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Alors que s’ouvre la COP28 à Dubaï, les rapports de force économiques entre grandes puissances sont de plus en plus orientés par les questions énergétiques. Si les compagnies occidentales ont longtemps dominé le marché du pétrole, ce sont désormais les puissances du Golfe et la Chine qui détiennent la majeure partie des ressources, gérées par d’énormes multinationales. Apporter des réponses à la crise climatique et à l’omnipotence des industries fossiles nécessite de comprendre les configurations contemporaines énergétiques et économiques qui opèrent dans ces régions du monde.

Dans ce texte, traduction d’un chapitre qui figure dans le livre récemment publié Dismantling Green Colonialism: Energy and Climate Justice in the Arab Region (coordonnée par Hamza Hamouchene et Katie Sandwell pour les éditions Pluto Press), Adam Hanieh décrit les nouveaux rapports de force entre compagnies pétrolières, à la lumière des évolutions de long terme, et analyse les politiques actuelles des États producteurs de pétrole[1].

Au début de l’année 2023, les plus grandes compagnies pétrolières et gazières privées du monde ont commencé à publier leurs résultats financiers pour 2022. ExxonMobil a ouvert la voie en affichant les plus gros bénéfices de son histoire, soit 55,7 milliards de dollars. Le groupe anglo-néerlandais Shell a fait de même, après avoir franchi lui aussi une étape historique après 115 ans d’existence, en enregistrant des bénéfices de près de 44 milliards de dollars, soit plus du double de ceux réalisés en 2021. Au total, les cinq principales « supermajors » pétrolières occidentales – ExxonMobil, Shell, Chevron, BP et TotalEnergies – ont déclaré un total cumulé de 200 milliards de dollars de bénéfices, soit un profit de 23 millions de dollars par heure en 2022. La même année, le coût financier des dix plus grandes catastrophes liées au climat s’est élevé à environ 170 milliards de dollars, dont 30 milliards de dollars pour les inondations dévastatrices qui ont tué plus de 1 700 personnes, et forcé le déplacement de plus de 7 millions de personnes au Pakistan[2]. Sachant que la moitié des bénéfices d’ExxonMobil en 2022 auraient facilement pu couvrir les coûts de la catastrophe au Pakistan, le constat est sans appel quant aux véritables gagnant·es et perdant·es de la crise climatique.

Mais ces profits record ont été éclipsés par la publication, le 12 mars 2023, d’un autre bilan financier, celui de la compagnie pétrolière nationale saoudienne, Saudi Aramco. Avec un peu plus de 161 milliards de dollars, le chiffre d’affaires d’Aramco pour 2022 a non seulement dépassé les bénéfices cumulés de Shell, BP, ExxonMobil et Chevron, mais il constitue aussi le plus important chiffre d’affaires jamais réalisé par une entreprise dans le monde, tous secteurs d’activité confondus. Les bénéfices enregistrés par Aramco mettent clairement en évidence le changement majeur qui s’est produit dans le contrôle de l’industrie pétrolière mondiale au cours des dernières décennies, à savoir la montée en puissance apparemment inarrêtable des compagnies pétrolières nationales (CPN) dirigées par les gouvernements du Moyen-Orient, de la Chine, de la Russie et d’autres grands États producteurs de pétrole dans les pays du Sud. Ensemble, ces entreprises sont devenues de gigantesques sociétés diversifiées, et ont dépassé les supermajors occidentales selon une série d’indicateurs clés, tels que la production de pétrole, les réserves, la capitalisation boursière et les quantités exportées. Les grandes entreprises occidentales restent fortement implantées aux États-Unis, au Canada et en Europe occidentale, mais leur influence globale a été considérablement affaiblie par la montée en puissance des CPN.

Face à cette nouvelle réalité, l’objectif de ce chapitre est d’analyser le rôle et le poids respectifs des six pays arabes du Golfe (Arabie Saoudite, Koweït, Émirats Arabes Unis, Qatar, Bahreïn et Oman) dans l’industrie pétrolière mondiale. Il va sans dire que les États du Golfe, qui disposent de certaines des plus grandes réserves d’hydrocarbures au monde, sont depuis longtemps les principaux exportateurs de pétrole et de gaz naturel. Pourtant, pendant une grande partie du 20ᵉ siècle, l’industrie pétrolière du Golfe était principalement contrôlée par des sociétés pétrolières américaines et européennes, qui versaient des redevances et autres droits aux monarques au pouvoir dans la région en échange de l’accès au pétrole. Suite à la nationalisation du pétrole dans les années 1970 et 1980, les monarchies du Golfe ont pris le contrôle direct de la production en amont, et des CPN telles que Saudi Aramco, Abu Dhabi National Oil Company et Kuwait Petroleum Corporation, ont alors pris en charge la prospection, l’extraction et l’exportation des réserves pétrolières de la région. À l’image de la progression qu’a connue l’industrie pétrolière occidentale par le passé, les CPN des pays du Golfe déploient désormais leurs activités sur des territoires qui s’étendent bien au-delà de leurs frontières nationales, et prennent part à diverses activités tout le long de la chaîne de valeur du pétrole. Comme l’ont parfaitement illustré les négociations sur le climat organisées lors des COP27 et COP28, cette expansion de l’industrie pétrolière des pays du Golfe s’accompagne d’une présence de plus en plus marquée de ces États dans les discussions internationales sur le changement climatique.

L’objectif de ce travail est de montrer que la montée en puissance des pays du Golfe doit être comprise à travers les transformations significatives qui se sont opérées dans le système capitaliste global au cours des deux dernières décennies. Depuis le début des années 2000, l’émergence de la Chine, et plus largement de l’Asie en tant que centre géographique de la production mondiale de produits de base, a modifié la façon dont les combustibles fossiles et leurs dérivés circulent à travers le système économique mondial. Un nouvel axe d’hydrocarbures reliant les réserves de pétrole et de gaz du Moyen-Orient aux réseaux de production chinois et asiatiques[3] constitue le nœud central de ce système. Cet axe d’hydrocarbures « Est-Est » a été associé à une augmentation considérable des richesses accumulées dans le Golfe, l’abondance de ces « pétrodollars » ayant un impact majeur sur les structures politiques et économiques des États du Golfe, et dans tout le Moyen-Orient. Des relations d’interdépendance multiples et complexes se développent entre les élites économiques et étatiques des pays du Golfe et de l’Asie, en parallèle de ce glissement vers l’est opéré par l’industrie pétrolière. Cette interdépendance ne se limite pas à l’exportation de pétrole brut et s’étend aux secteurs « en aval », tels que le raffinage et la pétrochimie. Cette nouvelle diagonale du pétrole mondial permet ainsi d’ancrer la région du Golfe au cœur du « capitalisme fossile » contemporain[4].

