L’attraction du capital étranger dans le secteur des mines argentin et l’essor des assemblées socio-environnementales
Dans cet article, Laura Alvarez revient sur le développement du secteur minier depuis les années 1990 et sur l’émergence de mouvements de résistance qui mêlent écologie, anti-impérialisme et affirmation des peuples originaires, au cours des années 2000. L’auteur participe aux mobilisations sociales contre les mégaprojets miniers et leurs effets sur les populations et les écosystèmes.
Laura Alvarez est allocataire en sciences politiques pour le Conseil national des sciences et techniques (CONICET) et chercheuse associée à l’Université de Quilmes, où elle achève une thèse de doctorat sur le secteur des mines.
À partir des années 1990 l’État argentin met en place une série de réformes qui fondent un nouveau cadre juridique minier et créent des conditions très favorables pour les capitaux qui investissaient dans ce secteur. À la fin de cette même décennie a lieu le “boom minier”, un processus qui a pour conséquence une augmentation considérable des projets miniers métallifères qui se développent dans tout le pays, mais aussi des Investissements directs étrangers (IDE) et de la production du secteur. Tout indique que cette croissance de l’activité minière-métallifère est rendue possible par le développement de nouvelles technologies qui permettent l’extraction de minéraux impossible à extraire avec les méthodes traditionnelles ; elle est en même temps favorisée par l’augmentation du prix des métaux sur le marché mondial.
Malgré cela, cet essor qu’avait eu l’activité minière entre 1996 et 1997 s’interrompt suite à la crise asiatique, qui provoque l’interruption momentanée de certains projets miniers mais surtout incite les entrepreneurs à être plus prudents lorsqu’ils investissent dans de nouveaux projets. Cette période au cours de laquelle une certaine instabilité prédomine dans le secteur des mines, semble toutefois se terminer en 2002, quand le prix des métaux remonte à nouveau. Au début du XXIe siècle, le secteur minier commence à se récupérer y compris des répercussions de la récession de 2001, quand il subit un nouveau coup. Cette fois non pas à cause d’une crise internationale, mais des mobilisations sociales contre la mise en place de projets miniers, qui ont pour conséquence la fin de la stabilité politique et juridique sur laquelle le secteur minier avait compté jusque-là.
Au vu de tout cela, il y a de nombreuses raisons de considérer que l’analyse de la question minière argentine est cruciale. D’abord parce que c’est une des activités du pays qui a connu le plus de croissance au cours des deux dernières décennies. Ensuite parce que même si l’on ne parlera que de l’Argentine, de nombreuses caractéristiques de ce cas sont inévitablement semblables à celles d’autres pays latino-américains. De plus, parce qu’elle s’insère dans les débats sur les activités dites “extractives” et leur relation avec l’expansion continuelle du capital. En lien avec cela et dans le cadre des nouvelles théories sur impérialisme et mondialisation, qui reformulent de vieux débats, certains auteurs revisitent le concept « d’accumulation primitive » utilisé par Marx (2008) et baptisent « accumulation par dépossession » (Harvey, 2004; De Angelis, 2001; Bonefeld, 2001) la nouvelle phase d’expansion du capital inaugurée après la crise de suraccumulation des années 1970, à cause de la réactualisation et de l’approfondissement des mécanismes de prédation. De même, du point de vue des investissements, des auteurs comme Holloway (1992) ou Hirsch (1992, 1996), expliquent que les États sont en concurrence entre eux pour attirer une portion du capital global. Enfin, parallèlement à l’augmentation du nombre des mines, des protestations se sont également développées dans tout le pays, remettant en cause les mégaprojets miniers, allant jusqu’à contester que l’activité minière apporterait une meilleure qualité de vie aux populations des provinces argentines. On a ainsi vu naître, à partir de 2002, des “assemblées pour le NON à la mine”, produits du mouvement de 2001 en Argentine mais dotées de leurs propres pratiques et d’un point de vue nouveau sur la relation capital-nature et capital-travail, à l’origine d’intéressants débats en Argentine et dans plusieurs pays latino-américains.
Les nouveaux acteurs des luttes socio-environnementales ont incontestablement réussi à insérer dans l’agenda de l’opinion publique des thématiques dont l’importance était jusqu’ici ignorée, même par la plupart des secteurs de la gauche. La suite de cet article se compose de deux parties. Dans la première, nous analyserons les principales caractéristiques du processus que l’on appelle “boom minier” ; dans la seconde, nous parlerons des résistances sociales contre l’avancée des projets méga-miniers, dans tout le territoire argentin.
Les Investissements directs étrangers (IDE) et le “boom minier”
Comme nous l’avons mentionné, nous parlerons dans les pages qui suivent du “boom minier argentin”. Mais avant cela, il nous faut faire quelques considérations générales sur les IDE et sur le secteur minier.
Par IDE, nous faisons référence à une forme spécifique du capital ; le capital sera ici entendu comme forme différenciée de relation sociale capitaliste, qui existe parce que le travail est subordonné, afin de produire de la plus-value et de pouvoir garantir ainsi la reproduction du capital. Néanmoins, vu que le travail est la seule source de création de valeur, ce processus (par lequel le travail est subordonné et le capital se reproduit) ne peut exister que s’il est lié à un territoire, et il prend la forme de capital productif. Pour cette raison, les mouvements du capital s’expliquent par l’unité dialectique entre circulation (la mobilité du capital) et production (sa fixité). Il faut toutefois garder à l’esprit que ce que nous voyons, ce qui se déplace, ce n’est pas un objet mas une relation sociale fétichisée (Holloway, 2003: 119). Les Investissements directs étrangers sont donc une des modalités spécifiques de cette étape de fixité du capital à échelle du marché mondial, c’est-à-dire de cette relation sociale fétichisée qui doit trouver un territoire pour pouvoir exister en tant que telle. Les IDE correspondant au secteur minier ont à leur tour une fixité1 plus importante que ceux des autres secteurs. Et ceci parce que les projets miniers ont besoin de plusieurs années pour se mettre en place, ce qui est un des arguments le plus utilisés par les représentants des transnationales minières pour réclamer une stabilité fiscale à long terme (en Argentine, cette période est de 30 ans). Une même entreprise n’obtient toutefois généralement pas la gestion de toutes les étapes de l’activité minière, et à chaque étape du projet minier correspond souvent une entreprise différente.
