La Commune au jour le jour. Lundi 20 mars 1871
À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour.
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L’essentiel de la journée
La rue est tranquille, on se promène au soleil, les magasins sont ouverts, les usines fonctionnent, malgré les barricades qui sont érigées un peu partout. Le Comité central de la Garde Nationale est suffisamment sûr de la situation qu’il publie le texte suivant :
Comité central de la Garde Nationale
Les habitants limitrophes des grandes voies de communication servant au transport des vivres pour l’alimentation de Paris sont invités à disposer leurs barricades de manière à laisser la libre circulation des voitures.
Les élections à la Commune de Paris se tiendront le mercredi 22 mars !
Partout est affiché et publié l’appel aux élections municipales décidé la veille.
Le Comité central de la Garde Nationale,
Considérant :
Qu’il y a urgence de constituer immédiatement l’administration communale de la ville de Paris,
ARRÊTE :
1° Les élections du conseil communal de la ville de Paris auront lieu mercredi prochain, 22 mars.
2° Le vote se fera au scrutin de liste et par arrondissement.
Chaque arrondissement nommera un conseiller par chaque vingt mille habitants ou fraction excédante de plus de dix mille.
3° Le scrutin sera ouvert de 8 heures du matin à 6 heures du soir. Le dépouillement aura lieu immédiatement.
4° Les municipalités des vingt arrondissements sont chargées, chacune en ce qui la concerne, de l’exécution du présent arrêté.
Un avis ultérieur indiquera le nombre de conseillers à élire par arrondissement.
Hôtel-de-Ville, ce 19 mars 1871.
Informés des longs échanges entre le Comité central et les maires et députés, le Comité des Vingt arrondissements, l’Internationale, qui siègent en permanence ou presque, adjurent le Comité central de rester à son poste jusqu’aux élections. En outre, dans les débats, ils souhaitent que le Comité central prenne des mesures plus audacieuses et ne se contente pas d’organiser les élections, ils ont peur que ces apprentis de la politique se fassent rouler par les vieux renards de Versailles.
Témoignage
Gustave Lefrançais, 45 ans, instituteur, comptable
Il rapporte une discussion avec quelques membres du Comité de la Corderie :
« Bientôt arrive Malon, revenant de Bordeaux, Il nous apporte ses impressions de voyage. Elles ne sont pas gaies.
Il est persuadé que, malgré le mépris qu’a déjà soulevé contre elle l’Assemblée des ruraux, la province n’appuiera pas le mouvement. La province redoute avant tout la reprise de la guerre dont elle ne veut à aucun prix. De grands malheurs sont à craindre.
En nous racontant ces choses, l’émotion le gagne à ce point qu’un sanglot vient à l’interrompre.
Malgré ces sombres prévisions, comme la situation –voulue et amenée par le gouvernement Thiers et consorts – ne peut plus être évitée et que la République peut en mourir, le mieux, nous semble-t-il, est d’y faire face.
Nous décidons en conséquence d’appuyer le Comité Central de toutes nos forces.
Une délégation est nommée pour porter cette résolution à l’Hôtel de Ville ».
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Du côté des étudiants, les ardeurs d’hier se sont atténuées. Les jeunes bourgeois de l’École polytechnique s’étaient affirmés contre le Comité Central. Aujourd’hui une motion préconisant aux troupes versaillaises de se réunir et de quitter Paris « en ordre militaire » a été repoussée à une voix, mais le refus de servir d’intermédiaire est encore plus nettement repoussé : les polytechniciens restent dans l’expectative.
Les maires continuent à faire pression pour gérer la ville à la place du Comité Central
La pression des maires continue malgré l’absence d’accord lors des longs échanges de la veille. Ce matin, le maire Bonvalet et deux adjoints sont venus pour prendre possession de l’Hôtel-de-Ville. Ils affirment que les députés vont demander aujourd’hui les franchises municipales, et que les négociations avec l’assemblée ne peuvent aboutir si l’administration de Paris n’est pas remise aux maires. Ils ont confirmé par une affiche cet engagement à demander à l’Assemblée l’élection des chefs de la Garde Nationale et d’un conseil municipal.
Comme la discussion s’engage avec les membres du Comité central présents, Bonvalet déclare qu’il n’est pas venu pour ce type d’échange, mais pour prendre possession de l’Hôtel-de-Ville, et il s’en va. Cette raideur qui ressemble fort à une menace confirme la volonté des maires de refuser le pouvoir acquis par le peuple hier, et ainsi de les livrer à la réaction majoritaire à l’Assemblée Nationale.