Les défenseur·euses de l’environnement devraient prendre davantage en considération ces changements survenus dans l’industrie pétrolière mondiale, de même que le rôle joué par les pays du Golfe. Étant donnés les profits considérables générés par Aramco, et le déclin relatif des supermajors occidentales, l’un des obstacles majeurs à la fin de la dépendance planétaire aux combustibles fossiles se situe désormais en dehors des principaux marchés occidentaux. Le danger d’ignorer cette évolution se manifeste dans les plans explicites des États du Golfe d’augmenter massivement leur production de pétrole et de gaz au cours de la prochaine décennie, constituant ainsi ce que certain·es appellent des « bombes climatiques »[5], tout en saisissant simultanément les opportunités de marché offertes par les nouvelles technologies « à faible teneur en carbone » actuellement en cours de développement. Par conséquent, tant au Moyen-Orient qu’au niveau mondial, le caractère de toute « transition verte » sera déterminé de manière significative par les actions et les politiques de ces États. Si l’on ne comprend pas les évolutions en termes de contrôle et de structure de l’industrie pétrolière, et si l’on n’élabore pas une stratégie efficace autour de ces mutations, il sera impossible de mener des actions assez puissantes pour arrêter et inverser les effets du changement climatique d’origine anthropique.

Des Seven Sisters à l’OPEP

En tant que principal combustible fossile dans le monde, le pétrole ne supplantera définitivement le charbon que dans les années 1950, mais les premières décennies du 20ᵉ siècle vont jouer un rôle déterminant pour les développements ultérieurs de l’industrie pétrolière[6]. Au cours des 70 ans qui séparent l’année 1870 de la veille de la Seconde Guerre mondiale, une poignée de grandes compagnies pétrolières voient le jour aux États-Unis et en Europe occidentale. Plus que dans tout autre secteur comparable, ces entreprises se caractérisent alors par une intégration profondément verticale, le pétrole brut circulant au sein d’une même entreprise pour être raffiné puis vendu. L’intégration verticale permet aux plus grandes compagnies pétrolières d’exercer une pression sur leurs concurrents, et de déplacer les activités lucratives en aval de la chaîne de valeur, en fonction de la fluctuation des prix et de la demande du marché[7]. En étendant rapidement leurs activités au-delà de leurs marchés nationaux, ces entreprises verticalement intégrées ont pu alors contrôler un réseau dense et imbriqué de champs pétroliers et d’infrastructures de transport du pétrole s’étendant sur l’ensemble de la planète. Au milieu du 20ᵉ siècle, seulement sept de ces entreprises dominent la quasi-totalité de la production et du commerce du pétrole dans le monde[8]. Surnommées les « sept sœurs » (Seven Sisters) par leurs concurrent·es dans les années 1950, les grandes compagnies pétrolières qui demeurent aujourd’hui au centre des débats internationaux sur l’utilisation de l’énergie et la transition climatique – ExxonMobil, Chevron, BP, Royal Dutch Shell et autres – sont leurs descendantes directes[9].

Ces sept entreprises occidentales vont dominer le secteur pétrolier mondial jusque dans les années 1970, sans pour autant être toutes au même niveau. Malgré la présence internationale très marquée des principaux acteur·trices européen·nes, tel·les que Royal Dutch Shell (Royaume-Uni et Pays-Bas) et BP (Royaume-Uni), l’industrie se recentre progressivement sur les États-Unis au cours de la première moitié du 20ᵉ siècle. Cela s’explique notamment par la présence d’importantes réserves de pétrole aux États-Unis, qui vont faire de ce pays la plaque tournante de la production et de la consommation mondiales de pétrole brut pendant presque tout le 20ᵉ siècle[10]. Les compagnies pétrolières américaines occupent alors également une position dominante dans les grands pays producteurs de pétrole d’Amérique latine, comme le Venezuela. La suprématie de ces géants pétroliers américains va refléter la montée en puissance des États-Unis au cours de cette période, le système capitaliste mondial alimenté par le pétrole devenant de plus en plus synonyme d’un capitalisme centré sur les États-Unis.

Après la Seconde Guerre mondiale, les compagnies pétrolières américaines pénètrent finalement les principales régions pétrolières du Moyen-Orient, mettant un terme à la mainmise des compagnies européennes sur ces ressources. Mais des mouvements anticoloniaux et nationalistes radicaux en plein essor dans les principaux pays producteurs de pétrole du Moyen-Orient et d’Amérique latine commencent alors à contester le contrôle que les compagnies pétrolières occidentales exercent sur la production, le raffinage, les oléoducs et la fixation des prix du pétrole[11]. Ces mobilisations vont finalement aboutir à la création de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) en 1960, initialement composée de l’Arabie Saoudite, du Venezuela, de l’Irak, de l’Iran et du Koweït. À l’époque, les cinq pays membres de l’OPEP produisent environ 37 % du pétrole brut mondial, soit la majorité du pétrole produit en dehors des États-Unis. Au cours de la décennie suivante, le nombre de membres de l’organisation ne cessera d’augmenter. Aujourd’hui, la plupart des principaux pays producteurs de pétrole (à l’exception notable des États-Unis, de la Russie et du Canada) sont membres de l’OPEP.

Avec la création de l’OPEP, les gouvernements du Moyen-Orient et d’Amérique latine nationalisent progressivement leurs ressources pétrolières, et les compagnies pétrolières étatiques commencent à contrôler une grande partie de l’exploration et de la production de pétrole brut en dehors des États-Unis. Les plus grandes entreprises occidentales conservent leur hégémonie sur le raffinage et la commercialisation du pétrole en aval, mais la concurrence de puissantes CPN des principaux pays producteurs de pétrole non occidentaux va s’accroître dans les secteurs en amont.

Plus particulièrement, les entreprises occidentales vont progressivement perdre leur capacité à fixer le prix du pétrole, qui augmente de façon spectaculaire en 1973-1974, puis de nouveau en 1978-1980. La hausse des prix du pétrole, associée aux changements survenus dans la structure de propriété de l’industrie pétrolière, va entraîner une augmentation massive des excédents financiers (appelés plus tard les « pétrodollars ») vers les pays producteurs de pétrole, en particulier les pays du Golfe[12]. À la fin des années 1970, les entreprises occidentales possèdent moins d’un tiers du pétrole brut extrait en dehors des États-Unis.

Face aux pressions de la concurrence de l’OPEP et au recul des prix du pétrole à partir du milieu des années 1980, une importante vague de fusions d’entreprises s’amorce alors parmi les sociétés pétrolières occidentales. L’exemple le plus probant est la fusion des deux géants pétroliers américains Exxon et Mobil en 1999, qui a donné naissance à ExxonMobil, la plus grande entreprise privée du monde[13]. À l’époque, il s’agissait de la plus grande fusion industrielle de l’histoire, détrônant l’acquisition par BP de la société américaine Amoco en 1998, qui détenait jusque-là le record dans le secteur pétrolier. D’autres importantes fusions d’entreprises auront lieu à cette époque, notamment le rachat de Texaco par Chevron en 2001 et la fusion de Conoco Inc. et de Phillips Petroleum Company pour créer ConocoPhillips en 2002. En dehors des États-Unis, la grande société pétrolière française Total fusionne avec Petrofina en 1999, puis rachète Elf Aquitaine pour créer Total SA, aujourd’hui connue sous le nom de TotalEnergies. Ces fusions vont entraîner la reconfiguration de l’industrie pétrolière occidentale autour d’une poignée d’entreprises qui dominent aujourd’hui le secteur : ExxonMobil (États-Unis), BP (Grande-Bretagne), Royal Dutch Shell (Grande-Bretagne et Pays-Bas), Chevron (États-Unis), Eni (Italie), TotalEnergies (France) et ConocoPhillips (États-Unis).

