La Commune au jour le jour. Jeudi 13 avril 1871
À l’occasion des 150 ans de la Commune de Paris, Contretemps publie du 18 mars au 4 juin une lettre quotidienne rédigée par Patrick Le Moal, donnant à voir ce que fut la Commune au jour le jour.
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L’essentiel de la journée
Situation militaire
– À l’ouest
Le combat a repris avec une grande vigueur, on s’est battu toute la journée dans Neuilly, qui est défendu pied à pied, avec des renforts d’artillerie envoyés pour conserver le terrain conquis. La canonnade atteint les quartiers les plus proches, dans le haut des Champs-Elysées, les maisons sont fortement endommagées ; sur les trottoirs, on voit çà et là des éclats de vitres, des réverbères brisés, des arbres rompus et des trous d’obus. Les lignes d’omnibus vers Passy ont complètement interrompu leur service.
– Au sud
La journée s’est passée sans incident notable à notre connaissance, mais le général Eudes se préoccupe vivement de la nuit prochaine : les dispositions de l’ennemi semblent présager une attaque.
Le blocus de Paris se resserre
L’ordre prussien est imposé au nord et à l’est de Pari, en soutien de Versailles. L’armée allemande vient de décider d’instaurer l’état de siège pour les parties des départements de la Seine, de Seine-et-Oise, de Seine-et-Marne et de l’Oise qui sont occupées. Les pouvoirs dont l’autorité civile était revenue pour le maintien de l’ordre et de la police passent tous entiers à l’autorité militaire allemande et les tribunaux militaires allemands peuvent être saisis de la connaissance des crimes et des délits contre l’ordre et la sûreté des troupes allemandes, contre l’ordre et la paix publics, quelle que soit la qualité des auteurs principaux et des complices. L’armée allemande s’octroie le droit de faire des perquisitions de jour et de nuit dans le domicile des habitants, d’ordonner la remise des armes et munitions et de procéder à leur recherche et à leur enlèvement d’interdire les publications et les réunions qu’elle juge de nature à exciter ou à entretenir le désordre. Les prussiens ont envoyé des patrouilles au nord des zones de combat d’Asnières et de Neuilly, à Colombes, Argenteuil, Sartrouville.
Les lignes d’Orléans et de l’Ouest sont interceptées par les troupes de Versailles à une certaine distance de Paris. Les journaux du gouvernement affirment que le but n’est pas d’arrêter l’approvisionnement de Paris, mais d’empêcher les mouvements de troupes. A l’Assemblée une interpellation du gouvernement sur la continuation de la guerre ou sur la conclusion de la paix avec Paris été ajournée à un mois. Les prisonniers fédérés partis de Satory sont arrivés en Bretagne : 800 à belle île et 400 à Port Louis.
La construction des nouvelles barricades
Construction de la barricade de la rue de Rivoli, à l’angle de la rue Saint Florentin. Cette barricade défendue par un fossé de plusieurs mètres, avec des talus percés d’embrasures, prend d’heure en heure des proportions impressionnantes.
Témoignage
Martial Senisse, 20 ans, maçon limousin
Ce matin, rue Monge, quand je suis sorti, on quêtait pour les blessés, les veuves et les orphelins. Un garde râclait du violon. Une jeune polonaise jouait de l’harmonica. J’ai été appelé par Frankel. Il m’a dit qu’il avait décidé de me mettre à disposition de Rossel. Rossel a demandé un bon ouvrier maçon pour seconder le père Gaillard à la commission des barricades. Gaillard est un compagnon dévoué et il prend sa tâche au sérieux, mais Rossel lui trouve un grave défaut : il est cordonnier de son métier et pour édifier des barricades, ce n’est pas un métier très utile. J’ai accepté. D’ailleurs, Frankel ne m’a pas demandé mon avis. Je me suis rendu ensuite chez … Il m’a recommandé d’être prudent, m’affirmant que tout cela allait très mal finir pour les parisiens.