Voyons à présent d’autres caractéristiques générales du secteur des mines, afin d’éclairer ce que nous allons expliquer ensuite. On peut tout d’abord différencier, à grands traits, deux grands tipes de minéraux. Il y a d’un côté les minéraux métallifères, et de l’autre les non-métallifères : les minéraux industriels et les pierres précieuses. Dorénavant nous nous intéresseront au premier type, aux minéraux métallifères tels que le fer, le cuivre, l’aluminium, le zinc, l’étain, le nickel, l’argent, l’or, le plomb, le platine. Il faut ensuite clarifier de quel type d’exploitation on parle. Une exploitation peut être souterraine ou à ciel ouvert. Le premier type, les mines souterraines, faites de galeries horizontales et de puits verticaux, sont actuellement assez rares en Argentine, sauf dans des cas de mines très profondes, ou quand le minéral à extraire se concentre en veines. Le second type, les mines « à ciel ouvert » sont rendues nécessaires par l’absence de métaux concentrés en veines de haute qualité (avec une forte concentration de minéraux). Cette technique est actuellement la plus utilisée ; elle consiste à concentrer des gisements de minerai disséminés, d’une qualité mineure. On extrait de gros volumes de roche, en formant des marches et des carrières, puis les matériaux sont séparés entre minerai et résidus. Cela concerne également les carrières d’extraction de granulats, de calcaire, de pierres ornementales, etc.
Enfin, l’activité minière se divise en plusieurs étapes : prospection, exploration, exploitation, mouture, raffinement. De toute évidence, cette succession d’étapes de production précédant la fermeture des mines expliquent les investissements par palier dans un projet minier, puisque chaque étape comporte un degré différent de risque pour le capital. Cela génère à son tour des possibilités plus ou moins grandes de trouver des financements, et un degré différent d’exigence en ce qui concerne la sécurité juridique demandée aux États (Alvarez, 2013).
« Le boom »
S’il est vrai que l’Argentine se trouvait, dans les années 1990, dans un contexte latino-américain de croissance des mines sur grande échelle, le développement de son activité minière avait des particularités. D’abord, les mines étaient en Argentine une activité secondaire, surtout les mines métallifères. Les entrepreneurs comme les hauts fonctionnaires indiquent en général trois raisons de cette absence de développement de l’activité minière dans le pays. La première raison, invoquée par certains porte-parole des entrepreneurs miniers, est que « le pays de production agricole et d’élevage » s’était facilement imposé (Panorama Minero Nº 181: 11), et avait laissé l’activité minière en second plan. La deuxième raison était l’absence de cadre juridique qui garantisse une sécurité d’investissement dans le secteur minier. La troisième est qu’il y avait en Argentine peu de gisements qui pouvaient être exploités de façon traditionnelle, (mines souterraines ou mines à galeries). Mais comme nous l’avons dit, avec les nouvelles technologies permettant d’extraire des minéraux dispersés, cette activité se développe de façon considérable dans les dernières décennies, et le minerai put être exploité dans les territoires où cela semblait impossible.
Comme l’explique Rodríguez Pardo:
« Dans la nature les minéraux résiduels sont disséminés et sous forme de particules infimes dispersées dans les roches montagneuses, c’est pourquoi il est impossible de les extraire au moyen des méthodes et des technologies minières traditionnelles. Pour y remédier, l’industrie minière a mis au point une méthode d’extraction qui s’adapte à ces nouvelles conditions : on détecte par satellite des emplacements ou des gisements avec une concentration relative en métal plus importante, en général il s’agit de minerais polymétalliques disséminés sur des kilomètres. Pour s’approprier ces minéraux et les concentrer, il faut d’abord faire exploser d’incroyables quantités de terrain, des montagnes entières sont réduites en pierres puis broyées en particules infimes pour qu’on puisse leur appliquer une mixture de substances chimiques diluées dans d’incroyables quantités d’eau, qui vont isoler les métaux du reste de la roche et les capter. Et pour cela on utilise des réactifs, du cyanure, du mercure, de l’acide sulfurique et d’autres composantes toxiques persistantes et bioaccumulatives, qui ont un impact énorme sur la santé des gens et sur l’environnement » (Rodríguez Pardo, 2009: 8).
Cependant, au-delà du développement même des nouvelles technologies, son incorporation au processus de prospection, d’exploration et d’exploitation se justifie par la valeur importante que les métaux acquièrent une fois transformés en ressources, du fait de l’augmentation de la demande sur le marché international. Ce développement technologique, ainsi que la mise en place d’un cadre juridique 2favorable au secteur, ont a été les déclencheurs de ce qu’on a appelé le “boom” minier-métallifère des années 1990. Parmi les bénéfices que cette réforme a concédé aux entreprises minières, on trouve une stabilité fiscale sur 30 ans, des exonérations fiscales et un plafond de 3% pour l’encaissement de royalties dues aux provinces (Alvarez y Christel, 2011). Mais observons des données qui montrent l’ampleur du saut que connut l’activité minière en argentine dans la deuxième moitié de la décennie mentionnée.
