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La manifestation de novembre contre les violences faites aux femmes sera cette année suivie de peu par l’ouverture du procès pour atteinte à la vie privée intenté par Benjamin Amar à l’AVFT et à la CGT. Les 30 septembre et 1er octobre dernier, Christine, ex-membre du collectif Femmes Mixité de l’Union Syndicale CGT ville de Paris, devait, elle aussi, être jugée pour diffamation pour avoir rendu compte dans un congrès de l’Union Départementale CGT 75, des actions menées par ce collectif contre des faits de harcèlement et/ou d’agressions imputés à des membres de leur organisation. Régis Vieceli, alors secrétaire général du syndicat CGT déchets et assainissement a porté plainte contre elle et contre Philippe Martinez (secrétaire général confédéral au moment des faits).

Dans un contexte de multiplication de procédures visant des militantes et collectifs de lutte contre les violences de genre et dans la dynamique des mobilisations annuelles du 25 novembre contre les violences faites aux femmes et aux minorisés de genre, Contretemps a rencontré Resyfem, un collectif organisant des militantes syndicalistes et féministes qui militent pour un #MeToo syndical, et qui appellent à la solidarité le 27 novembre 2024 devant le Palais de justice de Paris ainsi que le 16 octobre prochain (date de report de l’audience de Christine).

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Contretemps – Pouvez-vous présenter rapidement le collectif ?

Resyfem – Le collectif naît à l’hiver 2020-2021 de la rencontre de plusieurs militantes cégétistes de la ville de Paris avec d’autres femmes syndicalistes ayant subi une répression en interne du fait de leur engagement contre les violences sexistes et sexuelles (VSS).

De cette rencontre est né le constat assez frappant des similitudes entre les situations vécues par ces militantes, de mécanismes analogues aussi bien dans la manière dont les agresseurs procèdent et se défendent que dans la manière dont les organisations syndicales (OS) ne parvenaient pas à prendre en charge ces violences. Si les syndicats peuvent mettre en avant des sujets féministes quand il s’agit de pointer du doigt les violences commises sur le lieu de travail par exemple, c’était beaucoup plus compliqué lorsqu’un syndicaliste était l’agresseur. Et pire encore, lorsque des militantes prenaient sur elles de lutter contre l’impunité des agresseurs syndicalistes en interne, les obstacles et les backlashs s’avéraient très violents.

Parce que pour nous le syndicat est un outil de lutte essentiel contre le capitalisme, et parce que les VSS en chassent trop de militantes ou dégoûtent par avance des femmes qui auraient pu vouloir s’y engager mais qui perçoivent les syndicats comme des organisations machistes, on a estimé qu’un espace d’organisation spécifique était nécessaire.

Et puis parce que nos organisations ne peuvent pas prétendre être des moteurs de changement social sur ces questions sans balayer devant leur porte, sans être exemplaires en interne.

Nous avons fait le choix de s’auto organiser en  « intersyndicale » (on est des militantes de la CGT, de FO, de SUD, de la FSU, du syndicat de la magistrature et du syndicat des avocats de France) ce qui présente différents avantages : toutes les OS étant concernées par ce problème, le fait de travailler en inter-organisations, en plus d’avoir du sens dans la pratique, permet de montrer qu’on s’attaque à un problème transversal, systémique et non à une organisation ou une autre dans le cadre d’un « conflit de chapelles ». Cela permet de dépasser les accusations faites de manière récurrente aux militantes féministes de miner le syndicat et de le mettre en danger (comme si c’était la lutte contre les VSS qui menaçaient nos organisations et non les VSS elles-mêmes). Cela permet aussi d’avoir des appuis extérieurs face aux pressions internes et de surmonter une partie des difficultés que l’on peut rencontrer à s’affronter à des camarades parfois proches.