Versailles s’organise contre Paris
À Versailles, l’affolement règne, les fonctionnaires arrivés de Paris, terrorisés, répandent la peur. On s’inquiète de la possibilité d’insurrections en province. Certains parlent de s’éloigner de Paris, de se réfugier à Bourges, car l’armée n’apparaît pas fiable face aux gardes nationaux insurgés.
Témoignage
Martial Senisse, 20 ans, maçon limousin
« Ce matin, j’ai pris le train à huit heures pour me rendre à Versailles. Dans le train, il y avait beaucoup de soldats qui voudraient bien retrouver leurs officiers là-bas. En gare des Batignolles, le train a été fouillé par un bataillon de fédérés et deux prêtres ont été descendus de force du wagon.
A Versailles, à la gare des Chantiers, ce sont des policiers qui nous ont fouillé. Ceux qui n’ont pu dire ce qu’ils venaient faire ont été refoulés sur Paris. Moi, j’ai montré mon laissez-passer et un policier a dit : service du Château. Tout le monde s’est écarté.J’ai à peine reconnu Versailles. Il y a de la foule dans les rues, des tentes sur les avenues, des sentinelles partout……
Une imprimerie a été installée dans le Château, rue des Réservoirs, juste en face de l’appartement….. et tous les soirs, de sa fenêtre, Elise voit les policiers suivre les typographes quand ils sortent de leur travail.
Il paraît qu’à Versailles tout le monde a peur. On dit que les fédérés vont attaquer la ville. »
C’est dans la salle du théâtre que le président Grévy inaugure la session de l’Assemblée Nationale par un long réquisitoire qui flétrit cette « criminelle insurrection », qui dénonce le « gouvernement factieux qui se dresse en face de la souveraineté nationale ».
Les députés de Paris sont là. Ils ne font pas de déclaration collective, mais déposent individuellement plusieurs projets de loi. Un texte présenté par Clémenceau vise à convoquer à bref délai les électeurs de Paris, un autre projette d’accorder à la Garde Nationale l’élection de ses chefs. De son côté Millière propose d’ajourner les échéances commerciales à six mois. Tous demandent l’examen de ces lois dans l’urgence.
Extrait du compte rendu de la séance du 20 mars
Ernest Picard, le Ministre de l’Intérieur du gouvernement Thiers :
« s’il s’agissait uniquement de savoir si Paris doit avoir un conseil municipal élu, je ne viendrais pas contredire la proposition de l’honorable M Clémenceau. Mais il y a dans Paris une insurrection très grave…………….
Est-il possible, dans une telle situation, de faire des élections sous la présidence des inconnus qui demandent pour Paris une autorité issue du suffrage universel ?
…. En ce moment, nous n’avons qu’une chose à faire : fermer la plaie ouverte, et ce ne sera pas possible en acceptant une demande d’urgence qui signifierait qu’on peut, à titre de transaction, dans les circonstances actuelles, faire des élections à Paris (applaudissements) »
Après débat, l’urgence est votée, mais pas les lois, le gouvernement veut gagner du temps car il a décidé dès ce moment de « fermer la plaie ouverte » comme dit Picard.
Les monarchistes et tous les conservateurs qui attendent leur heure se coalisent aujourd’hui avec Thiers contre la Révolution, pour constituer une armée vigoureuse contre le peuple de Paris.
Si l’élection d’un nouveau conseil municipal demandée par les élus parisiens est retardée, quelques décisions sont prises immédiatement :
– la nomination d’une commission de 15 membres délégués par l’assemblée, qui permet au gouvernement d’agir au nom de l’Assemblée sans la mettre dans la confidence ;
– l’état de siège est déclaré à Versailles et dans tout le département.
Les administrations, les ministères sont vides : il n’y a plus de gouvernement dans Paris
Ce matin, on constate partout que l’armée, le Gouvernement, l’Administration se sont évaporés en deux nuits et une journée.
Thiers, qui pense que ces prolétaires sans éducation politique, sans administration, sans argent, ne peuvent pas « conduire leur barque », que les révolutionnaires n’auront rien de plus pressé que de s’entre-déchirer, a décidé de les abandonner à eux-mêmes, en provoquant l’arrêt subit de tous les rouages sociaux, qui peut conduire très vite à la misère et à la faim.
