation, de tabac, n’ayant pour nourriture que des miettes de biscuit noir et du lard rance. Ils furent tous atteints du scorbut.

 

La justice des vainqueurs a été impitoyable

1090 ont été remis en liberté, et 212 à la justice civile.

Il y eut 46 835 personnes jugées, certaines par contumace, et certaines plusieurs fois.

Pour 9 291, pas de jugement car les charges étaient insuffisantes.

Pour 23 727, ordonnance de non-lieu, ce qui signifie qu’elles ne sont pas considérées innocentes.

10 137 personnes ont été condamnées :

95 à mort (43 membres de la Commune) dont 23 exécutées, plus 175 par contumace. 251 aux travaux forcés plus 159 par contumace. 1169 à la déportation en enceinte fortifiée plus 2820 par contumace. 1247 à la réclusion. 3359 à des peines d’emprisonnement et 55 enfants sont envoyés en maison de correction.

Les condamnés à la déportation ont été concentré.e.s à Ford Boyard, Saint-Martin-de-Ré, l’île d’Oléron, l’île d’Aix, le fort de Quélern, etc. Le transfert des condamné.e.s vers la Nouvelle-Calédonie, un voyage de cinq mois dans un ponton en marche, a commencé le 3 mai 1872[1] et duré pendant trois ans, au rythme des condamnations.

 

En Août 1871, le premier grand procès

Il a été le prélude dramatique à cette vague répressive sans pareille, qui a refusé aux accusé.e.s le statut de prisonnier.es politiques. Il se voulait un procès modèle, concernant quinze membres de la Commune, et deux membres du Comité central de la Garde nationale arrêtés à ce moment : Ferré, Assi, Jourde, Grousset, Régère, Billioray, Courbet, Urbain, Clément, Trinquet, Champy, Rastoul, Verdure, Descamps et Parent.

Il a commencé le 17 août pour dix-sept audiences, avec deux mille places réservées à un public composé des égorgeurs de l’armée régulière, au grand complet.

Salle d’audience du jugement des membres de la Commune.

L’acte d’accusation du Commandant Gaveau résumait toutes les peurs de la bourgeoisie face à cette révolution, considérée comme une attaque contre les bases et les « fondements éternels de l’ordre social ». Il s’inquiétait particulièrement du rôle de l’Association internationale qui constituait un danger particulièrement grave, puisqu’elle voulait faire table rase et tout reconstruire à neuf, constituer un état social qui ne reconnaisse ni gouvernement, ni armée, ni religion, qui décrète la législation du peuple par le peuple, l’entrée du sol dans la propriété collective, l’abolition du droit d’hérédité, l’abolition du mariage en tant qu’institution politique, religieuse, juridique et civile, qui supprime les armées permanentes et efface l’idée de patrie.

Extraits de la Circulaire du 6 juin 1871 de Jules Favre

L’Internationale est une société de guerre et de haine …pour écraser les nations sous le joug d’une sorte de monarchisme sanguinaire, c’est pour faire une vaste tribu appauvrie et hébétée par le communisme, que les hommes égarés et pervers agitent le monde … le dernier mot de leur système ne peut être que le despotisme d’un petit nombre de chefs s’imposant à une multitude courbée sous le joug, subissant toutes les servitudes, jusqu’à la plus odieuse, celle de la conscience, n’ayant plus ni foyer, ni champ, ni épargne, ni prière, réduite à une immense atelier, conduite par la terreur, et contrainte administrativement à chasser de son cœur Dieu et la famille.

Le citoyen Ferré a été condamné à mort, comme Lullier pour la forme, la connivence de ce dernier avec Versailles ayant été établie. À l’exception de Courbet et de Victor Clément, condamnés à quelques mois de prison, de Descamps et d’Ulysse Parent, qui furent acquittés, tous furent condamnés à la déportation, soit simple, soit dans une enceinte fortifiée.

Les malheureux Trinquet et Urbain ont été condamnés aux travaux forcés à perpétuité. La dignité du citoyen Trinquet durant les débats fut telle que les ennemis les plus acharnés de la Commune en furent émus eux-mêmes. La rage de ses juges la lui fait payer cher. Trinquet, envoyé au bagne dès sa condamnation, est soumis à un régime exceptionnel et il lui a été dit qu’on ne lui accorderait le régime ordinaire des forçats que lorsqu’il « se serait montré digne de cette faveur par une conduite exemplaire ».

