La thématique identitaire est virale, mais a-t-elle un avenir ?
La naissance et la montée en puissance de la thématique identitaire ont parachevé une mutation idéologique des droites radicales. Elles partagent désormais une rhétorique d’une grande souplesse et d’une grande capacité d’adaptation. Ce discours identitaire a su se connecter aux paniques islamophobes qui lui ont permis d’acquérir un écho de masse, bien au-delà des équipes militantes restreintes qui l’ont élaboré. Aujourd’hui, ce discours tient son efficacité de son extrême adaptabilité, permettant à moindres frais des regroupements entre des courants dont les références idéologiques ainsi que les programmes politiques diffèrent parfois radicalement.
René Monzat a publié sur notre site une série d’article sur le sujet : un premier sur les inavouables racines des thématiques identitaires, des années 1930 aux années 1960 ; un deuxième sur l’élaboration de cette thématique dans les années 1990 à 2000 par la Nouvelle droite en symbiose avec le Front National ; et un troisième sur la manière dont le discours identitaire ce discours a été formaté puis mis en circulation dans les années 2010 par le réseau militant international des « identitaires ».
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La rhétorique identitaire entre en résonnance avec les paniques islamophobes
Son surgissement au début des années 2000 a coïncidé avec l’adoption d’un discours islamophobe chez les « différentialistes », tournant qui leur a permis des alliances de fait avec des courants a priori politiquement éloignés.
La rencontre de l’identité avec l’islamophobie n’allait pas de soi. Il y a eu en effet, au sein des droites radicales, un discours de l’identité islamophile, un « autre tiers-mondisme »[1], qu’a un temps incarné la Nouvelle droite : quand des cadres de ce mouvement participaient à des réunions organisées par le régime lybien, quand le GRECE pouvait inviter l’intellectuel islamiste Rachid Benaissa[2] à ses colloques, lorsque la revue évolienne Totalité chantait les louanges de la république islamique iranienne, et que des groupes de militants italiens ou espagnols déclaraient se convertir à l’Islam. Il reste un fugace reflet de cette attitude dans certains textes récents de Terre & Peuple, R&A, Rivarol.
Le discours identitaire laisse entendre, dans son volet grand public, une formulation culturelle, non-génétique de l’identité. Elle rencontre alors une islamophobie « laïque/républicaine » voire fusionne avec elle. L’alliance de fait entre ces courants est un jeu de dupes, car la « laïcité républicaine » dans sa version islamophobe n’est pas un mythe mobilisateur, contrairement au « nous voulons rester qui nous sommes » des identitaires nativistes. Les identitaires de la laïcité se feront donc manger par les identitaires de l’ethnicité auxquels ils servent objectivement de camouflage. Et d’ailleurs la laïcité, dans une république démocratique est un moyen nécessaire ; elle n’assure pas à elle seule une société plus juste ni plus égalitaire, questions sur lesquels se font les vrais clivages politiques et sociaux.
Le cours islamophobe de l’identité peut s’inscrire dans le discours sur « les racines chrétiennes de l’Europe ». Ce faisant il dénature le constat de l’importance du christianisme dans l’histoire des sociétés européennes : en faire une « identité »rend ce discours exclusiviste.
Le « grand trek » des albo-européens : quand des suprémacistes pensent l’après-défaite
Si la mouvance de Génération identitaire défend un programme de « remigration », ceux qui ont inventé la rhétorique identitaire se retrouvent aujourd’hui dans l’ethno-nationalisme en Europe ou le nationalisme blanc américain[3].
Il s’agit du séparatisme blanc, dans son sens littéral. Ces courants prennent acte de la poursuite des mélanges raciaux en Europe, et de l’échec de la lutte contre les droits civiques aux États-Unis tout comme de l’apartheid sud-Africain en tant que domination blanche. Ils rêvent désormais de bantoustans blancs, si cet oxymore était possible, au moins de séparation, de création de « foyers blancs »[4], sociétés ou États blancs sur des territoires spécifiques, au besoin après un regroupement/migration, un « grand trek »[5].
