En solidarité avec la résistance ukrainienne, pour un mouvement international contre la guerre
Face à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, et à ses conséquences meurtrières, s’est ouvert un débat stratégique à gauche sur la politique que devrait défendre celle-ci en solidarité avec le peuple ukrainien ; débat auquel Contretemps a donné une large place ces dernières semaines.
Pierre Rousset et Mark Johnson développent ici ce qu’ils considèrent comme les tâches des forces de gauche et, en particulier, de la gauche occidentale. Ils espèrent ainsi contribuer au débat et à la construction du mouvement pour la paix, à la solidarité avec la gauche et les mouvements sociaux ukrainiens, au soutien aux réfugiés et à l’antiracisme, ainsi qu’au renforcement des alternatives à l’impérialisme à l’ouest et à l’est du sous-continent européen.
Nous vivons dans un monde de guerre permanente. Ce conflit a un impact mondial, sur les prix des denrées alimentaires et du carburant, sur les relations commerciales, sur l’intégration régionale et sur la façon dont la gauche comprend la guerre, l’impérialisme et la solidarité.
Le mouvement international anti-guerre est devenu moins actif ces dernières années, malgré les conflits au Yémen, au Congo, en Éthiopie, et bien sûr, plus d’une fois en Ukraine. Nous sommes maintenant confrontés à un défi urgent : reconstruire nos mouvements de solidarité internationale et de paix.
La reconstruction ou le renforcement des mouvements anti-guerre pose des défis différents pour les courants socialistes qui agissent dans un pays impérialiste ou non, dans un pays de l’OTAN avec des bases et des missiles américains (comme l’Etat espagnol) ou sans (comme la France), dans un pays menacé militairement par la Russie (Géorgie) ou dépendant d’une garantie de sécurité russe (Arménie).
Ici, en Europe, nous devons tout faire pour renforcer les liens entre les résistances anti-guerre à l’ouest et à l’est de notre sous-continent, de tous les côtés du conflit. Nous devons comprendre la spécificité de chacun, et trouver des moyens d’agir ensemble au niveau continental et mondial autour d’axes de mobilisation communs (voir ci-dessous).
Dans l’ouest de l’Europe, nous pourrions commencer par poser la question suivante : pourquoi n’avons-nous pas vu cette guerre venir plus tôt ? Les camarades et alliés de gauche d’Ukraine, de Russie et d’autres pays de la région ont tiré la sonnette d’alarme depuis plusieurs années. Mais beaucoup, dans la gauche occidentale, pensaient que la montée de la tension militaire aux frontières de l’Ukraine était essentiellement un moyen de pression exercé par Moscou sur les pays de l’OTAN. Nous ne tenions compte que du facteur OTAN – et de notre propre lutte contre notre propre classe dirigeante.
Nous voyons maintenant les choses plus clairement. Les discours de Poutine juste avant et depuis l’invasion ont en effet mis en lumière le projet impérial de la Russie, dans ses dimensions militaire, économique, politique et culturelle.
Ce conflit est survenu à un moment de crise profonde de l’OTAN, après la débâcle d’Afghanistan et les tensions suscitées par l’administration Trump. Les divisions internes étaient évidentes, certains pays européens de l’OTAN proposant une coordination militaire ouest européenne plus forte, avec un affaiblissement de la coordination américaine. Ainsi, le président US Biden a choisi d’autres leviers pour reprendre le contrôle étatsunien dans la zone Asie-Pacifique, avec la redéfinition du rôle de la Quad et la mise en place de l’AUKUS (au prix des relations entre les États-Unis et le Royaume-Uni d’une part et la France d’autre part).
Les moyens militaires des Etats-Unis et de l’OTAN étaient (et restent) faibles en Europe, par rapport à la période de la guerre froide. Cette faiblesse s’est manifestée dans la réponse immédiate de Biden à l’invasion russe, lorsqu’il a annoncé qu’il n’y aurait pas d’intervention militaire des USA. Plusieurs pays européens de l’OTAN, en particulier ceux qui ont une mémoire historique de l’invasion et de l’occupation russes ou soviétiques, s’attendaient à une position bien différente.
Poutine avait l’intention de gagner rapidement et de mettre les puissances occidentales devant le fait accompli, comme il l’avait fait avec succès à de nombreuses reprises, en Tchétchénie, en Syrie, au Donbas, en Géorgie, en Crimée et au Kazakhstan. Cette fois, les planificateurs de Poutine ont sous-estimé la résistance de l’armée et de la population ukrainiennes – ukrainophones et russophones. Néanmoins, la démonstration de force de Poutine a exposé et accentué les divisions au sein de l’OTAN. Presque chaque jour, les dirigeants des pays de l’OTAN font des déclarations contradictoires sur la stratégie de l’alliance, notamment en ce qui concerne le soutien à l’Ukraine.
