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A propos de Nils Andersson, Mémoire éclatée. De la décolonisation au déclin de l’Occident, éditions d’en bas, Lausanne, 2016, 544 pages, 25 euros.

Né en 1933, d’un père suédois et d’une mère française, Suisse d’adoption, Nils Andersson est une figure majeure du monde politique et intellectuel helvétique. Aussi, le témoignage qu’il livre dans Mémoire éclatée est-il important à deux titres. Il permet, d’une part, de décentrer le regard que nous portons sur la seconde moitié du XXe siècle, principalement sur les luttes qui l’ont animée et sur les innovations théoriques et culturelles qui s’y sont déroulées. Mais c’est également le témoignage précieux d’une époque nourrie par la solidarité avec les luttes de libération anticoloniale et le rôle important qu’ont joué dans cette solidarité certaines maisons d’éditions.

Ayant fait ses « premiers cheminements » dans le Lausanne du « Barbare » (bar à café) et du glad jazz, Andersson a débuté son activité d’éditeur en tant que membre du comité de rédaction d’une revue de poésie, Pays du Lac, qui parut en octobre 1953. Cette première expérience est intéressante à plus d’un titre lorsque l’on connaît l’engagement politique qui animera Andersson par la suite : en effet Pays du Lac n’intervient pas dans le débat politique – bien que ses animateurs discutaient du rôle à donner à l’engagement politique.

C’est surtout en se rendant au Festival de la jeunesse, en 1953 à Bucarest, qu’Andersson va mettre un pied dans la lutte politique, puisqu’il y rencontra notamment « deux militants Viêt-Minh, une jeune fille, agent de liaison dans le sud du pays et un jeune soldat ayant combattu dans les zones libérées du nord » (p. 38). Même s’il est toujours compliqué d’expliquer l’engagement politique par un événement unique, il semble tout de même que c’est de cette rencontre que découla l’intérêt concret d’Andersson pour les luttes de libération dont il comparait les résistants à ceux qui, en France, ont rejoint le maquis pendant la Seconde Guerre mondiale : « ils mènent une guerre juste avec cette tranquille fierté de l’humilié qui ne vit plus courbé » (p. 38).

C’est suite à ce voyage à Bucarest, qu’Andersson a perdu toute chance d’acquérir la nationalité suisse, la police de sûreté ayant débusqué une lointaine connaissance (supposée) de sa famille ayant été favorable à la Révolution d’Octobre 1917. En Mars 1955, Andersson se lança dans la parution d’une revue qui, cette fois-ci, avait également pour objet de traiter de questions politiques : Clarté. Cette revue entendait faire le lien entre les questions esthétiques et politiques, publiant des poèmes, des critiques littéraires, des articles plus directement politiques, mais également des analyses cinématographiques et des réflexions majeures sur le théâtre.

Ce dernier point fait d’ailleurs l’objet d’un chapitre entier, dans lequel Andersson met en lumière l’inspiration que Clarté a puisé dans une revue comme Théâtre Populaire, le TNP de Jean Vilar et la théorie de Roland Barthes (dans un numéro de Clarté est publié, par exemple, le texte de Barthes « Pour une définition du théâtre populaire »). Expérience brève (3 numéros seulement) mais primordiale dans le parcours d’Andersson, Clarté marque l’attachement de l’auteur à un renouveau des formes culturelles, en lien direct avec l’état de la Suisse et du monde. Bien que cette activité esthético-politique d’Andersson ait été entrecoupée par son service militaire suédois, dès son retour celui-ci continua de travailler à un changement dans les formes esthétiques dominantes en Suisse.

C’est à cette époque (1956) qu’il entre en contact avec les Éditions de Minuit, les Éditions Pauvert et les Éditions de l’Arche (qui éditaient la revue Théâtre Populaire) afin de se lancer, avec son camarade Pierre Canova, dans la diffusion (à travers La Cité diffuseurs) d’ouvrages essentiels mais n’ayant aucun diffuseur en Suisse francophone. L’intérêt du témoignage que Nils Andersson livre dans Mémoire éclatée, est que ce dernier lie sans cesse son activité éditoriale à une intervention plus globale dans le champ politique.

