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À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour

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L’essentiel de la journée

À l’ouest

La canonnade a été  encore plus intense qu’à l’ordinaire. Les positions bougent peu, perdues un moment, elles sont reprises ensuite. La lutte, commencée dès le matin, c’est prolongée jusqu’à 7h30 du soir. C’est toujours à Neuilly et aux abords du parc de Villiers de se concentrent les combats.

Témoignage – Catulle Mendès, 30 ans, romancier hostile à la Commune

C’est justement parce que les  hommes qu’ils envoient à la mort se battent avec un héroïque courage, que nous en voulons aux membres de la Commune. Qu’il soient maudits de dilapider de la sorte la richesse morale de Paris ! Qu’ils soient maudits d’employer au service d’une mauvaise cause les admirables forces dont le hasard d’une émeute triomphante leur permet de disposer ! […]

Sur le boulevard Bineau…. un enfant de 17 ans, clairon de son métier, marchait en tête de sa compagnie qui avait été chargée d’aller occuper une barricade abandonnée par les Versaillais. Quand je dis qu’il marchait, je me trompe, la vérité est que, précédant les gardes nationaux d’une centaine de pas, il faisait la roue, le saut périlleux et autres exercices familiers au clowns et au gavroches. Il arriva ainsi devant la barricade, lui fit un pied de nez, s’élança, et en quatre bonds, retomba de l’autre côté sur les mains. Mais la barricade n’était pas abandonnée !

Le petit clairon fut immédiatement cerné par un assez grand nombre de lignards, qui se dissimulaient derrière les pavés et les sacs de terre pour envelopper la compagnie quand elle viendrait, sans défiance, occuper la position. Les chassepots s’abaissèrent vers le pauvre gamin et un sergent lui dit :

– Si tu fais un pas, si tu pousses un cri, on te tue !

Que fit le clairon ? Il se précipita vers le haut de la barricade, et hurla de toute la force de ses poumons :

– N’entrez pas, il y a quelqu’un !

Puis il retomba percé de quatre balles, mais sa compagnie était sauvée.

Un autre coin du tableau, plus horrible. C’était sur l’avenue des Ternes. Un convoi mortuaire passait. Le cercueil, porté par deux hommes, il était tout petit, un cercueil d’enfant. Derrière marchaient un ouvrier en blouse, le père sans doute, et quelques amis. C’était fort triste, mais ce qui suivit fut abominable. Un obus arrivé du Mont-Valérien tomba sur la petite boîte funèbre, et, en éclatant, jeta au visage du père, des débris de planche, d’os et de chair. Le cadavre avait été broyé en même temps que son enveloppe. Massacrer la mort! Il faut avouer que les obusiers sont des destructeurs ingénieux et raffinés.

 

Au sud

Les troupes versaillaises en nombre ont attaqué nos tranchées, les  assaillants ont été repoussés, les mitrailleuses les ont mis en déroute. L’armée de Versailles fait usage de balles explosibles.

 

La Commune écrit

Il y a eu hier un grand conseil de guerre à Versailles. Tous les généraux y assistaient. Il s’agissait d’examiner la question de savoir s’il fallait t’attaquer immédiatement Paris ou différer encore cette attaque Générale.

La majorité a été pour l’ajourner n’étant pas encore assez sûr des troupes elle a été d’avis d’attendre qu’elles aient été encore un peu plus mordues par les balles des fédérés. Monsieur Thiers objecta que l’ajourner était dangereux à cause de l’état des esprits en province, et insista pour l’attaque générale à brefs délais .

Les généraux auraient fini par se rallier à son opinion.

 

À la recherche de nouvelles armes pour la Commune

Le Docteur Parisel, élu du VIIème, a demandé la création d’un service pour mettre au service de la défense les moyens que peut donner la science. « Il y a des poisons de diverses natures, des moyens de destruction puissants, des aérostats et même des produits alimentaires, dont le service de la Guerre pourrait tirer les effets les plus décisifs. Ainsi, par quelques-uns de ces moyens, vous pourriez faire sauter le Mont-Valérien sans qu’il en coûtât la mort d’aucun de nos soldats ».