Pour répondre à la levée en masse des parisien-ne-s, le gouvernement a pris une décision inédite : il a donné l’ordre à tous les fonctionnaires, administrateurs et employés de tout grade de déménager en hâte et de se transporter avec leur outillage administratif, et surtout avec leurs caisses, à Versailles, sous peine de révocation. Aucune décision de cet ordre n’avait été prise dans les villes occupées par les Prussiens.
L’Hôtel-de-Ville est évacué. Il n’y a personne non plus à la Préfecture de police, dans tous les ministères. Les bureaux sont nettoyés et propres, sans aucun objet de quelque valeur, tout a été emporté. L’hôtel des postes est vide, plus de timbres, de griffes, plus de lettres ni de télégrammes. Dans les mairies, les registres, les cachets, les caisses ont eux aussi disparu, rendant tout acte de mariage, de testament ou autre, aléatoire. Les dirigeants des bureaux de bienfaisance ont emporté les caisses avec l’argent qu’elles contenaient, mais les indigents restent, les milliers de sourds, d’aveugles, de paralytiques, de rhumatisants, toute la population infirme et malade, affamée qui vit de la charité publique. L’intendance militaire a abandonné, sans un sou, six mille malades dans les hôpitaux et les ambulances très désorganisés par les absences de grands professeurs, médecins et chirurgiens. Tout ce qui permet la vie quotidienne est détraqué, la voirie, l’éclairage, l’organisation des Halles et des Marchés, jusqu’aux cimetières. Plus de douaniers dans les octrois, plus de percepteurs. De nombreux professeurs de l’Académie, de l’institut sont partis eux aussi. Les tribunaux sont vides, de la Cour de Cassation à la plus humble salle de la justice de paix.
Il n’y plus de gouvernement dans Paris, plus de police ni de policiers, plus de magistrats ni de procès, plus d’huissiers ni de poursuites, les propriétaires s’enfuient abandonnant les immeubles aux locataires.
Le Comité central organise la vie quotidienne
Le Comité central pare au plus pressé pour que la vie continue, que les fonctions indispensables soient assurées malgré ce sabotage. Il faut tout réorganiser.
Envoyer des délégués ne suffit pas pour faire fonctionner cette énorme machine étatique, puisque la plupart des employés ont abandonné leurs postes. L’élan est formidable : on vient spontanément de partout au Comité central, les comités d’arrondissement fournissent du personnel aux mairies, les principaux services sont réorganisés en un clin d’œil par des hommes de bon sens et appliqués.
Le même jour, le Comité prend des décisions importantes pour les parisien-ne-s. Il suspend la vente des objets engagés au Mont-de-Piété, proroge d’un mois les échéances de commerce, et interdit aux propriétaires de congédier leurs locataires jusqu’à nouvel ordre, toutes décisions qui soulagent les 150 000 parisiens menacés d’expulsion, de faillite et de poursuites judiciaires.
Il annonce que la solde sera versée régulièrement aux gardes.
La solde des gardes nationaux et la Banque de France
Une autre question urgente devait être elle aussi réglée aujourd’hui : le paiement des trente sous quotidiens aux trois cent mille gardes nationaux. Il a été décidé la veille au soir d’aller les chercher à la Banque de France.
La Banque de France fait exception, elle n’a pas quitté Paris pour aller à Versailles. La raison en est simple, elle ne pouvait techniquement le faire, il aurait fallu des dizaines, peut-être cent fourgons pour vider les caves et les coffres de l’or, des billets, des titres et des documents qu’ils contiennent. En outre la Banque n’avait pour se défendre que 130 hommes mal armés. Elle est donc restée à Paris, avec tout son personnel et sa direction.
Aujourd’hui, Varlin et Jourde, à six heures du soir, ont été reçus par le gouverneur de la Banque de France, M. Rouland, un personnage plein de morgue. Il attendait leur visite !
Il leur a déclaré qu’il ne juge pas les événements, car la Banque de France, « au lendemain de tous les changements de pouvoir, a dû venir au nouveau. La Banque de France ne fait pas de politique. Vous êtes un gouvernement de fait. La Banque vous donne aujourd’hui un million. Veuillez seulement mentionner dans votre reçu que cette somme a été réquisitionnée pour le compte de la ville ».
Varlin et Jourde ont donc quitté ce soir la Banque avec un million en billets de banque qui ont été répartis grâce à quelques dévoués entre les officiers-payeurs : à dix heures, la solde se distribuait dans tous les arrondissements.