Il se rend ainsi à Moscou en 1957, en tant que responsable culturel de la délégation suisse lors du VIe Festival de la jeunesse, mais c’est la révolution algérienne qui fera prendre une autre dimension, non seulement à la gauche suisse, mais également à l’itinéraire d’éditeur d’Andersson. Dans ses mémoires, Nils Andersson revient sur ce que signifiait s’engager concrètement contre le colonialisme français au moment de la révolution algérienne :

Il est subversif alors de prendre position contre cette guerre, de dénoncer ses infamies, plus encore de se déclarer favorable à l’indépendance de l’Algérie. (p. 98)

Alors que La Question, d’Henri Alleg est saisie, Jérôme Lindon (Éditions de Minuit) se tourne vers Andersson pour rééditer l’ouvrage en Suisse. Andersson, qui compare ce projet de réédition à la « résistance éditoriale » (p. 102) de la Seconde Guerre mondiale, participa ainsi au rôle stratégique essentiel qu’ont eu les autres pays européens dans la lutte de résistance contre le colonialisme français. De nombreux livres furent écrits sur le rôle que jouèrent des pays européens hormis la France dans la solidarité avec la lutte de libération nationale algérienne.

D’ailleurs, dans un chapitre intitulé « Le moment européen » du 1er Tome de ses mémoires (Une vie debout), Mohammed Harbi met en lumière ce rôle stratégique en prenant l’exemple de son passage en Allemagne (avec l’aide d’un militant trotskiste américain, Jerry Mangan) où il rencontra notamment Georg Jungclas et Hans-Jürgen Wischnewski. L’abondante littérature sur le sujet démontre clairement que l’intérêt des pays européens pour la question algérienne n’est pas qu’une question d’érudition historique et met en exergue le rôle qu’a joué cette lutte dans la formation de la gauche de nombreux pays.

Dans son livre Gelebter Internationalismus, Fritz Keller étudie ainsi les rapports de la gauche autrichienne à la résistance algérienne ; Niek Pas quant à lui s’intéresse plus globalement aux rapports de la société néerlandaise à la guerre d’Algérie (Les Pays-Bas et la guerre d’Algérie), tandis-ce que d’autres ouvrages se concentrent sur l’Allemagne (notamment sur le rôle du SPD) ou sur la Belgique. L’ouvrage d’Andersson replace cette solidarité dans un contexte plus globale des luttes politiques et de l’édition de gauche en Europe.

C’est donc par la réédition de La Question (augmentée de l’article « Une victoire » de Sartre, publié dans L’Express) en Suisse, que La Cité, initialement diffuseur d’ouvrages français, s’est transformée en maison d’édition. Comme certains à la même époque, Andersson devint donc éditeur par les circonstances – et notamment par les nécessités liées à la révolution algérienne. Cependant, La Cité-Editeur n’aura pas la même longévité que des éditions comme Maspero ou Feltrinelli ; il s’agissait bien plus d’un outil dans une conjoncture spécifique, plutôt que d’un projet éditorial sur le long terme.

Andersson commence donc son travail d’éditeur par la publication de témoignages sur la torture, organisée par l’État français, pendant la révolution algérienne :

Restait à démontrer que Djamila Bouhired, Henri Alleg et Maurice Audin ne sont pas les victimes de bavures, mais d’un système qui fonctionne non seulement en Algérie, mais également en France. C’est ce dont témoignent dans La Gangrène, Bechir Boumaza, Mustapha Francis, Benaïssa Souami, Abdelkader Belhadj, Moussa Khébaili, torturés rue des Saussaies à Paris ou place Vauban à Lyon. Le livre à son tour saisi, nous prenons la décision avec Jérôme Lindon, comme pour La Question, de la rééditer en Suisse. Dans nos correspondances avec Jérôme Lindon, La Question devient « de l’autre côté » et La Gangrène, « de l’intérieur ». (p. 107)

C’est également dans ce contexte que naissent les éditions Maspero (1959). Andersson, qui deviendra son ami, s’empressa de rencontrer François Maspero à Paris, afin de lui proposer d’être diffusé par La Cité. Cependant, l’engagement d’Andersson aux côté des Algériens ne s’arrête pas à son travail dans l’édition.

