La lutte des ex-GKN à Florence : mouvement social et projet de reconversion écologique par le bas
Nous publions un entretien avec Dario Salvetti, l’un des principaux animateurs de la lutte du Collettivo du Fabbrica ex-GKN, réalisé par le chercheur et militant Lukas Ferrari (en collaboration avec Alexis Cukier, Juan Sebastian Carbonell, Francesca Gabbriellini et Sara Marano) pour le public français.
Cette lutte, initiée en 2021 suite à un plan de délocalisation impliquant le licenciement des ouvriers de l’usine de composants automobiles Driveline GKN située dans la banlieue de Florence en Italie, a donné lieu à l’occupation de l’usine, à l’élaboration d’un plan de reconversion écologique par les travailleurs avec l’aide du groupe de solidarité Insorgiamo con i lavoratori GKN (Nous nous insurgeons avec les ouvriers de GKN) et un collectif de chercheurs militants, ainsi qu’au développement de réseaux de soutien aux niveaux local, national et aujourd’hui international[1].
On trouvera à la fin de ce texte la traduction de deux appels à soutien à la lutte et au projet des ex-GKN, le premier de juin 2023 en cours de signature, et le second du 24 mars 2023, et dans la dernière note un lien vers la version française du texte de la “Campagne de crowdfunding pour la première usine italienne socialement intégrée”. La traduction de l’entretien a été réalisée par Sara Marano (et revue par Aya Khalil), et celle des appels par Francesca Gabbriellini et Sara Marano.
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Entretien avec Dario Salvetti, par Lukas Ferrari
Lukas Ferrari : Peux-tu raconter, pour les lecteurs et lectrices qui ne la connaissent pas, l’histoire de votre mobilisation, depuis la lutte pour l’emploi au moment de la pandémie à l’occupation de l’usine et jusqu’au projet de reconversion et de reprise en main en coopérative par les travailleurs ?
Dario Salvetti : La lutte de l’ex-GKN à Florence s’est déroulée en trois phases. Le 9 juillet 2021, nous avons été licenciés brusquement par courriel. Avant, nous étions une entreprise du secteur automobile qui produisait des arbres d’essieu pour voitures principalement pour les usines italiennes de Fiat. Depuis 2018, GKN a été rachetée par un fonds financier[2]. Nous savions que pour le fonds financier, parmi les différentes hypothèses, il y avait celle d’initier des licenciements : depuis trois ans, en effet, nous nous battions pour obtenir des garanties en matière d’emploi.
Le 9 juillet 2021, après avoir nié l’existence de problèmes, ils nous ont renvoyés chez nous avec un congé ; ensuite, ils nous ont envoyé un courriel et, alors que nous étions chez nous, ils nous ont annoncé que nous étions tous licenciés et que l’usine était fermée. La première phase de la lutte était donc dirigée contre ce licenciement. Cette phase a duré trois mois et fut très agitée ; nous avions alors la solidarité de tout le territoire. Dès le jour de notre licenciement, nous sommes entrés dans l’usine, en assemblée permanente ; et depuis lors, c’est-à-dire depuis 22 mois, nous sommes en assemblée permanente.
Après avoir ainsi vaincu les licenciements par diverses mobilisations de plusieurs milliers de personnes sous notre devise Insorgiamo (Nous nous insurgeons) empruntée à la devise historique de la Résistance partisane florentine, une nouvelle période a commencé avec le retrait des licenciements grâce à un procès intenté par la Fiom[3] au tribunal de Florence.
Néanmoins, la multinationale ne nous a pas fait reprendre le travail[4]. Nous sommes restés suspendus dans une usine avec les machines, le matériel, mais qui n’avait plus de commandes de travail, et nous nous sommes rendus compte qu’à tout moment les licenciements pouvaient reprendre. La deuxième phase de la lutte fut donc celle de l’élaboration de notre propre plan de redémarrage de l’usine et de la lutte contre l’usure, c’est-à-dire contre le temps qui passe sans aucun objectif de travail.