– Thiers a dit « c’est peut-être Foutriquet après Badinguet, comme le répètent les gens de l’hôtel de ville, mais Thiers est à la tête d’une armée puissante et il est plus facile d’abattre la colonne Vendôme que d’abattre la puissance du gouvernement de Versailles. Je ne suis pas contre la Commune parce que, parmi ses raisons, il en est de très respectables, mais je ne suis pas pour elle car une tyrannie n’est qu’une tyrannie et la tyrannie exercée au nom du peuple ne me séduit pas davantage que la tyrannie exercée contre le peuple… »
La fuite des réfractaires continue, des centaines de personnes disparaissent chaque jour sous divers prétextes, ils partent approvisionner paris, sont appelés pour affaires de famille urgentes, pêchent sur la seine et partent en bateau, sont déguisés en bouviers, maraîchers, conducteurs ou employés de train, en dames ou vieillards à perruque. Les bourgeois de la garde nationale ne sont pas vraiment inquiétés, malgré les textes sur les enrôlements de force, alors que les exigences sont plus rigoureuses du côté des prolétaires, auxquels on dit : c’est votre cause que vous avez à défendre !
Versailles reçoit les prisonniers libérés par les prussiens, lance ses gendarmes a la chasse aux réfractaires, fusille les soldats qui font des difficultés pour marcher contre Paris.
Service d’ambulance de la garde nationale
Beaucoup de bataillons partent au feu sans chirurgien, n’arrivent pas à en trouver, la commune met donc en place un service d’ambulance pour la garde nationale. Il prévoit la création de compagnies d’ambulance avec 20 docteurs, 60 élèves en médecine, 10 voitures du train et 120 brancardiers. Ces compagnies seront divisées en escouades qui marcheront sur la demande de la guerre ou de la place, transmise par la commission médicale de l’Hôtel-de-Ville. Les inscriptions pour le service médical nouvellement organisé seront reçues dans toutes les mairies, sur un registre spécial. On pourra aussi s’inscrire à l’Hôtel-de-Ville, à la commission médicale.
Fédération des artistes
Quatre cent artistes ont participé aujourd’hui au grand amphithéâtre de l’école de médecine à une assemblée présidée par Courbet pour mettre en place la fédération des artistes. Il était assisté par Eugène Pottier rapporteur du projet de fédération adopté par la réunion préparatoire. Les statuts ont été adoptés. Les artistes prévoient le gouvernement de l’art par les artistes eux-mêmes, qui gérera les musées, développera les expositions, et mettra en place un enseignement pour concourir « à notre régénération à l’inauguration du luxe communal et aux splendeurs de l’avenir et à la République universelle ». Il émane de ces propositions une grande solidarité entre artistes, tout en affirmant nettement l’importance de la liberté de l’art, dégagé de toute tutelle gouvernementale.
Fédération des artistes de Paris
Les artistes de Paris adhérant aux principes de la République communale se constituent en fédération. Ce ralliement de toutes les intelligences artistiques aura pour bases :
« La libre expansion de l’art, dégagé de toute tutelle gouvernementale et de tous privilèges.
« L’égalité des droits entre tous les membres de la fédération.
« L’indépendance et la dignité de chaque artiste mises sous la sauvegarde de tous par la création d’un comité élu au suffrage universel des artistes. »
Ce comité fortifie les liens de solidarité et réalise l’unité d’action.
Constitution du comité
Le comité est composé de 47 membres représentant les diverses facultés, savoir : 16 peintres, 10 sculpteurs, 5 architectes, 6 graveurs, 10 membres représentant l’art décoratif, nommé improprement art industriel.
Ils sont nommés au scrutin de liste et au vote secret.
Ont droit de prendre part au vote les citoyens et citoyennes qui justifient de la qualité d’artistes, soit par la notoriété de leurs travaux, soit par une carte d’exposant, soit par une attestation écrite de deux parrains artistes.
Les membres du comité sont élus pour une année.
À l’expiration du mandat, quinze membres, désignés par un vote secret du comité, resteront en fonctions pendant l’année suivante, les trente-deux autres membres seront remplacés.