Le conflit a également mis en évidence une triple division au sein de la gauche européenne. La majeure partie des personnes se réclamant de la gauche suivent les sociaux-démocrates ou les Verts. Or, ces courants s’affirment les plus grands supporters de l’OTAN, comme lors de conflits précédents. Nous voudrions convaincre ces personnes de l’injustice commise par nos gouvernements en Europe de l’Est, ainsi que dans le monde entier. Poutine a rendu ce travail d’explication plus difficile parce, face à l’invasion, il donne aux yeux de bien des gens, une légitimité nouvelle à l’Union européenne et à l’OTAN. Par ailleurs, une partie de la gauche anticapitaliste a été incapable de trouver ses marques dans un conflit imposé par un impérialisme non occidental. Ces camarades sont désorientés. Ils refusent d’aller au-delà d’une légère critique de l’invasion russe, sont réticents à étendre la solidarité à l’Ukraine, et insistent pour affirmer, contre toute évidence, que l’OTAN est le seul ou le principal responsable du conflit, que l’Ukraine est une marionnette occidentale ou un État protofasciste, et que la Russie est la véritable victime. Leur position est « campiste » – ils soutiennent automatiquement quiconque s’oppose à la classe dirigeante occidentale. Les Ukrainiens, mais aussi les Syriens, tentent depuis des années de mettre en garde la gauche occidentale contre cette politique sans issue. Espérons que les yeux de certains camarades s’ouvriront enfin, maintenant que nous devons faire face à une nouvelle guerre impérialiste russe.
L’échec du campisme ne concerne pas seulement la dimension militaire et géopolitique. Le point de départ de la solidarité se doit d’être la défense des populations victimes de la guerre. Les campistes n’agissent pas en solidarité avec la population ukrainienne, au nom de leurs considérations géopolitiques emberlificotées. Ils séparent froidement la souffrance humaine en deux parties, reconnaissant les victimes de l’impérialisme américain et marginalisant, ignorant ou niant l’existence des victimes d’autres impérialismes (en Syrie, les victimes de Bachar al-Assad et de ses partisans russes, en Eurasie les Tchétchènes, les Géorgiens et les Ukrainiens et en Chine les Ouïgours et les Tibétains).
Nous rejetons cette approche. Nous considérons que l’empathie envers les populations touchées par la guerre, la répression et l’exil est un moteur fondamental de l’internationalisme et de l’éthique militante.
Nous présentons ci-dessous notre compréhension des tâches auxquelles est confrontée, en particulier, la gauche occidentale. Nous espérons contribuer au débat et à la construction du mouvement pour la paix, à la solidarité avec la gauche et les mouvements sociaux ukrainiens, au soutien aux réfugiés et à l’antiracisme, ainsi qu’au renforcement des alternatives à l’impérialisme à l’ouest et à l’est du sous-continent européen.
Thèses sur le mouvement de la paix
Il s’agit d’une guerre injustifiée de l’impérialisme russe contre le pays le plus pauvre du continent européen. La Russie doit immédiatement mettre fin à toute forme d’ingérence en Ukraine, retirer toutes ses troupes et ses mercenaires, et couper immédiatement les fonds aux milices pro-russes dans le Donbas. Les forces de maintien de la paix des Nations Unies devraient être déployées sur le territoire des soi-disant républiques populaires de Donetsk et de Louhansk, ainsi qu’ en Crimée, jusqu’à ce que le statut définitif de ces territoires puisse être résolu pacifiquement, sur la base de la volonté de la population, y compris les anciens résidents qui ont quitté ces régions à la suite des conflits de ces dernières années.
Nous soutenons la résistance armée ukrainienne ; nous souhaitons la libération de l’Ukraine de ses occupants étrangers par tout moyen légitime. Il s’ensuit que nous sommes favorables à la fourniture d’armement défensif aux autorités et au peuple ukrainiens. Nous reconnaissons le droit des Ukrainiens à obtenir des armes de n’importe quelle source, y compris des pays de l’OTAN.
Nous sommes particulièrement favorables à la livraison des armes les plus adaptées aux besoins d’une résistance populaire, notamment les armes antichars et les systèmes de défense antiaérienne. Nous rejetons les conditions préalables impossibles et les excuses de ceux qui s’opposent à une victoire ukrainienne en exigeant que l’Ukraine garantisse d’abord qu’aucune arme ne tombe entre les mains de l’extrême droite ou d’éléments criminels (impossible), ou que l’Ukraine n’achète des armes qu’aux pays non alignés, même lorsque les pays de l’OTAN les fournissent gratuitement.
Face à une guerre d’agression, la solidarité signifie reconnaître le droit des Ukrainiens à se défendre. Que le gouvernement ukrainien soit capitaliste ne change rien à la situation. Pas plus que l’existence de l’extrême droite en Ukraine, comme partout ailleurs, et même moins que dans de nombreux autres pays, la Russie en particulier.
Ce n’est pas à nous de décider pour les Ukrainiens de la forme de leur résistance. Jusqu’à présent, ils se sont engagés dans une lutte armée multiforme (ainsi que des manifestations civiques). Le pacifisme et la résistance passive n’auraient pas suffi à éviter les drames et le coût humain de cette guerre, dont nous sommes tous conscients. Une victoire éclair de Poutine aurait été un encouragement pour lui à aller encore plus loin.