C’est ainsi qu’en décembre 2021, nous avons présenté le Plan du pôle public pour la mobilité durable[5]: grâce aux chercheur·euses de l’université qui nous soutiennent, nous avons élaboré un plan pour redémarrer l’usine avec une intervention publique et une nationalisation. Juste à ce moment-là, comme par hasard, l’ancien conseiller de GKN, Francesco Borgomeo, probablement poussé par une partie de la classe politique italienne, a annoncé reprendre l’usine et a déclaré que la politique des licenciements est terminée et qu’elle ne se reproduira plus.
Cela ressemble à une victoire, mais en réalité, ce nouveau propriétaire n’a pas de travail à fournir ; il n’a pas de capital, ni aucun ordre commercial, il prétend seulement présenter bientôt des investisseurs. Il s’agit d’une stratégie que nous avons vue à maintes reprises en Italie pour fermer des entreprises : vous laissez la méchante multinationale s’enfuir, l’entrepreneur italien arrive, mais il ne ramène pas le travail et il vous laisse en plan. Et c’est ce qui est arrivé, parce qu’après plusieurs réunions, les investisseurs ne se sont pas présentés, et à ce moment-là, à partir d’août 2022, il devint clair que Borgomeo n’avait probablement pas d’autre but que de nous garder là, à mijoter, pour nous amener à la mort par épuisement, par attrition. Notamment parce qu’entre-temps, l’assemblée permanente se poursuivait, et tenir un combat aussi longtemps, c’est long.
Nous avons utilisé ce temps pour approfondir la convergence avec d’autres luttes, à tel point que notre devise devint Insorgere per Convergere, Converge per Insorgere (Insurger pour Converger, Converger pour Insurger). Par « convergence », nous entendions la contamination, l’union entre différentes luttes, en particulier entre les luttes sociales et environnementales, puisque le seul plan que nous concevions pour redémarrer l’usine est un plan écologiquement avancé.
C’est ici que commence en quelque sorte la troisième phase de la lutte, celle dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui : étant donné que l’intervention publique continue d’échouer, nous proposons une récupération de l’usine par les travailleurs en autogestion, sur la base d’un plan écologiquement avancé dans lequel nous proposons de produire des véhicules légers comme les Cargo-Bikes[6], de l’électricité[7], des panneaux photovoltaïques et des batteries sans recourir à l’extractivisme, c’est-à-dire sans lithium, sans silicium et sans cobalt. Ce plan a été élaboré par notre comité de solidarité technico-scientifique.
Mais au moment où nous l’élaborions, les attaques contre nous se durcissaient et l’entreprise cessa de nous payer les salaires. Cela fait maintenant sept mois qu’ils ont cessé de nous payer – ce qui revient à une forme de licenciement. Malgré cela, la lutte continue et, au cours des derniers mois, nous avons convoqué des milliers de personnes, organisé des référendums parmi les citoyens, lancé un crowdfunding qui nous a permis de récolter 165 000 euros pour financer une coopérative qui pourrait reprendre l’usine. Et donc, bien que nous soyons sans doute plus faibles aujourd’hui qu’il y a deux ans, nous continuons de nous battre et d’incarner la possibilité de reprise d’une usine dans le cadre d’un projet écologique et social.
LF : Pour votre lutte, votre plan de reconversion et votre projet actuel, vous êtes-vous appuyés sur des modèles en particulier ? On peut penser aux expériences de contrôle ouvrier, de reprise en coopérative ouvrière et autogestion, comme Vio.Me en Grèce ou Fralib/ Scop-Ti en France par exemple…
DS : En réalité, nous ne nous référons à aucun modèle particulier, et nous sommes clairs sur le fait que ce qui serait nécessaire serait plutôt un changement social généralisé et non un changement au niveau d’une seule entreprise. Comme les entreprises récupérées en Argentine, comme Scop-Ti, comme Après M, comme Vio.Me, comme Rimaflow à Milan, nous sommes une entreprise qui a réussi à résister à la fermeture et à la désindustrialisation dans un contexte social où nous sommes encore incapables de changer les relations de pouvoir générales.
