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Ce 8 mars 2023 ne doit pas se passer comme les autres !

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Aujourd’hui, la date classique du mouvement féministe prend une nouvelle dimension sur au moins deux aspects. 

D’un côté, cela fait plusieurs années qu’elle est devenue le centre de la construction de la grève féministe, dans un contexte de quatrième vague du féminisme[1], partie d’Amérique latine autour de la lutte contre les féminicides, puis étendue au reste du monde avec Me Too et le développement de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. À l’initiative du collectif argentin Ni Una Menos, un appel pour construire une grève féministe internationale pour le 8 mars a été lancé à partir de 2017[2]. Il a servi de point d’appui pour la construction des mobilisations féministes en Italie, dans l’État espagnol, en Suisse et en Belgique, entre autres.

La grève féministe reprend l’arme traditionnelle du mouvement ouvrier, la grève, tout en se la réappropriant. En effet, il s’agit à la fois de faire la grève du travail salarié, mais aussi de l’ensemble de ces tâches qui sont analysées comme la base matérielle de l’oppression des femmes et des minorités de genre, et qui sont ordinairement effectuées gratuitement et invisibilisées comme travail, présentées comme une aspiration « naturelle » des femmes et des minorités de genre – ce que la tradition féministe a appelé le travail domestique, et ce qu’on appelle de plus en plus le travail reproductif. Cette grève permet à la fois de libérer du temps pour s’organiser, et de visibiliser le travail pour ce qu’il est, un travail essentiel.

En France, le mot d’ordre de la grève féministe pour le 8 mars a d’abord été porté par Solidaires, puis par la CGT. Si au départ cet appel semblait assez incantatoire, il s’est progressivement ancré dans le mouvement social. Néanmoins, l’enjeu est toujours d’en faire une réalité, et de construire réellement cette grève, ce qui implique, entre autres, une importante auto-organisation, notamment dans la prise en charge des enfants. À ce titre, la Coordination féministe nationale, qui regroupe de nombreux collectifs féministes issus de cette nouvelle vague féministe, a essayé de la construire activement à la base, notamment en lançant des AG locales se réunissant chaque mois pour l’organiser[3]

De l’autre, et cela n’aura échappé à personne, ce 8 mars prend place en plein mouvement social contre la « réforme » des retraites. Mieux : l’intersyndicale nationale a décidé de se saisir du 7 et du 8 comme des journées de mobilisation et comme le début d’un éventuel durcissement du mouvement, voire d’un départ en reconductible – même si des divisions existent en son sein quant aux suites. Les intersyndicales de la SNCF et de la RATP appellent déjà à la reconductible à partir du 7 mars.  

Face à cette situation inédite, il y a deux erreurs à ne pas commettre. D’une part, regretter que l’intersyndicale se soit emparée du 8 mars et craindre que cela n’invisibilise le mouvement féministe. C’est bien sûr un enjeu que de faire apparaître cette journée comme féministe, mais que les deux mouvements puissent converger est une excellente chose. On peut espérer que la mobilisation contre la « réforme » des retraites bénéficie du dynamisme des questions féministes aujourd’hui, et que le 8 mars fasse descendre dans la rue des personnes peut-être plus éloignées du mouvement social.

Inversement, la lutte contre la « réforme » des retraites est une lutte féministe : les syndicats[4], ainsi que plusieurs collectifs, ont bien montré combien cette contre-réforme allait toucher de plein fouet les femmes et les minorités de genre, ainsi que les LGBT[5]. En effet, 40 % des femmes partent déjà à la retraite aujourd’hui avec une carrière incomplète, car elles gagnent moins et cotisent moins pour diverses raisons (elles sont plus nombreuses à être employées à temps partiel, elles ont des carrières hachées parce qu’elles se voient assignées la prise en charge des enfants ou des personnes dépendantes, à travail égal elles gagnent en moyenne 28 % de moins que les hommes dans le privé). Le simple fait de rajouter encore deux ans de plus ne va faire qu’accentuer une situation déjà dramatique.

La deuxième erreur consisterait à considérer que ce 8 mars n’est qu’un 8 mars comme les autres : une démonstration symbolique de notre force collective, et puis nous rentrons chez nous. Si l’enjeu de créer une dynamique réussie pour le 8 est si profondément ancré, c’est bien qu’il y a la possibilité pour le mouvement de passer un cap. À l’heure actuelle, nous jouons à quitte ou double. Certes le 7 sera une journée morte, mais après ? Soit nous partons toutes et tous en reconductible, nous construisons la grève dans les lieux de travail, d’étude et de vie, soit cette contre-réforme passera à la fin du mois.

Dans ce moment tournant, le mouvement féministe a tout son rôle à jouer : en mobilisant spécifiquement celles et ceux qu’il influence, en défendant une ligne stratégique claire, en déjouant les fausses oppositions entre le mouvement social et le mouvement féministe. En disant haut et fort, enfin : le 8 mars 2023, grève générale féministe ! 

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Illustration : « La Source », Hamed Abdalla, 1953. Avec l’aimable autorisation de Samir Abdalla.

Notes

[1] Même si cette périodisation, nécessairement simplificatrice, a été critiquée, elle permet de s’approprier facilement l’histoire du féminisme. Classiquement on définit la première vague du féminisme comme la lutte pour l’égalité des droits politiques au tournant du 19ème et du 20ème siècle, la deuxième vague comme la lutte pour le droit à disposer librement de son corps dans les années 1970, et la troisième vague comme la redéfinition du sujet du féminisme dans les années 1990 en montrant que la catégorie « femmes » est elle-même traversée par des rapports de domination.

[2] https://www.contretemps.eu/greve-internationale-femmes/

[3] https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/030323/en-greve-pour-nos-vies-appel-la-greve-feministe-du-8-mars

[4] https://www.cgt.fr/actualites/france/retraite/mobilisation/retraites-une-reforme-anti-femmes par exemple. 

[5] https://tetu.com/2023/01/17/tribune-associations-personnalites-lgbt-contre-reforme-retraites-gouvernement/

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