C’est ce que résume La voix du courage à l’heure du séparatisme blanc, préface à l’édition en langue française du livre de William L. Pierce, Fierté blanche. La libre parole d’un racialiste américain. :
« Pierce nous aide […] à « comprendre que nous sommes plongés dans une guerre raciale à l’échelle planétaire ». En raison du degré de dégénérescence des peuples d’Europe de l’Ouest [..] il n’est pas du tout certain que l’avenir de la race blanche se jouera sur le Vieux Continent. Mais il y a encore de nouvelles frontières à conquérir pour notre race : depuis les restes de la patrie afrikaner jusqu’au Nord-Ouest américain en bordure du pacifique, et de Moscou aux immenses étendues sibériennes, le « voyage » de la race peut encore reprendre, avec des formes inédites de combat à mener, des communautés de vie à fonder, à l’écart de la pourriture ambiante. Il faut oser partir pour un nouveau Grand Trek. On demande des soldats politiques doués pour les langues étrangères et aimant voyager. »[6]
S’adossant à la diffusion des conceptions des ENR « European New Right », ils ont adopté le vocabulaire « identitaire ». « Le nationalisme blanc est une forme de politique identitaire blanche », il « signifie simplement le droit de tous les Blancs à des patries souveraines ». « La politique identitaire blanche, au minimum, signifie que les Blancs se considèrent comme un groupe ethnique, avec des intérêts communs, et défendent ces intérêts contre de groupes adverses dans le champ politique » [7].
Des cadres suprémacistes nord-américains abandonnent le discours hiérarchisant. Ils disent désormais[8] que chaque population préfère ses propres valeurs et les met mieux en œuvre que celles des autres populations.
« Il est facile de trouver des domaines où nous sommes supérieurs [ou inférieurs] aux autres groupes. Je ne pense pas que cette question ait beaucoup d’importance. En effet comme Kevin MacDonald[9] et Jared Taylor l’ont souligné, même si nous formions la plus pitoyable bande d’êtres humains sur la planète, et même si nous n’avions presque rien accompli, il serait tout de même naturel, normal et juste pour nous d’aimer les nôtres et de nous préoccuper de l’avenir de notre peuple » [10]
Néo païens et ex suprémacistes : l’identité comme ethno-nationalisme
Les textes des nationalistes blancs sont édités ou diffusés en français par Akribeia, mais ce courant n’existe pas sous cette forme en France[11], et le dossier qui lui est consacré par Réfléchir & Agir[12] témoigne d’une réception mitigée. La rédaction de R&A plaide pour un « ethno-nationalisme blanc », Georges Feltin-Tracol estime que le nationalisme blanc « ne peut être que l’amorce d’une idée plus satisfaisante : le communautarisme albo-européen, chez nous en Europe »tandis que Christian Bouchet consacre un article aux « origines sémitiques du white nationalism »[13], qui trouverait ses racines dans l’anglo-israélisme protestant.
Proche de Terre & Peuple, Jean-Patrick Arteault, précise dans une brochure[14] :
« On se définira comme des albo-européens porteurs d’un projet global, tout à la fois spirituel, culturel, politique, géopolitique, économique et social ». « Les albo-européens sont donc les blancs de race mis en forme intérieure par la vision du monde ou la tradition indo-européenne ».
Ainsi Terre & Peuple propose dans un éditorial de Pierre Vial de « faire sécession »[15], et publie des « propositions pour un communautarisme positif »[16]. Jean-Eudes Gannat, animateur que groupe identitaire l’Alvarium à Angers intitule sa brochure : « Pourquoi l’Alvarium, d’une politique antinaturelle à la sécession »[17]
Son adoption par des catholiques démontre la souplesse de la thématique « identitaire »
Le quotidien Présent s’est présenté comme un journal « catholique identitaire ». Plus « construit », le livre d’un co-fondateur du Bloc Identitaire, et dirigeant d’Academia Christiana, Julien Langella affirme la compatibilité des deux appartenances : Catholiques et Identitaires. De la Manif pour tous à la reconquête[18], alors qu’Identitaire. Le mauvais Génie du christianisme[19], défend fermement l’incompatibilité entre les deux conceptions.