Quelques exemples de condamnations lors des procès suivants : condamné aux travaux forcés à perpétuité, Roques, maire de Puteaux, pour avoir fait soigner les blessés de la Commune ; à la déportation dans une enceinte fortifiée, Rochefort, coupable d’avoir écrit des articles attaquant Thiers et Versailles ; à la peine de mort, le jeune Maroteau, journaliste coupable de quelques articles violents dans La Montagne[2] (peine commuée en travaux forcés à perpétuité, il est mort en déportation en mars dernier) ; à la déportation le géographe Elisée Reclus, pour avoir combattu dans les rangs des fédérés, etc.

Les exécutions se sont succédées, en commençant le 28 novembre par celles de Ferré, Rossel et Bourgeois, le 30 novembre, celle de Gaston Crémieux de Marseille, puis en février 1872, Lagrange, Herpin Lacroix, Verdaguer, qui payèrent de leur vie la mort des deux généraux Clément Thomas et Lecomte que Herpin Lacroix avait voulu sauver. Mars, mai, juillet, etc.

Théophile Ferré

Paris a perdu 100 000 habitant.e.s

Benoît  Malon, 30 ans, ouvrier teinturier, journaliste

Après cinq mois de terreur, quand cent mille ouvriers des deux sexes ont été supprimés par les combats, les massacres, les arrestations et la proscription, quand tout ce qui a du cœur et qui peut partir, s’enfuit de Paris, en maudissant ses bourreaux, ne pouvant plus voir tant d’horreurs, la terreur tricolore sévit de plus belle de toute sa violence, achevant la ruine de Paris, et la situation horrible en pire sans cesse.

Vingt mille sergents de ville ou gendarmes, les premiers affublés par une amère dérision du costume des héroïques fédérés, veillent sur la société à chaque coin de rue, le sabre au côté, le revolver à la ceinture, le regard dur et menaçant.

Que sont devenus ces faubourgs où s’agitait, si puissante, la vie du travail ? Certaines maisons sont presque entièrement vides : on a fusillé par-là, d’autre fois il reste des femmes, des enfants qui souffrent, et se meurent dans la plus lamentable misère. L’un des premiers actes du gouvernement versaillais ayant été de supprimer les fourneaux et les distributions municipales, il ne leur reste rien, car le mari, le père, ni le fils de sont plus là pour apporter le salaire de la semaine. Des voisins, moins éprouvés, ont d’abord aidé un peu, mais ils ne le peuvent plus, alors on traîne des haillons, on meurt lentement d’inanition, et en attendant on n’offre aux regards affligés des honnêtes gens que des visages terreux et repoussants. […]

Je ne parle pas de ceux qui n’ont pas de logement, qui, chassés par les propriétaires comme des animaux dangereux, attendent au coin de la borne, dans une cour obscure, qu’un voisin compatissant et presque aussi malheureux les reçoit dans son misérable réduit, où tous languissent de privation et de manque d’air.

Quant à ceux qui sont poursuivis, où se cacher ? Dans quelque souterrain dont la femme fera sortir, au grand jour, leurs visages, que les souffrances ont rendu ignobles, ne désigne pas aux gens, et bientôt ils verront Versailles et les pontons.

Dans les quartiers les plus en pointe de la révolution, Belleville et Ménilmontant et le XIIIème arrondissement, il ne reste plus que des vieilles femmes, dans certaines rues.

Aux mort.e.s, aux condamné.e.s, s’ajoutent les exilé.e.s. Celles et ceux qui veulent éviter les condamnations par contumace, et aussi celles et ceux qui veulent échapper avec leur famille au risque d’arrestation. Compte tenu de l’attitude de la Belgique, c’est surtout en Suisse et en Angleterre qu’au moins cinq mille parisien.nes s’exilèrent.

Prosper Olivier Lissagaray, 33 ans, journaliste

L’industrie parisienne en fut écrasée. Ses chefs d’atelier, ses contremaîtres, ses ajusteurs, toute cette pléiade d’ouvriers, véritables artistes, qui donnent à sa fabrication un fini parfait et un cachet particulier, périrent, ou furent faits prisonniers, ou émigrèrent. La cordonnerie perdit la moitié de ses ouvriers, douze mille sur vingt-quatre mille, l’ébénisterie, plus d’un tiers, dix mille ouvriers tailleurs sur trente mille, à peu près tous les couvreurs, peintres, plombiers, zingueurs, disparurent. La ganterie, la mercerie, la corsetterie, la chapellerie subirent les mêmes désastres. Les plus habiles bijoutiers s’enfuirent en Angleterre. L’ameublement, qui occupait auparavant plus de soixante mille ouvriers dut, faute de bras, refuser des commandes.