Cette vague de consolidation industrielle s’accompagne d’autres transformations majeures dans le fonctionnement des compagnies pétrolières occidentales. En tant que plus grandes entreprises privées du monde, les supermajors pétrolières vont jouer un rôle déterminant dans le virage prononcé vers le capitalisme financier qui s’opère dans les années 1980 et 1990, en particulier sur les marchés financiers américains. On notera notamment l’importance croissante que ces entreprises accordent aux rachats d’actions, et la priorité accordée au versement de dividendes aux actionnaires – une caractéristique des sociétés pétrolières occidentales qui s’est maintenue jusqu’à aujourd’hui[14]. Avec un accès réduit aux gisements de pétrole conventionnels à terre (désormais contrôlés par les plus grandes compagnies pétrolières non occidentales), les multinationales pétrolières occidentales se tournent vers une production de pétrole à la fois écologiquement risquée et à forte intensité technologique, dans des zones où le pétrole est difficile à extraire (par exemple, le forage en eaux profondes et la fracturation hydraulique pour les ressources de schiste). En parallèle, ces entreprises continuent de développer leurs activités en aval du secteur, en particulier la production de produits pétrochimiques. Plusieurs supermajors occidentales vont également chercher à se présenter comme des « entreprises énergétiques », et ont même commencé à (faussement) se détourner du pétrole dans leur image de marque[15].

La Chine, le pétrole et l’économie politique du Golfe

À partir de la fin des années 1990, les caractéristiques structurelles de l’industrie mondiale du pétrole sont profondément bouleversées par l’ouverture de la Chine à l’économie mondialisée, et son positionnement au centre de l’industrie manufacturière mondiale. Alimentée par des flux de capitaux étrangers cherchant à tirer parti des énormes réserves de main-d’œuvre bon marché dont dispose le pays, l’émergence de la Chine en tant qu’« usine du monde » va entraîner un boom de la demande mondiale d’énergie, et la consommation annuelle de pétrole augmentera d’environ 30 % entre 2000 et 2019[16]. En 2000, la Chine ne représentait que 6 % de la demande mondiale de pétrole ; en 2019, le pays consommait environ 14 % du pétrole mondial, soit plus que n’importe quel autre pays, à l’exception des États-Unis. Les entreprises manufacturières chinoises étant situées au cœur d’un réseau de production régional plus vaste, la demande de pétrole et d’autres matières premières augmente de manière significative sur tout le continent asiatique. En 2019, la consommation de pétrole en Asie représentait près d’un tiers de la consommation mondiale totale, soit plus que celle de l’Europe, de la Russie, de l’Afrique, de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud réunies[17].

Bien que la Chine soit l’un des plus grands pays producteurs de pétrole au monde – elle se classait au cinquième rang mondial en 2010 – les réserves considérables dont dispose le pays ne suffisent pas à répondre à une demande nationale qui monte en flèche. Par conséquent, l’essor économique de la Chine a non seulement entraîné une augmentation de la consommation mondiale de pétrole, mais cela a également considérablement impacté le volume et l’orientation du commerce mondial du pétrole. Entièrement dépendante du pétrole provenant de l’étranger pour compléter ses réserves nationales, la nouvelle position de la Chine au sein de l’économie mondiale a réorienté l’exportation de pétrole depuis l’Ouest vers l’Est. En 2019, environ 45 % des exportations mondiales de pétrole étaient destinées à l’Asie, dont plus de la moitié à la seule Chine.[18] La plupart de ces approvisionnements pétroliers proviennent du Moyen-Orient, les pays du Golfe et l’Irak fournissant ensemble près de la moitié des importations chinoises de pétrole en 2020, contre environ un tiers en 2001[19]. Là encore, cette demande de pétrole du Moyen-Orient est une tendance panasiatique, et environ 70 % de toutes les exportations de pétrole brut du Moyen-Orient (principalement du Golfe) sont actuellement destinées à l’Asie.

La forte augmentation de la consommation de pétrole en Chine, et plus largement en Asie, a joué un rôle déterminant dans la flambée des prix mondiaux du pétrole au cours des deux premières décennies du nouveau millénaire, parmi d’autres facteurs[20]. Partant d’un prix mensuel moyen d’environ 25 dollars le baril en janvier 2000, les prix mondiaux du pétrole vont augmenter régulièrement au cours des années suivantes, pour finalement culminer à un peu moins de 150 dollars le baril au milieu de l’année 2008. La crise économique mondiale de 2008 sera suivie d’une légère baisse, mais les prix du pétrole reprennent leur tendance à la hausse à partir de janvier 2009, fluctuant autour de 100 dollars le baril pendant la plus grande partie de la période comprise entre 2011 et mi-2014[21]. Il faut noter qu’au cours de cette période, le pétrole se trouve au cœur d’une augmentation globale des prix des produits de base, notamment les métaux, les denrées alimentaires et les engrais. Tout comme les chocs pétroliers des années 1970, cette hausse des prix aura de graves conséquences pour les pays pauvres dépendant des importations de denrées alimentaires et d’énergie.

Pour les pays producteurs de pétrole, cependant, cette hausse constante des exportations et des prix pendant près de quatorze ans va représenter une véritable aubaine[22]. Pour les États du Golfe en particulier, la flambée des prix génère des milliers de milliards de dollars de capitaux excédentaires, une manne de pétrodollars qui va faire de la région du Golfe l’une des « nouvelles puissances » mondiales, selon le cabinet de conseil international McKinsey[23]. Mais ces réserves de capitaux excédentaires ne vont pas rester uniquement entre les mains des gouvernements des États du Golfe. Comme toujours par le passé, une grande partie de ces nouvelles richesses sera redirigée vers les secteurs privés de ces pays, contribuant à soutenir l’accumulation des profits des grands conglomérats d’entreprises capitalistes qui dominent l’économie politique dans la région[24]. Cela va se produire par le biais de divers mécanismes, notamment l’attribution de contrats d’État lucratifs pour la construction et le développement immobilier, la promotion de coentreprises et de partenariats entre les entreprises publiques et privées, et l’octroi de prêts généreux aux grandes entreprises privées par les banques d’État. En outre, les marchés boursiers du Golfe deviennent un canal important pour l’accumulation de capitaux nationaux, les actions des grandes entreprises publiques étant partiellement cotées sur ces marchés, ce qui permet aux citoyen·nes fortuné·es d’accéder à une partie des revenus générés par ces entreprises. L’exemple le plus notable de ce dernier cas est la cotation historique de 1,5 % de Saudi Aramco à la bourse de Riyad en 2019. Cette émission d’actions, envisagée une première fois par le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane en 2016, est la plus importante de l’histoire. Avec une valeur d’un peu moins de 2 000 milliards de dollars, Aramco a dépassé Apple pour devenir l’entreprise la plus lucrative du monde.

