Libérer le travail ? Notes pour une réponse à Thomas Coutrot
Nous publions ici une courte réponse d’Olivier Besancenot et de Michael Löwy au compte-rendu de leur dernier livre par l’économiste Thomas Coutrot.
Nous n’avons pas de divergence avec ton argument sur la « libération du travail » : la libération du travail, la lutte pour l’auto-organisation, pour la fin des hiérarchies dominatrices, pour une démocratisation dans le travail est un combat important. Grâce à cette lutte, on peut créer des conditions pour un travail plus autonome, plus inventif, capable de donner de la satisfaction aux travailleurs·euses). Certaines pratiques sociales contemporaines (coopératives, associations, autogestion, etc.) ont obtenu des avancées dans la libération du travail.
À nos yeux cette proposition n’est pas contradictoire avec notre livre. Il est vrai que nous ne parlons pas beaucoup de cette question. Mais il y a beaucoup d’autres luttes sociales importantes dont nous ne parlons pas, ou très peu : la lutte pour la libération, dans le travail, de la domination patriarcale ; la lute pour la libération des individus du consumérisme, etc. Nous avons concentré notre attention sur un thème, qui nous semble tout de même essentiel : la réduction de la journée de travail, le temps libre. Marx le considérait comme fondement d’une société libre, i.e. du communisme, et nous partageons cet avis.
Où se trouvent des désaccords ? Voici quelques arguments de ta critique qui nous semblent discutables :
1) Pour Marx, et pour nous, la liberté dans la nécessité (la planification démocratique) n’est pas du tout « purement négative ». Elle est libération par rapport aux contraintes du capital, mais aussi elle permet, en positif, à la société de décider librement, démocratiquement, ce qu’elle veut produire et consommer. Ce n’est pas un détail !
2) Le travail dans nos sociétés capitalistes reste, pour la grande majorité des gens – y compris les infirmières et les postiers que tu cites – une oppression et une souffrance (ennui, fatigue, tâches répétitives ou dangereuses, etc.). Donc, on ne doit pas sous-estimer, comme tu sembles le faire, les avancées obtenues dans la réduction de la journée de travail depuis quelques décennies. Certes, les travailleurs continuent à ne pas être « libres », ils sont toujours soumis aux cycles du capital, mais est-ce que cela veut dire qu’il n’est pas important de travail 6 plutôt que 12 heures par jour ?
3) Les pratiques sociales coopératives, les associations, les expériences d’autogestion sont importantes, et parfois même exemplaires (Lip !). Mais souvent elles restent soumises à la logique du marché, c’est à dire du capitalisme. Il n’y a pas de socialisme dans une seule usine. La libération du travail dans le cadre du capitalisme se heurte à des limites évidentes.
4) Simone Weil a tort en pensant que les travailleurs des « bagnes industriels » ne peuvent être que des « esclaves ». Après tout, ce sont eux qui ont fait non seulement la Révolution russe de 1917, mais aussi la Révolution espagnole de 1936-37, la grève générale de Mai 68, etc. La dégénérescence bureaucratique des révolutions prolétariennes n’est pas une preuve de la vocation à la servitude des prolétaires…
Pour conclure : nous n’avons pas encore lu ton livre, mais il nous semble qu’il serait plus juste de considérer nos travaux comme complémentaires. Il ne nous viendrait pas à l’esprit de critiquer ton analyse de la libération du travail comme fautive et erronée, parce que tu ne parles pas assez du temps libre et de la réduction de la journée de travail…