La Commune au jour le jour. Mardi 30 mai 1871
À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour.
***
L’essentiel de la journée
Les justes
Mais tout-es ne sont pas massacré-es ni arrêté-es. Les un-es se cachent chez des amis, dans une « chambre de bonne », un grenier, une cave en attendant de trouver le moyen de quitter Paris en toute sécurité, d’autres sont accueilli-es par des inconnus qui les aident. Car il reste des personnes qui risquent leur vie, leur liberté pour sauver la vie de communeux et communeuses en danger.
Maxime Vuillaume trouve ainsi un refuge temporaire dans une chambre de bonne vide chez un quincaillier, parent lointain. Victorine Brocher est cachée par un ancien martin à la retraite qu’elle ne connaissait pas. Vermorel est accueilli par la femme d’un concierge qui le fait passer pour son fils. La mère d’un soldat versaillais donne l’asile à plusieurs membres de la Commune, etc.
Témoignage – Martial Senisse, 20 ans, maçon limousin
J’ai passé la nuit dernière dans les greniers du lycée Corneille […] ce matin le docteur s’occupa de me procurer les moyens de quitter Paris sans trop de risques […] m’a fait passer un paletot d’infirmier et il m’a fait monter dans un fourgon qui part à l’hôpital pour transporter des médicaments à Versailles ou à ce qu’il paraît, une épidémie menace.[…] Sur la route de Versailles j’ai croisé de nombreux convois de fédérés encadrés par les gendarmes. Dans la traversée de Sèvres quelques femmes ont voulu apporter des seaux d’eau aux prisonniers mais les gendarmes ont cogné pour obliger les hommes assoiffés à rentrer dans le rang.
Ce matin sur la place d’Armes, je me suis mêlé à la foule, j’ai vu mes camarades enchaînés qui restaient debout sous le soleil. Les cavaliers qui les gardaient avaient pu se mettre à l’abri sous les ombrages et les prisonniers restaient exposés aux injures de la foule avant d’être poussés vers l’Orangerie ils sont parqués. […]
Je me suis attablé et le soir dans une auberge. J’y ai fait la connaissance d’un cocher et nous avons vidé quelques flacons ensemble je lui ai dit que j’avais de la famille du côté de Chartres et que je voudrais bien aller la voir. Lui il est au service d’un député, le duc de La Rochefoucauld Bisaccia et il doit demain se rendre au château de son maître. Il m’a donné rendez-vous et doit me conduire jusqu’à Ablis.
La chasse aux membres de la Commune
Benoît Malon, 30 ans, ouvrier teinturier, journaliste
Toujours les obscurs portent le plus grand poids et reçoivent le moins d’aide. Il a été plus facile aux personnalités de la Commune d’échapper au fureurs versaillaises. C’est surtout à leur profit, à eux les plus connus, que fonctionnait le dévouement admirable qui a soustrait tant de victimes aux argousins de Versailles. Au milieu de l’aplatissement universel, on apprenait à aimer encore l’humanité en voyant avec quel courage de modestes sauveteurs arrachaient les hommes à la mort les cachant chez eux, à leur grand péril, car la peine encourue était l’arrestation, c’est-à-dire l’envoi sur les pontons, et quelquefois, dans les premiers jours, les exécutions sommaires. Que de transes il fallait braver, que de précautions il fallait prendre, que de subterfuges il fallait inventer ! […]
Les Versaillais cherchent avec acharnement les « responsables », principalement les élus à la Commune.
Ils étaient 85, deux n’ont jamais siégé, Blanqui et Garibaldi, deux ont été assassinés les 3 et 4 avril, Duval et Flourens. Quatre ont été tués ces derniers jours, Delescluze, Durand, Rigault et Varlin, et un cinquième, Vermorel, est très grièvement blessé, mis à l’abri chez un ami, mais ses jours sont comptés.
D’ores et déjà ont été arrêtés :Allix, Amouroux, Arnold, Fenouillas, Gerardin, Geresme, Jourde, Rastoul, Urbain et Verdure.
Par exemple, c’est aujourd’hui, rue du bac, que Jourde a été arrêté. Il avait essayé de trouver un hébergement chez un vieil ami de son père qui a refusé de l’accueillir, il était dans la rue, ne sachant où aller.
Prosper Olivier Lissagaray, 33 ans, journaliste
Jourde, arrêté, nia son identité, déclara s’appeler Roux et être connu dans le VIIème arrondissement. « Menez-moi, dit-il, chez l’adjoint, M. Hortus ; il a été mon maître de pension et il me reconnaîtra bien ».