Les pétrodollars du Golfe vont également trouver leur place sur les marchés financiers internationaux. Auparavant, les capitaux excédentaires de la région étaient principalement investis en Amérique du Nord et en Europe occidentale, jouant un rôle central dans le développement de la nouvelle architecture financière internationale. Pendant le boom pétrolier du nouveau millénaire, les États occidentaux restent une destination importante pour les investissements provenant des pays du Golfe, mais une part croissante de la richesse privée et publique de ces États cible également les autres pays du monde arabe, attirés par les opportunités d’investissement qui émergent à la suite de l’adoption de programmes d’ajustement structurel par de nombreux gouvernements de la région à partir du début des années 2000[25]. Cette internationalisation des capitaux du Golfe a permis aux conglomérats publics et privés basés dans la région d’occuper une position dominante dans des secteurs économiques clés au Moyen-Orient, notamment l’immobilier et la construction, la logistique, la banque et la finance, l’agro-industrie, la vente au détail et les infrastructures[26].

Ainsi, l’insatiable appétit énergétique de l’Asie est intimement lié à l’émergence d’une économie régionale au Moyen-Orient, dont le cœur bat au rythme de l’accumulation de capital dans le Golfe.

Raffinage et pétrochimie

Lorsque l’on aborde ces changements géographiques dans le commerce international du pétrole, il est essentiel de garder à l’esprit que le pétrole brut est un produit de base qui a peu d’utilité pratique avant sa transformation en divers types de combustibles liquides ou matières premières. C’est pourquoi, si l’on cherche à cartographier les nouveaux modes de contrôle du pétrole, il est nécessaire de prendre en compte le segment « aval » de l’industrie pétrolière, en particulier l’étape essentielle du raffinage. Pendant la majeure partie du 20ᵉ siècle, les segments en aval de l’industrie pétrolière mondiale étaient presque entièrement gérés par les plus grandes compagnies pétrolières occidentales. En effet, c’est grâce à leur contrôle du raffinage et de la commercialisation du pétrole que ces compagnies sont parvenues à maintenir leur monopole sur les marchés après la nationalisation des réserves de pétrole brut par l’OPEP dans les années 1970. La propriété des raffineries du monde entier est alors concentrée entre les mains d’un très petit nombre d’entreprises, au premier rang desquelles se trouvent les supermajors occidentales. En 1999, par exemple, quinze entreprises seulement détenaient environ 40 % de la capacité de raffinage mondiale, Royal Dutch Shell, Exxon et BP Amoco occupant trois des quatre premières places[27]. Aujourd’hui, cette longue domination occidentale sur le raffinage s’est considérablement érodée. Près de la moitié des quinze premières entreprises mondiales sont désormais des CPN, les première, deuxième et quatrième places étant occupées par des entreprises chinoises et saoudiennes (Sinopec, Chinese National Petroleum Corporation et Saudi Aramco). Seul ExxonMobil fait encore partie des quatre premières entreprises mondiales de raffinerie. La concentration géographique du raffinage s’est également délitée, reflétant ce glissement vers l’est des exportations de pétrole brut. Au début des années 1990, près de la moitié de la capacité mondiale de raffinage était située en Amérique du Nord et en Europe. Aujourd’hui, elles en détiennent environ un tiers. En revanche, la capacité de l’Asie va tripler entre 1992 et 2020, le nombre absolu de raffineries de pétrole dans la région ayant été multiplié par plus de 2,5. En 2020, la part de l’Asie dans la capacité mondiale de raffinage s’élevait à 37 %, soit plus que l’Amérique du Nord et l’Europe réunies.

La seule autre région du monde qui va voir sa capacité de raffinage augmenter est le Moyen-Orient. Sa capacité absolue a plus que doublé entre 1992 et 2020, et la région détient désormais 10 % de la capacité totale mondiale des raffineries. Fait notable, les deux tiers de toutes les raffineries de pétrole construites au cours des cinq dernières années, et plus de 80 % de celles actuellement en construction, se trouvent au Moyen-Orient et en Asie[28]. Comme pour les exportations de pétrole brut, la croissance du raffinage est étroitement liée aux réseaux de production en Chine et dans l’ensemble du continent asiatique. Le pétrole brut est soit extrait au Moyen-Orient et exporté vers la Chine ou un autre pays asiatique pour y être raffiné, soit extrait et raffiné au Moyen-Orient puis exporté vers l’Asie. Les carburants raffinés et les produits chimiques produits à partir du pétrole du Moyen-Orient entrent ainsi dans les chaînes de production asiatiques, où ils sont transformés en produits de base puis consommés dans le monde entier. Dans cette configuration, le processus de raffinage est dominé par de grandes compagnies pétrolières nationales ayant leur siège au Moyen-Orient, en Chine et dans toute l’Asie, les entreprises occidentales occupant une position relativement marginale dans ce sous-secteur.

Les produits pétrochimiques, qui constituent l’intrant de base des plastiques et autres matériaux synthétiques, sont un maillon essentiel des chaînes de production asiatiques[29]. Avec la domination croissante de la Chine dans le secteur manufacturier, la consommation de produits pétrochimiques a explosé, et une grande partie de cette demande est satisfaite par des usines pétrochimiques situées dans le Golfe. Le plus important de ces produits est l’éthylène, souvent décrit comme « le produit chimique le plus important au monde », car nécessaire à la fabrication d’emballages, de matériaux de construction et de pièces automobiles[30]. Entre 2008 et 2017, la part des économies du Golfe dans la capacité de production d’éthylène est passée de 11,5 % à 19 %. Au cours de cette période, la région est passée du quatrième au deuxième rang mondial dans la production d’éthylène, juste derrière l’Amérique du Nord (dont la part dans la capacité de production mondiale d’éthylène a chuté de 27 % à 21 %)[31]. Ce produit chimique essentiel est fabriqué dans d’immenses raffineries intégrées et complexes pétrochimiques situé·es en Arabie Saoudite, aux Émirats Arabes Unis (EAU) et dans d’autres pays du Golfe, puis exporté vers l’est. Ainsi, un peu moins de la moitié de toutes les importations chinoises d’éthylène proviennent aujourd’hui du Moyen-Orient. L’émergence de la Chine en tant qu’« usine du monde » n’aurait pas été possible sans ces flux de produits chimiques raffinés depuis le Moyen-Orient vers l’Asie.

Ces évolutions ont propulsé les entreprises du Golfe au centre de l’industrie pétrochimique mondiale. L’entreprise la plus puissante est la Saudi Basic Industries Corporation (SABIC), qui occupe aujourd’hui le quatrième rang mondial des entreprises chimiques en termes de chiffre d’affaires, alors qu’elle se classait au 29ᵉ rang en 2000[32]. La SABIC a été créée par décret royal saoudien en 1976, dans le but d’utiliser le pétrole brut et le gaz du pays pour fabriquer des produits chimiques de base destinés à toute une palette d’industries, notamment l’automobile, l’agriculture, la construction et l’emballage. Au début des années 2000, l’entreprise commence à se développer à l’international en investissant en Europe et aux États-Unis. L’acquisition de la branche plastique de l’entreprise américaine General Electric en 2007 est une étape importante qui va permettre à l’entreprise de franchir un pas décisif dans la production de produits pétrochimiques avancés. Depuis, la SABIC continue de se développer et exerce aujourd’hui ses activités dans plus de 50 pays à travers le monde.