À ce stade, le collectif constitue pour nous (et toutes celles qui voudraient le rejoindre) un espace de réflexion collective (sur ce qui manque à nos OS, sur les stratégies des agresseurs, etc.) ; il est aussi un espace d’organisation face à des situations de violence dont on entend parler, en mettant comme on peut la pression sur les OS concernées pour qu’elle assument les responsabilités qu’elles ont envers leurs adhérentes et militantes ; et puis il représente un espace de soutien des femmes isolées souvent dans leur organisation face à la machine agresseur ; parce que l’agresseur lui, n’est jamais seul, il a des soutiens, il a en général une position hiérarchique, il se présente comme essentiel au bon fonctionnement du syndicat, il représente parfois une opposition politique ce qui lui permet, si on en vient à le mettre en cause pour les violences commises, de crier au complot politique, etc.

Depuis qu’on existe, on a suivi le procès de FO à Brest intenté par des copines victimes d’un secrétaire général de FO puis l’affaire Amar – qui connaitra prochainement un nouveau rebondissement avec l’ouverture, ce 27 novembre, du procès intenté pour atteinte à l’intimité de la vie privée à l’AVFT et à la CGT.

Dernièrement, il nous a paru nécessaire de soutenir Christine dans le procès initialement prévu le 30 septembre.

Contretemps – Pourriez-vous revenir rapidement sur les enjeux de ce procès ?

Resyfem – Lors d’un congrès de l’UD 75 début 2020, Christine a lu le bilan d’activité du collectif femmes-mixité des trois années de lutte contre les VSS en interne de la CGT Ville de Paris. Elle est poursuivie par l’ancien secrétaire général de la CGT déchets et assainissement (FTDNEEA)- Régis Vieceli – pour diffamation publique alors même qu’elle n’a pas cité de noms et qu’il s’agissait d’un congrès réunissant uniquement des cégétistes. Et c’est là l’un des enjeux de ce procès : si les propos tenus en interne d’une organisation par des camarades sont poursuivis pour diffamation, ça empêchera les débats et les avancées sur ces questions.

A FO Brest par exemple, si les camarades n’avaient pas gagné au pénal, les militantes auraient également pu être poursuivies en diffamation.

Plusieurs militantes ont en effet dénoncé des violences sexuelles, un tract signé du syndicat a été rédigé, aucun nom n’était cité mais l’agresseur a écrit à la secrétaire du syndicat pour dire qu’il y avait des propos diffamatoires à son encontre : c’était de l’intimidation.

Si ce procès est gagné par Régis Vieceli, ça constituera un précédent catastrophique, pour l’ensemble des militantes féministes et syndicalistes qui essayent quotidiennement de faire cesser l’impunité qui subsiste.

D’autant qu’on rappelle qu’aux côtés de Christine, l’action de la cellule de veille confédérale de la CGT est également visée : non seulement on cherche à intimider toutes les victimes et leurs soutiens, à décourager toutes les prises de parole futures, mais en plus on s’attaque aux instances internes que les militantes féministes ont conquis de haute lutte dans les OS. Une condamnation enverrait le pire des messages aux organisations qui commencent à faire des pas dans le bon sens.

Contretemps – Ça irait à l’encontre de la dynamique actuelle où la parole des victimes est davantage entendue ?

Resyfem – Oui, certaines d’entre nous avions assisté au procès pour diffamation intenté par Denis Baupin et c’est vrai que ça a été un moment important, ça a constitué une forme de reconnaissance pour les femmes victimes de violences sexuelles dans le cercle militant. Une inter-organisations nationale existe maintenant et permet de travailler sur l’itinérance des agresseurs entre des syndicats et des partis politiques.

Mais, des progrès restent à faire, notamment sur « l’itinérance des victimes » : bien que Christine soit confrontée à tout cela du fait de son action en tant que militante de la CGT, ses frais d’avocat ne sont pas financés par cette dernière, ni la réparation de l’ensemble des préjudices subis, tout comme ses camarades du Collectif femmes mixité.