Conduit chez M. Hortus, il lui dit en entrant :
« Bonjour, Monsieur Hortus, me reconnaissez-vous ? Je suis Roux, votre ancien élève »
Hortus s’écria immédiatement : « Vous êtes Jourde, et vous n’avez jamais été chez moi ».
Les autres ont plus de chance, plus de connaissances, plus l’habitude de l’exil, des précautions à prendre, des filières à emprunter, des possibilités de faux papiers.
Ils sont cachés chez des amis, des connaissances, mais aussi chez un prêtre inconnu (Arnould), soigné et caché par un inconnu (Protot). Ils obtiennent le soutien de réseaux protestants ( Malon), de sœurs du couvent de Picpus (Chalain), de personnes épargnées durant la commune, comme cet ancien policer qui cache Gambon, de personnalités ( Nadar qui aide Bergeret), dans un fiacre qui parcourt Paris(Frankel, blessé).
Ils trouvent les moyens de sortir de Paris avec des appuis comme les cheminots qui permettent à Avrial de conduire une locomotive à la place de l’un d’entre eux, ou en suivant la voie ferrés vers le pont de Bercy (Meillet), ou en se déguisant en prêtre (Parisel). Il se prennent la route de l’exil à l’étranger, notamment en Belgique, en Suisse, en Grande Bretagne.
Paris en ruines
Depuis que les combats sont terminés, qu’il est possible pour les « honnêtes gens » de recommencer à circuler un peu, on constate l’ampleur des dégâts causés par la bataille qui a fait rage dans Paris pendant deux mois à l’ouest et une semaine à l’est de Paris.
Un mois de bombardements laissent Asnières, Neuilly en ruines.
Les incendies ont concerné près du tiers de la ville. Des rues entières sont en décombres. Les communeux et communeuses ( les « pétroleuses ») sont accusé-es de ces incendies, pour monter à quel point iels sont des barbares.
On compte plus de 200 bâtiments incendiés durant la dernière semaine de combats. Des quartiers sont particulièrement touchés, la rue de Rivoli, le Palais Royal, le Palais du Justice, la Préfecture de Police, la cour des comptes, tous les alentours de la place de la Bastille.
Deux incendies ont été décidés et organisés par les responsables de la Commune. Celui du repaire des rois, le Palais des Tuileries, et celui de l’Hôtel de ville, décidé par Pindy. Si le premier irrite particulièrement les monarchistes, le second indigne les républicains hostiles à la Commune.
Les autres sont dus aux bombardements versaillais et aux combats.
L’armée de Thiers a attaqué les barricades en les encerclant, soit en passant par les rues adjacentes, soit en traçant un passage à travers les immeubles, perçant les murs pour tirer de coté et en surplomb sur les fédérés. Les maisons proches de barricades sur lesquelles la résistance a été la plus acharnée sont dévastées, le feu étant soit provoqué par les explosions, soit pour retarder l’avance ».
En débat
Tribune – Karl Marx, La guerre civile en France
Aujourd’hui Karl Marx a lu au Conseil Général à Londres le texte de l’Adresse du Conseil Général de l’Association Internationale des Travailleurs à tous les membres de l’Association eu Europe et aux États Unis, intitulé « La Guerre Civile en France ».
Alors que les actrices et acteurs de la Révolution sont en butte à la répression versaillaise, c’est à Londres qu’est écrit à chaud cette remarquable analyse. Karl Marx suit de très près la révolution en cours. Il lit la presse très attentivement, la presse parisienne qui soutient la Révolution bien sûr, qui arrive assez vite à Londres, et aussi les journaux anglais et allemands.
Il est également en contact avec certains militants de l’Internationale qui sont à Paris. Le membre du Conseil Général dépêché à Paris, Auguste Serrailler qui est arrivé à Paris dès le 6 septembre 1870. Il est revenu à Londres le 28 février 1871 pour présenter au Conseil un rapport sur la situation en France. Dès l’insurrection, il reçoit un mandat de représentant du Conseil Général et repart à Paris, ou il arrive le 29 mars. Il y retrouve Elisabeth Dmitrieff, arrivée la veille, envoyée en mission d’information par le Conseil général. Marx a aussi des échanges avec Léo Frankel et Eugène Varlin, et Paul Lafargue qui lui est entre Bordeaux et Paris.