Jusqu’à récemment, la SABIC était détenue à 70 % par l’État saoudien, les 30 % restants étant cotés à la bourse saoudienne. Mais en 2000, la part de la SABIC détenue par l’État a été rachetée par Aramco, dans le cadre d’une restructuration significative de l’industrie pétrolière saoudienne qui illustre la forte tendance à l’intégration verticale dans les économies du Golfe. De même, les principales entreprises pétrochimiques des Émirats Arabes Unis, du Koweït, du Qatar et d’Oman sont toutes des filiales de CPN contrôlées par les États. Ces entreprises pétrochimiques publiques sont étroitement liées aux conglomérats d’entreprises privées basés dans le Golfe, par le biais de coentreprises et de partenariats stratégiques, ainsi que par la cotation partielle de sociétés telles que la SABIC sur les marchés boursiers de la région[33]. Le secteur pétrochimique constitue un autre canal privilégié pour l’accumulation de richesses privées dans les pays du Golfe.

Une nouvelle interdépendance « Est-Est »

Ces évolutions confirment les fortes relations d’interdépendance qui se développent entre le Moyen-Orient (en particulier la région du Golfe) et l’Asie (en particulier la Chine) dans le secteur pétrolier. Et cela va bien au-delà de la simple exportation de pétrole brut du Moyen-Orient vers l’Asie ; il s’agit d’un processus générant une augmentation considérable des investissements interrégionaux entre ces deux régions. Ces investissements proviennent à la fois des grandes compagnies pétrolières nationales des pays du Golfe et d’Asie, ainsi que des principaux conglomérats d’entreprises privées situés dans les deux régions. Grâce à ces flux de capitaux, toutes les étapes de la chaîne de valeur du pétrole sont étroitement imbriquées, du raffinage à la production pétrochimique et à la circulation des produits pétroliers jusqu’aux consommateur·trices. Les intérêts des pays du Golfe en matière d’hydrocarbures sont donc intégrés dans les réseaux de production asiatiques, et vice versa. Au niveau politique, ces liens se sont également appuyés sur le développement de relations diplomatiques beaucoup plus étroites entre les deux régions, matérialisées par une batterie de récents accords bilatéraux, de visites gouvernementales de haut niveau et de diverses autres initiatives diplomatiques.

Pour se faire une idée plus précise de ces flux de capitaux et de leurs retombées, il est essentiel d’étudier toutes les composantes du circuit des hydrocarbures, en amont, en aval ainsi que les activités telles que le transport, le forage, le stockage et l’installation d’oléoducs. Dans l’ensemble de ces activités liées au pétrole, la Chine a investi plus de 76 milliards de dollars à l’étranger entre 2012 et 2021[34]. La première phase de ces investissements chinois (2012-2016) a suivi l’annonce de la création des Nouvelles routes de la soie (ou « Initiative Une ceinture, une route » – Belt and Road Initiative en anglais (BRI)), et s’est concentrée principalement sur l’Amérique du Nord, l’Europe occidentale, la Russie et l’Asie centrale. Après 2016, cependant, on a assisté à une réorientation marquée des investissements pétroliers chinois à l’étranger. Entre 2017 et 2021, plus de 30 % des investissements chinois dans les activités liées au pétrole ont été destinés à la région du Moyen-Orient, soit plus que toute autre région du monde, et la part relative du Moyen-Orient dans les destinations des investissements a été multipliée par cinq par rapport à la période 2012-2016.

Ces investissements ont permis aux entreprises chinoises de gagner une place importante dans les industries pétrolières de l’ensemble du Moyen-Orient. Aux Émirats Arabes Unis, par exemple, les entreprises chinoises sont des partenaires de premier plan de l’entreprise publique Abu Dhabi National Oil Company (ADNOC), et détiennent des parts importantes dans des champs pétroliers terrestres et offshore. En Irak, une entreprise privée chinoise exploite désormais le gisement « supergéant » de Majnoun, l’un des plus grands champs pétroliers du monde. Au Koweït, une filiale de la société pétrolière chinoise Sinopec est devenue la plus grande entrepreneuse de forage pétrolier, contrôlant 45 % des contrats de forage dans le pays. L’accord le plus ambitieux consacrant la participation de la Chine au secteur pétrolier du Moyen-Orient a été finalisé en 2021 ; elle participe désormais au capital d’une coentreprise multinationale qui détient 49 % du capital d’Aramco Oil Pipelines Co, une société qui percevra des droits tarifaires pendant 25 ans pour le pétrole transporté par le réseau d’oléoducs d’Aramco en Arabie Saoudite.

Parallèlement à cet afflux d’investissements chinois au Moyen-Orient, les pays du Golfe sont devenus la principale présence étrangère dans le secteur pétrolier chinois, grâce à de nombreuses coentreprises impliquant des sociétés chinoises. Ces projets visent à assurer une part de marché aux exportations de pétrole brut des pays du Golfe, et incluent des raffineries, des usines pétrochimiques, des infrastructures de transport et des réseaux de commercialisation des carburants. À titre d’exemple, on peut notamment citer la Sino-Kuwait Integrated Refinery and Petrochemical Complex, une coentreprise détenue à parts égales (50/50) par Sinopec et Kuwait Petroleum Corporation. Elle est la plus grande coentreprise de raffinerie en Chine, et contrôle le plus grand port pétrochimique du pays, achevé en mai 2020. La raffinerie et le port sont considéré·es comme faisant partie intégrante du projet chinois « Une ceinture, une route », car ces équipements permettent à la Chine d’importer du pétrole brut depuis le Golfe pour fabriquer des carburants et autres produits chimiques de base, qui seront ensuite exportés vers les pays asiatiques voisins. Pour sa part, la présence significative de l’Arabie Saoudite en Chine se matérialise par plusieurs grandes coentreprises entre Saudi Aramco et des sociétés chinoises actives dans le secteur du raffinage et de la pétrochimie, ainsi que par un réseau de plus de 1 000 stations-service dans le Fujian, première province à créer une coentreprise de vente au détail de carburant à l’échelle provinciale. Ces partenariats impliquent des CPN chinoises, telles que Sinopec, ainsi que d’importantes sociétés privées de raffinage, qui contrôlent environ 30  % des volumes de raffinage de pétrole brut dans le pays. Parmi les pays du Golfe, le Qatar est également un investisseur important dans le secteur de l’énergie en Chine, où ses activités se concentrent particulièrement sur la sécurisation des marchés pour ses exportations de gaz naturel liquéfié (GNL).

Cette expansion de l’industrie des hydrocarbures des pays du Golfe en Chine s’inscrit dans le cadre d’une pénétration marquée de ces États dans les secteurs pétroliers d’autres pays asiatiques. En effet, entre 2012 et 2021, près de la moitié de tous les investissements étrangers (en valeur) hors Asie dans les actifs pétroliers asiatiques provenaient du Golfe, notamment les quatre plus grandes transactions réalisées au cours de cette période[35]. À travers ces investissements, les entreprises du Golfe ont cherché à développer leur production de produits pétroliers raffinés et de produits chimiques de base directement en Asie (en utilisant des matières premières brutes importées du Golfe), qui sont ensuite distribués sur le continent par les branches commerciales de ces entreprises. En Asie, les principales cibles de cette diversification en aval des activités des compagnies pétrolières du Golfe sont la Corée du Sud, Singapour, la Malaisie et le Japon. Dans ces quatre pays, qui possèdent tous une capacité industrielle établie souvent étroitement liée à l’accumulation de capitaux nationaux, les entreprises du Golfe ont acquis tout ou partie d’importantes sociétés, et ont également conclu d’autres types de partenariats, notamment des coentreprises.