En effet, la plupart des militantes, dont Christine, qui se sont battues en interne ont dû quitter le syndicat, avec un véritable préjudice moral. Par ailleurs, cette lutte a impacté la santé de la majorité des camarades avec des frais qui restent aussi à leur charge. La double peine existe encore dans nos syndicats.

Il nous semble donc qu’une revendication importante serait le remboursement de tous les frais et préjudices (moraux, de santé, juridiques…) pour les victimes, que ce soit lorsqu’elles portent elles-mêmes plaintes contre un agresseur, luttent contre lui ou lorsqu’elles font l’objet d’une procédure-bâillon.

Plus largement, si des protocoles (parfois assez bons) commencent à exister dans la plupart des OS, beaucoup de choses allant dans le sens d’une meilleure connaissance des VSS restent non contraignantes et donc soumises dans leur application à la bonne volonté des militant·es. Le rapport de force féministe en interne est donc décisif, aussi bien pour rendre effectives les mesures de prévention, de protection et de sanctions, que pour obtenir des mesures plus solides dans les statuts des OS. Il faut aussi revoir nos fonctionnements collectifs car un agresseur dans un syndicat tout comme au travail s’appuie sur des organisations du travail qui dysfonctionnent. C’est bien un enjeu collectif au-delà de la sanction individuelle (suspension, gradation des sanctions) qu’il faut porter.

Ce type de procès est une étape pour nous dans la dynamique en cours pour débattre et avancer sur des moyens de combattre les violences en interne. La CGT souhaite se saisir de ce procès avec un rassemblement et une conférence de presse pour réaffirmer l’importance du travail de la cellule de veille et le défendre contre cette attaque sans précédent. Elle était rejointe par d’autres syndicats nationaux comme la FSU, Solidaires… pour montrer une détermination unitaire dans le soutien aux victimes et dans leur action de lutte contre les violences.

Nous savons que d’autres procédures judiciaires sont en cours, notamment intentées par Benjamin Amar contre la CGT, sa cellule de veille et des militant·es. L’enjeu est donc important que le procès contre Christine et P. Martinez se solde par une relaxe générale !

De notre côté, nous appelions à un rassemblement le 30 septembre devant le Palais de justice pour soutenir Christine, pour défendre le droit des victimes et de leurs soutiens à parler et à se défendre, et interpeller nos OS sur ces sujets. Mais le procès est malheureusement reporté. Nous devons rester solidaires. Nous serons à ses côtés les 16 et 17 octobre 2025 pour relancer une présence collective féministe et syndicale les deux jours d’audience.

D’ici là, d’autres procédures judiciaires sont en cours et chacune est susceptible d’envoyer un signal qui pèsera dans la résolution des suivantes. Nous pensons notamment aux plaintes intentées par Benjamin Amar contre la CGT et sa cellule de veille, envers des militantes mais aussi envers des médias et collectifs divers. Ce 27 novembre se tiendra le procès pour atteinte à l’intimité de la vie privée contre l’AVFT notamment. Régis Vieceli et Benjamin Amar participent ainsi à un même mouvement de backlash généralisé qui rend ce moment particulièrement charnière pour nos luttes. Il est décisif de ne céder aucun terrain à ces entreprises de musellement. Dans le cas des procédures bâillon initiées par Amar comme de celles intentées par Vieceli, nous devons faire bloc pour éviter l’enclenchement d’un effet domino jurisprudentiel catastrophique pour le futur de la lutte contre les VSS dans les syndicats et les organisations politiques plus largement. Nous appelons nos OS à prendre la mesure de ce qui se joue avec ces audiences. Et nous appelons à la solidarité à l’occasion de celles-ci (ce 27 novembre et les 16 et 17 octobre 2025) pour soutenir les camarades attaquée.es, pour défendre le droit des victimes et de leurs soutiens à parler et à se défendre, et pour interpeller nos OS sur ces sujets.

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Blog Résyfem : https://blogs.mediapart.fr/resyfem/blog

Contact : resyfem@riseup.net

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