Il semble néanmoins que le premier ouvrage s’apparente surtout à un affichage des activités identitaires dans l’univers chrétien qu’à l’évolution de courants catholiques préexistants. Ainsi Academia Christiana précise dans la brochure du colloque 2022 de l’Institut Iliade, animé par des cadres de la « Nouvelle droite » :
« L’association accueille chaque année lors de son université d’été de nombreux orateurs de l’Institut Iliade (Jean-Yves le Gallou, Guillaume Travers, Rémi Soulié). »
Le Programme politique d’une génération dans l’orage d’Academia Christiana est rédigé en particulier par des militants de la Nouvelle Droite. Certaines contributions étonnent comme celles de Thibaud Gibelin et de Jean-Yves Le Gallou, fidèles soutiens ou issus d’Europe Jeunesse c’est à dire de la troupe de scouts païens des familles du GRECE.
En revanche le courant catholique conservateur Ichtus (ex Cité Catholique), qui conserve une influence réelle chez les officiers a précisé dans sa revue Permanences une conception de l’identité distincte de celle des identitaires :
« Comme catholiques, nous sommes à l’évidence tiraillés par les questions de l’identité et de l’immigration, particulièrement parce que nous croyons en la possibilité d’un universel et d’une fraternité humaine, nous désirons au plus profond de notre âme pouvoir accueillir et servir les pauvres et les nécessiteux, nous affirmons l’égale dignité de tous les hommes qui sont autant d’enfants bien-aimés de Dieu. Il ne s’agit certainement pas de sacrifier tout cela sur l’autel des nécessités politiques, mais d’avoir une ligne précise :
– l’affirmation identitaire est un fait anthropologique qui constitue un fait social et politique incontournable ;
– l’affirmation identitaire n’est condamnable du point de vue chrétien que lorsqu’elle proclame un substrat ethnique exclusif, quand elle fait du peuple et de la nation des idoles, quand elle fait de l’identité un motif de haine de l’autre et de guerre ;
– dans sa dimension historique et culturelle, comme condition incontournable de la possibilité d’une « figure du commun » et d’une continuité historique d’un peuple, l’affirmation identitaire ne présente pas de contradiction avec l’Évangile ;
– prôner l’assimilation des immigrés revient à rejeter l’ethnicisme et à proposer un partage de ce que nous sommes. »[20]
Le Pape François a été interrogé sur ce point par La Croix :
« La Croix : Dans vos discours sur l’Europe, vous évoquez les « racines » du continent, sans jamais pour autant les qualifier de chrétiennes. Vous définissez plutôt « l’identité européenne » comme « dynamique et multiculturelle ». Selon vous, l’expression de « racines chrétiennes » est inappropriée pour l’Europe ?
Pape François : Il faut parler de racines au pluriel car il y en a tant. En ce sens, quand j’entends parler des racines chrétiennes de l’Europe, j’en redoute parfois la tonalité, qui peut être triomphaliste ou vengeresse. Cela devient alors du colonialisme. [..] L’Europe, oui, a des racines chrétiennes. Le christianisme a pour devoir de les arroser, mais dans un esprit de service comme pour le lavement des pieds. »[21]
« Catholiques observants » issus de La Manif Pour Tous (LMPT), celles et ceux que l’on retrouve dans le lectorat de l’Incorrect, ainsi que des publications chrétiennes de la droite radicale sont une terre de mission pour les identitaires se réclamant d’une identité chrétienne, ou façonnée par le christianisme.
Le « socialisme identitaire »
Bien que cet oxymore évoque une « blague », il reflète plusieurs phénomènes. Une dimension anecdotique et d’entomologie politique, il fait penser au terme « socialisme européen » qui servait d’autodéfinition à certains néo-nazis. Quand, à la fin de la deuxième guerre mondiale, les SS ont tenté de mettre le « germanisme » au second plan, ils sont passés du « national-socialisme » au « socialisme européen ». Anecdotique mais réel : une partie de l’extrême droite historique se réclame de la Commune de Paris.
