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Le dernier déplacement de Macron sur le Continent témoigne du profond décalage entre les déclarations d’intention de son discours et la réalité. Il révèle aussi la duplicité de la diplomatie française et ses biais en faveur du président rwandais Paul Kagamé. Une duplicité qui repose sur un échange de bons procédés en vue de profiter de l’exploitation des riches réserves d’hydrocarbures du Mozambique voisin.

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Précédant sa tournée africaine, le président Macron avait tenu un discours censé dessiner, pour son second mandat, le cadre de la politique africaine de la France « pour essayer de donner le sens de ce que nous sommes en train d’essayer de faire depuis maintenant un peu plus de cinq ans. Et essayer de dire avec qui, pourquoi, et comment. ». Il avait notamment insisté sur la question de l’humilité nécessaire vis-à-vis d’un continent aux prises avec de multiple défis. Il avait aussi encouragé les sociétés françaises à investir dans le marché africain considéré comme un des « plus jeunes et dynamiques du monde et qui sera l’un des grands foyers de la croissance mondiale dans les décennies qui viennent ».

Tout est bien qui finit mal…

Ces quatre jours de voyage devaient donc illustrer cette nouvelle relation entre la France et les pays africains que Macron appelait de ses vœux.

Tout commençait bien avec le premier pays visité. Le Gabon a été pour le président français l’occasion de confirmer que « cet âge de la Françafrique est bien révolu » balayant ainsi d’un revers de main la critique formulée par l’opposition d’un soutien de sa part à la candidature du fils Bongo pour les élections présidentielles prévues cette année. Quant au sommet One Planet Summit, il était censé fournir le modèle qui permet   de « passer d’une logique d’aide à une logique d’investissement solidaire et partenariale » de la France avec ses pairs du Continent.

La seconde étape du voyage officiel illustrait sa déclaration sur le « réveil du monde économique français pour se dire « on doit aller s’y battre ». ». Officiellement, en Angola on a donc peu parler pétrole, bien que le pays soit un des principaux exportateurs d’or noir du Continent, pour vanter les entreprises tricolores de l’agroalimentaire.

Au Congo Brazzaville, Macron est resté quatre heures. Il s’en est expliqué : « donc on va au Congo Brazzaville, parce qu’il ne faut pas humilier personne, quand on fait une tournée régionale ». Il ne pouvait donc pas faire l’impasse sur ce pays, au risque de vexer l’autocrate Sassou Nguesso qui règne sans partage depuis près de quarante années. La volonté était de faire le minimum syndical tandis que Sassou Nguesso a profité de cette opportunité pour essayer de donner de l’importance à ce voyage.  En somme bon an mal an, une certaine cohérence pouvait se dégager entre le discours et le voyage, entre la volonté affichée et les actes.

Puis vint la dernière étape celle de la République Démocratique du Congo (RDC) et là, les choses ont commencé à déraper. A l’occasion d’une question d’un journaliste de radio Okapi, l’humilité a vite disparu pour faire place à l’arrogance . Le journaliste interrogeait Emmanuel Macron sur les responsabilités de la France dans la déstabilisation de l’est du pays, conséquence de l’exfiltration des groupes armées génocidaires du Rwanda lors de l’opération Turquoise en 1994. Macron a dénié avec virulence la responsabilité de la France et reproché à la RDC d’être incapable d’assurer sa sécurité et la continuité de son territoire, et de promouvoir une justice transitionnelle. Si les critiques peuvent être entendues, la manière de les formuler a choqué. En effet, il n’est pas sûr que Macron aurait employé le même ton vis-à-vis du président chinois ou du premier ministre indien.

La convergence de vue entre Macron et Kagamé

Dès le début de la conférence de presse commune, Félix Tshisekedi, le président congolais, insiste sur l’agression commise par le Rwanda à l’encontre de son pays via le Mouvement du 23 mars (M23), une accusation confirmée par les experts des Nations-Unis et les principales agences de renseignement occidentales. Le président français  évite de condamner le Rwanda et préfére parler longuement du processus de paix initié par l’Angola. Une question d’une journaliste de l’AFP le relance sur ce point et le décide à aller plus loin. Il concède que chacun doit prendre ses responsabilités, y compris le Rwanda. De nouveau, un journaliste du media « Actualité.CD » insiste et demande au président français une condamnation explicite du Rwanda. Macron ne peut plus esquiver, et s’exécute. Il tente cependant de minorer sa réprobation en pointant l’inutilité des surenchères de tribune. Mais peut être le plus important est l’analyse qu’il développe sur le M23. Selon lui, cette milice est composée en partie de congolais et ne constituerait donc pas un cas d’agression extérieure. Il reprend ainsi à son compte la version du président rwandais. La guerre menée par le M23 ne serait qu’un problème intérieur que la RDC est incapable de régler. Et Macron comme Kagamé accusent les autorités congolaises de se dédouaner en accusant leurs pays respectifs.