La Suisse jouant un rôle stratégique pour le FLN (qui y organisa plusieurs rencontres), Andersson allait rapidement être contacté par des membres du réseau Jeanson et entrer dans une activité militante dépassant le cadre éditorial. Dans la même lignée que François Maspero qui déclarait, lors de l’un de ses derniers entretiens, à la revue Période, que « le véritablement engagement requiert une action plus directement concrète que le seul fait d’éditer des livres », Andersson écrit qu’il opère une distinction entre le travail éditorial et le militantisme :

Comme éditeur, c’est en « dreyfusard » que je m’exprime dans la note introductive à l’édition de La Question : « C’est notre solidarité avec les Français qui se refusent à cette dégradation que nous exprimons » ; en revanche, mon engagement militant auprès des Algériens et des Français qui ont fait le choix de l’insoumission s’inscrit dans un cheminement « bolchevik » au sens où l’entend Pierre Vidal-Naquet : « les bolcheviks se voulaient les héritiers du parti de la Révolution d’octobre et de ses expériences radicales trahies. Pour la plupart, ils espéraient, par-delà ‘’la parenthèse stalinienne’’, renouer avec Lénine et la ‘’pureté’’ révolutionnaire ». (p. 112)

Andersson s’est ainsi engagé, très concrètement, dans les réseaux de soutien au FLN algérien, ce qui vint se coupler à son activité éditoriale. Il joua, en effet, un rôle primordial dans la lutte de l’information pendant la révolution algérienne, puisque le premier livre publié à La Cité, qui n’était pas une réédition d’un ouvrage français, était une compilation de documents sur la disparition d’Algériens pendant la bataille d’Alger (par Jacques Vergès, Maurice Courrégé et Michel Zavrian).

Aussi, La Cité-Editeur a-t-elle réellement été conçu, au départ, comme un outil pour combler le manque d’informations disponibles pendant la révolution algérienne. Andersson parle à ce titre d’un front éditorial, devant faire face à la censure d’État. Loin de la concurrence marchande, il s’agissait bien plutôt d’une collaboration éditoriale afin de faire face à la situation qui menaçait l’édition anticolonialiste. Le récit que fait Andersson de ses rencontres avec des figures telles qu’Henri Curiel, Francis Jeanson, Malek Haddad, Mohamed Mechati, Djamila Bouhired, etc. nous plonge dans le processus global que représentait la lutte pour la libération de l’Algérie, ses différents acteurs et stratégies.

A tel point que l’on pourrait presque oublier que l’activité éditoriale d’Andersson dépassait la publication d’ouvrages sur la révolution algérienne :

Éditer des auteurs suisses n’est pas un à-côté, mais une composante essentielle de La Cité devenue édition. (p. 193)

C’est notamment avec l’édition de pièces de théâtre qu’Andersson se rapprochera des écrivains suisses (Force de loi, d’Henri Debluë ou encore Soldats de papier de Franck Jotterand). Ici aussi l’on retrouve l’influence du TNP et de Vilar. La Cité éditera les pièces du Théâtre Populaire Romand (TPR) et apparaît ainsi également comme un lieu pour repenser le théâtre, non plus comme une sphère à part, mais dans sa production même, à travers les questions matérielles qui s’y posent ainsi que son rapport au public – ce dernier n’étant plus cantonné uniquement à un rôle passif. Andersson s’engage donc pleinement dans le projet du TPR.

C’est d’ailleurs ce « jonglage » entre son activité d’éditeur de dramaturgie et de littérature, d’un côté, et son engagement militant, d’autre part, qui donne toute sa saveur à ses mémoires. Son engagement militant reste cependant traversé de part en part par l’Algérie. C’est par la révolution algérienne, que Nils Andersson est entré dans l’âge d’or du tiers-mondisme :

La Révolution algérienne a ouvert la voie aux luttes de libération nationale dans l’ensemble du continent africain et les loups sont toujours à Madrid, Lisbonne, bientôt à nouveau à Athènes. Des liens se tissent avec des militants engagés dans ces luttes anticoloniales et antifascistes. (p. 220)

Andersson continue donc son rôle d’éditeur organique au sein des diverses luttes animant le monde à la fin des années 1950 et au début des années 1960. Il s’engage notamment auprès du Mouvement Populaire de Libération de l’Angola (MPLA) ainsi que de l’Union des Populations du Cameroun. Il participe également, à sa mesure, aux actions et à la solidarité contre le régime franquiste ainsi que contre celui de Salazar. La position stratégique de la Suisse, qui était depuis longtemps déjà un carrefour des luttes, rend donc cet ouvrage pertinent pour toute personne s’intéressant aux mutations politiques, militantes et théoriques depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