C’est ainsi que l’on crée cette situation particulière où l’on est capable de résister sur un point précis, mais où l’on n’est pas en mesure de changer le système dans son ensemble. Cela débouche sur le mécanisme des entreprises récupérées, et aujourd’hui nous aspirons à être une entreprise récupérée par les travailleurs. Si nous y parvenons, nous serons la plus grande entreprise récupérée en Italie (je ne sais pas en Europe) et nous aurons certainement la tâche de mener une réflexion dans toutes les entreprises récupérées en Europe et en relation avec les entreprises sud-américaines, sur la manière de transformer la résistance d’une seule usine en un élan moteur d’un changement plus global, parce qu’il évident pour nous qu’il est impossible de résister aux mécanismes du capitalisme à l’échelle d’une seule usine.
LF : D’ailleurs, vous venez d’organiser une rencontre avec l’Après M à Marseille. Comment s’est-elle passée ?
DS : La rencontre s’est bien passée. D’un côté, on a le sentiment que la hiérarchie de l’entreprise telle qu’elle nous est imposée est vraiment inutile, qu’il existe une autre façon d’administrer les lieux de travail, même les lieux de travail totalement détachés des réalités territoriales comme pourrait l’être un McDonald’s dans un quartier populaire. Lorsqu’ils sont entre les mains des travailleurs, ils s’intègrent socialement. Là par exemple, ils ont fait toute la distribution des repas pendant la période du Covid et consacrent encore une grande partie des repas à celles et ceux qui sont dans le besoin dans le quartier, ils sont un point de référence dans le quartier.
En même temps, on a l’impression qu’en récupérant une seule entreprise, beaucoup de potentiel reste inexploité, parce que, par exemple, les McDonalds récupérés sous gestion coopérative pourraient devenir des points d’éducation alimentaire, des points d’aide contre le gaspillage alimentaire, etc. Il est clair qu’il est difficile pour une seule entreprise de tout faire, c’est là le problème.
LF : Est-ce qu’il y a des facteurs professionnels ou militants préalables qui pourraient expliquer cette aventure, en termes de pratiques de travail, d’activité militante, de rapports aux syndicats et de réseaux de soutien à Florence ? Et en ce qui concerne spécifiquement les syndicats, comment les choses se sont-elles passées et se passent-elles avec la CGIL, au niveau local et national ?
DS : D’une part, il y avait un modèle syndical démocratique et participatif dans l’usine qui s’est opposé non seulement à un modèle syndical bureaucratique et corporatif au fil des ans, mais aussi à un modèle syndical qui était peut-être constitué de mots d’ordre radicaux mais qui était souvent basé sur la confiance passive des travailleurs. Si nous n’avions pas fait ce travail préparatoire, nous n’aurions probablement pas été en mesure de nous réunir en assemblée permanente et de tenir tous ces mois.
En même temps, GKN a toujours été une usine connue dans la région ; on a toujours essayé d’être présent dans les conflits qui se sont développés dans la région (conflits syndicaux, sociaux, environnementaux) et cela a payé parce que lorsqu’ils nous ont fermés, évidemment toute la région autour de nous s’est sentie obligée de nous défendre.
Aujourd’hui, nous essayons d’unifier ces deux modèles, celui des revendications syndicales et celui de l’usine intégrée, c’est-à-dire d’une usine qui vit en étroite collaboration avec le territoire, par le biais d’une association que nous avons fondée, la société d’entraide des travailleurs Insorgiamo.
Concernant la FIOM, de laquelle nous faisons partie, elle nous a toujours soutenus de manière formelle. On a cependant le sentiment qu’il est difficile de passer d’un soutien formel à un soutien substantiel. Et souvent, lorsque vous ne soutenez pas vraiment une lutte jusqu’au bout, dans un combat si difficile, cela nous laisse avec le doute que, tout compte fait, cette lutte peut même être inconfortable pour vous parce que vous découvrez qu’il y aurait d’autres méthodes pour essayer de gagner dans la société.