Pourquoi la politique française s’en tient-elle à une telle fiction, alors que, de l’avis de tous les observateurs et experts, il s’agit bien d’une agression du Rwanda contre la RDC via le M23 ?  Une agression motivée par la volonté de ce pays de maintenir sa présence pour exploiter illégalement les ressources naturelles de la RDC. Une des explications est certainement que la diplomatie française ne souhaite pas gâcher des années d’efforts pour aboutir à une réconciliation du Rwanda avec la France après sa complicité dans le génocide des Tutsis au début de l’été 1994. Cet effort a commencé sous l’ère de Sarkozy et permis à la France de faire un mea culpa a minima, accepté par Kagamé lui-même en position de faiblesse auprès de la communauté internationale suite aux innombrables violations des droits humains qui se produisent dans son pays. Mais une autre explication complémentaire à celle-ci peut être avancée. Elle se trouve au Mozambique.

Retour d’ascenseur

A partir de 2017, des attaques djihadistes de plus en plus fréquentes et importantes se déroulent au Mozambique dans la province de Cabo Delgado située au nord-est du pays. Filipe Nyusi le président, fait appel à la société de mercenaires russes Wagner, un geste quasiment logique puisque les autorités mozambicaines et russes entretiennent des relations étroites, héritage du soutien soviétique pendant la guerre de libération nationale contre la dictature coloniale portugaise soutenue par le camp occidental. Les troupes de Wagner sont incapables de venir à bout de la guérilla islamiste, subissent d’importantes pertes et quittent le pays en novembre 2019.

Le gouvernement mozambicain va mettre de côté son nationalisme sourcilleux en faisant appel à une coalition de forces armées venant de différents pays de la région, le Zimbabwe, le Botswana, mais surtout l’Afrique du Sud et le Rwanda, qui envoient chacun plus d’un millier d’hommes. L’enjeu est de taille. Il s’agit moins du maintien de l’intégrité nationale que de contrats commerciaux colossaux.

En effet, les gisements en gaz de Cabo Delgado sont estimés à 5 000 milliards de m3, ce qui ferait du Mozambique, le 9ème producteur mondial. Parmi les entreprises partenaires se trouve TotalEnergies. Sa présence dans la péninsule d’Afungi est valorisée à 16,5 milliards de dollars. Encore faut-il que l’exploitation puisse se faire. Le 24 mars 2021, les djihadistes attaquent la ville portuaire de Palma entraînant la suspension par TotalEnergies du projet et aussi de l’aide aux paysans expulsés de leurs terres pour la construction des infrastructures.

Les troupes rwandaises ont réussi à sécuriser la région. Désormais, TotalEnergies et Macron savent parfaitement que l’avenir de ce projet gazier dépend en grande partie des Rwandais. Chacun fait donc sa part. Le président français essaie de défendre les autorités rwandaises en minorant leur implication dans la guerre qui se déroule dans l’est de la RDC, tandis que, de son côté, le PDG de TotalEnergies favorise les entreprises de Kigali.

L’essentiel des sociétés rwandaises au Mozambique dépend de Macfield Ventures, filiale internationale de la holding Crystal Ventures considérée comme la branche économique du Front patriotique Rwandais (FPR), le parti au pouvoir.

Déjà, lors de l’appel d’offres pour la construction des infrastructures du site d’Afungi, TotalEnergies a rajouté in extremis la Société de construction rwandaise Nyarutarama Property Developers (NPD).

Le président du Rwanda a aussi confirmé l’implantation de la société de sécurité ISCO, filiale de Macfield Ventures. Cette société, qui compte 7000 salariés au Rwanda, a la particularité d’être la seule autorisée au port d’armes à feu et elle pourrait être choisie par TotalEnergies pour la sécurisation de ses infrastructures. Ce qui serait une autre contrepartie du déploiement des soldats rwandais dans la région de Cabo Delgado.

L’utilisation par Paul Kagamé de l’armée rwandaise au Mozambique lui permet d’implanter dans ce pays des sociétés commerciales dirigées par des proches, comme la société minière Megaruma Grafite. Il s’agit d’un modus operandi assez similaire de celui de l’entreprise Wagner en Centrafrique ou au Mali, qui consiste à monnayer leur aide sécuritaire en exploitant les ressources du pays. Des pratiques – à juste titre – vertement critiquées par Macron quand il s’agit des Russes. Or, on ne peut que constater que l’élite rwandaise bénéficie, pour les mêmes pratiques, d’une grande mansuétude, certainement la conséquence de l’humilité évoquée dans la nouvelle politique africaine de la France.

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