Plus décisif : ce terme convient bien aux « sociaux-nativistes » (terme repris à Thomas Piketty)[22]. Ce qualificatif, qui s’applique bien à Florian Philippot et par périodes à Marine le Pen, peut décrire la captation xénophobe, nativiste, du trouble, du mal-être, des revendications des blancs pauvres de nombreux pays quand la social-démocratie les a abandonnés pour se faire la porte-parole des couches sociales à haut capital scolaire.
Le dossier de Réfléchir et Agir, intitulé « Face à la gauche et à la droite du capital, notre socialisme identitaire »[23], proclame : « renouons avec notre socialisme ». Georges Feltin-Tracol y évoque « un socialisme qui ne serait pas de gauche ou à gauche », car « l’histoire contemporaine des idées politiques démontre que cette concordance ne date que des premières années du XXème siècle ». Puis l’article « notre tradition anticapitaliste et sociale » affirme que « Blanqui, Proudhon, Pelloutier et Sorel restent inscrits dans notre patrimoine génétique ». Certes, pour R&A tout est affaire de gènes !
Une citation de Charles Maurras – « Un socialisme libéré de l’élément démocratique et cosmopolite peut aller au nationalisme comme un gant bien fait à une belle main » – vient rappeler d’où l’on parle. « Les mécanismes meurtriers de la mondialisation néolibérale » est une note de lecture du livre Garry Leech intitulé Le capitalisme, un génocide structurel[24] Pierre Jovanovic y demande la nationalisation des banques, le protectionnisme, le retour à l’étalon-or, il prédit la guerre ethnique et en appelle à l’armée.
On y trouve aussi un entretien avec Roberto Fiorini élu FN, MNR puis secrétaire général de Terre et peuple et militant syndical Force Ouvrière. Il alterne entre un discours syndical basique anti-austérité, contre le capital (qui fait venir les immigrés pour baisser les salaires), contre le capital et « le joug de l’usure »[25], et l’appel à « l’unité des socialistes identitaires européens ». « Comment la gauche a trahi le monde du travail » puis « peut-on encore se dire socialiste ? ». Un des rédacteurs préfère « solidarisme » ou « justicialisme », l’autre défend le « socialisme révolutionnaire identitaire » : « Comme le disait mon regretté camarade et ami Robert Dun d’une idée totalement dissidente ”elle serait capable de donner la jaunisse a un rabbin” »[26].
Suit un copieux entretien avec Alain de Benoist qui ne rate pas une occasion de s’adresser au lectorat nationaliste blanc et antisémite de la revue, fut-ce pour leur infliger un cours de marxisme : il rappelle la place de Marx, Mauss et Sorel, souligne que la lutte des classes a d’autant plus de résonnance aujourd’hui que depuis 20 ans « la part des salaires dans le PIB n’a jamais été aussi faible », que « toute politique de ”paix sociale” fondée sur l’intérêt ”national” est une mystification ». La conclusion « autour de quelques axes de travail » prouve que tout restait à faire en 2013. En 2022 les réflexions sur le « socialisme identitaire » n’ont manifestement pas progressé[27].
Le libéralisme identitaire ou le « nationalisme libéral »
La quasi-totalité des droites radicales voient le libéralisme comme l’anti-identité et comme une notion antithétique au conservatisme. Néanmoins, certain·es sont tenté·es de relever un libéralisme conservateur d’un piment identitaire. Il s’agit alors de porteurs du mot valise qui n’ont jamais eu la curiosité d’ouvrir ce qu’ils transportent !
Quand Renaud Camus propose aux identitaire de se réapproprier le terme racisme
Le 2 avril 2022, au colloque de l’Institut Iliade Renaud Camus a fait applaudir par 900 identitaires l’idée d’un renversement de la stratégie langagière :
« Le mot antiracisme a totalement changé de sens, au point qu’il serait loisible de distinguer deux acceptions totalement différentes de ce terme, avant et après le grand renversement du milieu des années soixante-dix, avant et après la proclamation du Dogme. Le premier antiracisme est né de l’infiniment légitime plus jamais ça des camps de la mort, (..) il n’y avait rien en lui de critiquable dès lors qu’il était la protection contre les persécutions de certaines races particulièrement menacées, les juifs, les noirs, les tziganes, les indiens d’Amérique, etc. Le second antiracisme, lui, c’est la négation de l’existence des races, c’est le Dogme, c’est le prétendu multiculturalisme, cette déculturation de masse : la colonisation de l’Europe, le génocide par substitution, la promotion à tous les instants du métissage et du changement de peuple.