Le mouvement syndical italien traverse une période de reflux assez longue. Il y a eu quelques manifestations, même quelques grèves générales, mais nous sommes très loin de l’incisivité des luttes récentes en France par exemple, et donc il est clair que l’expérience de GKN est en décalage avec le contexte général, dans le sens où il s’agit d’une lutte très avancée dans un contexte général régressif, et probablement que cela embarrasse ceux qui sont habitués à gérer la routine actuelle, faite de défaites, de gestion de la régression et voilà tout. Nous avons donc l’impression qu’il n’y a jamais eu un désaveu formel à notre égard, mais qu’il n’y a pas non plus de véritable soutien.
LF : Est-ce que vous avez mené ou participé à une réflexion sur la transition/ reconversion au niveau de la branche sur l’avenir de l’industrie automobile ? On sait que l’électrification de l’industrie automobile va affecter tout particulièrement les équipementiers automobiles, et pas seulement GKN…
DS : Nous ne pouvons pas nous permettre d’être piégés dans le clivage entre l’environnement et le travail. L’industrie automobile en Europe voit aujourd’hui 300 000 emplois menacés, et ce n’est pas la transition écologique qui en est responsable. La cause se situe du côté de la surproduction, l’intensification des rythmes de travail. C’est le fait, par exemple, de ne pas réduire le temps de travail pour le même salaire en employant toutes les personnes employables tout en réduisant la production globale. Il appartient au mouvement syndical de renverser complètement les termes de la question et de dire que non seulement nous ne voulons pas être responsables de la pollution de cette planète en échange d’un travail, mais que nous sommes les promoteurs d’une véritable transition écologique. Je dirais même plus : le mouvement syndical est probablement le seul, avec aussi les apports des militant.e.s solidaires et du monde universitaire engagé, à pouvoir aussi démystifier une certaine « tradition verte », des solutions prétendument écologiques qui en réalité n’en sont pas.
Par exemple, je ne pense pas que la solution soit de passer à des millions et des millions de véhicules électriques. D’un côté, cela réduit les émissions de CO2 provenant des gaz d’échappement du moteur endothermique, mais il faut voir combien de mines de terres rares, de lithium et d’autres matériaux deviennent nécessaires pour ce passage massif à la voiture électrique, et combien de voitures actuellement en circulation pourraient être converties sans en produire de nouvelles. Car en fin de compte, les économies de matériaux sont un facteur de réduction des émissions de CO2.
Les travailleurs sont probablement les seuls qui, s’ils se débarrassent du chantage entre environnement et emploi, et s’ils parviennent à changer le régime du travail dans son ensemble, en réduisant le temps de travail pour le même salaire, peuvent mettre ce point à l’ordre du jour et le faire rapidement, parce qu’ici il n’y a pas seulement le problème de faire la transition écologique, mais aussi de la faire rapidement. Une solution qui se mettrait en place dans vingt ans, c’est probablement insuffisant au regard de l’ampleur de la crise climatique.
LF : En quoi consiste plus précisément le projet de reconversion écologique ? Comment l’avez-vous élaboré ? Y avait-il par exemple des apports syndicaux, d’ingénieurs hors de l’usine, d’associations écologistes, d’autres usines que GKN ?
DS : Notre plan de reconversion écologique consiste en une production de vélo-cargo, à la fois électriques et manuels, pour une livraison urbaine qui soit vraiment solidaire et non pas comme elle l’est actuellement, pilotée par les algorithmes des plateformes. D’autre part, nous avons eu la chance d’entrer en contact avec une start-up qui prétend pouvoir produire des panneaux solaires et des batteries électriques sans utiliser de lithium, de silicium et de cobalt, mais en utilisant une technologie à base de charbon. Nous sommes des ouvriers de l’automobile, nous avons donc dû laisser la vérification de ce projet aux experts. Nous espérons non seulement que ces tests auront bientôt une issue positive, et que nous pourrons réellement lancer cette production.
LF : Peux-tu expliquer quel type de rachat ouvrier êtes-vous en train d’élaborer ?