C’est d’ailleurs par son engagement tiers-mondiste, qu’Andersson s’intéressera de plus près aux positions du Parti Communiste Chinois (PCC), notamment après la scission sino-soviétique et « l’ostracisme » des positions chinoises dans nombre de librairies de gauche :

Une démarche pour l’édition des positions chinoises ostracisées me paraît s’inscrire dans la logique qui m’avait amené à rééditer des livres interdits lors de la guerre d’Algérie : peut-on ignorer ce qu’écrivent et pensent les dirigeants d’un quart de la population mondiale ? (p. 234)

C’est donc par La Cité-Editeur, bien avant que le maoïsme ne soit populaire dans la gauche européenne, que les premiers écrits de Mao ont été publiés en français. Ici aussi, le but était surtout d’informer sur les divergences entre Moscou et Pékin. Jusqu’à l’arrivée des éditions de Pékin, La Cité-Editeur jouera donc clairement le rôle d’introducteur à la pensée maoïste en Suisse, et plus largement dans l’espace francophone. Ainsi, au moment de la floraison de Parti Communistes Marxistes-Léninistes dans le monde, Andersson apparaît comme assez sceptique quant à la branche suisse, qu’il considère comme « un groupe très restreint », résultant d’une « initiative peu réfléchie » (p. 244).

Il participe cependant à la création du Centre Lénine, qui commence par poser un constat : celui des spécificités suisses, « l’un des pays d’Europe occidentale où les multiples pressions de la bourgeoisie et ses alliés ont le plus aliéné les travailleurs, où les sentiments ‘’petits-bourgeois’’ sont les plus développés et où l’anticommunisme est le plus virulent » (p. 256). Andersson et ses camarades du Centre Lénine ont ainsi tenté de créer un centre politique à travers le journal Octobre, dont l’objectif était de populariser les positions des partis chinois, albanais et autres organisations marxistes-léninistes ; mais qui s’opposait également à la neutralité supposée de la Suisse :

Neutre, l’armée ne l’est certainement pas quand elle organise, anticommunisme puéril, un exercice baptisé ‘’Popov’’ pour préparer les soldats à être torturés ou que, lors de manœuvres, sur les tanks ‘’ennemis’’ sont collés des photographies de Kossyguine. (p. 258)

Devenu Organisation des communistes de Suisse (OCS), le Centre Lénine n’a jamais été une organisation massive, mais a cependant joué un rôle non négligeable dans la restructuration de la gauche radicale helvétique. Suite à l’édition d’Octobre, à laquelle s’ajoutent les nombreux livres et revues publiés par La Cité, ainsi que son activité militante, Andersson est expulsé de Suisse à la fin de l’année 1966 :

Trop profondément engagé politiquement en raison de ses activités passées, entouré exclusivement d’éléments extrémistes, entretenant de nombreuses relations avec des milieux révolutionnaires et nationalistes européens, africains et latino-américains, lié commercialement avec des entreprises d’éditions étrangères qui ne sauraient publier autre chose qu’une littérature hostile aux gouvernements et régimes occidentaux (…) Sa présence en Suisse est de nature à mettre en danger la sécurité intérieure et surtout extérieure de la Confédération. (cité p. 299)

Le 31 Janvier 1967, Andersson quitte donc la Suisse pour la France où un droit de transit lui est accordé, puis pour Bruxelles, où il travaille pour les éditions du Parti Communiste de Belgique (ML) et où il écrit de temps à autre pour La Voix du Peuple. Suite à son expulsion de Suisse, Andersson relate ses nombreux périples, mais s’attarde notamment sur son séjour de 5 ans (1967 – 1972) en Albanie. Il y poursuivit sont travail éditorial et militant puisqu’il y collabore avec Radio Tirana – qui diffuse du contenu en 24 langues – mais également avec les Éditions Naïm Frashëri – notamment sur les traductions françaises.

De cette façon, Andersson participe à l’édition, en langue française, de textes d’Enver Hoxha, et plus largement d’ouvrages politiques. Nils Andersson insiste d’ailleurs sur la qualité souvent excellente des traductions vers le français. Les passages sur l’Albanie de Mémoire éclatée sont particulièrement fascinants ; l’auteur y décrit les évolutions historiques mais également les enjeux politiques contemporains qui ont cours en Albanie. Outre les motivations éditoriales et la nécessité de trouver un pays où s’installer, Andersson insiste sur le fait que vivre en Albanie pourrait lui faire découvrir et comprendre le « régime de la dictature du prolétariat ».