L’industrie ukrainienne de l’armement ne suffit pas à répondre aux besoins immédiats du pays et a été fortement endommagée pendant le conflit. Elle ne produit pas les armes spécifiques qui sont les plus nécessaires, et pas en quantité suffisante.
Face au risque d’escalade vers une guerre continentale et l’utilisation d’armes nucléaires, nous devons nous opposer à toute tentative de conflit direct entre l’OTAN et la Russie.
Un conflit direct entre pays impérialistes entraînerait des souffrances bien plus grandes, avec des impacts négatifs potentiellement mondiaux. Le conflit ukrainien est le dernier d’une longue série de confrontations indirectes entre les pays de l’OTAN et la Russie, anciennement l’Union soviétique, qui remonte à la Guerre froide. Les mesures susceptibles de provoquer l’entrée dans un conflit inter-impérialiste direct comprennent l’utilisation « tactique » de petites armes nucléaires ou chimiques en Ukraine, l’imposition par l’OTAN d’une « zone d’exclusion aérienne » au-dessus de certaines parties de l’Ukraine et la présence de troupes de l’OTAN en Ukraine.
Le soutien occidental à l’Ukraine dans ce conflit, y compris la fourniture d’armes défensives et d’aide non militaire, n’en fait pas une guerre inter-impérialiste directe, tout comme les nombreux conflits de la guerre froide n’étaient pas des guerres inter-impérialistes, même si l’Occident et l’URSS apportaient généralement leur soutien aux parties adverses.
Contre l’invasion russe, nous appelons au boycott, aux sanctions et au désinvestissement (BDS).
Nous soutenons les sanctions étatiques qui visent les biens personnels de l’élite russe, ainsi que les sanctions commerciales et financières qui réduisent les revenus de l’État russe et sa capacité à poursuivre son invasion et son occupation de l’Ukraine.
Nous soutenons également les initiatives de la société civile en faveur du boycott et les pressions exercées sur les entreprises pour qu’elles se désengagent de la Russie, lorsque la cible est un soutien direct à l’invasion et à l’occupation de l’Ukraine par la Russie.
Ce n’est pas la première fois que nous préconisons le recours à des sanctions internationales. Nous avons demandé des sanctions contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud. Nous le faisons maintenant, dans le cadre de la campagne BDS pour la défense des Palestiniens, et à l’égard de la Birmanie (Myanmar) depuis le coup d’État militaire de l’an dernier. Le type de sanctions est évidemment une question fondamentale. Nous ne devons pas nous aligner sur Washington ou Bruxelles en la matière. Nous devons plutôt tenir compte de l’avis des courants progressistes ukrainiens concernant la nature des sanctions qui peuvent être défendues et celles qui doivent être condamnées, dans la situation spécifique actuelle. Depuis l’invasion, la population ukrainienne s’est montrée majoritairement favorable aux sanctions proposées par les gouvernements occidentaux. La gauche ukrainienne ne s’est pas opposée à des sanctions spécifiques jusqu’à présent. La gauche radicale russe ne s’y est pas opposée jusqu’à présent, pas plus qu’elle n’a appelé au BDS.
Les sanctions se sont concentrées sur la réduction de l’accès de la Russie aux marchés financiers et aux services bancaires, parallèlement à une liste d’interdictions d’importation/exportation qui s’allonge rapidement. Certains États membres de l’Est de l’UE appellent à une interdiction totale du commerce avec la Russie. Les grandes économies occidentales préfèrent jusqu’à présent des interdictions ciblées et des taxes à l’importation punitives sur les produits russes. Ces sanctions provoqueront certainement une grave récession en Russie, même si les pays d’Europe occidentale ont jusqu’à présent évité la sanction la plus efficace : réduire leurs achats de pétrole et de gaz russes [1]. Les entreprises occidentales ont néanmoins commencé à réduire leurs fournitures en Russie, permettant aux Asiatiques, notamment indiens et chinois, d’obtenir d’importantes remises sur leurs achats de pétrole.
Le boycott de la société civile et la pression exercée sur les institutions pour qu’elles désinvestissent leurs investissements en Russie ont été généralisés et diversifiés au cours des quelques semaines qui ont suivi l’invasion. Anticipant les demandes de la société civile et des gouvernements occidentaux, un nombre croissant de multinationales et de petites entreprises suspendent ou mettent fin à leurs activités en Russie. On observe également une tendance des consommateurs à refuser les biens et services russes, ce qui a un impact négatif sur l’économie russe, l’impact principal retombant sur la population générale plutôt que sur les décideurs.
On observe également un mouvement largement spontané de boycott culturel et sportif. Ce mouvement a permis de signaler la condamnation par l’Occident des politiques et des actions russes et la solidarité avec l’Ukraine.
Certains boycotts expriment une hostilité envers la culture russe ou les citoyens russes en tant que tels. Ils provoquent une discrimination injustifiée, aliènent les Russes bien intentionnés et renforcent la campagne occidentale agressive de diabolisation de « l’autre » russe.