Appel est fait aux artificiers et aux ouvriers spéciaux pour la préparation des fusées percutantes des obus, les inventeurs d’engins de guerre offensive ou défensive peuvent adresser leurs plans, modèles ou descriptions. Les chimistes, constructeurs-mécaniciens, fabricants de revolvers ou de fusils qui veulent du travail, peuvent se présenter à l’hôtel des travaux publics, à la délégation scientifique.

Les citoyens qui connaîtraient des dépôts de produits chimiques, machines, aérostats, appareils divers appartenant à l’État ou à la ville, sont priés, d’en faire la déclaration à la délégation scientifique hôtel des travaux publics.

Les détenteurs de pétrole sont tenus de faire la déclaration par écrit de leur stock, à la même adresse et dans les trois jours.

Ces derniers jours, les ateliers Cail ont lancé une nouvelle canonnière nommée la Voltigeuse, les ateliers de l’avenue Trudaine ont livré dix-huit mitrailleuses toutes neuves.

Le Journal Officiel publie les longues listes des gardes nationaux prisonniers à l’Île d’Aix, et celle des blessés et des décès des derniers combats.

La Commune autorise le citoyen Rastoul, inspecteur général des ambulances, à organiser un service spécial pour faire procéder l’inhumation, aux frais de la Commune et après un délai de quarante-huit heures, des gardes nationaux décédés dans les ambulances. Ceux dont l’identité ne sera pas reconnue seront photographiés.

 

Les prussiens avec Versailles

Dans Paris Journal, on apprend qu’à Juvisy, une reconnaissance de l’armée française a rencontré une reconnaissance prussienne, qui a informé les versaillais que sept soldats de ligne fraternisaient avec les insurgés parisiens. Les versaillais ont cerné la maison et les ont tous arrêtés et emmenés à Versailles.

À quand la suspension des combats pour évacuer Neuilly ?

De nouvelles démarches sont entreprises par les délégués de la Ligue d’Union républicaine afin d’obtenir une suspension des combats pour permettre aux habitants de Neuilly de se dérober aux bombardements qui, depuis quinze jours, les contraignent à se réfugier dans leurs caves. Le gouvernement de Versailles autorise deux membres de la Ligue à servir de parlementaires.

Le délégué à la guerre, après en avoir conféré avec la Commission exécutive, « dans un but strict d’humanité »  consent à la suspension d’armes, à Neuilly, « à l’effet de faire rentrer

dans Paris les femmes, enfants, vieillards, en un mot les non combattants qui, enfermés dans Neuilly, sont victimes innocentes de la lutte » dès lors que la suspension d’armes maintienne strictement le statu quo. Il ne reste plus qu’à désigner les délégués de la Ligue qui se chargeront de cette trêve.

Les municipalités des communes des arrondissements de Saint-Denis et de Sceaux, réunies au nombre de trois cents personnes environ, à Vincennes,ont joint leurs voix aux exhortations à la conciliation  :

L’Assemblée des maires, adjoints et conseillers municipaux des communes suburbaines de la Seine, navrée de la guerre civile actuelle, réclame une suspension d’armes. Elle affirme pour toutes les communes la revendication des franchises municipales avec l’élection, par les conseils, de tous les maires et adjoints, et demande l’installation définitive de la République en France. Elle proteste contre l’envahissement et le bombardement, dont plusieurs communes de la Seine sont victimes, et fait appel à l’humanité pour la cessation des hostilités. L’Assemblée surtout demande qu’il n’y ait pas de représailles.

 

Les francs maçons à Versailles

Une délégation maçonnique, porteuse d’un mandat adopté à l’unanimité, afin d’obtenir un armistice pour l’« évacuation des villages bombardés », et « demander énergiquement la paix à Versailles, basée sur le programme de la Commune, le seul qui puisse amener la paix définitive », est allée voir Thiers aujourd’hui. Lorsqu’elle s’est référée devant lui aux institutions communales de 1791, il a répondu « Ah !, vous voulez revenir aux folies de nos pères ! » Et comme les délégués francs maçons, angoissés, lui demandent s’il est résolu à sacrifier Paris, Monsieur Thiers a répondu cyniquement « il y aura quelques maisons de trouées, quelques personnes tuées, mais force restera à la loi ! »

 

La séparation de l’Église et de l’État dans les ambulances

Des gardes nationaux blessés ont eu à se plaindre, dans certaines ambulances, des propos des religieuses qui les soignaient. Il a été décidé de faire appel, pour les remplacer, au dévouement de femmes laïques. Cette mesure a donné lieu, de la part des réactionnaires, à des remarques malveillantes.

