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À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour

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L’essentiel de la journée

Bismark vient en aide à Versailles

Jules Favre est au quartier général prussien à Rouen, où il signe avec le général de Fabrice un traité « par lequel le gouvernement s’engageait à n’employer ses troupes réunies à Versailles que contre Paris ». En conséquence Bismark accepte de libérer les troupes faites prisonnières en commençant par les officiers, et favorise leur transfert à Versailles à travers les territoires occupés par l’armée prussienne.

Dans le Journal officiel de Versailles, une note confirme l’exécution des fédérés faits prisonniers : « Quelques hommes reconnus pour appartenir à l’armée et saisis les armes à la main, ont été passés par les armes, suivant la rigueur de la loi militaire qui frappe les soldats combattant leur drapeau ». La Commission exécutive répond par l’insertion des lignes suivantes dans le Journal officiel de Paris : « Cet horrible aveu n’a pas besoin de commentaires. Chaque mot crie vengeance, justice! »

 

Situation militaire 

Au sud

Le duel d’artillerie a continué du côté des forts du Sud. Dans la journée, la garde nationale, appuyée par l’artillerie des fédérés, est  parvenue à se porter un peu en avant.

 

A l’ouest

Du côté de l’Ouest, les Versaillais ont avancé dans Levallois- Perret et fait un mouvement sur Asnières. A Neuilly il y a eu le matin une vive fusillade ; les positions des fédérés sont restées les mêmes. Le bombardement de la ville continue. Les obus éclatent sur des points de plus en plus éloignés du rempart ; il en est tombé rue de Presbourg et rue de Morny.

Témoignage

Victorine Brocher, 31 ans, piqueuse en bottines, ambulancière dans la garde nationale

« Le 7, nous nous mîmes en marche du côté de Neuilly où une lutte violente se livrait.

Les versaillais étaient à quelques pas des fortifications, tout semblait si calme qu’on ne s’en serait pas douté.

Dans la soirée, nous prîmes position dans le contre fort des remparts ; nos officiers nous recommandèrent le silence absolu, disant que l’ennemi nous guettait et qu’il fallait nous préparer à combattre.

Nous étions installés tant bien que mal ; nos volontaires attendaient, l’arme au pied, avec courage, le signal.

J’avais préparé tout ce qui est nécessaire en pareilles circonstances pour nos blessés…

Par maladresse, un de nos amis, sans le vouloir, fit partir son fusil ; ce fut le signal de la lutte, d’une lutte sauvage ; il nous tomba une grêle de balles, la fumée de la poudre nous aveuglait, les obus labouraient la terre.

Tous furent courageux, le combat dura assez longtemps, nous allions à la mort avec la satisfaction du devoir accompli. Oh ! Comme on est fort quand on a la foi, la conviction, la conscience heureuse et la gaieté au cœur. Nous vengions notre chère France, outragée et vendue, nous donnions notre sang, notre vie pour la liberté ; à chaque étape sanglante, nous criions « Vive la République ! ». Nous n’ignorions pas qu’on voulait écraser Paris pour tuer la République.

Après deux heures de lutte, le feu cessa ; au loin nous aperçûmes les flammes s’élevant graduellement…. C’était la porte de Neuilly qui brûlait… à 3 heures du matin elle était démantelée, il ne restait plus debout qu’un pan de mur, se soutenant à peine …ce qui nous permit de voir, non à la lueur des flammes, mais aux reflets de l’incendie, nos désastres, et quel désastre, nos blessés et nos morts….

Aux citoyens membres de la Commune de Paris.

Citoyens,

Les citoyens soussignés, appartenant au 66e bataillon de la garde nationale de

Paris, déclarent que Marguerite Gainder, épouse Lachaise, cantinière audit bataillon, demeurant rue Sedaine, 65, a, dans le combat du 3 courant, en avant de Meudon, tenu une conduite au-dessus de tout éloge et de la plus grande virilité en restant toute la journée sur le champ de bataille, malgré la moisson que faisait autour d’elle la mitraille, occupée à soigner et panser les nombreux blessés, en l’absence de tout service chirurgical.

En foi de quoi, citoyens membres de la Commune, nous venons appeler votre attention sur ces actes, afin qu’il soit rendu justice au courage et au désintéressement de cette citoyenne, républicaine des plus accomplies.

Salut et fraternité.