Mines et Produit intérieur brut
Année |
PIB* |
Exploitations de mines et Carrières* |
Part de l’activité minière |
1993 |
236.504,98 |
3.527 |
1,5 |
1994 |
257.439,96 |
3.820 |
1,5 |
1995 |
258.031,89 |
4.838 |
1,9 |
1996 |
272.149,76 |
5.889 |
2,2 |
1997 |
292.858,88 |
5.633 |
1,9 |
1998 |
298.948,36 |
4.311 |
1,4 |
1999 |
283.523,02 |
4.674 |
1,6 |
2000 |
284.203,74 |
7.098 |
2,5 |
2001 |
268.696,71 |
6.657 |
2,5 |
2002 |
312.580,14 |
18.674 |
6,0 |
2003 |
375.909,36 |
20.528 |
5,5 |
2004 |
447.643,43 |
23.542 |
5,3 |
2005 |
531.938,72 |
28.820 |
5,4 |
2006 |
654.438,99 |
36.235 |
5,5 |
*En million de pesos courants.
Source : Élaboration personnelle à partir des données de la Direction nationale des comptes publics.
Comme on peut le voir dans le tableau ci-dessus, l’exploitation des mines et des carrières s’est multipliée par cinq entre 1993 et 2006. Mais au-delà de cette augmentation générale, la production minière en particulier a subi un gros changement. Jusqu’à la moitié des années 1990, la production minière se fondait surtout sur ce qu’on appelle les minéraux industriels (sables pour la construction, calcaire, galets, blocs de granit, etc.). Vers la moitié de la décennie, le panorama commence à changer radicalement, et la production de minéraux métallifères passe de 8% de la production totale de minerais à 54% en 1998.3 Cette valeur grandira ultérieurement au cours des années, produisant ainsi un déplacement de l’exploitation minière basée sur les carrières et les minerais non métallifères à l’exploitation minière “à grande échelle”, 4 métallifère. De plus cette dernière, contrairement à la première, s’orientera principalement vers le marché extérieur : alors qu’en 1993 on n’exportait que 3% de la production minière, en 2004 on en exporte 61%. 5 Ce chiffre nous signale que jusqu’au boom minéro-métallifère, la production minière était principalement orientée vers le marché intérieur, du fait du boom de la construction dans les 1990 et du peso fort qui freinait les exportations (Prado, 2005). En ce qui concerne les données sur les IDE dans le secteur minier, elles montrent bien que cette activité était peu importante avant le boom, et le saut qu’elle a effectué. Alors que dans la première moitié des années 1990 seul 0,1 à 2,5% du total des IDE qui affluent dans l’économie argentine concernent le secteur minier, en 1996 ce pourcentage s’élève à 9,81 %, plus ou moins quatre fois plus que l’année précédente (Alvarez, 2013). 6
Cependant, malgré une tendance nette à l’augmentation de la production et des investissements tout au long de la période 1992-2004, il y a dans la deuxième moitié des années 1990 un moment d’ « incertitude » pour le secteur, entre 1998 et 2002. Rien ne semblait perturber les investissements miniers en Argentine jusqu’à ce qu’en 1998 les effets de la crise asiatique commencent à se faire sentir et que plusieurs projets d’investissement soient suspendus. Avec la baisse de la demande des pays asiatiques (qui représentaient un tiers de la demande mondiale de métaux), les prix des métaux chutent, ce qui s’ajoute à l’augmentation du niveau de risque financier dans les « pays émergents », produit par la crise financière mondiale, la difficulté d’accès aux capitaux et la récession. Comme le dit le président de la société Alumbrera, les entreprises préféraient augmenter la production de projets déjà existants plutôt que d’entreprendre de nouveaux investissements.7 Après une légère reprise, la crise de 2001 affecte le secteur minier comme d’autres secteurs de l’économie, réduisant à nouveau l’afflux d’IDE dans le pays.
Mais d’autre part, comme on peut le voir dans le tableau suivant, le capital étranger investi dans le secteur minier métallifère augmente par rapport au capital national, c’est-à-dire celui dont la maison mère se trouve dans le pays. La différence entre ces deux capitaux est beaucoup moins prononcée au début de la décennie qu’à la fin. Cela correspond à ce que nous venons d’expliquer : au fur et à que la production minière métallifère augmente, le capital d’origine étrangère dans le secteur (les IDE) augmente aussi. Comme on le voit avec ce tableau, c’est dû au fait que la quasi-totalité des projets miniers métallifères appartiennent à des entreprises dont le sièges est à l’étranger. En effet, selon un rapport du Ministère des affaires étrangères argentin, 18% seulement des mines en Argentines ont un “capital national”.
Investissement annoncé dans le secteur minier métallifère en Argentine suivant l’origine du capital (en millions de dollars)
Origine du capital |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
2003 |
2004 |
Étranger |
|
15,0 |
51,0 |
125,0 |
721,3 |
717,3 |
373,4 |
379,0 |
545,7 |
1.073,1 |
601,8 |
571,2 |
313,4 |
National |
1,0 |
8,0 |
8,0 |
8,0 |
11,7 |
22,7 |
13,6 |
– |
– |
2,0 |
0,2 |
0,6 |
0,2 |
Total |
1,0 |
23,0 |
59,0 |
133,0 |
733,0 |
740,0 |
387,0 |
379,0 |
545,7 |
1.075,1 |
602,0 |
571,9 |
313,6 |
Source : élaboration personnelle à partir des données du CEP « Base de inversiones ».