Tous les réfugiés d’Ukraine doivent recevoir le meilleur accueil. Pour la première fois, l’Union européenne a activé sa directive « protection temporaire », en faveur de ces réfugiés, qui leur donne accès au travail, aux études et à la protection sociale. Sous la pression de la société civile, plusieurs Etats européens ont déjà étendu la « protection temporaire » en prenant d’autres mesures spécifiques au pays (transport gratuit, etc.) à tous les réfugiés ukrainiens – citoyens ou étrangers résidant précédemment en Ukraine. Ce précédent doit maintenant être utilisé au profit d’autres réfugiés (notamment Syriens) et nous devons continuer à faire pression en ce sens. Nous dénonçons le racisme institutionnel et généralisé révélé dans la réponse humanitaire occidentale qui s’avère beaucoup plus importante concernant la souffrance ukrainienne par rapport à la souffrance des réfugiés non-blancs (ou non-chrétiens) d’autres conflits et catastrophes.
La plupart des réfugiés d’Ukraine sont concentrés chez les voisins occidentaux de l’Ukraine, tous membres de l’UE sauf la Moldavie. Ces pays comptent parmi les plus pauvres d’Europe. La plupart des services d’aide aux réfugiés dans ces pays sont fournis par la société civile. L’État ne fournit pas de logement et de protection sociale et tarde à développer les infrastructures sanitaires et éducatives nécessaires aux réfugiés qui resteront sur place. L’État doit faire davantage.
Tous les pays de l’UE devraient partager la charge financière des crises de réfugiés.
L’afflux de réfugiés témoigne de l’extrême violence de cette guerre. Il est rare d’assister à un tel exode en si peu de temps. Il suggère un génocide, un « nettoyage » et une élimination des Ukrainiens et des éléments déloyaux du territoire prévu des colonies de la « Nouvelle Russie ».
Le mouvement international anti-guerre doit être indépendant des grandes puissances. Cela signifie ne pas s’aligner sur les puissances occidentales (États-Unis, Union européenne, Grande-Bretagne) comme l’ont fait les libéraux, les sociaux-démocrates et les verts occidentaux. Cela signifie également qu’il ne faut pas s’aligner sur la Russie ou la Chine avec une position « campiste » (soutenant le « camp » qui s’oppose à l’impérialisme occidental).
Un alignement pro-russe et campiste au sein du mouvement pour la paix signifierait qu’il faut éviter de critiquer l’expansion impérialiste régionale de la Russie, qu’il faut accepter sans critique la propagande russe dénonçant un « génocide » contre les Ukrainiens russophones, qu’il faut légitimer les petits États fantoches contrôlés par la Russie dans le Donbas et qu’il faut réclamer le droit à l’autodétermination (séparation de l’Ukraine et intégration à la Russie) pour les zones sous contrôle militaire russe dans le cadre d’un processus contrôlé par la Russie. Cela signifierait également qu’il faut dépeindre faussement le gouvernement bourgeois de l’Ukraine comme « fasciste » ou comme un « fantoche » occidental illégitime tout en exagérant la taille et l’influence de l’extrême droite nationaliste ukrainienne et en minimisant ou en ignorant la nature de plus en plus autoritaire et réactionnaire du régime de Moscou lui-même.
Un alignement pro-occidental signifierait éviter toute critique du militarisme de l’OTAN et de l’expansion économique néocoloniale de l’Union européenne en Europe de l’Est. Cela reviendrait à légitimer les mesures antidémocratiques prises par l’élite politique et économique ukrainienne (y compris l’interdiction d’organisations de gauche et la restriction brutale des droits syndicaux). Il pourrait de plus en plus signifier la justification des restrictions des libertés civiles dans les pays occidentaux, et la criminalisation des opinions et des activités politiques anti-occidentales.
Nous sommes opposés à l’expansion et à l’agression de l’OTAN. Nous nous opposons à toute augmentation des dépenses militaires des pays de l’OTAN. En effet, nous demandons une réduction des dépenses militaires en faveur des secteurs sociaux, de la santé et de l’éducation en particulier. Nous nous opposons à toute expansion future des installations déjà étendues de l’OTAN en Europe et proposons une réduction des forces de l’OTAN comme élément essentiel de la démilitarisation de l’espace est-européen. Nous nous opposons à tout déploiement de l’OTAN en dehors de ses pays membres. Nous nous opposons à l’adhésion de tout pays à l’OTAN. Nous sommes favorables à ce que tout pays quitte l’OTAN, et à la dissolution de l’alliance. La sécurité future des pays européens, en particulier des pays les plus pauvres, doit être fondée sur un cadre large et non conflictuel.