Avant d’arriver à cette version Marx a travaillé depuis la fin du mois d’avril. Il avait d’abord proposé une adresse aux travailleurs parisiens, puis, estimant que l’évolution de la situation nécessitait un texte à la classe ouvrière mondiale, et, il a fait lors de la rencontre du 18 avril du Conseil général une proposition de texte sur la « tendance générale de la lutte ». Il y a plusieurs brouillons préparatoires au texte écrit en anglais au cours du mois de mai[1].
C’est un pamphlet, un texte polémique et en même temps extrêmement riche.
La première partie décrit les objectifs des usurpateurs de l’instauration de la république du 4 septembre : « La capitulation de Paris, en livrant à la Prusse non seulement Paris, mais la France entière, a clos la longue série d’intrigues et de trahisons avec l’ennemi que les usurpateurs du 4 septembre avaient inaugurée, comme Trochu en personne l’avait dit le soir même. D’autre part, elle ouvrait la guerre civile qu’ils allaient maintenant engager avec l’aide de la Prusse contre la république et Paris.»
La deuxième partie explicite pourquoi Thiers a attaqué d’abord le 18 mars puis au début du mois d’avril : Paris en armes était le seul obstacle sérieux sur la route du complot contre-révolutionnaire. Il fallait donc le désarmer.
La troisième partie dont voici de larges extraits analyse ce qu’est la Commune, « ce sphinx qui met l’entendement bourgeois à si dure épreuve ».
*
Les prolétaires de la capitale, disait le Comité central dans son manifeste du 18 mars, au milieu des défaillances et des trahisons des classes gouvernantes, ont compris que l’heure était arrivée pour eux de sauver la situation en prenant en main la direction des affaires publiques… Le prolétariat… a compris qu’il était de son devoir impérieux et de son droit absolu de prendre en main ses destinées, et d’en assurer le triomphe en s’emparant du pouvoir.
Mais la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre tel quel l’appareil d’État et de le faire fonctionner pour son propre compte.
Le pouvoir centralisé de l’État, avec ses organes, partout présents : armée permanente, police, bureaucratie, clergé et magistrature, organes façonnés selon un plan de division systématique et hiérarchique du travail, date de l’époque de la monarchie absolue, où il servait à la société bourgeoise naissante d’arme puissante dans ses luttes contre le féodalisme[2]. Cependant, son développement restait entravé par toutes sortes de décombres moyenâgeux, prérogatives des seigneurs et des nobles, privilèges locaux, monopoles municipaux et corporatifs et Constitutions provinciales. Le gigantesque coup de balai de la Révolution française du XVIIIe siècle emporta tous ces restes des temps révolus, débarrassant ainsi, du même coup, le substrat social des derniers obstacles s’opposant à la superstructure de l’édifice de l’État moderne. Celui-ci fut édifié sous le premier Empire, qui était lui-même le fruit des guerres de coalition de la vieille Europe semi-féodale contre la France moderne. Sous les régimes qui suivirent, le gouvernement, placé sous contrôle parlementaire, c’est-à-dire sous le contrôle direct des classes possédantes, ne devint pas seulement la pépinière d’énormes dettes nationales et d’impôts écrasants; avec ses irrésistibles attraits, autorité, profits, places, d’une part il devint la pomme de discorde entre les factions rivales et les aventuriers des classes dirigeantes, et d’autre part son caractère politique changea conjointement aux changements économiques de la société. Au fur et à mesure que le progrès de l’industrie moderne développait, élargissait, intensifiait l’antagonisme de classe entre le capital et le travail, le pouvoir d’État prenait de plus en plus le caractère d’un pouvoir public organisé aux fins d’asservissement social, d’un appareil de domination d’une classe. Après chaque révolution, qui marque un progrès de la lutte des classes, le caractère purement répressif du pouvoir d’État apparaît façon de plus en plus ouverte. […]
Sous l’empire, la société bourgeoise libérée de tous soucis politiques atteignit un développement dont elle n’avait elle-même jamais eu idée[3]. Son industrie et son commerce atteignirent des proportions colossales; la spéculation financière célébra des orgies cosmopolites; la misère des masses faisait un contraste criant avec l’étalage éhonté d’un luxe somptueux, factice et crapuleux. Le pouvoir d’État, qui semblait planer bien haut au-dessus de la société, était cependant lui-même le plus grand scandale de cette société et en même temps le foyer de toutes ses corruptions. Sa propre pourriture et celle de la société qu’il avait sauvée furent mises à nu par la baïonnette de la Prusse, elle-même avide de transférer le centre de gravité de ce régime de Paris à Berlin. Le régime impérial est la forme la plus prostituée et en même temps la forme ultime de ce pouvoir d’État, que la société bourgeoise naissante a fait naître, comme l’outil de sa propre émancipation du féodalisme, et que la société bourgeoise parvenue à son plein épanouissement avait finalement transformé en un moyen d’asservir le travail au capital.