Lors des élections complémentaires de 2 juillet 1871, il y eut donc 100 000 électeurs de moins qu’aux élections du 8 février !

 

Les résistances, les solidarités

Les murs murmurent : les graffitis favorables à la Commune sont nombreux, ne s’arrêtent pas. Dès 1871, il s’est formé à Paris un comité de secours pour les familles des détenus politiques, alimenté par des souscriptions, des dons, des allocations.

Victor Hugo, rentré à Paris le 1er octobre 1871, appuie la demande de grâce de Rossel, et met tout son poids dans la bataille pour l’amnistie.

Pour obtenir un vrai ou un faux passeport, s’échapper, trouver un abri temporaire, les réseaux militants et les relations nouées sont décisives. Un peu partout, des militants offrent le gîte et le couvert.
Dès juin 1871, le Conseil général de l’Internationale a mis en place un « fonds des réfugiés », administré par Hermann Jung qui fournit aux exilés un secours hebdomadaire modique. Puis, à Londres est créée la Société des réfugiés qui confie aux exilés le soin de gérer et de répartir eux-mêmes l’argent collecté. En Belgique, des associations de la libre pensée s’ouvrent aux réfugiés français.

En France, à partir de 1874, une souscription permanente est ouverte pour fournir une aide aux déporté.e.s en Nouvelle-Calédonie, qui organise banquets, concerts, tombolas et entretient la mémoire militante.

Prosper-Olivier Lissagaray, 33 ans, journaliste

À Belleville et à Montmartre, pendant longtemps on menaça les soldats, et des coups de feu partirent des maisons. Les troupes occupaient militairement ces quartiers sillonnés le soir par de fortes patrouilles. Du reste, dès 10h du soir, on entendait retentir dans toutes les rues obscures et désertes le pas des chevaux des gendarmes, et tout passant attardé subissait un interrogatoire rigoureux.

Dans le 13e arrondissement, des agents de police furent blessés de coups de feu. Au café du Helder, rendez-vous des officiers, plusieurs d’entre eux furent insultés. Rue de Rennes, rue de la Paix, place de la Madeleine, des soldats, des officiers tombèrent frappés par des mains invisibles ; près de la caserne de la pépinière, on tira sur un général. À défaut d’arme à feu on se servit de flèches. […]

La gauche, dit radicale, ne trouva ni un geste pour arrêter les massacres, ni pour les flétrir, ni un mot de protection pour les prisonniers. Le 18 mars, au lieu d’accourir à Paris, son poste véritable, elle l’avait déserté pour s’enfuir à Versailles. Elle aurait pu grouper la classe moyenne, sympathique à la révolution nouvelle, éclairer, entraîner la province par l’autorité de ses noms et forcer la main à Versailles, sans qu’il n’en coûtât une goutte de sang. Le mouvement aurait sans doute perdu de sa vigueur et de netteté mais du moins la nation ce serait mise en marche et certains droits fondamentaux eussent été conquis. Elle refusa. Les pontifes du jacobinisme ne cachèrent pas leur haine pour cette révolution faite par les prolétaires, trahissant ainsi leur véritable ambition qui est de gouverner le peuple, nullement de l’émanciper. […] M. Gambetta était resté muet pendant toute la durée de la Commune. Quinze jours après sa chute, l’irréconciliable ennemi du coup de force du 2 décembre, s’empressa de déclarer solennellement qu’un gouvernement qui avait pu écraser Paris avait par cela même démontré sa légitimité.

Seul Victor Hugo, pourtant adversaire de la Commune, combat courageusement la répression. Un arrêté l’oblige à quitter la Belgique, sa terre d’exil pendant de longues années, car sa conduite cherchant à « justifier les crimes horribles commis par les révolutionnaires de Paris et à en rejeter la responsabilité sur l’autorité régulière » est de nature à compromettre la tranquillité publique.

 

En bref, quelques dates 

– 8 juin 1871. Une loi abroge les lois d’exil de 1832 et de 1848 concernant les deux branches de la dynastie capétienne, qui permet aux princes héritiers d’occuper leur siège à l’Assemblée.

– 2 juillet 1871. Lors des élections partielles, victoire républicaine : sur les 114 sièges à pourvoir, 99 vont aux républicains, dont 35 radicaux, 12 aux monarchistes et 3 aux bonapartistes camouflés. Paris élit 17 républicains sur 21 postes à pourvoir.

– 8 octobre 1871. Les élections aux conseils généraux sont un triomphe pour les républicains qui emportent 2290 sièges contre 660 pour les monarchistes.