Au cours des années suivantes, l’industrie minière allait s’établir et connaître des changements encore plus abrupts. Ainsi l’afflux d’IDE dans le secteur minier continue d’augmenter dans toute la décennie suivante. On remarquera qu’en 2008 le secteur avait atteint les 4,8% du total des IDE, dépassant même les céréales et les oléagineux, le commerce et le secteur financier privé (compte rendu du BCRA “Les investissements directs dans des entreprises locales”, 2008). De même, selon le rapport réalisé par la Direction générale de stratégies internationales, qui fait partie du Ministère des affaires étrangères, du commerce international et du culte, en 2010 les investissements destinés à l’exploration le développement de projets et la production de minerais augmentent de 748% par rapport à 2003. Au cours de cette même période 336 nouveaux projets miniers voient le jour, pour une croissance de 740% (Ministère des affaires étrangères du commerce international et du culte, 2010).
Revenons sur les deux moments au cours desquels la demande mondiale en métaux chute de façon significative : le premier est le produit de la crise économique et financière du Sud-est asiatique en 1997, et l’autre du ralentissement économique de 2001. Toutes deux expliquent aussi la chute des dépenses d’exploration en Argentine, et lié à cela, une diminution ou stagnation des IDE dans le pays. Mais l’importance de ces deux crises ne tint pas tant à l’incertitude du secteur des entreprises minières qu’aux stratégies mises en place par l’État argentin pour continuer à attirer des IDE dans ce secteur. On trouve par exemple, après 2001 : la création d’un Secrétariat de l’industrie minière de la nation (2003), réclamé par le secteur des entrepreneurs miniers et qui jusque-là n’avait été qu’un sous-secrétariat ; la poursuite du cadre juridique réformé dans les années 1990, ainsi que de nouveaux textes comme la loi 25.249 (2001) qui remplissait des lacunes de la Loi sur les investissements miniers, ou le décret nº 417 de 2003 et le décret nº 753 de 2004, qui exonéraient les entreprises des obligations usuelles sur le rapatriement des devises provenant des exportations. Toutes ces mesures, ajoutées à celles visant à améliorer les exemptions d’impôt et les conditions d’infrastructure pour les entreprises minières, avaient pour objectif principal l’amélioration de ce qu’on appelle les avantages concurrentiels et d’assurer la stabilité juridique promise aux investisseurs du secteur, afin de promouvoir l’Argentine comme un territoire « de confiance » (stable et sûr) pour les IDE et le développement des projets miniers.
Si l’on observe les mesures politiques mises en place avant et après l’Argentinazo de 2001 et la fin de la convertibilité “1 peso = 1 dollar”, on remarque une grande continuité de tout ce qui assurait une stabilité juridique et institutionnelle pour le secteur minier argentin, ainsi, d’une certaine façon, qu’une croissance générale du secteur. Cependant, après 2002, l’apparition des assemblées du « NON à la mine » et les conflits que ces mobilisations ont généré marquent une nouvelle période d’incertitude et remettent en question la sécurité institutionnelle et juridique que l’État avait garantie au secteur minier. Nous allons voir maintenant comment ces conflits ont éclaté en plein climat de stabilité.
La fin de l’horizon prévisible
Nous avons vu jusqu’ici comment le capital, sous forme d’IDE, a développé le secteur minier-métallifère, et comment celui-ci a réussi à se tirer d’affaire de deux crises internationales, malgré une déstabilisation momentanée. Dans les pages qui viennent nous allons nous intéresser à une « incertitude » que ni le secteur des entreprises minières, ni l’État argentin n’ont pu éradiquer : les mouvements sociaux qui émergent en Argentine, et dans d’autres parties du monde, contre la mise en place des mégaprojets miniers.
Le conflit Esquel et ses répercussions politiques
En juillet 2002, l’entreprise Meridian Gold Inc. (MG), à capitaux canadiens, acheta les actions appartenant à l’entreprise El Desquite, devenant ainsi propriétaire du gisement d’or et d’argent “Cordón de Esquel”, situé dans la province de Chubut, en Patagonie argentine. Le nouveau propriétaire annonça aussitôt que l’étape d’exploitation allait débuter dès l’année suivante.
Au même moment, la crise de 2001 frappait également les 30 000 habitants d’Esquel, dont 40% étaient au chômage. L’entreprise annonçait la création de 400 emplois et l’injection de 120 millions de dollars dans l’économie locale à partir de la mise en marche de la mine. Les experts de Meridian et le gouvernement provincial lui-même assuraient que les technologies d’extraction utilisées par l’entreprise seraient inoffensives pour la santé de la population et pour l’environnement. Malgré cela, un collectif – dont une bonne partie était mobilisés depuis l’explosion sociale de décembre 2001 – décide de rassembler et de diffuser de façon autonome des informations sur ce projet, afin de les confronter avec les chiffres officiels. Nul doute que le mouvement de 2001, avec toute son hétérogénéité politique, se retrouvait dans cette revendication d’Esquel de récupérer un pouvoir de décision. En ce sens, Alejandro Corbeletto, un des habitants qui a fait partie du processus naissant, soutenait que :
« On avait bien à l’esprit ce qui s’était passé dans le pays en 2001, la crise des partis, les assemblées, le que se vayan todos (qu’ils partent tous, ndt), l’absence totale de confiance envers les directions politiques. Je crois que cela a contribué à faire que cette bombe [la résistance massive aux mines à ciel ouvert] explose de cette façon-là. On savait qu’on ne pouvait pas faire confiance à la classe dirigeante. Les gens ont abandonné la démocratie représentative et ont choisi la démocratie participative. L’autre ingrédient important a été l’information. Le jour où on a cherché « conséquences des mines », sur Internet, on a trouvé 50 000 résultats. Et là on a commencé à comprendre dans quoi on était en train de s’embarquer » (Journal Página 12, 24/03/2008, cité par Alvarez y Composto, 2013).