Les membres sortants ne peuvent être réélus qu’au bout d’une année d’intervalle.
Le droit de révocation peut être exercé contre un membre qui ne remplit pas son mandat. Cette révocation ne peut être prononcée qu’un mois après que la demande en a été faite, et, si elle est votée en assemblée générale, à la majorité des deux tiers des votants.
Détermination du mandat
Ce gouvernement du monde des arts par les artistes a pour mission :
La conservation des trésors du passé ;
La mise en œuvre et en lumière de tous les éléments du présent ;
La régénération de l’avenir par l’enseignement.
Monuments, Musées
Les monuments, au point de vue artistique, les musées et les établissements de Paris renfermant des galeries, collections et bibliothèques d’œuvres d’art, n’appartenant point à des particuliers, sont confiés à la conservation et à la surveillance administrative du comité.
Il en dresse, conserve, rectifie et complète les plans, inventaires, répertoires et catalogues.
Il les met à la disposition du public pour favoriser les études et satisfaire la curiosité des visiteurs.
Il constate l’état de conservation des édifices, signale les réparations urgentes, et présente à la Commune un compte rendu fréquent de ses travaux.
Après examen de leur capacité et enquête sur leur moralité, il nomme des administrateurs, secrétaire, archivistes et gardiens, pour assurer les besoins du service de ces établissements et pour les expositions, dont il sera ultérieurement parlé.
Expositions
Le comité organise les expositions communales, nationales et internationales ayant lieu à Paris.
Pour les expositions nationales ou internationales qui n’ont pas lieu à Paris, il délègue une commission chargée des intérêts des artistes parisiens.
Il n’y admet que des œuvres signées de leurs auteurs, créations originales ou traductions d’un art par un autre, telle que la gravure traduisant la peinture, etc.
Il repousse d’une manière absolue toute exhibition mercantile, tendant à substituer le nom de l’éditeur ou du fabricant à celui du véritable créateur.
Il n’est pas décerné de récompenses.
Les travaux ordinaires commandés par la Commune seront répartis entre les artistes que les suffrages de tous les exposants auront désignés.
Les travaux extraordinaires sont donnés au concours.
Enseignement
Le comité surveille l’enseignement du dessin et du modelage dans les écoles primaires et professionnelles communales, dont les professeurs sont nommés au concours ; il favorise l’introduction des méthodes attrayantes et logiques, estampille les modèles, et désigne les sujets chez lesquels se révèle un génie supérieur, et dont les études doivent être complétées au frais de la Commune.
Il provoque et encourage la construction de vastes salles pour l’enseignement supérieur, pour des conférences sur l’esthétique, l’histoire et la philosophie de l’art.
Publicité
Il sera créé un organe de publicité intitulé : Officiel des arts.
Ce journal publiera, sous le contrôle et la responsabilité du comité, les faits concernant le monde des arts et les renseignements utiles aux artistes.
Il publiera les comptes rendus des travaux du comité, le procès-verbal de leurs séances, le budget des recettes et dépenses et tous les travaux de statistique apportant la lumière et préparent l’ordre.
La partie littéraire, consacrée aux dissertations sur l’esthétique, sera un champ neutre ouvert à toutes les opinions et à tous les systèmes.
Progressif, indépendant, digne et sincère, l’Officiel des arts sera la constatation la plus sérieuse de notre régénération.
Arbitrages
Pour toutes les contestations litigieuses relatives aux arts, le comité, sur la demande des parties intéressées, artistes ou autres, désigne des arbitres conciliateurs.
Dans les questions de principe et d’intérêt général, le comité se constitue en conseil arbitral, et ses décisions sont insérées à l’Officiel des arts.
Initiative individuelle
Le comité invite tout citoyen à lui communiquer toute proposition, projet, mémoire, avis ayant pour but le progrès dans l’art, l’émancipation morale ou intellectuelle des artistes, ou l’amélioration matérielle de leur sort.
Il en rend compte à la Commune et prête son appui moral et sa collaboration à tout ce qu’il juge praticable.