                                                                                Suivent les noms des citoyens

*

Catulle Mendes, 30 ans, romancier

 A mesure qu’on monte, l’avenue est plus en plus déserte. Les volets de toutes les maisons sont fermés. De loin en loin, un passant longe les murs par prudence, prêt à se réfugier dans l’une des portes cochères restées ouvertes par ordre, dès qu’il entendra le sifflement d’un obus. Devant la boutique d’un carrossier, hermétiquement close, des fusils sont rangés en faisceaux ; la plupart des gardes dorment étendus sur le trottoir ; d’autres font les cent pas, la pipe à la bouche ; quelques-uns jouent au bouchon. J’entends dire qu’un obus a éclaté, il y a un quart d’heure, au coin de l’avenue et de la rue de Morny. Un capitaine était là, assis par terre, à côté de sa femme qui venait de lui apporter à déjeuner ; le capitaine a été littéralement coupé en deux ; on a transporté la femme, grièvement blessée, dans une pharmacie qui se trouve à côté du bureau des omnibus. On m’assure qu’elle y est encore, et, retournant sur mes pas, je me dirige de ce côté. Il y a un petit groupe devant la boutique. J’essaye de me faire jour, mais je ne vois rien, car la blessée a été portée dans le laboratoire. J’apprends seulement qu’elle a reçu un éclat d’obus dans le cou et qu’elle reçoit les soins d’un médecin des ambulances de la Presse. Je reprends ma route. La canonnade, qui semblait interrompue, reprend avec une rare vigueur ; des fumées blanches s’élèvent de la Porte-Maillot ; des boîtes à mitraille, envoyées par le Mont-Valérien, éclatent au-dessus de l’Arc-de-Triomphe. J’avance toujours.

A droite, à gauche, des compagnies de fédérés. Plus loin, un bataillon à peu près complet, l’arme sur l’épaule droite, des casseroles sur le dos, des pains au bout des baïonnettes, s’ébranle dans la direction de la Porte-Maillot.

A côté du capitaine de la première compagnie, marche une femme qui porte un uniforme singulier : une jupe de cantinière, une vareuse de garde national, et là-dessus un bonnet phrygien ; elle a un chassepot sur l’épaule et un revolver à la ceinture ; elle me paraît jeune

et assez jolie. J’interroge quelques fédérés : l’un me dit que c’est la femme du citoyen Eudes, membre de la Commune ; un autre m’assure que c’est une marchande de journaux de l’avenue des Ternes, dont le fils, un petit garçon de trois ans, a été tué hier soir, rue des Acacias, par un éclat d’obus, et qui a juré de venger son enfant.

J’apprends aussi que ce bataillon va soutenir les combattants de Neuilly, qui en ce moment faiblissent. D’après les bruits qui circulent, les gendarmes et les sergents de ville se seraient avancés jusqu’à la rue des Huissiers… Je suis le bataillon, et nous nous trouvons à cinquante mètres environ de l’Arc-de-Triomphe. Un sifflement rapide, aigu, tortueux, commence au loin, redouble et vient à nous ; cela fait à peu près le bruit d’une

fusée d’artifice qui s’enlève. Gare à l’obus ! crie un sergent, et en un clin d’œil le bataillon s’abat ventre terre, avec un bruit de baïonnettes qui se froissent et de casseroles heurtées. Il y avait quelque danger en effet.

Le projectile s’abat et éclate, avec un bruit formidable, peu de distance de nous, sur le trottoir, devant la dernière maison de l’avenue, à gauche. Je n’avais jamais vu de si près éclater un obus. On peut se faire une idée de ce spectacle, en regardant les peintures naïves que portent, pendues à leurs cous, certains mendiants aveugles, et qui représentent un sinistre dans une mine.

D’ailleurs, je ne crois pas que personne ait été atteint, et les dégâts matériels paraissent se borner à un grand trou dans le bitume et à une porte enfoncée. Le bataillon se relève, et plusieurs gardes s’en détachent pour aller ramasser des éclats ; ils ont à peine fait quelques pas, qu’une seconde fois retentit le cri d’alarme, précédé du terrible sifflement, et, de nouveau, nous voilà tous couchés. Le second projectile éclate, mais nous ne l’avons pas vu tomber ; nous voyons seulement, au dernier étage de la maison qui a déjà été atteinte, une fenêtre s’ouvrir brusquement et les carreaux de vitre brisés s’émietter dans la rue. Il est probable que l’obus est tombé sur le toit et l’a effondré. N’y avait-il personne dans les mansardes ?