Le Journal Officiel paraît sous le contrôle du Comité central
C’est aujourd’hui qu’est paru le premier numéro du « Journal Officiel de la république français » depuis que trois bataillons de la Garde nationale et plusieurs journalistes ont pris possession des locaux. Parmi eux, Barberet, Lebeau et Vésinier, Floriss Piraux et Paul Vapereau qui ont immédiatement remplacé la rédaction habituelle, appelée par le gouvernement à Versailles pour y éditer un autre journal officiel sous la responsabilité du gouvernement Thiers. La nouvelle équipe s’est mise aussitôt au travail et a permis la publication aujourd’hui des deux éditions, celle du matin et celle du soir.
Elles comprennent comme d’habitude une partie officielle qui publie, outre les actes habituels comme les successions en déshérence, les décisions des tribunaux rassemblées par le Ministère de la justice, les cours de la Bourse, les déclarations et décisions du Comité central de la Garde Nationale. Dans la partie non officielle, on trouve des avis des ministères et diverses informations et déclarations signées individuellement, des extraits de presse, des faits divers, des nouvelles de l’étranger, des programmes culturels, et d’autres textes, comme par exemple une proposition du citoyen Mottu pour la prise en charge par les mairies des loyers des trois derniers trimestres, et un long article d’information sur le royaume de Suède et de Norvège. L’édition du soir publie en outre un feuilleton en épisodes d’Eugène Sue, « Jeanne et Louise ». Comme l’entreprise qui le publie est et reste privée[1], les éditions publient également des annonces et des publicités payantes.
L’édition du matin (grand format deux pages) est vendue 15 centimes, l’édition du soir datée du lendemain (format plus petit sur 4 pages) est vendue 5 centimes. Les deux éditions du jour publient une adresse aux départements signée des délégués au Journal Officiel, Barberet et Lebeau :
AUX DÉPARTEMENTS
Le peuple de Paris, après avoir donné, depuis le 4 septembre, une preuve incontestable et éclatante de son patriotisme et de son dévouement à la République ; après avoir supporté avec une résignation et un courage au-dessus de tout éloge les souffrances et les luttes d’un siège long et pénible, vient de se montrer de nouveau à la hauteur des circonstances présentes et des efforts indispensables que la patrie était en droit d’attendre de lui.
Par son attitude calme, imposante et forte, par son esprit d’ordre républicain, il a su rallier l’immense majorité de la garde nationale, s’attirer les sympathies et le concours actif de l’armée, maintenir la tranquillité publique, éviter l’effusion du sang, réorganiser les services publics, respecter les conventions internationales et les préliminaires de paix.
Ils espèrent que toute la presse reconnaîtra et constatera son esprit d’ordre républicain, son courage et son dévouement, et que les calomnies ridicules et odieuses répandues depuis quelques jours en province cesseront.
Les départements, éclairés et désabusés, rendront justice au peuple de la capitale, et ils comprendront que l’union de toute la nation est indispensable au salut commun.
Les grandes villes ont prouvé, lors des élections de 1869 et du plébiscite, qu’elles étaient animées du même esprit républicain que Paris, les nouvelles autorités républicaines espèrent donc qu’elles lui apporteront leurs concours sérieux et énergique dans les circonstances présentes et qu’elles les aideront à mener à bien l’œuvre de régénération et de salut qu’elles ont entreprise au milieu des plus grands périls.
Les campagnes seront jalouses d’imiter les villes, la France tout entière, après les désastres qu’elle vient d’éprouver, n’aura qu’un but : assurer le salut commun.
C’est là une grande tâche, digne du peuple tout entier, et il n’y faillira pas.
La province, en s’unissant à la capitale, prouvera à l’Europe et au monde que la France tout entière veut éviter toute division intestine, toute effusion de sang.
Les pouvoirs actuels sont essentiellement provisoires, et ils seront remplacé par un conseil communal qui sera élu mercredi prochain, 22 courant.
Que la province se hâte donc d’imiter l’exemple de la capitale en s’organisant d’une façon républicaine, et qu’elle se mette au plus tôt en rapport avec elle au moyen de délégués.
Le même esprit de concorde, d’union, d’amour républicain, nous inspirera tous. N’ayons qu’un espoir, qu’un but : le salut de la Patrie et le triomphe définitif de la République démocratique, une et indivisible.
Les délégués au JOURNAL OFFICIEL.
Nouvelles du Havre
Le Journal du Havre écrit :
« une bande de factieux appartenant à aucun parti, si ce n’est à celui du désordre et du pillage, vient, après avoir ensanglanté les rues de Paris, de se rendre maître par un coup de surprise, de la capitale ».