Dans toute l’Europe occidentale, des augmentations des budgets militaires sont attendues. L’Allemagne, en particulier, prend un tournant historique en ce qui concerne ses engagements militaires. Les pays européens de l’OTAN continuent d’hésiter entre l’intégration classique, dirigée par les États-Unis, et une intégration européenne plus autonome (l’Allemagne et les Pays-Bas ont déjà intégré leurs bataillons de chars et leurs marines, d’autres unités communes, ainsi que des achats et un soutien logistique communs sont prévus). Les deux options ont des ambitions impérialistes ; l’approche dirigée par l’Europe ne signifierait probablement qu’un recentrage sur l’étranger proche et un engagement moindre dans les forces expéditionnaires mondiales dirigées par les États-Unis.
Nous ne voyons aucune contradiction entre l’appel à la réduction des dépenses militaires dans les pays de l’OTAN et la fourniture d’armes à l’Ukraine. En fait, le don d’armes à l’Ukraine sans augmenter les budgets militaires des pays de l’OTAN contribuerait à la réduction du stock d’armes de l’OTAN. Bien sûr, cela n’aura qu’un effet limité, puisque les pays de l’OTAN fournissent à l’Ukraine principalement des séries d’armes plus anciennes, en particulier des armes de l’ère soviétique encore utilisées ou stockées par les membres de l’OTAN à l’est de l’UE [2].
Dans les pays européens de l’OTAN, on constate également un soutien croissant dans la population en faveur du renforcement et de la construction de bases militaires, ainsi que de l’installation des technologies de guerre les plus avancées des États-Unis. Certains membres de l’OTAN à l’est de l’UE proposent de faire don à l’Ukraine de leurs propres armements de l’ère soviétique, en échange d’armes plus modernes fournies par les membres plus riches de l’OTAN plus à l’ouest. Trois des anciennes républiques soviétiques (les pays baltes) et tous les anciens pays satellites de l’URSS en Europe sont désormais membres de l’OTAN. Nombre de ces pays ont une frontière avec la Russie, l’Ukraine et/ou la Biélorusse, et ont un souvenir relativement récent de l’agression et de l’occupation soviétiques/russes. Le conflit actuel a fait naître des sentiments d’insécurité compréhensibles, que les autorités et les médias grand public encouragent bien sûr davantage.
Il est probable que les gouvernements de certains pays européens, qui sont actuellement neutres, demanderont à rejoindre l’Organisation, et l’opinion publique est de plus en plus favorable à cette idée. Les neutres d’Europe occidentale seraient probablement accueillis au sein de l’OTAN, tout comme les pays du sud-est européen (ceux issus de la dissolution de l’ex-Yougoslavie, ainsi que l’Albanie) où la Russie n’a pas de revendications territoriales. Une pression continue sera exercée sur les neutres de l’UE (Suède, Finlande, Irlande, Malte et Autriche) pour qu’ils participent à des opérations conjointes de maintien de la paix, de prévention des conflits et à d’autres formes de coopération civilo-militaire avec les membres de l’OTAN dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). Le champ d’application de la PSDC est susceptible d’être élargi, entraînant de plus en plus les neutres dans une alliance de facto dominée par les membres de l’OTAN.
Les seules anciennes républiques soviétiques en Europe qui n’ont pas rejoint l’OTAN sont la Biélorusse, allié dépendant de la Russie, ainsi que la Moldavie et l’Ukraine. L’OTAN pourrait continuer à faire de fausses promesses d’adhésion future à ces deux pays, mais le conflit actuel a confirmé le refus de l’OTAN de s’étendre davantage dans l’espace de l’ex-URSS. Toutefois, le soutien militaire de l’OTAN sera probablement accru pour ces pays et pour d’autres alliés occidentaux de l’ex-URSS, notamment la Géorgie, qui a sa propre histoire récente de conflit, d’invasion et d’occupation par les forces russes et les alliés locaux. Les populations locales préféreront probablement la perspective d’une adhésion à l’OTAN, en l’absence d’autres accords de sécurité crédibles.
Nous sommes opposés à tout déploiement de troupes russes en dehors des frontières russes. Nous sommes opposés à tout déploiement international de forces de police entre les pays membres de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). Nous sommes favorables à la dissolution de l’OTSC.
Si la Russie est partiellement ou largement victorieuse dans cette guerre, Moscou sera de plus en plus susceptible de menacer ou d’utiliser la force dans ses relations avec la Biélorussie, et les anciennes républiques soviétiques du Caucase du Sud et d’Asie centrale. L’OTSC est axée sur la police, mais elle pourrait être élargie. Toutefois, seules la Biélorussie et l’Arménie sont militairement et économiquement dépendantes de la Russie ; les autres États de l’OTSC pourraient être tentés de diversifier leurs alliances, notamment en direction de la Chine. Une défaite russe accélérerait probablement ce processus. Si les marchés des biens et de la main-d’œuvre russes restent importants pour bon nombre de ces pays, les producteurs de pétrole et de gaz comme l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan ont davantage d’options pour leur développement économique.