DS : Il s’agit d’un rachat ouvrier un peu spécial, car d’habitude cela signifie que l’entreprise qui produit par exemple du ruban adhésif ayant fait faillite, les ouvriers rachètent l’entreprise et continuent à produire la même chose. Nous voudrions racheter une partie de l’entreprise, mais pour produire quelque chose de différent, il s’agit donc d’une réindustrialisation menée par les travailleurs. Il est clair que le rachat n’est pas le processus que nous souhaitons, parce qu’en théorie, nous avons déjà acheté notre lieu de travail de nombreuses fois en y travaillant, de sorte que nous devrions d’une certaine manière « racheter » au capitalisme ce que nous-mêmes avons créé. Et surtout, cela signifie une énorme dépense d’énergie et de ressources de notre part, puisque nous sommes des personnes qui avons payé des impôts toute notre vie.
Donc, la voie principale devrait être non pas celle d’un rachat de la part des travailleurs, mais celle de l’intervention publique et de la nationalisation. Mais nous devons nous rendre compte que cette voie est aujourd’hui abstraite, compte tenu du gouvernement actuel et de l’équilibre actuel des pouvoirs. En attendant, pour ne pas rester immobiles, nous montrons que nous sommes également en mesure de proposer un éventuel rachat d’un secteur de l’entreprise elle-même. Mais évidemment, pendant que cette alternative se construit par en bas, il s’agit aussi de stimuler, de montrer à tous qu’une intervention publique d’en haut serait possible et pourrait aussi se faire en collaboration avec les assemblées de travailleurs et avec la solidarité et la recherche universitaire publique.
LF : Quelles convergences ou discussions serait-il intéressant de construire avec les ouvriers et militants français de l’automobile, en termes notamment de coopérative/ contrôle ouvrier et de transition/ reconversion écologique?
DS : Disons que malheureusement pour nous, il aurait été intéressant, lorsque l’usine GKN était encore en fonction, de converger avec l’ensemble de l’industrie automobile européenne, en cherchant à élaborer ensemble une alternative à la fermeture. Aujourd’hui, nous nous sentons en convergence avec l’ensemble du mouvement social et environnemental international européen, et donc aussi avec le mouvement français… mais je ne pourrais pointer du doigt une réalité plutôt qu’une autre.
LF : Pour finir, peux-tu nous dire où en est la campagne internationale, et comment pourrait-on la soutenir en France ?
DS : Pendant toute la première partie de la lutte, nous n’avons pas eu le temps d’être internationaux parce que nous étions très concentrés sur nous-mêmes. Maintenant que nous en sommes là, il est clair que le plan proposé par ex-GKN, que nous avons appelé Ex-GKN for future, a une portée internationale. Et donc oui, nous avons commencé à créer des liens, avec certaines réalités en Allemagne, en Angleterre et en France. Et nous espérons être bientôt en mesure de donner toutes les références sur nos profils sur les réseaux sociaux et sur le site Insorgiamo.org[8].
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Appel de juin 2023 au soutien international[9]
Nous exprimons notre plein soutien au projet de « réindustrialisation par le bas » de l’ancienne usine GKN de Campi Bisenzio (Florence, Italie), promu par l’assemblée permanente de l’usine, le collectif d’usine de l’ex-GKN, la société d’aide mutuelle des travailleurs « Insorgiamo » (APS Società Operaia di Mutuo Soccorso Insorgiamo).
Après la lutte contre la délocalisation de l’usine, une nouvelle lutte s’est engagée, cette fois contre les dégâts causés par une réindustrialisation promise par un investisseur privé et jamais réalisée. C’est une situation que les entreprises récupérées connaissent bien : les investissements promis par le gouvernement, les institutions et le monde industriel n’arrivent pas, supprimant à jamais les emplois, les droits et les connaissances accumulées, appauvrissant la communauté.
Grâce à l’occupation permanente de l’usine, les travailleurs ont pu empêcher à la fois le pillage des équipements et des machines et la menace de la spéculation immobilière, tandis que la création de la société d’entraide des travailleurs « SOMS Inorgiamo » et la possibilité de construire une coopérative ouvrière ont suscité un mouvement de soutien à la lutte des travailleurs, développant ainsi un projet de réindustrialisation par le bas, profondément orienté vers la durabilité, pour la production de vélos-cargos et, surtout, de panneaux solaires durables. Pour promouvoir tout cela, une campagne de crowdfunding très réussie a été lancée.