– 14 mars 1872. Adoption d’une loi par laquelle le fait de s’affilier ou de rester affilié à l’Association internationale des travailleurs, ou à tout autre association internationale, publique ou secrète, professant les mêmes doctrines et ayant le même but est puni d’un emprisonnement de deux mois à deux ans et d’amendes, de privation de droits civiques et de famille.

– 15 mars 1873. Signature de la convention d’évacuation définitive des troupes allemandes. En effet, l’emprunt national a été un succès et a permis de régler l’indemnité pouvant être payée par anticipation.

– 24 mai 1873. Thiers est remercié et remplacé par un légitimiste, le général Mac Mahon. Une nouvelle tentative de restauration échoue à l’automne, entre prétendants et sur l’exigence du retour au drapeau blanc.

– 24 juillet 1873. L’Assemblée adopte par 382 voix pour, 138 voix contre et 160 abstentions, une loi déclarant d’utilité publique la construction d’une église sur la colline de Montmartre, à la demande de l’archevêque de Paris, sur un emplacement décidé avec le préfet de la Seine. Elle sera construite exclusivement avec des dons provenant de souscriptions.

– 25 février 1875. Vote de lois instaurant de fait la IIIème République.

– 6 juin 1875.  Lors de la cérémonie de la pose de la première pierre de la Basilique de Montmartre, Hubert Rohault de Fleury a déclaré : « Oui, c’est là où la Commune a commencé, là où on été assassinés les généraux Clément Thomas et Lecomte, que s’élèvera l’église du Sacré-Cœur ! Malgré nous, cette pensée ne pouvait nous quitter pendant la cérémonie dont on vient de lire les détails. Nous nous rappelions cette butte garnie de canons, sillonnée par des énergumènes avinés, habitée par une population qui paraissait hostile à toute idée religieuse et que la haine de l’Église semblait surtout animer ».

 

Des nouvelles du Havre

Dès la fin de la Commune, à partir du 31 mai, chaque jour la police arrête des individus qui poussent des cris séditieux ou qui lacèrent des affiches officielles. On arrête aussi tous ceux qui ressemblent à des membres de la Commune. On arrête ainsi le 31 mai une personne qui a le signalement de Delescluze, mort six jours avant sur la barricade au Château d’Eau.

Toute l’année 1871, sont arrêtés tous ceux qui ont participé à la Commune et veulent s’exiler. En outre, la police pourchasse impitoyablement ceux qui se cachent en ville.

Le 27 octobre 1871, un employé, François Rinfray, et un ouvrier sellier, Lagarde, sont arrêtés et envoyés à Versailles pour être jugés.

Enfin, une quarantaine de communeux sont assignés à résidence au Havre suite aux décisions des conseils de guerre.

La chasse aux communeux ne s’est pas arrêtée. Ce mois-ci, le 6 juillet 1875, a été arrêté Jules Rivet, animateur des sociétés de gymnastique, fondateur de la Société nationale de gymnastique des ouvriers du Havre, est emprisonné pour sa participation à la Commune en attendant d’être jugé par un conseil de guerre qui l’a rapidement condamné à la déportation.

 

En débat

Tribune – Bakounine sur la Commune de Paris, le 23 juin 1871

Projet : « Préambule pour la seconde édition» resté inachevé

« Le socialisme révolutionnaire vient de tenter une manifestation éclatante et pratique dans la Commune de Paris.

Je suis un partisan de la Commune de Paris, qui, pour avoir été massacrée, étouffée dans le sang par les bourreaux de la réaction monarchique et cléricale, n’en est devenue que plus vivace, plus puissante dans l’imagination et dans le cœur du prolétariat de l’Europe. J’en suis le partisan surtout parce qu’elle a été une négation audacieuse, bien prononcée, de l’État.

C’est un fait historique immense que cette négation de l’État se soit manifestée précisément en France, qui a été jusqu’ici par excellence le pays de la centralisation politique et que se soit Paris, la tête et le créateur historique de cette grande civilisation française, qui en ait pris l’initiative. […]

La Commune de Paris a duré trop peu de temps, et elle a été trop empêchée dans son développement intérieur par la lutte mortelle contre la réaction de Versailles, pour qu’elle ait pu, je ne dis pas même appliquer, mais élaborer théoriquement son programme socialiste. D’ailleurs, il faut bien le reconnaître, la majorité des membres de la Commune n’étaient pas proprement socialistes, et s’ils se sont montrés tels, c’est qu’ils ont été invinciblement poussés par la force irrésistible des choses, par la nature de leur milieu, par les nécessités de leur position, et non par leur conviction intime. Les socialistes, à la tête desquels se place naturellement notre ami Varlin, ne formaient qu’une très infime minorité ; ils n’étaient tout au plus que quatorze ou quinze membres. Le reste était composé de jacobins. […]