Après avoir analysé et débattu des informations recueillies sur les antécédents des mégaprojets de mines à ciel ouvert dans d’autres parties du monde puis s’être mis en contact avec d’autres mobilisations d’Amérique Latine, 8 ils organisent une assemblée à laquelle participent 600 habitants qui décident de s’opposer au développement de ce projet, et de former ce qu’ils appellent une “Assemblée de voisins autoconvoqués (AVA) contre la mine” (www.noalamina.org). La première mobilisation de l’assemblée, en novembre 2002, puis celles qui suivent sont si massives qu’elles parviennent à bloquer l’audition publique qu’aurait dû tenir le gouvernement provincial avec l’entreprise, afin d’évaluer le « Rapport sur l’impact environnemental », présenté par celle-ci à la fin du mois d’octobre. L’approbation de ce rapport impliquait le début des travaux de la future exploitation du gisement.
Dès lors et dans les mois qui suivirent, la mobilisation d’Esquel n’a plus cessé de s’élargir et de s’approfondir, faisant pression sur la justice pour empêcher le mégaprojet minier. C’est ainsi qu’en février 2003 le Conseil municipal approuve un arrêté interdisant l’utilisation du cyanure dans toute la municipalité, retire l’adhésion de la ville aux lois nationales Inversión Minera y Reordenamiento Minero (Investissement minier et réorganisation de la industrie minière) et autorise le pouvoir exécutif à convoquer un référendum sur l’exploitation minière, ratifié par le maire de la ville. Comme à Tambogrande – au nord du Pérou – la consultation populaire a lieu à Esquel le 23 mars 2003 et le « Non à la mine » obtient 81% des suffrages. Bien que ce plébiscite n’avait pas valeur de contrainte, son résultat impressionnant a contribué à l’approbation de l’arrêté 33/03, qui déclarait Esquel « Municipalité non toxique et respectueuse de l’environnement ». L’approbation de la loi provinciale n°5.001 a permis par la suite d’interdire l’activité minière à ciel ouvert et l’utilisation de cyanure dans certaines parties du territoire de Chubut, empêchant à Meridian de s’établir et ouvrant ainsi une période d’incertitude qui a remis en question la légitimité et la stabilité des grands projets d’exploitation minière dans le pays.
La grande mobilisation sociale de la population d’Esquel a ainsi été un point de rupture pour le secteur minier pour trois raisons fondamentales :
1) C’est la première contestation organisée de ce type de projet dans le pays, à partir de laquelle les assemblées « Non à la mine » s’organisent et se constituent en nouveau sujet politique ;
2) elle a obtenu gain de cause sur ses revendications, ce qui en faisait une référence pour de nombreux processus de protestation contre les mégaprojets extractifs qui se mettaient en place dans d’autres lieux et régions ;
3) elle a fortement contribué à la construction de la « question minière » comme problématique sociale d’importance et a inséré dans l’agenda public et médiatique le débat sur les conséquences environnementales, sanitaires et socio-économiques, des mines, incitant les populations à exercer un pouvoir décisionnel sur tout ce qui avait un impact sur leur mode de vie.
Les répercussions d’Esquel et la création de l’UAC
À partir d’Esquel, une vague de luttes socio-environnementales se déploie dans tout le pays. Une multitude d’assemblées et d’organisations sociales, dans différentes localités de la zone de la cordillère et précordillère commencent aussi à s’organiser, convoquées par des habitants eux-mêmes, inquiets que l’avancée de ces projets de mines à grande échelle ne menace leurs conditions et leur qualité de vie.
En juin 2006 un Forum national des peuples écologistes autoconvoqués a lieu dans la province Córdoba, là où allait se tenir le mois suivant le sommet des présidents du Mercosur. Le résultat de ce forum est qu’en parallèle du dit sommet, le 21 juin l’Union de Asambleas Ciudadanas (UAC, ‘Union des assemblées de citoyens’) voit le jour. À cette coordination (UAC) se sont joints par la suite des groupes et des assemblées qui se sont formées pour faire face à des différentes problématiques –pas seulement sur la question des mines – contre ce qu’on commençait à identifier comme un « modèle de pillage et de pollution ». Ainsi, au cours des années d’autres problématiques de conflit ont été incorporées par l’UAC, comme celle des usines de papier, du pétrole, de la déforestation et de la destruction des zones humides, mais aussi l’expropriation des peuples originaires, les pesticides agricoles toxiques, les barrages, la pollution urbaine industrielle, mais aussi des aspects culturels et de communication, jusqu’aux projets liés à l’Initiative d’intégration de l’infrastructure de la région sud-américaine (IIRSA).
L’UAC est un réseau qui se réunit dans différents lieux du pays, de deux à trois fois par an, et auquel participent plus de 250 organisations et assemblées. Vingt rencontres ont déjà été organisées, qui se distinguent par une méthode de travail horizontale, un fort débat politique et social et l’organisation d’actions unitaires. De fait il n’y a pas de comité de direction, ni de gestion, pas de figure autoritaire ni de porte-parole (cf. les cahiers de l’UAC, sur asambleasciudadanas.org.ar). Le mode de fonctionnement prévoit la formation de commissions de travail, dont certaines sont “permanentes” et font le lien entre une rencontre et l’autre, renforçant ainsi le travail collectif. D’autre part, l’UAC étant un lieu ouvert et en construction permanente, elle a adopté dans le temps différentes formes organisationnelles, qui sans modifier sa substance ont radicalisé ses positions politiques. Ainsi la plupart du temps, lorsque le “modèle de pillage et de pollution” est évoqué, celui ci inclut et parfois même est remplacé par “système capitaliste”. Autrement dit la pollution et la dévastation de la terre ne seraient pas le résultat des mesures politiques d’un gouvernement précis, ou des intérêts d’une seule entreprise, mais d’un système entier dans lequel le but de la production et du travail est le profit.