Toute la journée la foule se presse à la gare à l’arrivée des trains de Paris pour avoir des nouvelles.
Le soir, le sous-préfet fait afficher la première Dépêche télégraphique par laquelle Thiers veut tenir la province informée des événements parisiens, qui indique que le gouvernement et ses soldats font tout pour « comprimer la sédition … et dominer les événements »
Le 20 mars, le conseil général demande aux municipalités du département de Seine Inférieure de s’opposer à la révolte de Paris et de sa population.
« Une partie de la population parisienne n’a pas craint de s’insurger contre l’autorité de l’Assemblée nationale que nous venons de nommer ; le reste a laissé faire.
D’épouvantables assassinats viennent d’être commis. Paris est au pouvoir de l’émeute.
L’Assemblée et le gouvernement sont réunis à Versailles.
La France est lasse de subir les révolutions de Paris et entend que sa volonté soit enfin obéie.
Au nom du suffrage universel, de la liberté et de la dignité de la France méconnus, le conseil général proteste.
Il invite les maires et les habitants du département à n’exécuter d’autres ordres que ceux du gouvernement de l’Assemblée nationale et à se grouper avec confiance autour de leurs représentants départementaux, résolus à prendre, avec le concours des autorités municipales, toutes les mesures qu’exigerait le respect de la loi et de la volonté nationale. »
Sur les 50 conseillers généraux, 43 signent la déclaration
En bref, décisions du jour :
– remise en marche de toutes les administrations
– suspension de la vente des objets engagés au Mont-de-piété
– prorogation d’un mois des échéances de commerce
– interdiction aux propriétaires, jusqu’à nouvel ordre, de congédier les locataires
– publication du Journal Officiel sous responsabilité du Comité central
– règlement de la solde des Gardes Nationaux par la Banque de France
En débat : Le peuple ouvrier de Paris prend en main la capitale, seulement la capitale ?
Dans la capitale abandonnée par le gouvernement, le pouvoir ou plus simplement la gestion des activités indispensables à la vie quotidienne sont prises en charge immédiatement.
Cette capacité spontanée à oser faire fonctionner les administrations, alors que bon nombre de personnes qualifiées, ou censées l’être, sont parties est extraordinaire. Thiers pensait que la ville allait s’écrouler. C’était sans compter sur ce qui se faisait depuis des mois dans les quartiers populaires. Face à l’incurie du gouvernement, aux difficultés du siège, les parisien-nes réagissent immédiatement, tou-tes ensemble pour trouver des solutions aux problèmes pratiques qui se posent. Iels n’attendent rien d’en haut, mais tout de leur activité !
Et ça marche. Iels démontrent qu’iels sont capables d’organiser par eux-elles mêmes la vie quotidienne, en utilisant au mieux les compétences, les capacités, sans attendre qu’un pouvoir politique s’impose.
Le Comité central joue le rôle de centralisation à ce moment, pas à cause de la place qu’il a occupé lors les journées des 18 et 19, mais parce qu’il est à ce moment la seule organisation constituée et qui ait, sinon des intentions bien arrêtées, du moins une audience, une autorité, une crédibilité. Composé de nouveaux venus, sans passé ni prétentions politiques, peu soucieux des théories politiques , il était avant tout préoccupé de sauver la République, et de permettre une vie aussi normale que possible pour les parisien-nes, tout en préparant dans les meilleures conditions les élections municipales.
Ce faisant, compte tenu du rôle de Paris dans les combats politiques nationaux lors des révolutions passées, la limite municipale affichée est bien difficile à être tenue. Comme le gouvernement est parti, les ministères vidés, ceux qui siègent à l’Hôtel de ville, en essayant de pallier à ces absences, consciemment ou inconsciemment, deviennent le nouveau pouvoir. Lorsque le Comité central envoie des délégués dans les ministères et les services, aux finances, à la guerre, comment peut-on délimiter ce qui relève de l’ordre municipal et national ?
Par exemple, le Comité central, par la voix du « délégué du gouvernement au Ministère de l’intérieur », déclare très officiellement qu’il est décidé à respecter les conditions de la paix afin de « sauvegarder à la fois de salut de la France républicaine et de la paix générale ». N’est-il pas illusoire d’imaginer pouvoir éviter de se poser la question du pouvoir national, qui est toujours là, à Versailles et dans tout le pays ? Est-ce possible de sortir de ces difficultés, de ces contradictions ?
Note
[1] Il appartenait à l’imprimerie Wittersheim.