Sans surprise, la première entreprise du Golfe à ouvrir le bal a été Saudi Aramco, qui bénéficie désormais d’une présence notable dans les principaux États asiatiques. En 2015, par exemple, Aramco a pris le contrôle de la société sud-coréenne S-Oil, troisième plus grande entreprise de raffinage du pays avec environ 25 % de part de marché, et qui exploite la sixième plus grande raffinerie du monde, située à Ulsan, en Corée du Sud. Cette acquisition a permis à S-Oil d’accroître sa capacité pétrochimique en Corée, et l’entreprise est aujourd’hui l’une des principales productrices de divers carburants raffinés et produits chimiques de base, que la branche commerciale régionale de Saudi Aramco (Aramco Trading Singapore) exporte ensuite vers d’autres pays asiatiques. Toujours en Corée du Sud, Aramco est devenue en 2019 la deuxième entreprise actionnaire de Hyundai Oilbank, après avoir acheté 17 % des actions de la société. Hyundai Oilbank est la quatrième plus grande société de raffinage en Corée, majoritairement détenue par le conglomérat industriel Hyundai. En Malaisie, Saudi Aramco construit actuellement une raffinerie et une usine pétrochimique qui, une fois achevée, devrait être la plus grande usine pétrochimique d’Asie. Le projet se déploie dans le cadre d’une coentreprise 50/50 avec la CPN malaisienne Petronas. Au Japon, la multinationale saoudienne est devenue en 2019 la deuxième actionnaire d’Idemitsu Kosan. L’entreprise se place en deuxième position des plus importantes raffineries japonaises, et contrôle environ un tiers du marché national des produits pétroliers, avec six raffineries et un réseau de 6 400 stations-service.

Comment appréhender le Moyen-Orient face à l’urgence climatique

Puisque les CPN des pays du Golfe et d’autres entreprises capitalistes ne se contentent pas d’être des fournisseuses de pétrole brut, mais investissent de plus en plus dans les réseaux de production asiatiques, nous devons repenser notre approche de la géographie de l’industrie mondiale des combustibles fossiles. Il ne suffit pas de se focaliser uniquement sur la réduction de la consommation directe de combustibles fossiles, ou des émissions de carbone dans les centres occidentaux traditionnels. La production mondiale de matières premières, ainsi qu’une grande partie de la consommation effective en Amérique du Nord et en Europe occidentale, reste ancrée dans un réseau de capitalisme fossile qui relie les champs pétrolifères, les raffineries et les usines moyen-orientales et asiatiques. Les profondes interdépendances développées le long de cet axe sont une composante majeure de l’accumulation de capital dans les deux régions, et contribuent à soutenir le pouvoir des élites étatiques et économiques. D’un point de vue écologique, cette interdépendance « Est-Est » sert à réinscrire les combustibles fossiles au cœur des chaînes de production mondiales, ce qui constitue un obstacle de taille à toute transition écologique réussie.

Ces mutations internationales révèlent pourquoi les pays du Golfe n’ont pas l’intention de réduire leur production de combustibles fossiles dans un avenir proche. En tant qu’États capitalistes, leurs intérêts stratégiques résident plutôt dans la continuation d’un modèle économique basé sur la consommation de pétrole, aussi longtemps que possible. En 2021, le ministre saoudien de l’énergie, le prince Abdelaziz ben Salmane, a exprimé cette position sans détour en promettant que « chaque molécule d’hydrocarbure sera extraite », tandis qu’il est prévu d’augmenter la capacité de production de pétrole du royaume de plus de 8 % d’ici 2027, pour atteindre 13 millions de barils par jour[36]. Dans cette optique, Saudi Aramco a davantage investi dans l’expansion des champs pétroliers en 2022 que n’importe quelle autre entreprise au monde. À ce sujet, le Financial Times a indiqué qu’Aramco « redouble d’efforts » dans le domaine du pétrole, avec pour objectif d’être « la dernière grande compagnie pétrolière en activité », en « pariant qu’elle peut continuer à faire ce qu’elle fait le mieux : pomper du pétrole pour les décennies à venir et asseoir sa domination sur le marché, à mesure que les autres producteur·trices réduisent leurs activités »[37]. Tous les pays du Golfe riches en hydrocarbures ont fait part de leur intention de suivre la même voie.

Mais cela ne signifie pas pour autant que les monarchies du Golfe nient la réalité du changement climatique, ni qu’elles se tiennent à l’écart de la ruée mondiale vers les nouvelles technologies « vertes ». En réalité, c’est exactement le contraire qui se produit. Toutes les principales CPN de la région du Golfe ont exprimé leur soutien aux objectifs de l’Accord de Paris, et ont approuvé les engagements de leurs pays en matière de neutralité carbone[38]. Ces entreprises investissent également massivement dans l’hydrogène, la capture du carbone et l’énergie solaire, dans le but explicite de devenir les leaders mondiaux dans ces technologies. Sur le devant de la scène internationale, les pays du Golfe ont occupé une position de premier plan dans les débats régionaux et internationaux sur le sujet, tels que la COP27 et la COP28. Par exemple, lors de la COP27 qui s’est tenue en Égypte en 2022, le plus grand pavillon national était celui de l’Arabie Saoudite, suivi de ceux des Émirats Arabes Unis, du Qatar et de Bahreïn. Avec une surface de 1 008 mètres carrés, le pavillon saoudien était littéralement deux fois plus grand que le pavillon abritant l’ensemble des pays africains, qui sont pourtant les plus directement menacés par les effets du changement climatique. Quant à la prochaine COP28, elle aura lieu aux Émirats Arabes Unis.

Tout cela illustre le fait que les pays du Golfe ne voient aucune contradiction entre l’adoption de « solutions à faible émission de carbone », et la poursuite et l’accélération de la production de combustibles fossiles. Il est important de noter qu’il ne s’agit pas d’un simple exercice rhétorique d’écoblanchiment, mais que dans une large mesure, l’expansion du secteur des énergies renouvelables constitue une étape nécessaire pour permettre aux pays du Golfe de vendre davantage de pétrole et de gaz. Avec des niveaux de consommation d’énergie très élevés, la substitution domestique du pétrole et du gaz par des sources d’énergie alternatives dans ces pays signifie que davantage de combustibles fossiles peuvent être destinés à l’exportation. C’est d’ailleurs ce raisonnement qui sous-tend explicitement le projet de l’Arabie Saoudite de produire la moitié de l’électricité du pays à partir de sources d’énergie renouvelables d’ici 2030 (c’est à dire avant la plupart des autres régions du monde, y compris l’Union européenne). Comme l’a déclaré le prince Abdelaziz ben Salmane, un tel passage aux énergies renouvelables est envisagé comme une « situation triplement gagnante » : des exportations de pétrole plus importantes, des factures d’énergie moins élevées à l’intérieur du pays et le prestige d’atteindre ses objectifs en matière d’émissions[39].