[…]

 Les balles et les obus des Versaillais ne se contentent pas de tuer des combattants et de battre en brèche les forts et les remparts. Ils tuent des femmes, des enfants, des gens qui passent, et non-seulement ceux qu’une curiosité imprudente attire là où ils n’ont que faire, mais ceux qui, indispensablement, pour aller acheter du pain, se hasardent un instant dans les rues de leurs quartiers.

Ce ne sont pas uniquement les édifices très-rapprochés des murs de la ville qu’atteignent les obus de l’Assemblée nationale ; ils dépassent de beaucoup les lignes de défense, ils effondrent au loin des maisons inoffensives, ils émiettent les sculptures des monuments. A cette affirmation, on ne peut répondre : non. Ce que je dis, je l’ai vu, et d’heure en heure, les projectiles parviennent plus avant. Hier ils tombaient sur l’avenue de la Grande-Armée ; aujourd’hui, ils franchissent l’Arc de Triomphe; il vient d’en tomber place d’Eylau …

Dombrowsky remplace Bergeret

La perte du pont de Neuilly hier est d’autant plus sensible que Bergeret avait affirmé que Neuilly avait été formidablement fortifié par ses soins et qu’il défiait « toute une armée de l’assaillir ».

Décision est prise de le remplacer aux fonction de commandant le place de Paris par Ladislas Dombrowski, un Polonais que Garibaldi avait réclamé pour son armée des Vosges. Cet ancien organisateur des forces insurrectionnelles des patriotes polonais, exilé en France après son évasion, a rejoint l’Internationale dans le XIIIème arrondissement.

La réorganisation de la défense continue

Une commission des barricades, présidée par le commandant de place et composée des capitaines du génie, de deux membres de la Commune et d’un membre élu par chaque arrondissement, est instituée à partir du 9 avril.

Une rente pour les blessés ayant une incapacité de travail est décidée :

La Commune de Paris décrète :

Tout citoyen blessé à l’ennemi pour la défense des droits de Paris recevra, si sa blessure entraîne une incapacité de travail partielle ou absolue, une pension annuelle et viagère dont le chiffre sera fixé par une commission spéciale, dans les limites de trois cents à douze cents francs

Une adresse du délégué à la guerre, Cluseret, essaye à nouveau d’éliminer la confusion née des consignes données à tort et à travers et de battre le rappel, y compris pendant la nuit. Ces rappels incessants fatiguent inutilement la garde nationale, et réduisent leur efficacité, personne ne sachant plus auquel répondre, on finit par ne plus se déranger.

Il annonce que « La générale ne sera battue que sur mon ordre ou celui de la commission exécutive, et dans le cas seul de prise d’armes générale. Le rappel ne sera battu, dans les arrondissements, que par ordre de la place, et pour la réunion d’un certain nombre de bataillons commandés pour un service spécial. »

Il réitère l’ordre d’avoir à se tenir sur la plus stricte défensive, et à ne pas jouer le jeu des adversaires, en gaspillant et les munitions et les forces, et surtout la vie des citoyens.

Il met en garde contre les « chefs militaires trop jeunes et surtout faibles pour résister à la pression populaire.  L’homme du devoir ne connaît que sa conscience et méprise la popularité. »

Enfin, il conclut sur le thème « Nous sommes forts ; restons calme » par les termes suivants :

« Danton demandait à nos pères de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ; je vous demande de l’ordre, de la discipline, du calme et de la patience : l’audace alors sera facile. En ce moment, elle est coupable et ridicule. »

Le citoyen Dereure propose que les réquisitions d’appartements faites par les maires pendant le siège soient maintenues jusqu’à la fin de la guerre. Il n’est pas suivi par la Commune qui se refuse à s’attaquer aussi frontalement aux droits des propriétaires. Aujourd’hui dans le VIème arrondissement c’est en caserne qu’on loge les locataires expulsés des garnis.

L’action des conciliateurs s’amplifie

Les francs-maçons cherchent eux aussi à s’interposer entre la Commune et l’Assemblée pour faire cesser, par une transaction immédiate, la lutte sanglante. A cet effet, quelques francs-maçons dignitaires ont rédigé un manifeste qui rappelle les devises humanitaires, exhorte les combattants à arrêter « l’effusion de ce sang précieux qui coule des deux côtés. »

Les journaux du matin ont publié une déclaration rédigée par neuf représentants de la Seine présents à Versailles, Louis Blanc, Henri Brisson, Edmond Adam, C. Tirard, E. Farcy, A. Peyrat, Edgar Quinet, Langlois, Dorian. Ce long texte parle beaucoup de leurs souffrances de députés dans l’assemblée royaliste et, pour calmer l’effervescence parisienne, pour amener la capitale à mettre bas les armes, il observe qu’après tout la République n’avait été contestée ouvertement «par aucun membre de l’Assemblée nationale». Pour eux, cela ne devait-il pas suffire pour satisfaire Paris ? Comme si les débats sur la Commune, la perspective d’une république démocratique et sociale n’existaient pas !

