
Les mères isolées, une cause politique
Tandis que Selim Derkaoui sort un livre intitulé Laisse pas trainer ton fils. Comment l’État criminalise les mères, aux Éditions Les liens qui libèrent, des membres du Mouvement des Mères isolées reviennent sur leur engagement pour Contretemps. Elles coorganisent d’ailleurs avec lui une rencontre le samedi 15 mars à 14h (87 rue du Faubourg Saint Denis – Paris 10).
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Contretemps – Quels sont les principaux défis auxquels votre collectif fait face ?
Le Mouvement des Mères isolées – nous ne sommes pas le seul collectif existant sur cette question et parmi les débats qui expliquent l’existence de plusieurs collectifs se pose la question de tous les parents nos revendications, une approche qui s’oppose à l’idée de concentrer nos efforts sur les mères isolées.
Parmi les défis, il y a également le fait de composer avec des ressources limitées : nous ne pouvons pas répondre à l’ensemble des demandes. Parfois, cette sur-sollicitation peut être décourageante, mais elle montre aussi combien nos actions répondent à un besoin réel. Par exemple, après une action médiatique il y a quelques temps, nous avons reçu des dizaines de messages de mères demandant une aide immédiate. Cela nous a forcées à prioriser tout en réfléchissant à des stratégies de long terme.
Par ailleurs,les politiques publiques ne facilitent pas les choses : nous sommes particulièrement touchées par les contre-réformes du RSA ou des retraites. La précarité, la surcharge mentale et l’invisibilité forment un cercle vicieux que nous essayons de briser, mais cela demande un effort constant. C’est une lutte qui nécessite du temps et de l’énergie, et parfois on a l’impression de se heurter à un mur d’indifférence institutionnelle. Un autre défi est le manque de représentation des mères isolées dans les espaces de décision, ce qui complique encore plus la reconnaissance de nos problématiques.
Contretemps – Vous avez également obtenu des succès. Pouvez-vous nous en parler ?
Le Mouvement des Mères isolées – Nous avons réussi à obtenir un logement pour une mère en difficulté grâce à la mobilisation collective. C’était un grand succès ! Cette expérience a également renforcé notre conviction que seule une mobilisation structurée et collective peut aboutir à des changements durables. Nous avons aussi obtenu un dialogue plus ouvert avec certain·es élu·es locaux, ce qui est encourageant. Cependant, cela ne signifie pas que tout est gagné : chaque victoire demande de repartir à zéro pour les prochaines batailles.
Une autre réussite notable a été notre campagne pour la reconnaissance des mères isolées dans le discours politique lors des élections locales. Nous avons vu plusieurs candidat·es inclure des propositions spécifiques à cette cause dans leur programme.
Contretemps – Au-delà des luttes concrètes répondant à des besoins immédiats, vous faites également émerger des revendications collectives ?
Le Mouvement des Mères isolées – Oui, on essaye de montrer que nos problèmes individuels sont liés à des oppressions systémiques. Cela nous aide aussi à dépasser le sentiment d’isolement et à construire des solidarités. Par exemple, nous organisons des ateliers pour que les mères comprennent mieux leurs droits et comment naviguer dans un système administratif souvent complexe. Lors d’un atelier récent, une mère a découvert qu’elle pouvait contester une décision de la CAF, ce qui a mené à un réexamen de son dossier. Cela passe par la formation et la sensibilisation, comme apprendre à lire entre les lignes les discours et les politiques publiques.
Nous organisons également des ateliers pour aider les femmes à mieux comprendre leurs droits et à s’outiller face aux institutions. C’est un travail de longue haleine, mais indispensable pour que les femmes se sentent légitimes dans leurs revendications. Cette dimension éducative est clé, car elle transforme des problèmes individuels en une force collective. Nous avons également commencé à créer des modules en ligne pour toucher davantage de femmes, même celles qui ne peuvent pas assister aux réunions physiques.
Contretemps – Les mères isolées sont aujourd’hui particulièrement stigmatisées, pourriez-vous revenir là-dessus ?
Le Mouvement des Mères isolées – Les mères isolées sont souvent stigmatisées comme des figures marginales. Nous devons changer cette perception et montrer que notre lutte est une question de justice sociale. Les familles monoparentales doivent être vues comme une réalité, pas comme une exception : nous sommes des femmes fortes qui méritent un soutien et des droits égaux.
Il faut aussi déconstruire l’idée que la maternité doit toujours être un sacrifice. La société doit évoluer pour reconnaître que les mères isolées ont les mêmes aspirations que tout le monde. Et cela passe par une approche inclusive, en construisant des alliances avec d’autres mouvements sociaux. Ensemble, nous pouvons faire entendre nos voix et transformer nos vulnérabilités en force politique.
Il est aussi crucial de rappeler que la maternité ne devrait jamais être synonyme de précarité. De plus, nous devons continuer à mettre en lumière les injustices systémiques pour que les futures générations de mères isolées n’aient pas à subir les mêmes luttes que nous. Je pense aussi qu’il est temps d’intégrer cette cause dans un discours féministe plus large, car les mères isolées sont souvent les grandes oubliées des luttes pour l’égalité.
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Propos recueillis par Chloe Buton et Fanny Gallot.