Ce plan n’est pas seulement orienté vers le local, il a aussi une pertinence internationale. Il s’inscrit dans une vaste lutte internationale qui a montré qu’il ne s’agit pas d’un « simple moyen » de lutter contre l’inaction et l’immobilisme, mais peut-être du « seul moyen”.
Un grand nombre d’organisations internationales sympathisantes soutiennent ce communiqué aujourd’hui et poursuivront leurs efforts demain.
Nous nous joignons aux ex-travailleurs de GKN dans leur appel aux institutions italiennes, tant nationales que locales, pour qu’elles soutiennent le projet « ex-GKN FOR FUTURE » avec toutes les ressources techniques et financières nécessaires. Nous exprimons également notre soutien total à la lutte des travailleurs et à toutes les organisations italiennes qui ont pris le parti du projet de réindustrialisation par le bas.
Appel du 24 mars 2023 #Insorgiamo
Défendre Gkn, maintenant, tenter l’avenir, créer un précédent en faveur de tou.te.s
Ce qu’ils font aux travailleur.e.s de QF (ex-GKN) de Florence ne peut plus être toléré.
Qu’est-ce qui est en jeu à GKN ? Et pourquoi mettons-nous cela en jeu maintenant ?
Le 9 juillet 2021, l’usine de GKN Florence a fait la une de l’actualité nationale : un matin, un courriel a licencié les 422 travailleur.e.s. De là est née une lutte qui fait déjà partie de l’histoire : l’assemblée permanente, la devise Insorgiamo [Nous nous insurgeons], la convergence avec le reste des luttes sociales et environnementales, et bien d’autres choses encore.
Ces licenciements ont été défaits. Mais avec le temps, ils prennent une autre forme : celle des licenciements à l’usure, silencieux, non déclarés mais tout aussi efficaces.
À ce jour, 220 emplois ont été détruits, dont 90 au cours de l’année écoulée, avec l’arrivée d’un nouveau propriétaire. Il s’agit de Francesco Borgomeo, ancien conseiller de GKN, qui la rachète en décembre 2021, en gardant confidentiels les accords avec les anciens propriétaires. Il fait de grandes promesses mais, d’une table à l’autre, de report en report, ni plan ni investisseur n’apparaissent. De fait, les institutions tolèrent ce jeu : à chaque réunion institutionnelle, la patience n’a jamais de limite et chaque limite trouve une nouvelle patience.
Le Collectif d’Usine appelle immédiatement cela « la tactique de la grenouille bouillie » : la grenouille est mijotée sans s’en rendre compte. Et quand elle comprend enfin qu’on est joué d’elle, elle n’a plus la force de s’enfouir.
Depuis 20 mois, l’assemblée permanente est la même, avec le même objectif : préserver une ressource industrielle, protéger les emplois. L’objectif de l’entreprise, à l’évidence, reste aussi le même : éloigner les travailleur.e.s de l’usine et la démanteler. La spéculation financière a peut-être simplement cédé la place à la spéculation immobilière.
Contre vents et marées, l’assemblée permanente résiste. L’attaque de l’entreprise devient alors de plus en plus féroce. De la tactique de l’usure, elle passe à ce que nous avons appelé « la tactique du siège ». Un siège « par la faim » : à partir de novembre 2022, plus aucun salaire n’est versé. Le contrat national et interne est effectivement annulé, effaçant ainsi les droits acquis au cours de 60 années de luttes, hérités de l’ancienne Fiat de Novoli. S’ils osent se comporter ainsi, dans un conflit national et au grand jour, que se passe-t-il au quotidien dans les petites entreprises, dans les entrepôts, dans les champs, dans le tourisme saisonnier ?
Ils pratiques la stratégie de la la terre brûlée autour des ouvriers assiégés, tentent de discréditer la RSU (comité Représentatif Syndicale Unitaire), le Collectif d’Usine, le mouvement des solidarires, la Société Ouvrière d’Entraide Insorgiamo, l’assemblée permanente.