L’antithèse directe de l’Empire fut la Commune. Si le prolétariat de Paris avait fait la révolution de Février au cri de « Vive la République sociale », ce cri n’exprimait guère qu’une vague aspiration à une république qui ne devait pas seulement abolir la forme monarchique de la domination de classe, mais la domination de classe elle-même. La Commune fut la forme positive de cette république.
Paris, siège central de l’ancien pouvoir gouvernemental, et, en même temps, forteresse sociale de la classe ouvrière française, avait pris les armes contre la tentative faite par Thiers et ses ruraux pour restaurer et perpétuer cet ancien pouvoir gouvernemental que leur avait légué l’empire. Paris pouvait seulement résister parce que, du fait du siège, il s’était débarrassé de l’armée et l’avait remplacée par une garde nationale, dont la masse était constituée par des ouvriers. C’est cet état de fait qu’il s’agissait maintenant de transformer en une institution durable. Le premier décret de la Commune fut donc la suppression de l’armée permanente, et son remplacement par le peuple en armes.
La Commune fut composée des conseillers municipaux, élus au suffrage universel dans les divers arrondissements de la ville. Ils étaient responsables et révocables à tout moment. La majorité de ses membres était naturellement des ouvriers ou des représentants reconnus de la classe ouvrière. La Commune devait être non pas un organisme parlementaire, mais un corps agissant, exécutif et législatif à la fois. Au lieu de continuer d’être l’instrument du gouvernement central, la police fut immédiatement dépouillée de ses attributs politiques et transformée en un instrument de la Commune, responsable et à tout instant révocable. Il en fut de même pour les fonctionnaires de toutes les autres branches de l’administration. Depuis les membres de la Commune jusqu’au bas de l’échelle, la fonction publique devait être assurée pour un salaire d’ouvrier. Les bénéfices d’usage et les indemnités de représentation des hauts dignitaires de l’État disparurent avec ces hauts dignitaires eux-mêmes. Les services publics cessèrent d’être la propriété privée des créatures du gouvernement central. Non seulement l’administration municipale, mais toute l’initiative jusqu’alors exercée par l’État fut remise aux mains de la Commune.
Une fois abolies l’armée permanente et la police, instruments du pouvoir matériel de l’ancien gouvernement, la Commune se donna pour tâche de briser l’outil spirituel de l’oppression, le pouvoir des prêtres; elle décréta la dissolution et l’expropriation de toutes les Églises dans la mesure où elles constituaient des corps possédants. Les prêtres furent renvoyés à la calme retraite de la vie privée, pour y vivre des aumônes des fidèles, à l’instar de leurs prédécesseurs, les apôtres. La totalité des établissements d’instruction furent ouverts au peuple gratuitement, et, en même temps, débarrassés de toute ingérence de l’Église et de l’État. Ainsi, non seulement l’instruction était rendue accessible à tous, mais la science elle-même était libérée des fers dont les préjugés de classe et le pouvoir gouvernemental l’avaient chargée.
Les fonctionnaires de la justice furent dépouillés de cette feinte indépendance qui n’avait servi qu’à masquer leur vile soumission à tous les gouvernements successifs auxquels, tour à tour, ils avaient prêté serment de fidélité, pour le violer ensuite. Comme le reste des fonctionnaires publics, magistrats et juges devaient être élus, responsables et révocables. […]
La multiplicité des interprétations auxquelles la Commune a été soumise, et la multiplicité des intérêts qu’elle a exprimés montrent que c’était une forme politique tout à fait susceptible d’expansion, tandis que toutes les formes antérieures de gouvernement avaient été essentiellement répressives. Son véritable secret, le voici : c’était essentiellement un gouvernement de la classe ouvrière, le résultat de la lutte de la classe des producteurs contre la classe des appropriateurs, la forme politique enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation économique du travail.