Rien ne serait plus logique ni, selon moi, plus souhaitable, qu’un renversement en symétrie du mot racisme, qui dès lors n’aurait pas d’autre sens que l’amour des races, la conviction de leur existence, l’organisation de leur heureuse coexistence à toutes. Considérez ce chiasme : puisque c’est l’antiracisme qui est désormais génocidaire, ne serait-ce que par substitution, c’est au racisme qu’il revient d’être protecteur, des hommes, des femmes, des races, des peuples, des animaux, des paysages et de la Terre.
Pour s’assumer raciste en cette acception inédite et renversée, mais plus conforme à l’étymologie et plus logique que le sens classique contemporain, il faudrait certes un grand courage ; et d’autant plus d’héroïsme, même, que le Bloc Négationniste-Génocidaire, la davocratie remplaciste et ses sbires, ses journalistes, ses juges, ses harceleurs, ses trolls, ses officines de délation et ses milices, qui sont légion, se feraient un plaisir d’ignorer le renversement, de prétendre ne pas le comprendre, ou de contester sa sincérité. Mais le profit serait immense, le crois. […]
À qui vaudrait sauver la diversité du monde, sa biodiversité dont on conviendra que l’ethnodiversité est une part essentielle, il n’y aurait aucun moyen de faire l’économie de la race et dès lors, aux yeux des antiracistes devenus assez logiquement ses pourfendeurs acharnés, de s’assumer comme raciste, au sens inédit que j’ai dit : champion des races et de leur conservation à toutes. »[28]
L’intervention de Renaud Camus veut initier une césure dans le maniement des idées et des mots par les droites radicales. Il entend clore le cycle entamé en 1975 par Alain de Benoist qui avait mené la contre-attaque face à l’accusation de racisme en se proclamant « contre tous les racismes », en chargeant certes cet antiracisme d’un contenu qui était propre à ces courants. En 2022, Renaud Camus estime son camp ethno-nationaliste assez fort pour changer suffisamment le sens des mots racisme et racistes, et pour les assumer, les reprendre à son compte.
Le bel avenir et la grande faiblesse de la thématique identitaire
Cette thématique constitue un atout pour les droites radicales qui ont trouvé ce qu’elles cherchaient depuis des décennies : une manière de formuler en positif l’option ethno-nationaliste. Un discours fédérateur, identificateur sans constituer un repoussoir clivant.
Il présente néanmoins une grande faiblesse : à mesure que se diffuse ce discours, il est de moins en moins corrélé à un programme politique défini. La version « dure » s’adosse à une « culture », à une idéologie d’une certaine densité, qui s’est construit une cohérence. De son côté, la version grand public est une somme d’éléments de langage servant à vendre une posture anti-immigration. Cela suffit-il à unifier les piliers populaires et petits-bourgeois des droites radicales ? C’est le courant « social-nativiste » sans le social.
D’autre part, ces courants emploient le mot identité pour parler d’autre chose. Car le terme « identité » ne leur appartient pas, et il ne faut pas leur céder. Par exemple, à Toulouse, Marseille, ou dans le Nord, on peut qualifier d’identitaires des groupes musicaux qui ne sont pas proches du tout des courants politiques « identitaires ». Zebda à Toulouse, IAM ou Kenny Arkana à Marseille, HK et les Saltimbanks dans le Nord chantaient notamment leur ville, les gens de leur région, ils sont ou étaient « enracinés » dans les réalités de leur territoire.
Ainsi Kenny Arkana qui chante dans Effort de paix[29] : « À l’heure où les identitaires font froid dans le dos/avec leurs idées de race pure ». Or avec plusieurs groupes de rap marseillais, elle décrit dans le titre Marseille[30] une Marseille « plus ancienne que Rome » et évoque d’ailleurs explicitement « la dimension identitaire » de cette ville qui passe par « l’indépendance vécue à travers quelques millénaires, une longue histoire d’immigration, un autre œil sur l’horizon ».