L’élimination des armes nucléaires, biologiques et chimiques est plus importante que jamais. La Russie, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni devraient réitérer leur engagement à ne pas utiliser les armes nucléaires en premier. Face à l’impasse militaire actuelle, Poutine a fait monter les enchères à plusieurs reprises en brandissant la menace nucléaire, puis en tirant un missile hypersonique de moyenne portée sur une cible proche de la frontière polonaise. Les deux parties ont accusé l’autre de préparer des attaques chimiques ou biologiques. Nous constatons qu’au lieu de rendre la guerre impossible (doctrine de l’« équilibre des forces » et le risque de « destruction mutuelle assurée »), la possession d’une arme nucléaire est en fait utilisée pour permettre une guerre conventionnelle au cœur de l’Europe, à l’abri du parapluie atomique de l’agresseur. Le mouvement pacifiste a longtemps soutenu que seul le désarmement nucléaire pouvait nous libérer de cette menace. Poutine nous a donné raison. Mais attention : toutes les puissances possédant des armes nucléaires cherchent à les rendre politiquement acceptables et proposent sans cesse des concepts d’utilisation tactique d’armes nucléaires plus petites et plus acceptables.
Thèse sur la solidarité avec l’Ukraine
Pour la libération nationale ! Les Ukrainiens ont le droit de vivre en paix !
Nous avons tous vu les bannières portées par les Ukrainiens de la diaspora lors des manifestations pour la paix : « Si les Russes cessent de se battre, il n’y aura pas de guerre ; si les Ukrainiens cessent de se battre, il n’y aura pas d’Ukraine ». Plus la résistance ukrainienne sera forte et plus les Ukrainiens progressistes seront capables de participer à cette lutte et de la façonner, meilleure sera la paix et meilleure sera la société ukrainienne par la suite.
Les étrangers ne devraient pas appeler à la paix à tout prix, alors que les Ukrainiens soutiennent massivement la poursuite de la résistance militaire. Dans ce contexte, la paix à tout prix signifie maximiser les gains russes aux dépens des Ukrainiens.
Il est probable que l’Ukraine propose un engagement constitutionnel de neutralité et réitère son refus des bases étrangères permanentes (la seule puissance étrangère qui maintient des troupes en permanence en Ukraine est la Russie, qui a des forces stationnées dans certaines parties du Donbass et de l’Ukraine depuis plusieurs années déjà). La Russie a exigé que l’Ukraine soit privée en permanence de certaines catégories d’armes plus lourdes ou offensives. La question est donc de savoir quelles garanties de sécurité l’Ukraine aura dans la nouvelle paix. La Russie et l’Occident ont promis de respecter les frontières de l’Ukraine lorsque celle-ci a renoncé à toutes ses armes nucléaires (le seul pays à l’avoir jamais fait). La valeur de ces promesses est désormais tristement claire pour tout le monde. L’Ukraine cherchera vraisemblablement à obtenir une sorte de mandat de l’ONU ou de l’OSCE. Le plus grand obstacle à un tel accord sera l’opposition russe, et la menace continue d’une intervention russe, en particulier si la Russie maintient ses colonies de facto dans le Donbass.
Nous dénonçons les crimes de guerre commis par l’armée russe en Ukraine. En plus de l’invasion injustifiée, la Russie a attaqué des civils, et s’est attaquée à des infrastructures civiles, comme des hôpitaux. La Russie a empêché les civils de quitter les villes assiégées, tout en menaçant les civils de tribunaux militaires s’ils ne partent pas. Le fait que les dirigeants occidentaux dénoncent les crimes de guerre russes ne signifie pas que nous devons nous taire ! Au contraire, nous dénonçons tous les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, quel que soit l’acteur responsable. Nous dénonçons l’hypocrisie des puissances occidentales qui dénoncent Moscou en invoquant la légalité internationale et les grands principes humanitaires qu’elles ont elles-mêmes violés à plusieurs reprises.
Les vainqueurs de cette guerre établiront probablement une sorte de tribunal. Notre préférence va à des tribunaux indépendants dans une Ukraine démocratique, dans une perspective de restitution et de réconciliation entre Ukrainiens, et entre citoyens d’Ukraine et citoyens de Russie.
Les droits des minorités en Ukraine doivent être reconnus. Mais la défense de ce droit ne doit pas alimenter le discours de Poutine, qui prétend intervenir pour défendre les Ukrainiens russophones menacés de génocide. La question du retour à l’égalité linguistique légale, et de l’utilisation des différentes langues du pays dans l’éducation, l’administration et les médias, y compris dans le Donbas et en Crimée, ne peut être résolue sous occupation russe. Une véritable préoccupation pour les minorités en Ukraine doit également intégrer des mesures visant à protéger les minorités ukrainiennes et tartares en Crimée, soit plus d’un quart de la population, qui ont perdu pratiquement tous leurs droits linguistiques et culturels depuis l’invasion russe et l’incorporation unilatérale de ce territoire à la Fédération de Russie.