Mais la lutte de GKN n’est pas seulement une résistance. C’est aussi un projet. Le Comité Technique et Scientifique du Collectif a des projets industriels qui sont très avancés du point de vue social, mutualiste et écologiqueUne intervention de l’État pourrait arrêter ce jeu en cinq minutes et concrétiser ces projets. Mais les travailleurs sont prêts à recommencer coûte que coûte, même en marchant sur leurs propres jambes, en envisageant une autogestion coopérative. Ils lancent une nouvelle tournée Insorgiamo et une vaste campagne de collecte de fonds.
GKN est sur le point d’être un cas d’école de plus de fermeture d’entreprises, ou bien un précédent qui peut bouleverser positivement toute la méthode de lutte contre les licenciements et la précarité, afin d’entamer une véritable transition écologique.
Aujourd’hui, l’assemblée permanente appelle à une nouvelle mobilisation populaire, ouvrière, d’intellectuel.le.s, artistes et solidaires, de la paroisse au centre social, de tous les mouvements syndicaux, mutualistes, écologistes et transféministes, pour le 25 mars à Florence.
Pour la grenouille, il est devenu nécessaire de sauter. Ce sera soit la pire des défaites, soit un saut dans l’avenir. Que chacun occupe sa place. Libérons GKN, brisons le siège, tentons l’avenir. Soyons libres le 25 mars, prêts à aller à Florence. Soutenons la campagne de crowdfunding pour une réindustrialisation autogérée. Intervention publique maintenant.
On trouvera le texte initial et la liste des signataires (individus et plus de 200 organisations en Italie) en ligne : https://insorgiamo.org/insorgiamo/
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Illustration : Twitter, @Mau_Ri_83. 19 septembre 2021
Notes
[1] Pour une présentation en français de cette lutte, voir l’article que nous avions publié : Aurélie Dianara, “Italie : la mobilisation exemplaire des travailleurs·ses de GKN et l’Europe néolibérale”, Contretemps, 16 novembre 2021, ainsi que Lorenzo Cini, Francesca Gabbriellini, Giacomo Gabbutti, Angelo Moro, Benedetta Rizzo, Arianna Tassinari, “La lutte des ouvriers de GKN à Florence, entre auto-organisation ouvrière et mobilisation sociale”, Chroniques internationales de l’IRES, n°177, 2022.
[2] NdT (Toutes les notes sont ajoutées par la traductrice) : Il s’agit du fonds britannique Melrose.
[3] La Federazione Impiegati Operai Metallurgici (FIOM) est un syndicat représentant les travailleurs des industries métallurgiques et mécaniques en Italie, affilié à la Confederazione Generale Italiana del Lavor (CGIL)
[4] NdT : Même si formellement les employé.es sont encore des salarié.es de Melrose et reçoivent leur salaire.
[5] On trouvera en ligne (en italien) la première élaboration complète du Plan, qui sera repensé au fil des mois suivants face à la totale indisponibilité des institutions pour le considérer : https://fondazionefeltrinelli.it/app/uploads/2023/01/Finale_Futuro-per-la-fabbrica-di-Firenze.pdf
[6] La Cargo Bike est un projet de vélo-cargo dont le prototype a été construit dans l’usine ex-GKN et présentée au public pendant un weekend d’assemblés et initiatives de lutte en février 2023.
[7] L’objectif est de devenir un pôle distributeur d’énergie propre au sein d’une communauté énergétique locale, avec une installation de panneaux solaire dans l’établissement.
[8] On trouvera en ligne la version française de l’appel à participation dans le cadre de la campagne de crowdfunding pour financer le projet porté par le Collectivo du Fabbrica ex-GKN : https://insorgiamo.org/wp-content/uploads/2023/03/FR-GFF-text.pdf
[9] Cet appel, en cours de signature, appel à des soutiens auprès d’entreprises récupérées, de coopératives, d’organisations, d’institutions académiques et de camarades des différents pays du réseau pour les envoyer. Les signatures peuvent être envoyées à Gigi Malarbaba : <gigi.malabarba@gmail.com>