Les technologies et infrastructures énergétiques associées à la transition verte offrent également des opportunités lucratives aux entreprises des États du Golfe, notamment les compagnies pétrolières nationales telles que Saudi Aramco. En décembre 2022, l’Arabie Saoudite est devenue le premier pays au monde à exporter une cargaison d’« hydrogène bleu ». La cargaison était destinée à la Corée du Sud, ce qui laisse présager que l’axe Est-Est du pétrole mondial prendra bientôt le virage des énergies renouvelables[40]. Les Émirats Arabes Unis, Bahreïn, Oman et le Koweït prévoient tous d’installer d’immenses sites de production d’hydrogène sur leur territoire, hissant bientôt le Golfe au rang de plus grande région productrice d’hydrogène au monde[41]. De la même manière, la capture du carbone et l’énergie solaire bénéficient d’investissements importants de la part des gouvernements de la région, là encore souvent par l’intermédiaire des CPN. Toutes les grandes entreprises du Moyen-Orient spécialisées dans les énergies renouvelables, telles que Masdar (EAU), ACWA Power (Arabie Saoudite) et Nebras Power (Qatar), sont basées dans le Golfe. Grâce à ces entreprises et à leur hégémonie sur le marché émergeant des énergies renouvelables, la région du Golfe jouera un rôle déterminant dans l’orientation de toute transition « verte » au Moyen-Orient.

En se positionnant comme les nouveaux acteurs clés de la lutte contre le réchauffement climatique, les pays du Golfe occultent leur rôle central dans le système capitaliste fossile mondialisé. Il s’agit là du véritable objectif de leur leadership dans les délibérations de la COP27 et de la COP28, à savoir contrôler la réponse internationale au changement climatique et résister à toute tentative de transformation d’un ordre mondial centré sur le pétrole. Mais ces réalités lient aussi pleinement les luttes politiques au Moyen-Orient à l’avenir de l’humanité sur la planète. Puisque les monarchies du Golfe trônent au sommet de la pyramide des inégalités extrêmes de richesse et de pouvoir dans la région, les mouvements sociaux visant à remettre en cause ces régimes et à obtenir la justice sociale et économique dans toute la région doivent être considérés comme des alliés essentiels de la lutte pour l’écologie à l’échelle mondiale. Une approche de la crise climatique qui ignore le rôle des pays du Golfe et les politiques menées dans la région au sens large, ne concentrant ses feux que sur les gouvernements et l’industrie pétrolière occidentaux, n’est pas seulement en décalage avec les réalités du secteur du pétrole mondial, mais s’avère aussi inadaptée pour répondre aux défis colossaux engendrés par la crise climatique.

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Adam Hanieh est professeur d’économie politique et de développement international à l’IAIS, Université d’Exeter, et titulaire d’une chaire conjointe à l’Institut d’études internationales et régionales (IIAS) de l’Université Tsinghua, à Beijing, en Chine. Il a publié quatre ouvrages qui explorent les différentes facettes économiques et politiques du Moyen-Orient. Son dernier ouvrage, Money, Markets, and Monarchies : The Gulf Cooperation Council and the Political Economy of the Contemporary Middle East, publié par les presses universitaires de Cambridge en 2018, a reçu le prix 2019 du livre décerné par l’Association britannique d’études internationales (International Political Economy Group Book Prize), et le prix 2019 du livre d’économie politique de l’Institut d’études arabes (Arab Studies Institute).

Illustration : Wikimedia Commons.

Notes

[1] Certains passages de cet article s’inspirent du chapitre « World oil : Contemporary transformations in ownership and control » du même auteur, dans Albo, G., Aschoff, N. et Saad-Filho, A. (éds.) Socialist Register 2023, n°59, Merlin Press, 2022.

[2] Christian Aid, Counting the cost 2022: A year of climate breakdown, https://tinyurl.com/5bhn5344.

[3] Sauf indication contraire, le terme « Asie » est utilisé dans ce chapitre en référence aux principaux pays consommateurs de pétrole en Asie de l’Est et du Sud-Est, notamment la Chine (et Hong-Kong), le Japon, la Corée du Sud, Taïwan, l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Vietnam.

[4] Malm, A., Fossil Capital: The Rise of Steam Power and the Roots of Global Warming, Brooklyn, Verso, 2016.

[5]  Carrington, D. et Taylor, M., « Revealed: The “carbon bombs” set to trigger catastrophic climate breakdown », The Guardian, 11 mai 2022.

[6] De nombreux travaux éclairants ont été publiés à ce sujet. Voir en particulier Mitchell, T., Carbon Democracy, New York, Verso, 2011 ; Huber, M. T., Lifeblood, Minneapolis, Presses universitaires du Minnesota, 2013 ; Garavini, G., The Rise and Fall of OPEC in the Twentieth Century, Londres, Presses universitaires d’Oxford, 2019.

[7] L’ouvrage The Control of Oil de John Malcolm Blair paru aux éditions Pantheon Books en 1976 présente une ancienne mais très pertinente analyse de l’industrie pétrolière occidentale.

[8] En 1949, environ deux tiers des réserves mondiales connues de pétrole brut, et plus de la moitié de la production et du raffinage de pétrole brut dans le monde étaient contrôlés par ces entreprises. En dehors des États-Unis, ces sociétés détenaient plus de 82 % de toutes les réserves de pétrole brut connues, 86 % de la production, 77 % de la capacité de raffinage et 85 % des usines de craquage, utilisées pour la fabrication de produits pétrochimique. On estime que ces entreprises possédaient à elles seules au moins la moitié de la flotte mondiale de pétroliers en 1949, et environ deux tiers des pétroliers sous pavillon privé (voir Commission fédérale du commerce, Congrès des États-Unis, Comité sénatorial spécial sur les petites entreprises, Sous-comité sur les monopoles, The International Petroleum Cartel, Washington, Gouvernement des États-Unis, 1975).

[9] Les « sept sœurs » rassemblaient à l’origine la Compagnie pétrolière anglo-iranienne (d’abord appelée anglo-persienne, aujourd’hui BP), Royal Dutch Shell, la Standard Oil Company of California (aujourd’hui fusionnée avec Chevron), Gulf Oil (aujourd’hui fusionnée avec Chevron), Texaco (aujourd’hui fusionnée avec Chevron), la Standard Oil Company du New Jersey (Esso, plus tard Exxon, aujourd’hui composante d’ExxonMobil), et la Standard Oil Company of New York (Socony, plus tard Mobil, aujourd’hui composante d’ExxonMobil).

[10] See Huber, Lifeblood, et Blair, Control of Oil, op. cit.

[11] Dietrich, C. R. W., Oil Revolution, Presses universitaires de Cambridge, 2017 ; Garavini, The Rise and Fall of OPEC, op. cit.

[12] Hanieh, Money, Markets, and Monarchies: The Gulf Cooperation Council and the Political Economy of the Contemporary Middle East, Presses universitaires de Cambridge, 2018.