Il appelle l’opinion publique à sanctionner toutes les tentatives de progrès, en donnant à ces propositions la publicité de l’Officiel des arts.
Enfin, par la parole, la plume, le crayon, par la reproduction populaire des chefs-d’œuvre, par l’image intelligente et moralisatrice qu’on peut répandre à profusion et afficher aux mairies des plus humbles communes de France, le comité concourra à notre régénération à l’inauguration du luxe communal et aux splendeurs de l’avenir et à la République universelle.
COURBET, MOULINET, STEPHEN MARTIN, ALEXANDRE JOUSSE,
ROSZEZENCH, TRICHON, DALOU, JULES HÉREAU, C. CHABERT,
DUBOIS, A. FALEYNIÈRE, EUGÈNE POTTIER, PERRIN, A. MOUILLIARD.
Le premier compte rendu des débats de la Commune
On s’aperçoit que la Commune aborde de multiples questions, sans obligatoirement prendre des décisions, questions d’une importance très relative au regard des enjeux de la lutte en cours, comme l’affichage des commissions, les sommes destinées aux orphelinats saisies dans les maisons de secours tenues par les sœurs, la tombe de Pierre Leroux enterré ce jour, la dissolution des bataillons de vétérans de la garde nationale, la question des corps francs constitués dans Paris, etc. Une sage décision est prise : que les délégués dans la commune dans chaque arrondissement puissent désigner un membre de la commission municipale qui fera fonction d’officier d’état civil. Des décrets sont adoptés, notamment concernant les ambulances.
La question des échéances est une nouvelle fois abordée en prenant le temps de la réflexion collective, car trois projets sont présentés, celui de Jourde et Varlin, celui de Tridon et celui de Beslay. Ils seront imprimés et une commission de cinq membres examinera les projets et déposera un rapport la semaine prochaine.
Les échanges de courrier avec la province
Des agences privées se sont créées pour retirer à Versailles les lettres de toute provenance en destination de Paris, et les distribuer à leurs destinataires. Le gouvernement Thiers acceptait ce système tout en refusant un fonctionnement normal avec le service postal de la Commune.
Ainsi deux mille lettres sont arrivées ce 13 13 avril de Versailles par l’agence Bruner, ce qui porte à six mille le nombre des lettres distribuées dans Paris depuis le nouveau siège.
Arrestation de Gustave Chaudey, rédacteur du Siècle, ex-adjoint du maire de Paris
Gustave Chaudey est le directeur politique de ce journal. Proudhonien dans sa jeunesse (il est l’exécuteur testamentaire de Proudhon, conjointement avec Gustave Duchêne, journaliste à La Commune et Langlois, député resté à Versailles), membre de l’internationale jusqu’en juillet 1866, adjoint au maire de Paris, Jules Ferry, en novembre 1870. Il était dans l’Hôtel de ville avec Jules Ferry le 22 janvier 1871 lorsque la troupe a tiré sur une foule désarmée, faisant 6 morts dont Sapia, tué aux côtés de Rigault et une vingtaine de blessés.
Témoignage
Gustave Lefrançais, 45 ans, instituteur, comptable
… m’arrive un citoyen, porteur d’un mot d’un des gendres de Pierre Leroux, le citoyen Auguste Desmoulins, un peu trop expectant, il me semble, pour un socialiste. Enfin ! Le recommandé de Desmoulins est le citoyen Miles Noé, gendre de Chaudey, qu’on vient d’arrêter sur ordre de Raoul Rigault. J’ignorais cette arrestation. Le citoyen Miles Noe me demande d’intervenir pour faire relâcher son beau-père.
En conscience, je le pourrais que je ne le fasse pas.
Je n’ai personnellement aucune animosité contre Chaudey, à qui la vanité plus que tout autre chose a fait commettre le crime qu’on lui reproche et dont on a la preuve, d’avoir, nouveau Flesselles, amusé le peuple à l’hôtel de ville le 22 janvier, pour donner à Ferry le temps d’organiser le massacre.
