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M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot, Tentative d’évasion (fiscale), Paris, Zones, septembre 2015, 17 euros.

Du sur-mesure fiscal pour les multinationales

Le Luxembourg, en commercialisant sa souveraineté nationale, avec la complicité bienveillante de tous les responsables politiques qui œuvrent ou ont œuvré à la construction de l’Europe, a ouvert ses portes aux multinationales qui considèrent que les nations ne sont que les relais utiles à la réussite de manœuvres rocambolesques pour payer le moins d’impôts possible. Les rescrits fiscaux (ou tax rulings) sont des accords octroyés par le Luxembourg pour les attirer sur son territoire. Des discussions aboutissent à un régime fiscal plus favorable aux multinationales que ceux auxquels elles seraient soumises dans les pays où elles réalisent leurs bénéfices. Il s’agit bien d’arrangements, assortis parfois de conditions de délocalisation au Luxembourg et d’engagements concernant les emplois et les investissements dans le pays.

Dès le début des années 1980, face à la crise persistante de la sidérurgie, l’idée de monnayer la souveraineté nationale du Grand-Duché a germé chez les économistes. Un jeune économiste, aujourd’hui gouverneur de la Banque centrale du Luxembourg, cité par le journaliste Bernard Thomas, définissait en 1983 dans le mensuel Forum cette idée : le Luxembourg ayant la « mainmise sur son cadre législatif et fiscal, il peut utiliser sa souveraineté pour attirer des facteurs de production (capital, travail…) étrangers en leur offrant des avantages réglementaires, concessionnaires, fiscaux ou autres, que seul un État peut concéder, décider ou créer. La souveraineté est donc un capital dont on peut tirer un rendement ». Les raisons de cette cession commercialisée de la souveraineté nationale sont à rechercher dans la concurrence des entreprises pour être toujours plus compétitives dans l’attribution de toujours plus de dividendes aux actionnaires. Ces raisons agissent au cœur de l’oligarchie mondialisée qui se joue des intérêts des États. Que Jean-Claude Juncker ait pu être nommé à la présidence de la Commission européenne est un signal fort donné en faveur de cette commercialisation des souverainetés nationales au profit des multinationales. Le Luxembourg est en effet le seul pays à avoir bénéficié à trois reprises de la présidence de la Commission : Gaston Thorn (1981-1985) et Jacques Santer (1995-1999) ont précédé Jean-Claude Juncker. Le rôle du Luxembourg dans la construction européenne est dû également à sa position géographique au cœur de l’Europe. Les Luxembourgeois ont une langue nationale, mais, en plus, la plupart parlent couramment l’allemand et le français, l’anglais étant devenu une autre langue courante. Les tensions entre le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France se sont aussi trouvées atténuées par la place du Luxembourg dans la construction de l’Union européenne.

 

Le bureau no 6, lieu de tous les secrets

Tout près de notre hôtel se situe l’immeuble de l’administration fiscale des contributions directes du Grand-Duché, au 18 rue du Fort Wedell. Les contribuables viennent déposer leurs déclarations, demander des renseignements ou un sursis dans le règlement de leurs impôts. C’est un immeuble d’une dizaine d’années, dont les cinq étages de bureaux s’organisent entre un empilement de baies vitrées et un autre de panneaux marron. Une entrée minuscule pour l’accueil du public est aménagée dans un angle du parallélépipède. Rien de remarquable, un bâtiment administratif comme tant d’autres qui n’attire l’attention que de ceux qui doivent s’y rendre. Dont quelques-unes des plus grandes multinationales, ou leurs représentants, qui ont rendez-vous dans le bureau no 6 où se négocient les tax rulings. C’est là que Marius Kohl a signé les accords fiscaux entre le Grand-Duché et Apple, Amazon, Ikea, LVMH et tant d’autres. Marius Kohl est présenté par la presse comme le héros solitaire du bureau no 6, alors que, selon Justin Turpel, député du parti de gauche Déi Lénk, « en réalité, Marius Kohl n’avait qu’à vérifier que les tax rulings proposés étaient bien conformes à la législation fiscale luxembourgeoise, avant d’apposer sa signature. Ce sont les Big Four qui préparent et proposent ces avantages fiscaux », comme il nous l’a précisé au cours d’un entretien à Luxembourg.

L’entrée de l’immeuble ne paie pas de mine. Quelques chaises, un chauffage efficace, de quoi réparer les méfaits du vent et de la pluie. Deux grands bacs occupent un bon tiers de cet espace. Des couvertures kaki posées à la va-vite les dissimulent, ce qui laisse l’impression fugitive d’être à l’entrée d’une morgue. Peut-être s’agit-il de dossiers confidentiels promis à une incinération prochaine ?