D’ailleurs, la situation du petit nombre des socialistes convaincus qui ont fait partie de la Commune de Paris était excessivement difficile. Ne se sentant pas suffisamment soutenus par la grande masse de la population parisienne, l’organisation de l’Association internationale, très imparfaite elle-même d’ailleurs, n’embrassant à peine que quelques milliers d’individus, ils ont dû soutenir une lutte journalière contre la majorité jacobine. Et au milieu de quelles circonstances encore (!). Il leur a fallu donner du travail et du pain à quelques centaines de milliers d’ouvriers, les organiser, les armer et surveiller en même temps les menées réactionnaires ; [ …] il leur a fallu opposer un gouvernement et une armée révolutionnaire au gouvernement et à l’armée de Versailles, c’est-à-dire que, pour combattre la réaction monarchique et cléricale, ils ont dû, oubliant ou sacrifiant eux-mêmes les premières conditions du socialisme révolutionnaire, s’organiser en «réaction» jacobine. […]

Je sais que beaucoup de socialistes, très conséquents dans leur théorie, reprochent à nos amis de Paris de ne s’être pas montrés suffisamment socialistes dans leur pratique révolutionnaire […] Je ferai observer aux théoriciens sévères de l’émancipation du prolétariat qu’ils sont injustes envers nos frères de Paris : car, entre les théories les plus justes et leur mise en pratique, il y a une distance immense qu’on ne franchit pas en quelques jours. Quiconque a eu le bonheur de connaître Varlin, par exemple, pour ne nommer que celui dont la mort est certaine, sait combien, en lui et en ses amis, les convictions socialistes ont été passionnées, réfléchies et profondes […] Ils avaient d’ailleurs cette conviction que, dans la Révolution sociale, diamétralement opposée, dans ceci comme dans tout le reste, à la Révolution politique, l’action des individus était presque nulle et l’action spontanée des masses devait être tout. Tout ce que les individus peuvent faire, c’est d’élaborer, d’éclairer et de propager les idées correspondantes à l’instinct populaire, et, de plus, c’est de contribuer par leurs efforts incessants à l’organisation révolutionnaire de la puissance naturelle des masses, mais rien au-delà ; et tout le reste ne doit et ne peut se faire que par le peuple lui-même. Autrement on aboutirait à la dictature politique, c’est-à-dire à la reconstitution de l’État, des privilèges, des inégalités, de toutes les oppressions de l’État, et on arriverait, par une voie détournée mais logique, au rétablissement de l’esclavage politique, social et économique des masses populaires.

Varlin et tous ses amis, comme tous les socialistes révolutionnaires, et en général comme tous les travailleurs nés et élevés dans le peuple, partageaient au plus haut degré cette prévention parfaitement légitime contre l’initiative continue des mêmes individus, contre la domination exercée par des individualités supérieures : et comme ils étaient justes avant tout, ils tournaient aussi bien cette prévention, cette défiance, contre eux-mêmes que contre toutes les autres personnes. Contrairement à cette pensée des communistes autoritaires, selon moi tout à fait erronée, qu’une Révolution sociale peut être décrétée et organisée, soit par une dictature, soit par une assemblée constituante issue d’une révolution politique, nos amis les socialistes de Paris ont pensé qu’elle ne pouvait être faite ni amenée à son plein développement que par l’action spontanée et continue des masses, des groupes et des associations populaires… Nos amis de Paris ont eu parfaitement raison. »

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Illustration : 17 juin 1871, « Les arrestations. Interrogatoire de Rossel, ancien président de la cour martiale de la Commune, Dessin de M. Lix, d’après le croquis de M. G. Tiret », Le Monde Illustré (740): 372.

 

Notes

[1]Il n’y a eu, à notre connaissance, que deux évasions réussies.

[2] Un des articles incriminés se terminait ainsi : « Nous avons pris Darbois comme otage et si on ne nous rend pas Blanqui, il mourra. La Commune l’a promis ; si elle hésitait, le peuple tiendrait le serment pour elle et ne l’ac­cusez pas. Que la justice des tribunaux commence, disait Danton au lendemain des massacres de septembre et celle du peuple cessera.  Ah ! j’ai bien peur pour Monseigneur l’archevêque de Paris ».

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