La Russie a réussi à déployer une large propagande concernant la situation des russophones dans la région du Donbas, entraînant dans la confusion nombre de militant.es de la gauche radicale occidentale et obtenant, dans certains cas, leur soutien aux revendications russes. Il faut bien comprendre que les républiques populaires autoproclamées du Donbas sont des entités soutenues par la Russie, dirigées par une alliance d’envoyés russes, de mafieux locaux et d’aventuriers d’extrême droite. La répression sociale, politique et culturelle y est massive, pire que partout ailleurs sur le continent européen y compris les autres composants la Fédération russe. La Russie a reconnu ces « États », sans définir leurs frontières. Il est probable que les troupes russes imposeront de faux référendums dans les régions voisines et les intégreront progressivement au projet colonial de la « Nouvelle Russie ». Dans ce contexte, appeler à l’autodétermination immédiate des russophones dans ces régions revient à soutenir efficacement la colonisation russe de l’Ukraine et la consolidation d’administrations coloniales extrêmement réactionnaires. La gauche ukrainienne, qui comprend de nombreux militants du Donbas, appelle au renforcement des droits des Ukrainiens russophones dans le cadre d’un nouvel arrangement démocratique après l’expulsion des forces d’invasion.
Comme le soulignent nos amis ukrainiens du Mouvement social, le discours de Poutine rejoint de manière perverse le discours des ultranationalistes ukrainophones, qui ont toujours considéré les Ukrainiens russophones comme d’une loyauté douteuse.
Rejetez tout le poison du « choc des civilisations » !
La grande majorité des Ukrainiens russophones résistent les envahisseurs. Même dans les villes récemment occupées par l’armée russe, des civils non armés manifestent leur rejet de l’occupation lors de grandes manifestations pacifiques. Les Ukrainiens russophones continuent d’être victimes de la guerre russe, se retrouvent victimes de bombardements ou se retrouvent sur les routes de l’exil. Reconnaissant la loyauté écrasante des russophones, le gouvernement ukrainien a récemment débloqué les médias sociaux russes et encouragé les citoyens à dialoguer directement avec leur famille et leurs amis en Russie. Une victoire partielle ou totale de l’Ukraine pourrait servir de base à la réintroduction de la langue russe dans l’administration publique, l’éducation et les médias publics. À l’inverse, une humiliation de l’Ukraine pourrait encourager l’extrême droite à cibler à nouveau les Ukrainiens russophones comme un élément déloyal et indigne de confiance.
En Russie et parmi les russophones d’autres pays, l’impérialisme russe est également présenté comme une croisade culturelle et politique visant à restaurer la domination ethnique/linguistique/culturelle russe dans les régions qui faisaient autrefois partie des empires russe ou soviétique. L’un des éléments de cette politique est la négation de l’identité ukrainienne (l’Ukraine n’aurait pas d’histoire significative distincte de celle de la Russie, la langue ukrainienne serait un dialecte du russe, la culture ukrainienne serait une variante folklorique de la culture russe, etc.) Certaines parties de la gauche occidentale ont été vulnérables à cette propagande grand-russe, peut-être parce que leur connaissance régionale se limite à l’étude de la composante russe de la révolution dans l’empire russe et de la composante russe de la résistance anti-stalinienne en URSS. Peut-être aussi en raison du faible statut de la culture ukrainienne à l’Ouest, qui reflète sa marginalisation en tant que pays le plus pauvre du continent, et de la concentration des migrants ukrainiens dans les secteurs les plus instables et les moins bien payés de l’économie ouest-européenne. Quelle que soit l’explication, l’incapacité de la majorité de la gauche occidentale à s’engager auprès des penseurs et des activistes ukrainiens est pour nous une source permanente d’étonnement et de consternation.
On assiste également à une résurgence des revendications occidentales de supériorité « civilisationnelle », opposées à l’« orientalisme » et à la barbarie russes. Dans ce discours occidental, qui a des racines réactionnaires profondes, « l’Europe » est synonyme de civilisation et de progrès et toute personne à l’Est ou au Sud n’est admise à la civilisation et au progrès que dans la mesure où elle fait preuve de loyauté envers les valeurs « occidentales ».
Nous soutenons la solidarité politique, financière et matérielle avec les forces de gauche et les mouvements sociaux indépendants en Ukraine.
En apportant une solidarité de gauche à la résistance du peuple ukrainien, nous aidons au mieux la gauche ukrainienne à se renforcer, au lieu de laisser le champ libre aux néolibéraux et à l’extrême droite. Nous prônons une solidarité pratique et concrète de peuple à peuple. Nous ne pouvons pas nous contenter d’une simple position politique ou de déclarations de principe, ni d’une critique de notre propre gouvernement.
La solidarité est nécessaire des deux côtés de la ligne de front. Nous n’imposons pas la solidarité, nous l’offrons. Nous prenons exemple sur la résistance ukrainienne et les mouvements anti-guerre dans le pays agresseur. Cela signifie, en premier lieu, écouter, en second lieu, réfléchir, et ensuite agir.
Nous ne devons pas nous associer aux nombreux appels de la gauche occidentale à la paix au détriment des Ukrainiens. Certaines de ces initiatives partent d’une bonne intention. Mais elles restent des propositions arrogantes, rédigées et promues par des Occidentaux, sur les Ukrainiens, sans les Ukrainiens.