Face à la situation dominante, l’UAC se propose d’ “organiser et de renforcer les différentes luttes qui ont émergé au cours des dernières années dans tout le pays et en Amérique latine, pour contraster l’avancée systématique des entreprises destructives, avec la conviction que la mobilisation populaire et l’autodétermination de nos communautés sont la seule voie possible pour parvenir à une économie équitable, respectueuse des écosystèmes, des économies régionales, des cultures et des identités locales”, et affirme que “le chemin de l’unité renforce nos luttes contre l’ennemi”.
La contre-attaque du capital et de l’État
Les multinationales et l’Etat argentin ont tous deux pris différentes mesures pour faire face à l’émergence et aux actions des assemblées socio-environnementales argentines et d’Amérique latine. Dans le secteur minier – comme pour d’autres activités – on peut signaler la politique menée par les entreprises, connue sous le nom de “Responsabilidad Social Empresaria” (responsabilité sociale des entreprises) qui consiste à élaborer une série d’actions visant à minimiser les conséquences des actions en justice pour pollution, corruption et dévastation des territoires où elles s’installent. Les entreprises apparaissent ainsi comme des facteurs de de développement, voire semblent « combler un vide » que l’état provincial ou national n’aurait pas les moyens de combler, et se présentent comme complémentaires à l’État. On peut citer comme exemples de ces mesures la création de services hospitaliers, la mise en place de bourses pour les universités nationales, d’aides aux écoles primaires ou secondaires, le parrainage d’équipes de foot, etc.
Après l’expérience d’Esquel, l’État lui a mis en place une quantité considérable de mesures politiques tant au niveau provincial que national, qui contribuent à diffuser l’idée que l’activité minière génère du développement, afin encore une fois d’obtenir un soutien de la population. Beaucoup de ces mesures ont été sans aucun doute des réponses aux grandes mobilisations menées dans tout le pays. Nous allons en voir trois exemples, qui se situent à trois moments différents des gouvernements Kirchner : le premier sous Nestor Kirchner et les deux autres pendant les mandats de Cristina Fernández de Kirchner.
En 2004, le gouvernement de Nestor Kirchner annonce la mise en place du Plan minier national, qui inaugurait l’ « Exploitation minière en tant que politique d’État », une série de mesures destinées à garantir aux entreprises un apport tant en personnel qualifié – en favorisant la formation professionnelle de ressources humaines pour ce secteur – qu’en fournisseurs locaux. Mais le plus étonnant est que pour la première fois un plan minier fait explicitement référence à la question environnementale. Depuis, d’année en année, le discours des entreprises et des gouvernements s’est toujours associé aux exigences de « protection du milieu environnemental », ou de « développement durable ». Cette prise en compte de la problématique environnementale ne vient pas tant d’une soudaine « conscience écologiste » des gouvernements ou des entreprises, mais est plutôt une réponse “obligée” au cas Esquel, dans lequel le gouvernement s’est retrouvé en quelque sorte au pied du mur sur la question du développement du secteur des mines. Le Plan Minier prévoyait donc à la fois les garanties et les avantages réclamés par les entreprises des mines, et une adaptation superficielle du discours écologiste. Parallèlement au Plan National sur les Mines, le gouvernement renforce l’organisme de gestion des mines, en élevant en grade sa hiérarchie et avec elle son importance comme secteur de l’Etat. Mais cette politique de réponse aux mobilisations n’est pas le fait du seul gouvernement de Nestor Kirchner, elle a été clairement poursuivie, voire parfois approfondie, par le gouvernement de Cristina Kirchner.
À partir de l’affaire Esquel et pour les mêmes raisons, de nombreuses mobilisations naissent dans tout le pays. Une multitude d’assemblées se mettent en place dans la zone de la cordillère et de la précordillère, organisées par des « autoconvoqués » dont les conditions et la qualité de la vie étaient menacées par l’avancée de ces projets de mines à grande échelle. Ces mobilisations ont été un moteur du projet de loi de protection des glaciers déposé devant le congrès national. Ainsi en 2008 un député qui à ce moment-là appartenait encore au parti du gouvernement (le Frente para la Victoria, « Front pour la victoire ») donna vie au projet de « Loi des fondements minimaux pour la protection des glaciers et de l’environnement périglaciaire » approuvée par les deux chambres du congrès. Ce projet devint la loi 26.418 en octobre 2008, qui reconnaissait l’importance des glaciers comme réserves hydriques et soulignait la nécessité de les protéger et de mettre en place un monitorage. Elle prévoyait aussi la création d’un Inventaire national des glaciers (journal Perfil, 13/11/2008). Mais cette loi, bien que proposée par un député de la majorité, n’était pas compatible avec les mégaprojets miniers impulsés par des entreprises comme Barrick Gold, puisqu’elle interdisait des activités comme l’exploitation minière ou pétrolifère, les grandes œuvres architecturales et les infrastructures, l’installation d’industries et d’activités industrielles dans les aires glaciaires et périglaciaires. Les autres activités pouvaient être autorisées après une évaluation de l’impact environnemental. Le lobby du secteur des entreprises minières se fait entendre contre tout cela, tant et si bien que la présidente Cristina Kirchner finit par mettre un véto à la loi (décret 1837/2008 publié le 10 novembre 2008 dans le bulletin officiel). Même si deux ans plus tard le projet de protection des glaciers présenté par le sénateur de la majorité Daniel Filmus – qui selon les avocats écologistes comportait des différences importantes avec la loi 26.418 – fut approuvé, et que cette fois la loi ne fut pas bloquée, son application fut congelée par le gouvernement national et les provinces minières (quotidien La Nación, 29/10/2011). Ce véto de la présidente était à tel point le symbole de la politique minière du Kirchnérisme qu’on l’a surnommé “véto Barrick”, en référence à l’entreprise minière Barrick Gold.