Le docteur Rousselle, chargé de l’administration des ambulances publie la note suivante :

Considérant que la Commune a décrété la séparation de l’Église et de l’État, et que, d’autre part, il importe de laisser toute liberté à chaque citoyen de vivre et de mourir selon sa croyance, s’il en a une, j’ai fait enlever des salles d’ambulances tout insigne religieux, de n’importe quel culte ; j’en ai interdit l’entrée aux membres de toutes les sectes ou corporations religieuses, tout en procurant immédiatement au blessé, qui en ferait la demande, la visite du ministre de sa religion, curé, pasteur, pope ou rabbin.

J’ai surtout eu soin d’écarter des blessés ces visites fatigantes de gens qui, sous prétexte de religion, viennent démoraliser les blessés, et ajouter aux souffrances physiques des tortures morales, abusant de la dépression de toutes leurs facultés pour leur arracher une faiblesse, leur faisant un crime du grand combat soutenu au nom du droit et de la République universelle, au point de les faire presque rougir de leur glorieuses blessures.

 

Administration des postes

Le délégué de la Commune, chargé de la direction générale des postes, a trouvé du fait de la fuite du citoyen Rampont et de la quasi totalité des cadres un service désorganisé, d’autant que le blocage de tous les courriers par Versailles complique encore les échanges avec la province.
Un compte rendu du Conseil d’administration indique qu’à part quelques rares exceptions, les commis faisaient défaut, alors que bon nombre d’agents tertiaires se présentaient au travail. Les rares agents fidèles à leurs devoirs ont constitué « une cheville ouvrière relativement importante ».

Le service a été renouvelé à la hâte grâce à des concours divers et précieux. Il a été possible de faire face au plus pressé, de rouvrir en quelques heures les bureaux entravés et d’offrir au public des agents pour lui répondre.

Zéphirin Camelinat, nommé Directeur de la Monnaie par la Commune le 3 avril dernier, a trouvé  un trésor de guerre pour faire face aux premiers besoins : 636 000 timbres à 1 centime , 4200 timbres de 4ctes, 45 000 de 10 ctes, et 79 500 de 80 ctes. Il avait également retrouvé dans un atelier les planches gravées destinées à l’impression des timbres. Il a envoyé acheter du papier spécial à Angoulême qui a été rapporté en contrebande à Paris. Il commence à imprimer de nouveaux timbres à partir d’aujourd’hui !

 

Délégation à l’enseignement

Les municipalités sont invitées à se mettre en rapport à cet effet avec le citoyen délégué à l’éducation, Edouard Vaillant, et à lui adresser au plutôt un rapport détaillé sur l’état de l’enseignement dans leurs arrondissements.

Il fait également appel à toutes les personnes qui ont étudié la question de l’enseignement intégral et professionnel pour qu’elles communiquent par écrit leurs projets de réforme.

Mairie du IIIe Arrondissement

ÉCOLES LAÏQUES

Citoyens,

Ce que vous réclamiez avec nous depuis si longtemps, ce que les hommes du 4 septembre nous avaient refusé,  l’instruction purement laïque, est un fait accompli pour notre arrondissement ;

Par notre sollicitude et les soins de la commission d’enseignement, la direction des trois écoles congréganistes des rues Ferdinand-Berthoud, Neuve-Bourg-l’Abbé et de Béarn, est, à partir de ce jour, confiée à des instituteurs laïques.

Nous espérons, pour l’avenir de notre pays, que ces instituteurs formeront des citoyens instruits de leurs droits et de leurs devoirs envers la République.

Paris, le 23 avril 1871.

Les membres de la Commune, ANT. ARNAUD, DEMAY, CLOVIS DUPONT, PINDY

Ce n’est pas le seul arrondissement dans lequel la mairie a rouvert les écoles abandonnées par les congréganistes, ou expulsé les frères qui étaient restés.