Sans cette dernière condition, la Constitution communale eût été une impossibilité et un leurre. La domination politique du producteur ne peut coexister avec la pérennisation de son esclavage social. La Commune devait donc servir de levier pour renverser les bases économiques sur lesquelles se fonde l’existence des classes, donc, la domination de classe. Une fois le travail émancipé, tout homme devient un travailleur, et le travail productif cesse d’être l’attribut d’une classe. […]
La classe ouvrière n’espérait pas des miracles de la Commune. Elle n’a pas d’utopies toutes faites à introduire par décret du peuple. Elle sait que pour réaliser sa propre émancipation, et avec elle cette forme de vie plus haute à laquelle tend irrésistiblement la société actuelle en vertu de son propre développement économique, elle aura à passer par de longues luttes, par toute une série de processus historiques, qui transformeront complètement les circonstances elles-mêmes. Elle n’a pas à réaliser d’idéal, mais seulement à libérer les éléments de la société nouvelle que porte dans ses flancs la vieille société bourgeoise qui s’effondre. Dans la pleine conscience de sa mission historique et avec la résolution héroïque d’être digne d’elle dans son action, la classe ouvrière peut se contenter de sourire des invectives grossières des laquais de presse et de la protection sentencieuse des doctrinaires bourgeois bien intentionnés qui débitent leurs platitudes d’ignorants et leurs marottes de sectaires, sur le ton d’oracle de l’infaillibilité scientifique. […]
Et pourtant, c’était la première révolution dans laquelle la classe ouvrière était ouvertement reconnue comme la seule qui fût encore capable d’initiative sociale, même par la grande masse de la classe moyenne de Paris – boutiquiers, commerçants, négociants – les riches capitalistes étant seuls exceptés. […]
La Commune avait parfaitement raison en disant aux paysans : « Notre victoire est votre seule espérance ». […]
Si la Commune était donc la représentation véritable de tous les éléments sains de la société française, et par suite le véritable gouvernement national, elle était en même temps un gouvernement ouvrier, et, à ce titre, en sa qualité de champion audacieux de l’émancipation du travail, internationale au plein sens du terme. Sous les yeux de l’armée prussienne qui avait annexé à l’Allemagne deux provinces françaises, la Commune annexait à la France les travailleurs du monde entier. […]
La grande mesure sociale de la Commune, ce fut sa propre existence et son action. Ses mesures particulières ne pouvaient qu’indiquer la tendance d’un gouvernement du peuple par le peuple. Telles furent l’abolition du travail de nuit pour les compagnons boulangers; l’interdiction, sous peine d’amende, de la pratique en usage chez les employeurs, qui consistait à réduire les salaires en prélevant des amendes sur leurs ouvriers sous de multiples prétextes, procédé par lequel l’employeur combine dans sa propre personne les rôles du législateur, du juge et du bourreau, et empoche l’argent par-dessus le marché. Une autre mesure de cet ordre fut la remise aux associations d’ouvriers, sous réserve du paiement d’une indemnité, de tous les ateliers et fabriques qui avaient fermé, que les capitalistes intéressés aient disparu ou qu’ils aient préféré suspendre le travail.
Les mesures financières de la Commune, remarquables par leur sagacité et leur modération, ne pouvaient être que celles qui sont compatibles avec la situation d’une ville assiégée. […]
Dans toute révolution, il se glisse, à côté de ses représentants véritables, des hommes d’une tout autre trempe; quelques-uns sont des survivants des révolutions passées dont ils gardent le culte; ne comprenant pas le mouvement présent, ils possèdent encore une grande influence sur le peuple par leur honnêteté et leur courage reconnus, ou par la simple force de la tradition; d’autres sont de simples braillards, qui, à force de répéter depuis des années le même chapelet de déclamations stéréotypées contre le gouvernement du jour, se sont fait passer pour des révolutionnaires de la plus belle eau. Même après le 18 mars, on vit surgir quelques hommes de ce genre, et, dans quelques cas, ils parvinrent à jouer des rôles de premier plan. Dans la mesure de leur pouvoir, ils gênèrent l’action réelle de la classe ouvrière, tout comme ils ont gêné le plein développement de toute révolution antérieure. Ils sont un mal inévitable; avec le temps on s’en débarrasse; mais, précisément, le temps n’en fut pas laissé à la Commune.
Notes
[1]Stathis Khouvelakis
[2]Une première version de ce passage est un peu différente (Statis Khouvelakis) : « La machinerie centralisée d’État, qui, avec ses organes bureaucratiques, cléricaux et judiciaires, omniprésents et compliqués, enserre le corps vivant de la société civile, comme un boa constrictor,
[3]Une première version (Statis Khouvelakis) ajoutait : « Mais l’État parasite n’atteignit son développement final que sous le second empire. Le pouvoir d’État, avec son armée permanente, sa bureaucratie tatillonne, son clergé abêtissant et sa hiérarchie judiciaire servile était devenu si indépendant de la société elle même qu’un aventurier d’une grotesque médiocrité, à la tête d’une bande de desperados avides, suffisait à l’exercer »