Ses notes sur sa vie sur place comprennent la description de la société albanaise, un retour historique sur la lutte de libération nationale de l’Albanie, ainsi que des réflexions sur le fait que libérer un pays lui semble plus facile que de réellement changer la société, sur le système éducatif albanais mais aussi les rapports sociaux de genres. Un témoignage réellement fascinant qui offre une autre focale sur les pays du socialisme réellement (in)existant après la Seconde Guerre mondiale, sans sombrer dans une homogénéisation caricaturale du régime de Hoxha, qui occulte trop souvent la complexité de la réalité albanaise d’après-guerre :

Avoir le marxisme comme fil rouge, s’en tenir fermement aux principes, savoir lier la théorie et la pratique, garder son esprit critique en éveil, ne suffit pas à répondre à chaque situation, chaque obstacle, chaque interrogation. La contradiction est au fondement de la vie et de l’action ; l’oublier c’est la probabilité que l’adhésion devienne rejet. (p. 388)

Andersson ne dresse donc pas un tableau sans ombre de l’Albanie dans laquelle il a vécu pendant cinq ans. Il consacre ainsi un chapitre entier à une critique des aspects qui lui semblent les plus problématiques : la politique de natalité, la jeunesse, le rapport à l’art, etc. Et pourtant, il écrit que « les Albanais n’ont jamais, au risque de scandaliser, connu au cours de leur histoire autant de ‘’démocratie’’ » (p. 418) :

Pour juger des avancées vers plus de démocratie ou des régressions totalitaires, il n’est pas d’étalon universel, il faut prendre en compte l’Histoire longue de chaque peuple, ses règles sociétales, le contexte géographique et politique qui est le sien, la personnalité des hommes et des femmes qui détiennent les pouvoirs, la stabilité intérieures du régime et les menaces extérieures, la conception que la société a de l’ordre et de la sécurité et de multiples autres composantes. (p. 419)

Les voyages d’Andersson, ses rencontres, ses activités militantes et éditoriales, permettent d’avoir un aperçu complexe de la Guerre Froide, d’une époque emplie de contradictions et de mutations essentielles dans la vie politique et intellectuelle. Quittant l’Albanie pour se rendre en Suède, Andersson y reprend son activité de diffuseur, grâce à Maspero et Lindon, qui le mettent en contact avec de grandes maisons d’édition françaises. Il n’abandonne cependant pas pour autant son activité militante puisqu’il y adhère au Parti Communiste et à l’association d’amitié avec l’Albanie.

Finalement, au début des années 1990, Andersson revient en France, où il observe et participe au mouvement anti-guerre et plus largement à la naissance de ce que l’on nomme parfois « l’altermondialisme ». C’est sur son entrée à Attac, sur ses engagements les plus récents pour le respect du droit (qui lui apparaît comme un « terrain politique ») et au sein de « Sortir du colonialisme », que se conclut le livre.

Ces mémoires offrent donc bien plus que « le reflet d’un cheminement » (p. 523), elles donnent réellement corps aux luttes qui ont dynamisé la seconde moitié du XXe siècle et l’entrée dans le XXIe siècle. Elles offrent un éclairage particulier sur les engagements passés, présents et à venir, de son activité d’éditeur, d’intellectuel organique de toute une partie de l’extrême gauche de la seconde moitié du XXe siècle, de militant, etc., mais aussi de la révolution algérienne à Attac, en passant par une défense critique du régime d’Enver Hoxha.

Le parcours de Nils Andersson est fascinant à plus d’un titre et offre une vue stimulante des luttes défaites qui ne constituent qu’un maillon dans la série des défaites historiques, mais qui offrent le terreau sur lequel seront susceptibles de fleurir les victoires futures. Dans la situation calamiteuse dans laquelle se trouve la gauche actuellement, lire ces mémoires permet non seulement de prendre du recul sur le processus des luttes politiques, mais constitue aussi le moyen de se remémorer la trajectoire d’un homme qui n’abandonna jamais la lutte, malgré les déconvenues.

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