Celle du XXe habille et nourrit les enfants. La délégation du IVe dit : « Apprendre à l’enfant à aimer et à respecter ses semblables, lui inspirer l’amour de la justice, lui enseigner qu’il doit s’instruire en vue de l’intérêt de tous, tels sont les principes de morale sur lesquels reposera désormais l’éducation communale. ».

Partout on appelle les instituteurs des écoles à employer exclusivement la méthode expérimentale et scientifique, celle qui part toujours de l’exposition des faits physiques, moraux, intellectuels.

 

Constitution du jury d’accusation pour les otages

La Commune a adopté,à l’issue d’un débat animé, le décret relatif à la constitution du jury d’accusation prévu par le décret sur les otages du 5 avril.

Malgré le fait que ce décret concerne une juridiction spéciale, dans une situation révolutionnaire, sa rédaction montre le souhait des membres de la Commune d’affirmer les préoccupations humanistes d’un état de droit, d’une justice démocratique, assurant les droits des accusés. Il s’agit également de limiter le pouvoir autoritaire que Raoul Rigault et les blanquistes exercent a l’ex-préfecture de police.

Ce jury doit permettre de déterminer avec précision ceux des détenus auxquels le décret des otages pourrait s’appliquer.

La Commune de Paris,

Considérant que si les nécessités de salut public commandent l’institution de juridictions spéciales, elles permettent aux partisans du droit d’affirmer les principes d’intérêt social et d’équité, qui sont supérieurs à tous les événements :

Le jugement par les pairs;

L’élection des magistrats;

La liberté de la défense;

DÉCRÈTE :

Art. 1er. Les jurés seront pris parmi les délégués de la garde nationale élus à la date de la promulgation du décret de la Commune de Paris qui institue le jury d’accusation.

Art. 2. Le jury d’accusation se composera de quatre sections, comprenant chacune douze jurés tirés au sort, en séance publique de la Commune de Paris, convoquée à cet effet. Les douze premiers noms sortis de l’urne composeront la première section du jury. Il sera tiré en outre, pour cette section, huit noms de jurés supplémentaires, et ainsi de suite pour les autres sections. L’accusé et la partie civile pourront seuls exercer le droit de récusation.

Art. 3. Les fonctions d’accusateur public seront remplies par un procureur de la Commune et par quatre substituts, nommés directement par la Commune de Paris.

Art.4. Il y aura auprès de chaque section un rapporteur et un greffier, nommés par la commission de justice.

Art. 5. L’accusé sera cité à la requête du procureur de la Commune; il y aura au moins un délai de vingt-quatre heures entre la citation et les débats.

L’accusé pourra faire citer, même aux frais du trésor de la Commune tous témoins à décharge. Les débats seront publiés. L’accusé choisira librement son défenseur même en dehors de la corporation des avocats. Il pourra proposer toute exception qu’il jugera utile à sa défense.

Art. 6. Dans chaque section, les jurés désigneront eux-mêmes leur président pour chaque audience. A défaut de cette élection, la présidence sera dévolue par la voie du sort.

Art. 7. Après la nomination du président, les témoins à charge et à décharge seront entendus. Le procureur de la Commune ou ses substituts soutiendront l’accusation. L’accusé et son conseil proposeront la défense. Le président du jury ne résumera pas les débats.

Art. 8. L’examen terminé, le jury se retirera dans la chambre de ses délibérations. Les jurés recevront deux bulletins de vote portant : le premier, ces mots : L’accusé est coupable ; le second, ces mots : L’accusé n’est pas coupable.

Art. 9. Après sa délibération, le jury rentrera dans la salle d’audience. Chacun des jurés déposera son bulletin dans l’urne; le scrutin sera dépouillé par le président ; le greffier comptera les votes et proclamera le résultat du scrutin. L’accusé ne sera déclaré coupable qu’à la majorité de huit voix sur douze.

Art. 10. Si l’accusé est déclaré non coupable, il sera immédiatement relaxé.

Art. 11. Toutes les citations devant le jury et toutes notifications quelconques pourront être faites par les greffiers des sections du jury d’accusation. Elles seront libellées sur papier libre et sans frais.

Paris, le 22 avril 1871

L’instauration de magistrats élus par le peuple, en l’occurrence  parmi les gardes nationaux est une mesure importante. Avrial proposait que le jury soit choisi parmi l’ensemble des électeurs. Protot répond que si le principe de l’élection des magistrats par le suffrage universel doit être la loi de l’avenir ; en l’espèce, nous nous adresserons à la garde nationale, les citoyens les plus intelligents et les plus dévoués à notre cause.