Un autre député de Paris, M. Victor Schœlcher, fait lui aussi une proposition d’un traité de paix qui va un peu plus loin. Des journaux reproduisent la communication faite par le député à l’Avenir national. Dans cette note très longue, M. Schœlcher propose de présenter à l’adoption de l’Assemblée nationale la désignation d’une commission de six membres chargée de prendre langue avec la Commune de Paris et de conclure un arrangement qui rétablirait à Paris l’autorité du gouvernement légal, qui garantirait, à Paris, ses franchises, et à la Commune l’intégralité de ses droits municipaux.

La réunion appelée par Pierre Denis

Le citoyen Pierre Denis est l’auteur du traité de paix paru dans le Cri du Peuple hier. Ce proudhonnien membre de l’Internationale, ami de Jules Vallès n’est pas un conciliateur comme les autres. Lui, il a pris parti clairement pour l’insurrection du 18 mars et en est un des militants actifs.

Il a convoqué les membres de la Commune et tous ceux qui voudraient adhérer à son projet à une réunion dans l’amphithéâtre de l’École centrale, rue de Thorigny. Y étaient présents les citoyens J. Vallès, Avrial, Lefrançais et Langevin, tous quatre membres de la Commune, ainsi que les citoyens Loiseau-Pinson, Bonvallet, Stupuy, Lockroy et Jobbé-Duval, de l’Union républicaine.

Avant même d’examiner de manière détaillée le projet d’appel, il fut décidé qu’une Commission composée des citoyens Pierre Denis, Bonvallet et Stupuy, rédigerait une proclamation dans laquelle Versailles serait invité à suspendre les hostilités, en même temps que les députés de la Seine seraient sommés, en cas de refus, de donner leur démission. Dans cette seconde hypothèse, l’Union républicaine devait immédiatement appeler tous ses adhérents à prendre les armes en faveur de la Commune. Une telle démarche était beaucoup plus radicale puisqu’elle visait à conduire les députés à prendre les armes si Thiers ne cédait pas. Mais il fallait passer des paroles aux actes, car tous ces efforts de pacification, toutes ces tentatives de transaction se heurtent à l’obstination de l’Assemblée nationale.

Témoignage

Gustave Lefrançais, 45 ans, instituteur, comptable

Cette proclamation, signée d’hommes notoirement connus pour être dévoués à la République, et dont la position sociale était une sorte de trait d’union entre les travailleurs et la bourgeoisie, pouvait avoir pour effet de rallier autour de la Commune les républicains, que l’attitude expectante des députés de la Seine laissait irrésolus, et d’opérer ainsi une pression sur l’assemblée et sur le gouvernement qui n’eussent pu continuer de tromper la province, en lui représentant la révolution communaliste comme reniée même par les députés républicains.

Les bases de cette proclamation avaient d’abord été acceptées avec un certain enthousiasme par les citoyens qui avaient répondu à l’appel du citoyen Denis. Mais, revenus à des considérations plus personnelles, les inspirateurs de ce groupe se contentèrent d’affirmer de nouveau leurs désirs de conciliation vague et, sans indiquer de moyens précis de réalisation, préférant sans doute, au lieu de consolider un état de choses qui menaçait de ruiner leur influence politique, attendre l’occasion de recueillir sans danger les épaves du pouvoir communal lorsque celui-ci aurait sombré.

 

Négociations suite au décret des otages

Da Costa s’est rendu dans la prison de Mazas pour rencontrer l’archevêque dans sa cellule. Il le met au courant des événements, raconte la mort de Flourens, celle de Duval, celle de centaines d’autres prisonniers, enfin il lui donne communication de la lettre du curé de la Madeleine, l’abbé Deguerry.

Le prélat réfléchit un bon moment pour finir par déclarer que, si le caractère de son ministère lui interdit d’intervenir dans des conflits politiques, l’humanité lui fait un devoir d’écrire la lettre à Thiers qu’on lui demandait. Une heure après, la lettre était écrite, protestant contre les exécutions de prisonniers et lui demandant de prendre des mesures pour « amener promptement la fin de la guerre civile, et, en tout cas, pour en adoucir le caractère ».