Les forces de gauche en Ukraine sont pleinement engagées dans tous les aspects de la lutte de libération. Les partisans de certains groupes ont rejoint les mêmes forces militaires ou de défense civile, mais l’ampleur de ces initiatives est encore faible. La gauche a développé plusieurs initiatives humanitaires qui méritent notre soutien. Les progressistes ukrainiens continuent à s’organiser, à faire pression et à publier des revendications civiles et politiques, et à résister à toutes les tentatives d’imposer des réformes réactionnaires en utilisant la guerre comme prétexte. Il existe également des militants de gauche dans la diaspora ukrainienne, qui jouent un rôle important dans le mouvement pour la paix et les initiatives d’aide aux réfugiés.
Les mouvements de gauche, féministes et pacifistes russes sont confrontés à une répression croissante, mais poursuivent leurs efforts. Ils sont soutenus par une mobilisation croissante de la diaspora des progressistes russes. Lors des guerres précédentes, les familles des soldats morts ont joué un rôle important dans la sensibilisation du public et la protestation contre le militarisme, aux côtés des étudiants et d’autres communautés militantes.
La gauche biélorusse est numériquement faible, mais poursuit ses efforts en faveur de la démocratisation et de la justice sociale. Il existe des réseaux clandestins qui encouragent et facilitent la désertion et l’émigration des jeunes hommes appelés au service militaire, ainsi que des rapports non confirmés de sabotage d’opérations logistiques.
Les partis de gauche en Europe centrale (anciens pays satellites de l’URSS, aujourd’hui membres de l’Union européenne) agissent de plus en plus en solidarité politique avec le Mouvement social en Ukraine, relayant ses propositions et se retirant même des forums de gauche comme l’Internationale progressiste, qui évitent de prendre position sur la libération de l’Ukraine.
Plusieurs groupes progressistes en Ukraine ont commencé à collecter des fonds. Des associations progressistes aux Pays-Bas, en Allemagne et ailleurs, organisent des collectes de fonds pour des initiatives progressistes et humanitaires en Ukraine.
En termes de soutien matériel, les syndicats en France, par exemple, se préparent à envoyer un convoi de travailleurs pour montrer leur solidarité et apporter de l’aide.
Nous rejetons les plans impérialistes russes et occidentaux pour l’Ukraine. Les troupes russes dehors ! Les biens, les services et les travailleurs ukrainiens doivent avoir accès aux marchés occidentaux, sans aucune obligation pour l’Ukraine d’ouvrir ses propres marchés. La dette de l’Ukraine doit être annulée. Les fonds provenant de toute sanction occidentale devraient être transférés aux autorités ukrainiennes.
Les efforts de Moscou en faveur de l’intégration économique capitaliste de l’ex-URSS sous domination russe ont marqué le pas ces dernières années. En réponse aux sanctions occidentales antérieures, Poutine a imposé un changement dans la stratégie à long terme de la Russie, se désengageant des circuits économiques occidentaux et des institutions dominées par l’Occident, augmentant la capacité agricole et industrielle nationale par la substitution des importations et l’investissement intensif dans les secteurs stratégiques. Poutine veut inverser l’intégration économique de l’Ukraine dans l’Union européenne en tant que territoire périphérique, et la privatisation prévue des terres ukrainiennes aux mains de sociétés occidentales. Au contraire, il a décidé que la réintégration forcée de l’Ukraine, deuxième économie de l’ex-URSS, mais aujourd’hui le pays le plus pauvre d’Europe, cimentera la domination impériale russe sur son « étranger proche » pour une autre génération.
Son ambition est d’intégrer les plaines fertiles et les centres industriels de l’Ukraine orientale dans l’espace économique russe, en renforçant le rôle dominant de Moscou dans la production d’un large éventail de produits agricoles et miniers, ainsi que sa capacité industrielle et sa compétitivité. Après l’annexion de la Crimée, cette invasion vise à élargir l’accès de la Russie à la mer Noire, la seule voie maritime navigable toute l’année à la lisière européenne de la Russie.
Pour ce projet, la Russie de Poutine n’a besoin « que » de l’est et du sud de l’Ukraine. Sans les terres noires fertiles et l’industrie de l’est et sans sa côte, tout État ukrainien croupion serait appauvri, privé de ressources et à la merci de tous ses voisins. Les stratèges conservateurs de Moscou ont déjà émis l’idée d’offrir à la Pologne, à la Hongrie et à la Roumanie des territoires à l’ouest de l’Ukraine, rouvrant ainsi la boîte de Pandore des tensions entre les différents pays et nations européens.
L’Ukraine sera probablement ruinée après ce conflit, et son économie perturbée et dégradée, en particulier si la Russie garde le contrôle des territoires à l’est et au sud du pays.
L’impérialisme occidental cherchera à contrôler tout territoire ukrainien que la Russie n’occupera pas, sur la base des accords de partenariat néolibéraux et inégaux que l’UE a conclus avec les pays voisins.
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Ce texte est paru sur Europe solidaires sans frontières.