L’accusé et la partie civile ont la possibilité d’exercer la récusation des membres du jury.

 

Bergeret libéré

La commission chargée de l’enquête sur l’arrestation du général Bergeret auquel il avait été reproché, alors que son poste lui avait été retiré, d’avoir crée des embarras à son successeur présente son rapport, qui conclut à la proposition de mise en liberté. Elle est adoptée à l’unanimité, sous les applaudissements. Le citoyen Bergeret, libéré, prend la parole pour dire : « La Commune avait jugé à propos de me mettre en état d’arrestation, et elle vient de me faire mettre en liberté. Je tiens à déclarer que je n’apporte ici aucun sentiment d’amertume, mais au contraire, mon dévouement tout entier. »

 

Témoignage / jugement

Elie reclus, 44 ans, journaliste

La commune siégeant à l’Hôtel de Ville est manifestement au-dessous de sa tâche. Elle manque de sujets, comme disait naguère le délégué Arnold, et, comment on fait toujours en pareil cas, elle s’embarrasse d’une foule de sujets qui ne la regardent pas, la critique ou la suspension des journaux par exemple. Les sujets sont généralement médiocres, donc ils réclament l’omnipotence, obligé d’improviser ce qu’ils ignorent, il prononcent dictatorialement sur des difficultés dont ils n’avaient qu’à ne pas s’occuper. Il se déjugent, font, défont et refont. Les attributions de leur commission paraissent trop flottantes, les mêmes personnages vont de l’une à l’autre. Et dans ce chaos d’affaires on ne sait trop ce qui doit être décidé par la commune entière siégeant à l’Hôtel de Ville, par la commission spéciale, par le délégué qui est à sa tête. On ne voit pas la division du travail caractéristique de l’ordre. Le même membre de la commune est censé faire 36 choses entre en 36 endroits. Comment ces pauvres gens peuvent-ils dormir ? En dehors de leurs fonctions à la guerre, à la justice, aux écoles, au marché, ils sont encore administrateurs de l’arrondissement dans lequel ils ont été nommés, les uns siègent dans leurs ministères, les autres dans leur mairies au 20 coins de Paris, et, par conséquent, il est impossible d’instituer à l’hôtel de ville une direction unique, sachant prendre une moyenne judicieuse entre la douceur qui est absolument nécessaire et l’audacieuse vigueur qui est non moins indispensable. Issus du hasard ils n’ont pas su encore se fusionner en un tout homogène, on n’ose pas même dire qu’il aient réussi à se constituer une majorité et une minorité, c’est un assemblage plus ou moins bizarre de fusionneurs, de communistes,d’individualistes, d’athées, de matérialistes, de spiritualistes, de catholiques avec quelques jésuites parmi, d’ouvriers, de fractions rivales de l’Internationale, de millionnaires ou de pauvres diables. Nous avons tant et tant d’individus faisant partie de la commune. Nous n’avons pas une commune.

 

Du côté des clubs

Club de la Salle Ragache

Il existe depuis longtemps, il permet toutes sortes de réunions. Le 26 février dernier, c’était tous les délégués de la compagnie du 15e. Le 7 mars, une réunion plus large avec pour ordre du jour l’union de la Garde nationale et des Défenseurs de Paris habitant la province.

Le 16 mars c’était une réunion de tous les officiers, sous-officiers et 10 gardes nationaux délégués de chaque compagnie du XVe arrondissement « pour traiter des questions de la plus grand importance ». Elle est présidée par Pierre Soler, avec Alphonse comme assesseur, Léon Angevin comme secrétaire, et Emmanuel Chauvière. Ce dernier propose l’élection de délégués.

Le 3 avril,  la vice-présidente du club de la Boule-Noire, Béatrice Excoffon, qui y «  déblatérait sans cesse contre les prêtres et les religieuses », qui avait réquisitionné au 32, rue des Acacias (XVIIe arr.) un appartement pour y installer le comité de vigilance formé sous ses auspices, se joignit au défilé des femmes qui marchaient sur Versailles. Elles se réunissent salle Ragache et Béatrix, remplaçant la présidente épuisée, dit que le groupe était trop nombreux pour aller à Versailles, mais proposa de soigner les blessés,  s’écriant « Nous sommes assez nombreuses pour aller soigner les blessés ».