Donc les groupes des droites identitaires veulent restreindre, rogner, rétrécir ce qu’ils exaltent en parole. Et à part tailler au sécateur dans la réalité de nos sociétés selon des critères ethniques et raciaux, ils sont incapables de définir des projets, des politiques cohérents.
C’est sur le terrain de la politique et du social qu’il faut les affronter. Leur discours fond alors comme neige au soleil, car la réalité sociale ne s’analyse pas en termes identitaires surtout si on veut transformer cette société. Mais aussi parce que sur ces terrains, les identitaires ont des projets et des politiques inconciliables entre elles.
Notes
[1] J’emprunte l’expression utilisée dans l’ouvrage très documenté de Philippe Baillet : L’Autre Tiers-Mondisme. Des Origines à l’islamisme radical. Fascistes, nationaux-socialistes, nationalistes-révolutionnaires entre « défense de la race » et « solidarité anti-impérialiste ». Editions Akribeia, Saint Genis-Laval, 2016 (476 pages). L’auteur connaît ces mouvements de l’intérieur : il fut membre d’Action Occident puis de la Fédération d’Action Nationale et Européenne (FANE) néo-nazie à partir de 1966, il a été au cœur des relations entre les droites radicales françaises et italiennes, et de plus traducteur/diffuseur des œuvres et conceptions de Julius Evola en France avec la revue philo-khomeyniste Totalité, puis en 1985-1986 secrétaire de rédaction de toutes les publications de la Nouvelle Droite en France (Nouvelle Ecole, Eléments, Etudes & Recherches, Panorama des idées actuelles, éditions du Labyrinthe). Il diffuse aujourd’hui les théoriciens anglo-saxons du nationalisme blanc.
[2] Hugh Roberts dans North African Islamism in the blinding light of 9-11, Crisis States Research Centre, 2003 (38 pages) présente Rachid Benaissa (né en1942) comme « un intellectuel de premier plan du mouvement islamiste algérien dans les années 1970 et au début des années 1980 ». Il est un disciple de Malek Bennabi (1905-1973) intellectuel algérien cité à la foi par le régime militaire et par le Front Islamique de Salut.
[3] Il s’agit essentiellement de Guillaume Faye, Robert Steuckers, Pierre Vial et, moins visible, Philippe Baillet qui étaient ensemble au comité de rédaction de Nouvelle Ecole de 1984 à 1987. Tous ont déjà été évoqués dans cette étude.
[4] Voir Arthur Kemp, Bâtir le foyer blanc : Une stratégie de survie pour les Européens devant le flot montant des peuples de couleur, préface de Philippe Baillet, Akribeia, 2014. (136 pages). Selon la présentation de l’éditeur : « L’auteur encourage les Européens décidés à défendre leur identité à franchir le Rubicon psychologique consistant à admettre que la plupart des Blancs sont condamnés à disparaître, sous l’effet du métissage et de la submersion lente ou violente. » « Les plus conscients d’entre eux ne survivront que s’ils se regroupent dans des communautés de vie, prélude à un Grand Trek vers un ou plusieurs territoire(s) où ils seront nettement majoritaires. »
[5] Migration organisée des milliers de fermiers boers qui sont partis de la Province du Cap pour s’établir vers l’intérieur des terres (1835-1840)
[6] William L. Pierce Fierté blanche. La libre parole d’un racialiste américain, préface de Pascal Jordan, White Revolution Books, Londres, 2011. (199 pages). Page 28
[7] P 12-13 de Greg Johnson, Manifeste nationaliste blanc, White Revolution Books, Londres 2021. (185 pages)
[8] Ce discours public passe plus ou moins bien en interne.