S’il n’eût tenu qu’à moi, considérant la campagne qu’il a fait depuis quelques jours dans le Siècle en faveur de l’idée communaliste, cette arrestation n’eût peut-être pas eu lieu.
Mais encore un fois, je ne ferai aucune tentative, d’ailleurs fort inutile, pour obtenir son élargissement.
Il serait vraiment trop commode, après avoir préparé froidement le massacre de ses concitoyens, de se tirer d’affaire en reconnaissant simplement qu’on s’est trompé.
A chacun la responsabilité de ses actes.
Je me contente d’expliquer au citoyen Miles Noé que mon intervention serait absolument inutile, ce qui est rigoureusement vrai.
Il est seulement regrettable que Cernuschi[1] ait pu se soustraire au mandat également décerné contre lui. Plus encore que Chaudey, cet ex-triumvir romain de 1849 aurait mérité d’expier sa complicité dans toutes les trahisons de la prétendue Défense nationale.
En bref
■ Le citoyen Babick passe de la commission de justice à la commission des services publics.
■ L’inspecteur des Halles et marchés, accusé d’avoir dissimulé d’une partie du stock de farine.
■ Pour assurer l’approvisionnement de Paris, il sera mis gratuitement à la disposition des négociants en grains et farines des magasins aussi grands qu’il sera nécessaire. Les marchandises resteront toujours la propriété des négociants, qui en feront le commerce comme d’habitude.
Dans le cas où le blocus de Paris deviendrait effectif, il serait fixé un maximum rémunérateur pour la vente de ces grains ou farines. Ce maximum sera basé sur le prix au moment de l’investissement. La Commune s’engagera à ne pas réquisitionner ces marchandises, mais elle aura une priorité d’achat au maximum indiqué.
■ La Commune a décidé l’envoi de deux de ses membres aux funérailles de Pierre Leroux après avoir déclaré qu’elle rendait cet hommage non au philosophe partisan de l’idée mystique, dont nous portons la peine aujourd’hui, mais à l’homme politique qui, le lendemain des journées de Juin, a pris courageusement la défense des vaincus.
■ Les soussignés, membres de la délégation communale du 1er arrondissement considérant que le vote à bulletin secret est immoral au premier chef ; qu’il ne peut y avoir de vraie démocratie et d’élections libres là ou les électeurs acceptent la responsabilité de leurs actes, émettent le vœu qu’aux prochaines élections, le vote nominal ou à bulletin ouverts soit le seul autorisé paris, le 13 avril 1871
TOUSSAINT, WINANT, TANGUY, SALLEE
Nouvelles du Havre
Dans le cadre de la préparation des élections municipales, le Comité central républicain organise une réunion publique à laquelle sont conviées les membres du Comité Central Républicain de Solidarité de tendance socialiste. Plus de 3000 personnes, surtout des ouvriers, y assistent. Le Maire du Havre Ulysse Guillemard, du Comité Central Républicain réaffirme que la République est le seul gouvernement capable de régénérer et sauver la France, et revendique les franchises communales et dénonçant la loi qui soumet l’élection définitive des maires des villes de plus de 20 000 habitants à un décret qui met les maires sous tutelle.
Après le discours d’un militant proudhonien en blouse bleue, qui demande « que les impôts au lei de porter sur les besoins du travailleur, sur la viande notamment et autres objets de première nécessité portent sur le superflu et particulièrement sur les alcools », la discussion porte très rapidement sur la commune de Paris, divers orateurs contestant la légalité du pouvoir des versaillais. Guillemard prétexte une indisposition et quitte la salle.
Un des animateurs du Comité Central Républicain de Solidarité, Détré propose l’adresse suivante « au cas ou le gouvernement ne croirait pas devoir déférer à la demande qui lui est faite et refuserait à la ville du Havre le droit de s’administrer et commune indépendante, le conseil municipal, au nom de la ville toute entière, déclare se considérer comme affranchi de toute obéissance aux ordres émanés du gouvernement de Versailles ». Cette adresse est adoptée a une très forte majorité, ce qui provoque la rupture entre les deux comités : il n’y aura pas de liste commune aux prochaines élections.