Ce soir, s’y tient la réunion du cercle des Jacobins (section de Vaugirard de l’AIT).

Ce soir, deux autres réunions :

– Le Comité central provisoire de l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés convoque les citoyennes patriotes dévouées à la cause du peuple pour sa 6e réunion publique à l’école des filles à Batignolles à 8h00

– Réunion des citoyennes républicaines du 18e arrondissement salle de La Boule Noire boulevard Rochechouart à Montmartre.

 

En bref

■ Le désarmement des bataillons bonapartistes continue, dans le neuvième arrondissement, ordre est donné au 6ème bataillon de rendre les armes.

■ Affiche apposée dans le XVème arrondissement, pour apporter son concours à l’autorité militaire : « considérant que l’ivrognerie est une des causes les plus actives de désordre et d’indiscipline, et qu’il y a urgence de remédier à cet état de choses, la municipalité du XVème arrondissement  arrête qu’il est expressément interdit à tout débitant de boissons, de servir aucuns liquides alcooliques à un citoyen quelconque en état d’ivresse, et que ces débitants seront rendus responsables pour tout citoyen qui sera constaté en état d’ivresse sortant de leur établissement ».

■  La presse hostile à la Commune engage une campagne contre le décret interdisant le travail de nuit des boulangers ; Le Petit Journal, le plus lu en France, puisqu’il tire à 400 000 exemplaires, se prend d’un soudain besoin de soutenir les ouvriers, et publie une lettre d’un vidangeur :

Monsieur le directeur du Petit Journal,

Je viens d’apprendre que la commune venait de décréter que les boulangers ne devraient travailler que le jour. Alors nous, vidangeurs, étant des hommes comme les boulangers, nous désirons travailler de même le jour. En conséquence, Monsieur, sachant votre journal un des plus répandu, je viens comme délégué de la vidange, vous priés de vouloir bien insérer cette lettre de votre estimable journal, qu’on puisse faire droit à notre demande. J’ai l’honneur de vous saluer Sédilly

■ Gustave Maroteau a publié un article incendiaire dans La Montagne qui se conclut ainsi :

« Nous biffons Dieu!

Les chiens ne vont plus se contenter de regarder les évêques, ils les mordront; nos balles ne s’aplatiront pas sur les scapulaires; pas une croix ne s’élèvera pour nous maudire le jour où l’on fusillera l’archevêque Darboy.

Il faut que M. Thiers le sache ; il faut que M. Favre, le marguillier, ne l’ignore pas.

Nous avons pris Darboy comme otage et, si l’on ne nous rend point Blanqui, il mourra.
La Commune l’a promis et, si elle hésitait, le peuple tiendrait le serment pour elle.
Et ne l’accusez pas!
— Que la justice des tribunaux commence, disait Danton au lendemain des massacres de Septembre, et le peuple cessera…
… Ah! j’ai bien peur pour monseigneur l’archevêque de Paris. »

 

Nouvelles du Havre

La municipalité du Havre, elle-même, a envoyé à Versailles et à Paris, une délégation pour offrir sa médiation entre le gouvernement de Thiers et la Commune de Paris :

« Convaincu que, pour se relever, la France a besoin de paix et d’ordre ; considérant que la République et la franchise communale sont les deux points principaux réclamés de toutes parts…, le conseil municipal désirait faire tous les efforts pour arrêter une lutte fratricide qui mettait en péril la France et la République…

Les délégués du Havre se déclarèrent convaincus que si Versailles voulait traiter avec la Commune, celle-ci ne s’v refuserait pas ; mais Berthémy Saint-Hilaire, secrétaire de Thiers, répliqua vivement que si les insurgés refusaient de faire leur soumission, il faudrait triompher d’eux par la force… ».

La tentative d’apaisement ne put donc se poursuivre.

 

En débat : la Commune, quelle forme d’État ?