Prison de Mazas, 8 avril 1871.

Monsieur le Président,

Hier vendredi, après un interrogatoire que j’ai subi à Mazas, où je suis détenu en ce moment, les personnes qui venaient m’interroger m’ont assuré que des actes barbares avaient été commis contre des gardes nationaux par divers corps de l’armée, dans les derniers combats on aurait fusillé les prisonniers et achevé les blessés sur le champ de bataille. Ces personnes, voyant combien j’hésitais à croire que de tels actes pussent être exercés par des Français contre des Français, m’ont dit ne parler que d’après des renseignements certains.

Je pars de là, monsieur le Président, pour appeler votre attention sur un fait aussi grave, qui peut-être ne vous est pas connu, et pour vous prier instamment de voir ce qu’il y aurait à faire dans des conjonctures si douloureuses. Si une enquête forçait à dire qu’en effet, d’atroces

excès ont ajouté à l’horreur de nos discordes fratricides, ils ne seraient certainement que le résultat d’emportements particuliers et tout individuels. Néanmoins, il est possible peut-être d’en prévenir le retour, et j’ai pensé que vous pouvez plus que personne prendre à ce sujet des mesures efficaces.

Personne ne trouvera mauvais qu’au milieu de la lutte actuelle, étant donné le caractère qu’elle a revêtu dans ces derniers jours, j’intervienne auprès de tous ceux qui pensent la modérer ou la faire finir.

L’humanité, la religion, me le conseillent et me l’ordonnent. Je n’ai que des supplications ; je vous les adresse avec confiance.

Elles partent d’un cœur d’homme qui compatit, depuis plusieurs mois, à bien des misères ; elles partent d’un cœur français que les déchirements de la patrie font douloureusement saigner ; elles partent d’un cœur religieux et épiscopal qui est prêt à tous les sacrifices, même à celui de sa vie, en faveur de ceux que Dieu lui a donnés pour compatriotes et pour diocésains.

Je vous en conjure donc, monsieur le Président, usez de tout votre ascendant pour amener promptement la fin de la guerre civile, et, en tout cas, pour en adoucir le caractère, autant que cela peut dépendre de vous.

Veuillez, monsieur le Président, agréer l’hommage de nos sentiments très respectueux.

                                                                       G. DARBOY,

                                                                       Archevêque de Paris.

P.-S. La teneur de ma lettre prouve assez que je l’ai écrite d’après la communication qui m’a été faite ; je n’ai pas besoin d’ajouter que je l’ai écrite non seulement en dehors de toute pression, mais spontanément et de grand cœur.

En bref

 ■   Les élections complémentaires à la Commune auront lieu le lundi 10 avril, de huit heures du matin à huit heures du soir.

Le nombre de membres à élire est de :

1er arrondissement 4 ; 2e — 4 ; 3e — 1 ; 6e — 2 ; 7e — 1 ; 8e — 1 ;  9e — 5 ; 12e — 2 ; 13e — 1 ; 16e — 2 ;  17e — 1 ;  18e — 2 ;  19e — 1 ;  20e — 1

                        Paris, le 8 avril 1871.   La commission exécutive :    COURNET, DELESCLUZE, FÉLIX PYAT,

                                                                                              TRIDON, ED. VAILLANT, VERMOREL

 ■   Avis aux éditeurs et imprimeurs de journaux

La déclaration préalable pour la publication des journaux et écrits périodiques, de même que le dépôt, sont toujours obligatoires et doivent se faire au bureau de presse, délégation de la sûreté générale et de l’intérieur, place Beauvau.

 ■ Instruction primaire

La Commune de Paris invite les citoyens et les citoyennes qui désireraient un emploi dans les établissements publics d’instruction primaire de la ville de Paris, à présenter leur demande, avec pièces à l’appui, à la commission d’enseignement séant à l’Hôtel-de-Ville

 ■ Tous les soirs, à huit heures, réunion publique, salle de la rue des Terres Fortes, 2, près la rue de Lyon et la Bastille (12e arrondissement). Appel aux orateurs qui voudront bien prêter leur concours.

 ■ Alexandre Lambert déporté politique (condamné en 1852), acteur important des mouvements en Algérie notamment depuis septembre dernier est installé à Paris au sein du comité de sûreté générale et de l’intérieur, département de l’Algérie et des colonies, place Beauveau.