[9] Kevin Mac Donald est le rédacteur en Chef de The Occidental Quarterly,
[10] Greg Johnson, Manifeste nationaliste blanc, p97
[11] Lire sur les échanges transatlantiques l’article de Stéphane François, L’alt-right, l’antisémitisme et l’extrême droite française. Une mise au point. dans les Cahiers de Psychologie Politique n°36 (2020) https://cpp.numerev.com/articles/revue-36/1484-l-alt-right-l-antisemitisme-et-l-extreme-droite-francaise-une-mise-au-point#ftn32
[12] R&A n°55, avril 2017 Qu’est-ce que le nationalisme blanc ? pp 14 à 35. « Le nationalisme blanc ne se confond pas avec le suprémacisme. Quand le suprémaciste considère que sa race est supérieure aux autres, le nationaliste blanc défend, lui, la sienne à côté (et non pas avec) d’autres groupes raciaux ». Le dossier comporte des entretiens avec Jared Taylor, directeur d’American Renaissance, Greg Johnson, fondateur de Couter-Currents, William D. Johnson dirigeant de l’American Freedom Party.
[13] Ce titre est une provocation gratuite vis-à-vis des nationalistes blancs américains qui professent un antisémitisme rabique, et ce d’autant plus que les anglo-israélites du XIXème siècle n’avaient rien de « sémite » : ils pensaient que les britanniques (et les américains WASP) étaient le vrai peuple élu.
[14] Jean-Patrick Arteault, Pour une boussole métapolitique, Les éditions de la forêt, Forcalquier, 2019. (33 pages)
[15] Terre & Peuple n° 85, Equinoxe d’automne 2020, p.3.
[16] Terre & Peuple n° 86, Solstice d’hiver 2020, pp.25-28. N° intitulé « Communautarismes », dossier pages 10 à 37.
[17] Jean-Eudes Gannat, Pourquoi l’Alvarium, d’une politique antinaturelle à la sécession. (S.d. début 2022) sans mention d’éditeur, (151 pages). L’ouvrage comporte de nombreuses photos en couleur.
[18] Julien Langella, Catholiques et identitaires. De la Manif pour tous à la reconquête, Editions DMM, Poitiers, 2017. (354 pages)
[19] Erwan le Morhedec, Identitaire. Le mauvais génie du christianisme, Editions du Cerf, Paris, 2017. (168p)
[20] Guillaume de Prémare, Identité, immigration, un défi vital pour la France, Permanences n°584, mars 2021
[21] La Croix 19 Mai 2016 https://www.saintepauline.fr/goFolder.do?f=95e056d9b89c3057&aId=3297011020735709561
[22] Pp. de 993 à 1110 de Capital et Idéologie, Seuil, 2019. (1224 pages)
[23] R&A n° 44 Janvier 2013
[24] Garry Leech, Le Capitalisme, un génocide structurel, Editions Le retour aux sources, 2012 (258 pages). L’auteur se définit comme un socialiste américain, grand reporter. Il ne semble pas professer les orientations complotistes et antisémites de son éditeur français.
[25] Les termes constituent un clin d’œil car « le Manifeste pour briser les chaines de l’usure » de Gottfried Feder avait été publié en 2012 par les éditions Le retour aux sources proches de T&P. Lesquelles précisaient dans la présentation de l’ouvrage : « Hitler le reconnaît ouvertement dans « Mein Kampf » : l’économie politique du national-socialisme originel est entièrement tirée de l’œuvre de Feder. »
[26] Robert Dun est un militant proche de la Nouvelle droite dont l’aura venait de ses combats sous l’uniforme SS.
[27] A l’exception de la revue toulousaine Rébellion, proche de la Nouvelle Droite. Comme le précise son site le 4 mai 2021 : « Rébellion est une revue d’orientation socialiste révolutionnaire européenne fondée en 2002. Elle est l’expression d’une communauté liée par un engagement pour l’autonomie dans un sens radicalement anticapitaliste. » Bien qu’elle ne se dise pas « identitaire » la quasi-totalité de sa production serait utilisable sous un label « socialiste identitaire » http://rebellion-sre.fr/orientations-de-revue-rebellion-autonomie-anticapitalisme-communaute/
[28] Vidéo de son intervention : https://www.youtube.com/watch?v=LT57uy37sOY, verbatim : https://institut-iliade.com/le-profond-murmure/
[29] Effort de Paix dans l’album Etat d’urgence (2016)
[30] Marseille dans l’album L’Esquisse 2 (2011). Le clip sur YouTube a été vu 9 millions de fois.