Paris n’est pas une Commune comme une autre, elle concentre les institutions politiques d’un État particulièrement centralisé, et des entreprises comme la société métallurgique Cail[1], la société Godillot[2], l’armurerie Lefaucheux[3], des banques, des sociétés d’assurance, les compagnies de chemin de fer, etc ..toutes entreprises capitalistes qui se développent dans un cadre national en s’appuyant sur un état qu’elles contrôlent et des institutions qui assurent leur domination. Ce que permettait l’Empire, ce que peut permettre une république à la mode Thiers et consorts, mais que ne permettra jamais un pouvoir populaire dans lequel les dignitaires de l’État disparaissent, les privilèges traditionnels et les indemnités de ces privilèges sont abolis, dans lequel les fonctions publiques cessent d’être la propriété privée des commis de ces capitalistes.

Seul les Internationaux, malgré leurs désaccords, se préoccupent de ce que pourrait être l’État (ou non-Etat) futur. Le travail est difficile, mais les réflexions sur ce que pourrait être un gouvernement ou un non-gouvernement existent[4]. Nostag, le secrétaire correspondant de la section d’lvry-Bercy, s’appuie sur Rousseau qui ne voyait de gouvernement démocratique possible que dans «un état très petit ou le peuple soit facile a rassembler…» N’est-ce pas l’annonce des Communes et de leur fédération ? Goulle, blanquiste internationaliste, identifie «la forme de l’an II» à «la fixation du but de l’État par le prolétariat ».

Serraillier, émissaire du Conseil général de Londres, pense que l’État doive assez longtemps continuer, pour aider la classe ouvrière :

«En ce moment ou la classe ouvrière vient de faire son apparition sur la scène politique, nous ne croyons pas inutile de rappeler les obligations de l’État envers les travailleurs. […] D’ailleurs la diversité d’opinions sur le rôle de l’État, dont quelques soi-disant socialistes ont demandé la suppression, nous fait un devoir d’insister. […] Tout d’abord, nous croyons qu’il incombe a l’État d’aider et de faciliter le développement des associations corporatives, en leur fournissant le moyen d’acquérir les instruments de travail. […] Ce qu’il faut, c’est l’intervention de l’État par tous les moyens en son pouvoir, la ou l’individu est impuissant a se procurer une existence digne d’un citoyen… ».

Bertin, ouvrier fondeur, secrétaire de la Commission du Travail et de l’échange :

« la Commune n’est pas seulement l’autonomie administrative, mais encore et surtout l’affirmation du pouvoir souverain, c’est-a-dire le droit entier, absolu, pour le groupe communal de se donner ses propres lois, de créer son organisme politique comme un moyen pouvant réaliser le but suprême de la Révolution, a savoir l’affranchissement du travail, l’abolition des monopoles et privilèges, de la bureaucratie, de la féodalité industrielle, agioteuse et capitaliste… »

Frankel: «Il est le devoir d’un Etat, d’un pouvoir, d’intervenir dans l’intérêt général de la société, il serait absurde de se contenter d’être le témoin d’un duel entre ouvrier et patron, car l’état n’a pas de raison d’être s’il n’est pas pour rendre des services aux faibles.» A court terme, pour le présent, tous sont d’accord que la nouvelle Commune doit d’abord œuvrer pour ceux qui forment le «parti des deshérité-es».

Il y a donc de vrais débats sur cette question cruciale : Etat, non-Etat, gouvernement, non-gouvernement ? Penser le problème à long terme est compliqué dans les circonstances actuelles, mais il est essentiel de travailler à découvrir ensemble, par la pratique, quelle peut être la forme politique nouvelle du gouvernement, du pouvoir social, socialiste, qui permet l’émancipation des travailleurs par eux-mêmes.

 

Notes

[1]Spécialisée dans la construction de locomotives, de ponts de chemin de fer, implantée à Paris et aussi ailleurs en Europe, elle a pendant la guerre mit à la disposition du gouvernement ses trois mille ouvriers, ses fonderies de fer et de cuivre et ses ateliers de construction. Les usines ont fourni des canons, des obus, des boîtes à mitraille, des cartouches, des locomotives blindées, etc.

[2]Ce patron bonapartiste emploie près de 2000 ouvriers à la confection de matériel militaire, de vêtements et de chaussures, avec

[3]Elle emploie un millier d’ouvriers à Paris, mais a aussi une usine en Belgique

[4]Voir les articles de Jacques Rougerie

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