 ■ Ce matin, les premiers vicaires des paroisses de Paris ont délibéré sur la question de savoir s’il ne conviendrait pas, dans les circonstances actuelles, vu les arrestations des membres du clergé, de faire fermer les églises. Demain, jour de pâques, le scandale eut été retentissant. Mais la crainte de voir les fidèles s’habituer à ne pas fréquenter les églises les ont amené à surseoir à une telle décision.

Nouvelles du Havre 

Les points de vue se radicalisent sur la situation parisienne.

Pendant qu’un journal local le Courrier du Havre décrit Paris comme une ville où « C’est le meurtre et le pillage qui seuls font la loi… Le soldat, l’insurgé voulons nous dire menace le supérieur, revolver au poing à chaque ordre reçu », des réunions se tiennent en soutien avec la Commune. Lors d’une nouvelle réunion du Comité Central Républicain de Solidarité un nommé Robin s’écrie « que l’on fasse appel pour aller défendre nos frères de Paris, moi j’irai ».

Lettre

Paul Lafargue à Karl Marx

Paris le 8 avril 1871

Mon cher Marx,

Je suis à Paris depuis deux jours. J’ai vu les hommes de la Commune qui sont pleins d’enthousiasme, ainsi que la population ; ils ont toujours l’espoir de prendre Versailles et ils travaillent pour cela. Les hommes ne manquent pas, ce sont les chefs qui font défaut. C’est ce que me disait Vaillant. Engels ne pourrait-il pas venir mettre ses talents au service de la révolution ?

A plus tard plus long détail.

 

En débat : quelle conciliation est possible ?

Toutes ces démarches n’ont pas le même objectif.

Pour certains députés, il s’agit simplement de prendre date tout en laissant les mains libres au gouvernement et à l’assemblée, car ils ne supportent pas le pouvoir que s’est octroyé le peuple de Paris, et ils ne veulent pas d’une république démocratique et sociale qui réponde aux besoins populaires. Ils acceptent les choix politiques fondamentaux de Thiers, en dénonçant seulement ses « excès ».

Pour d’autres, comme les membres de l’Union républicaine des droits de Paris, les délégués du commerce parisien, les missionnaires de la franc-maçonnerie, il s’agit d’obtenir l’établissement définitif de la République et la reconnaissance pleine et entière des franchises municipales. La discussion avec eux est utile, même si de leur point de vue les « communeux » peuvent avoir tort, ils affirment que la véritable Commune a raison.

Comment penser que l’argumentation, les prises de positions, pourraient avoir quelque chance de fléchir Thiers et l’Assemblée ? Le choix politique a été fait avant même le 18 mars : il s’agit avant tout de désarmer le peuple ouvrier de Paris, de l’empêcher d’avoir une autonomie, une quelconque forme de pouvoir. Toutes les alliances politiques de Thiers à l’assemblée nationale et avec les prussiens appliquent cette décision. Ce n’est pas la conviction qui pourra modifier cela, c’est la création d’un rapport de force à Paris bien sûr, mais également dans tout le pays. Pour que l’action de ces courants puisse avoir quelqu’effet, il est incontournable de les convaincre qu’ils ne peuvent arriver à leurs objectifs qu’en s’affrontant au gouvernement, il n’y pas d’autre solution : Versailles ne comprendra que cela : céder à Paris pour ne pas perdre plus !

Enfin les propositions démocratiques de Pierre Denis, décentralisatrices et fédéralistes, conçues pour transformer profondément un pays historiquement centralisé autour de la royauté, puis du pouvoir jacobin révolutionnaire, et ensuite du système bonapartiste impérial ne peuvent exister que s’il se lève ailleurs qu’à Paris une telle volonté, capable alors, grâce à l’existence de différents centre d’exercices des pouvoirs locaux de modifier en profondeur les équilibres des diverses réalités de la « nation française ».

Enfin, il ne faut pas occulter que le combat engagé aujourd’hui par le peuple ouvrier de Paris dépasse celui de l’autonomie municipale, il est celui des ouvriers contre les exploiteurs, contre le parasitisme, celui de la « régénération du monde » comme le disait justement l’adresse du comité central de la garde nationale jeudi dernier. Thiers est encore plus inquiet de la prise de pouvoir par les parisiens, du peuple de Paris qui montre qu’il peut gérer la ville par lui-même que de l’autonomie parisienne.

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