Le troisième exemple que nous prendrons en considération est l’autre mesure mise en place par le gouvernement de Cristina Kirchner en réponse à la grande mobilisation sociale : la création de l’OFEMI.
Pendant l’été 2012, peu après l’approbation de la loi contre le terrorisme et après l’explosion sociale des provinces de La Rioja et Catamarca (dans le Nord-est du pays), 9 provoquée par l’installation de multinationales minières qui voulaient entamer immédiatement l’exploration de ces territoires, les gouverneurs de différents provinces dites « minières » ont rencontré le gouvernement national et créé l’Organisation fédérale des états miniers (OFEMI) afin d’établir une stratégie commune (journal Página 12 , 16/02/2012). L’objectif annoncé à l’époque était d’« élaborer des mécanismes permettant d’améliorer la distribution de la richesse générée par le secteur minier national et de trouver des solutions qui soient une riposte aux manifestations environnementales » (www.fundamin.com.ar). À cette occasion, les gouverneurs locaux et le gouvernement national accusent les manifestants d’empêcher le développement des provinces, d’avoir des intérêts cachés ou d’être trop politisés. Le gouverneur de la province de Jujuy déclare par exemple que les manifestations contre les activités minières qui se sont déroulées dans différentes zones du pays sont « très politisées” (http://www.fundamin.com.ar/es/desarrollo-sustentable/19-politicas-de-estado/370-creacion-de-la-ofemi-para-implementar-mejoras-en-el-sector-minero.html).
Mais ces tentatives de dénonciation de la “politisation” des revendications des assemblées d’habitants et des collectifs sociaux naissants n’ont pas suffit à les discréditer aux yeux d’une population, marquée par les années 1990 et par les discours de « dépolitisation » qui ont marqué cette décennie, mais aussi par l’explosion sociale de 2001 connue sous le nom d’Argentinazo. Le mouvement socio-environnemental, quant à lui, ne réagit pas à ces accusations du gouvernement en niant l’aspect politique de son discours et en se déclarant “en dehors de la politique”, loin s’en faut. Au contraire, il prend les distances avec une certaine rhétorique “verte” souvent très apolitique. On peut voir encore aujourd’hui dans certaines manifestations des banderoles qui reflètent cet état d’esprit, tels ce “Nous ne sommes pas Greenpeace, nous sommes les baleines ”.
Conclusion
Nous avons analysé d’une part le développement du capital étranger dans le secteur des mines et les conflits sociaux qui se sont déclenchés contre ce type d’exploitation, et d’autre part la contre-offensive mise en place conjointement par le capital et par l’État national pour y faire face.
Nous avons pu par ailleurs analyser la différence entre capital étranger et capital national. Les capitaux, qu’ils soient nationaux ou étrangers, ont besoin de se territorialiser pour se reproduire et en ce sens le capital n’a pas de drapeau mais se déplace vers les territoires qui lui permettent de générer le plus de profits et lui garantissent le plus de sécurité. Les États mettent donc en place des politiques pour les attirer, et parmi ces politiques « nécessaires », on trouve celles qui diminuent les risques pour l’investissement (institutionnels ou juridiques). Le gouvernement de Carlos Menem des années quatre-vingt-dix et ceux qui ont suivi ont tous voulu démontrer aux entreprises minières que le pays pouvait leur assurer une grande stabilité et un cadre juridique favorable. Pour cette même raison, les lois promulguées dans les années quatre-vingt-dix – qui octroient des bénéfices extraordinaires aux entreprises minières étrangères – sont encore en vigueur. Mais au-delà de la stabilité que les gouvernements ont offert aux multinationales, le capital ne peut jamais compter sur une sécurité totale. Cela a été démontré par les nombreux conflits socio-environnementaux nés en Argentine et dans beaucoup d’autres pays d’Amérique latine.
Après la lutte d’Esquel (Chubut), celle de Mendoza, d’Andalgalá (Catamarca), de Famatina (La Rioja) ou d’autres provinces argentines montrent l’impact de ces grandes mobilisations, impulsées par des assemblées mais, en général, massivement soutenues par le reste de la population locale. Face à toutes ces luttes, l’État et les entreprises ont pris des mesures, très souvent conjointement. Comme par exemple la création de l’OFEMI, une mesure clairement adoptée pour répondre à ces conflits et donner des garanties de l’appui du gouvernement au secteur des entreprises minières. L’État n’agit toutefois pas toujours en suivant simplement les intérêts des capitalistes, la plupart du temps il met en place ses politiques en tâtonnant (Holloway, 1992). L’annulation récente du contrat entre l’entreprise Osisko (à capitaux chinois) et le gouvernement de La Rioja de la part de celui-ci, et à deux mois des élections, en est un exemple. Dans cette province, la majorité de la population refuse depuis longtemps le soi-disant “développement” qu’aurait pu lui apporter une mine métallifère contaminatrice à ciel ouvert. D’autre part, il est important de signaler qu’il existe actuellement dans les milieux universitaires ou politiques beaucoup de prises de positions très critiques à l’encontre du développement des mégaprojets miniers. Certains se focalisent sur le fait que la plupart sont portés par des entreprises étrangères. Ils proposent donc directement ou indirectement que l’État ou des capitaux nationaux reprennent en main ce type de production, ce qui devrait selon eux non seulement générer une production plus responsable, mais aussi garantir que la plupart de la rente minière reste à l’intérieur du pays. La solution serait donc d’imposer aux entreprises étrangères plus de taxes ou de royalties.