[13] Congrès des États-Unis, Commission pour le commerce de la Chambre des représentants, Sous-comité pour l’énergie et l’électricité, « The Exxon-Mobil Merger: Hearings before the Subcommittee on Energy and Power of the Committee on Commerce, House of Representatives, One Hundred Sixth Congress, first session, 10 and 11 March », Washington, Gouvernement des États-Unis, 1999, p. 4.

[14] En 1982, un changement dans la réglementation mis en œuvre par la Securities and Exchange Commission permet aux entreprises de racheter leurs propres actions sur le marché libre sous certaines conditions, en fonction des volumes de transactions (souvent financées par l’endettement). La réduction du nombre d’actions entraîne une augmentation du prix des actions des entreprises, permettant aux cadres supérieur·es de gagner des millions de dollars grâce à l’exercice de leurs options d’achat d’actions. Les compagnies pétrolières américaines seront les précurseures de cette pratique ; en effet, entre 2003 et 2012, ExxonMobil a été la plus grande société de rachat d’actions sur les marchés financiers américains. Voir Lazonick, W., « Profits without prosperity », Harvard Business Review, septembre 2014.

[15] L’exemple le plus notoire est sans doute celui de la British Petroleum, rebaptisée BP en 2000, affichant un nouveau slogan « Beyond Petroleum » (au-delà du pétrole) et un nouveau logo vert en forme de soleil. À l’époque, BP était encore la deuxième compagnie pétrolière au monde, et avait plus investi pour sa nouvelle image de marque que dans les énergies renouvelables.

[16] Les chiffres cités dans ce paragraphe sont tirés du rapport annuel 2021 sur l’énergie publié par la compagnie pétrolière italienne Eni, disponible en anglais sur https://tinyurl.com/54ynz8h8.

[17] Voir la référence n°3 sur l’emploi du terme « Asie » dans cet article.

[18] BP, Bilan statistique 2020 de l’énergie dans le monde, 2020, p. 30, https://tinyurl.com/3aw4xdaz.

[19] Ibid.

[20] Cette flambée des prix du pétrole, étroitement liée à la financiarisation du pétrole et au rôle des marchés financiers dans la détermination des prix, fait l’objet d’un vaste débat. Voir Labban, M., « Oil in parallax : scarcity, markets, and the financialization of accumulation », Geoforum, vol. 41, n°4-2010 : 541-552 ; et Hanieh, « The commodities fetish ? Financialisation and finance capital in the US oil industry », Historical Materialism, vol. 29, n° 4-2021 : 70-113.

[21] Les prix ont ensuite fluctué entre 30 et 70 dollars le baril, jusqu’à la pandémie de Covid-19 qui a entraîné une réduction drastique de la demande en 2020. Depuis lors, les prix ont augmenté de manière significative avec la levée des restrictions liées à la pandémie et la guerre en Ukraine.

[22] Les prix élevés du pétrole ont également eu un impact majeur sur les compagnies pétrolières occidentales. Cela a surtout encouragé la production de pétrole et de gaz dits « non conventionnels », c’est-à-dire des réserves dont l’extraction est plus difficile et nettement plus coûteuse que celle des combustibles fossiles conventionnels. À cet égard, les schistes américains, pétrole brut contenu dans des schistes ou des grès peu perméables et généralement extrait par fracturation de la roche au moyen d’un liquide sous pression (d’où le terme « fracturation hydraulique »), revêtent une importance particulière. Dans ce contexte, la flambée des prix du pétrole entre 2000 et 2014 a contribué à attirer d’importants investissements pour l’exploitation des gisements de schiste en Amérique du Nord, la production de pétrole de schiste américain ayant été multipliée par plus de dix entre 2007 et 2014.

[23] McKinsey Global Institute, The New Power Brokers: How Oil, Asia, Hedge Funds, and Private Equity are Shaping Global Capital Markets, McKinsey & Company, 2007, https://tinyurl.com/2p8n7pu5.

[24] Hanieh, Money, Markets, and Monarchies, chapitre 3.

[25] Les chiffres couramment cités indiquent qu’environ 50 à 55 % de tous les investissements provenant du Golfe dans les années 2000 sont allés vers les marchés américains, 20 % vers l’Europe, 10 à 15 % vers l’Asie et 10 à 15 % vers le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

[26] Hanieh, op.cit.

[27] A ce sujet, voir Hanieh, « World oil », où sont citées également toutes les sources des chiffres présentés dans cette partie.

[28] International Energy Agency, « World Energy Investment 2020 », 2020, p. 48, www.iea.org/reports/world-energy-investment-2020.

[29] Pour une analyse sur les produits pétrochimiques et leur place dans la recherche sur le pétrole, voir Hanieh, A., « Petrochemical empire : The geo-politics of fossil-fueld production », New Left Review, n° 130, juillet-août 2021 : 25-51.

[30] Environ 75 % de la demande mondiale en éthylène provient de ces trois branches de production. Voir Chemicals Association, « Ethylene a litmus test for the chemical industry », 2019, p. 2.

[31] Deloitte, « The future of petrochemicals: Growth surrounded by uncertainty », Deloitte Development LLC, 2019, p. 4, https://tinyurl.com/3ha2ee5m.

[32] C&EN, « C&EN’s Global Top 50 chemical firms for 2022 », https://tinyurl.com/mrk4b2my.

[33] Hanieh, Money, Markets, and Monarchies, op. cit.

[34] Les chiffres cités dans ce paragraphe ont été calculés par l’auteur à partir de la base de données Orbis, disponible sur https://tinyurl.com/998yv68b. Ils concernent les investissements dans la production en amont ainsi que dans le raffinage, la production pétrochimique et les équipements pétroliers et gaziers (forage, pipelines, etc.).

[35] Chiffres calculés par l’auteur à partir des données Orbis. L’Asie renvoie ici à la Chine (et Hong-Kong), Taïwan, la Corée du Sud, la Malaisie, l’Indonésie, le Japon, la Thaïlande, Singapour et les Philippines.

[36] Javier Blas, J. « The Saudi prince of oil prices vows to drill “every last molecule” », Bloomberg, 22 juillet 2021, https://tinyurl.com/53s2w6fm.

[37] Wilson, T., « Saudi Aramco bets on being the last oil major standing », Financial Times, 23 janvier 2023, https://on.ft.com/3W5eAWU

[38] A l’exception du Qatar, tous les pays du Golfe ont désormais des dates butoirs pour atteindre la neutralité carbone.

[39] England A. et Al-Atrush, S., « Saudi Arabia’s green agenda: renewables at home, oil abroad », Financial Times, 22 novembre 2022, https://tinyurl.com/yeyud3xb.

[40] L’hydrogène bleu est une forme de production d’hydrogène dérivée du gaz naturel. De nombreux défenseur·euses de l’environnement le considèrent comme le cheval de Troie de l’industrie des combustibles fossiles, car sa production engendrera certainement une forte augmentation de la demande en gaz.

[41] Le Qatar semble axer sa stratégie sur ses abondantes réserves de gaz naturel, destinées à être exportées à l’étranger pour la production d’hydrogène bleu.

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