En débat
Voici une tribune écrite hier, parue dans le Cri du Peuple, significative de l’état d’esprit parisien :
Lettre d’un ami du peuple aux honnêtes gens
Il ne peut plus y avoir d’équivoque possible maintenant. Tout homme, quelle que soit sa position sociale, pourvu qu’il soit honnête et sensé, ne peut, en présence des faits qui se passent aujourd’hui, approuver les actes du gouvernement qui siège à Versailles. Ce gouvernement, uniquement composé de tous les renégats politiques et de toutes les incapacités qui se sont faites un nom et une fortune que grâce à la haine qu’ils ont contre les libertés publiques, et à l’appui qu’ils ont donné à tous les oppresseurs du peuple, ose aujourd’hui livrer la capitale à toutes les horreurs de la guerre civile qu’il a provoquée.
Ouvrirez-vous enfin les yeux, vous tous qui vous appelez des hommes d’ordre, vous petits propriétaires, vous, petits fabricants et petits commerçants, vous tous enfin qui prétendez toujours que la sagesse et l’honnêteté toujours que consistent à ne s’occuper que de ses affaires et non de politique ? Regardez où vous en êtes maintenant.
Il y a deux ans, je vous ai dit dans toutes les réunions publiques, que votre persistance à soutenir le gouvernement impérial, et votre haine contre les principes de la démocratie, amèneraient inévitablement votre ruine. Vous n’avez tenu aucun compte des avis que vous donnaient tous les hommes véritablement sincères, vous avez persisté à donner vos voix à tous les bohèmes politiques qui, depuis 1830, ont occupé toutes les positions gouvernementales, et ce jour est presque venu. Le seul moyen d’éviter votre ruine complète, est de vous rallier franchement, et le plus tôt possible, à ceux qui revendiquent toutes les franchises municipales.
N’ayez surtout aucune confiance à ce caméléon politique, qui tient aujourd’hui dans ses mains le pouvoir exécutif. Comment, cet homme ose dire à présent qu’il serait tout prêt à reconnaître à la ville de Paris le droit de s’administrer elle-même, mais à la condition du désarmement de la garde nationale. Eh bien, cela est impossible. L’homme qui a fait Transnonnain[2], qui a traité la population laborieuses de vile multitude ; qui deux fois, s’est rallié à la République afin de la noyer dans le sang des citoyens ; qui pendant toutes les péripéties de la guerre avec les prussiens, parcourait toutes les cours de l’Europe, et leur promettait son concours pour mener à fin cette œuvre machiavélique, a mis le comble à toutes les infamies de sa carrière politique, en appelant autour de lui tous ces généraux qui n’ont au cœur que la haine du peuple qu’ils ont lâchement assassiné au 2 décembre, et qui, en 1870, ont totalement désorganisé l’armée, afin d’empêcher la victoire de répondre à nos accents et de seconder votre courage.
Eh bien croyez-le, citoyens, il n’y a plus d’espoir pour vous tous, qui n’avez que la droiture dans votre conduite, que le triomphe de la Commune de Paris, qui n’est autre chose que le conseil municipal que vous avez toujours réclamé ; qui amènera la reprise des affaires et du travail que nous souhaitons tous avec tant d’ardeur, qui rétablira le crédit, et qui fera cesser tous ces abus et tous ces impôts iniques qui pèsent sur vous, depuis des siècles et des siècles ; et qui, sous des noms différents, ont toujours pesé sur tous les hommes qui travaillent au profit de ceux qui ne font rien.
Voilà pourquoi nous disons tous : ralliez-vous à nous pour faire triompher le droit incontestable que la ville de Paris a de se gouverner elle-même !
Vive la République démocratique et sociale !
Vive la Commune !
Adrien Delaire
Ouvrier ébéniste, ancien délégué de 1848
Paris 12 avril 1871
Notes
[1]Le principal propriétaire du Siècle.
[2]Massacre d’insurgés lors d’une émeute les 13 et 14 avril 1834