Ces deux arguments ont des bases réelles. Comme nous avons pu l’analyser au début de cet article, la grande majorité des investissements effectués dans le secteur minier sont faits par des entreprises étrangères. Et pour ce qui est du second argument, entre 2002 à 2004 98% de l’or produit, 97 % de l’argent et 82 % du cuivre ont été exportés. Il est donc resté bien peu de cette production dans le pays. Mais on trouve aussi des prises de positions qui se focalisent plutôt sur l’extraction et la pollution de l’eau, ressource non renouvelable, et sur la terre en général. Ces accusations se fondent sur d’innombrables études réalisées par différents scientifiques, argentins et non. L’hydrogéologue Fernando Díaz, expert de la Cour suprême de justice argentine, affirme que les coulées acides de cette activité affectent les eaux superficielles et les eaux souterraines et que cela est inévitable. Il assure également que l’industrie méga-minière réduit le niveaux des eaux des fleuves, et risque de faire disparaître des cours d’eau (Revue Mu, 6/2011: 16). C’est la position des ONG écologistes mais aussi de l’UAC. Contrairement aux ONG, cette dernière relie toutefois la pollution au mode de production capitaliste et donc à une forme particulière d’exploitation tant de la nature que du travail.
Indépendamment de la justesse de ces prises de position, nous pouvons nous demander ce qui est réellement mis en question aujourd’hui : faut-il que les taxes aux entreprises minières soient augmentés, que ces projets soient mis en places par des capitaux nationaux, que l’on mette en place des amendes pour ceux qui polluent ? Ou au contraire, la question est-elle plus profonde et entre les mains de ceux qui décideront sur le futur de leur terre, donc en définitive la question ne serait-elle pas celle de l’autodétermination des peuples ? C’est peut-être cela, au fond, la question la plus importante que les assemblées et l’UAC ont fait émerger.
Bibliographie
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Articles de journaux ou de revues :
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-Revista Mu, “Minería de agua”, Junio de 2011, p. 16. Disponible en: http://darioaranda.files.wordpress.com/2012/01/minericc81a-de-agua-entrevista-a-fernando-macc81ximo-dicc81az.pdf
-Revista Panorama Minero (Nº 181, mayo de 1994; Nº 229, septiembre de 1998)
-Revista Theomai, “Trazos de sangre y fuego” ¿Continuidad de la acumulación originaria en nuestra época?, Buenos Aires, Nº 26. Disponible en: http://revistatheomai.unq.edu.ar/NUMERO%2026/MNC%20%20Los%20nuevos%20cercamientos.pdf.
Traduit de l’espagnol par Brune Seban et Florencia Liffredo.
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à voir aussi
références
⇧1 | Nous appelons fixité du capital la période durant laquelle il tend à s’établir dans un territoire ; c’est au cours de cette permanence que le capital se reproduit grâce à l’exploitation du travail. |
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⇧2 | Entre 1992 et 2004, le Code des mines de 1886 a été modifié trois fois. Et chacun de ces changements a apporté d’importants bénéfices au secteur minier. |
⇧3 | En 1993, la valeur de la production minière totale (minerais métallifères et autres minerais) était de 478 476 millions de pesos, et celle des minerais métallifères de 44 137 millions de pesos, soit moins de 10 % du total. Plus largement, si on prend en considération la période 1991-1997, la moyenne du pourcentage de la valeur de la production minière métallifère par rapport à la production minière totale est de 11,5 %. Entre 1998 à 2004, cette moyenne monte 62,7 %. Le grand saut de la minière métallifère se produit visiblement à partir de 1997, année-tournant, puis que c’est cette année-là que se met en marche, comme nous l’avons vu, le projet Bajo Alumbrera (sur le cuivre et l’or), projet à très grande échelle dont l’ampleur de la production influence de façon substantielle les données totales. |
⇧4 | On parle aussi d’exploitation mega-minière, megamineria en espagnol. |
⇧5 | En 2000, les minéraux métallifères représentaient presque 88% des exportations totales (Bianco, C; Virginia, K, 2003) |
⇧6 | En ce qui concerne les investissements dans l’exploration, (signe de l’intérêt que les capitaux manifestaient à investir dans le pays), ceux-ci passent de 6 millions de dollars par an pour la période 1976-92, à 100 millions par an entre 1996 et 2000 (Prado, 2005). |
⇧7 | Le président de Minera Alumbrera Limited expliquait ainsi, en parlant de la crise de l’époque : « Vu les conditions des prix internationaux que nous connaissons actuellement, et que reflète aussi un accès de demande modéré, il faut être beaucoup plus compétitif pour entreprendre de nouveaux projets, parce que les coûts marginaux de l’incrémentation de la production d’un projet déjà existant constitue une façon beaucoup plus efficace d’utiliser un capital que de créer de nouvelles mines accompagnées de leurs infrastructures ». (Panorama Minero Nº 229: 13) |
⇧8 | En juin 2002 à Tambogrande, au Pérou, a lieu la première consultation populaire au monde sur l’installation d’un mégaprojet minier. Avec une participation de plus de 70% des votants inscrits à ce referendum d’initiative populaire, le résultat final est que 98,6% de votants se prononcent contre l’installation la mine. Le lendemain, les actions de la société Manhattan chutent de 26% à la bourse de Toronto. |
⇧9 | À cet égard, il est intéressant de lire la lettre écrite par l’Union des assemblées citoyennes en réponse aux déclarations de Cristina Fernandez de Kirchner demandant un “débat responsable et sérieux” sur l’exploitation minière en Argentine. Cette lettre est disponible ici : http://asambleasciudadanas.org.ar/wp-content/uploads/2012/02/Carta-Abierta-de-la-UAC.-Respuesta-a-la-Se%C3%B1ora-Presidenta-de-la-Nacion.doc. |