En ce mercredi 14 janvier 2015, au milieu de la matinée, le public est rare, de condition modeste, composé d’immigrés africains. Le seul personnage tranchant sur cette maigre foule surgit des étages comme une marionnette, portant un ordinateur visiblement lourd, grand écran plat muni de son pied. Le déménageur à la tenue élégante arbore un large sourire attestant probablement de la conclusion heureuse d’un accord fiscal lui ayant été fort agréable. Ayant rassemblé ses forces, il franchit le seuil de l’hôtel des Impôts et disparaît dans un long véhicule noir, en parfaite adéquation avec son élégance.

Le fiscaliste en chef d’Amazon de 2000 à 2011, Robert D. Comfort, a été chargé de proposer un siège européen à cette multinationale américaine ; c’est le quartier boboïsé de Clausen, au cœur de la ville de Luxembourg, qui fut choisi, et un millier d’emplois créés. « Le gouvernement luxembourgeois aime à se présenter comme business partner et je pense, dit ce fiscaliste dans un entretien à d’Lëtzeburger Land, que cette caractérisation est exacte : il aide à résoudre des problèmes. » Mais il précise que « c’est bien nous qui avons contacté le Luxembourg et non l’inverse ». Robert D. Comfort euphémise la démarche d’Amazon : « Nous faisons ce que font toutes les multinationales : minimiser notre charge fiscale dans la mesure légalement prévue. » Les profits sont déclarés au Luxembourg, mais les sites de stockage et de distribution sont au Royaume-Uni, en Allemagne et en France. Lorsque ce fiscaliste a pris sa retraite en 2011, il a été tout naturellement nommé consul honoraire du Luxembourg pour la région de Seattle aux États-Unis, où Amazon a été créée en 1996. « Ce n’est pas une fonction rémunérée, mais comme retraité, cela m’amuse d’aider à expliquer à d’autres firmes que le Luxembourg est une bonne business location. » Ainsi se conclut cet entretien mené par Bernard Thomas. Celui-ci précise que le gouvernement luxembourgeois s’appuie, à travers le monde, sur 150 consuls honoraires et 30 conseillers au commerce extérieur.

L’optimisation fiscale d’Amazon a été accomplie au terme d’un parcours sans faute facilité par le fait que les organisations fédérant les intérêts des libraires et des maisons d’édition sont restées silencieuses. Le chantage à l’emploi est constant dans ces cadeaux fiscaux faits aux multinationales.« La finance reste le moteur de l’emploi », titre un article du journal Le Quotidien du 13 janvier 2015. « Concernant le secteur juridique et des risques, de nombreuses institutions financières au Luxembourg réalisent des changements significatifs pour s’adapter aux nouvelles réglementations, notamment dans le domaine de l’antiblanchiment d’argent. Dans ce contexte, les institutions sont de plus en plus à la recherche de profils qualifiés dans le domaine juridique, capables de faire le lien entre leur établissement et les autorités de régulation. »

 

PwC, par qui le scandale des rescrits fiscaux a éclaté

Avec 33,9 milliards de dollars de chiffre d’affaires et 195 433 employés à travers le monde, le cabinet d’audit et de conseil fiscal PricewaterhouseCoopers, plus connu sous l’abréviation PwC, est le deuxième des Big Four, après Deloitte. Au Luxembourg, c’est le sixième employeur, avec 2 600 salariés.

L’un des collaborateurs français du cabinet PwC, Antoine Deltour, a, lors de son départ de cette société, copié et remis confidentiellement des milliers de pages d’accords fiscaux au journaliste Édouard Perrin, lequel les a exploitées pour un reportage dans le cadre de l’émission Cash Investigation, diffusée sur France 2 en 2012. Puis il les a confiées au Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) qui regroupe quarante médias internationaux formant un réseau de surveillance des compromissions et abus principalement fiscaux. Le 6 novembre 2014 éclate donc, après Offshore Leaks en 2013, un nouveau scandale, baptisé « Lux Leaks ». En anglais, leaks signifie « fuites ». 28 000 pages des archives de PwC sont ainsi diffusées, mises à la disposition de la presse et des associations de lutte contre la fraude fiscale. Le rôle joué par ce cabinet de conseil est révélé pour les années 2002 à 2010. Une période durant laquelle Jean-Claude Juncker, président actuel de la Commission européenne, était à la fois le Premier ministre du Luxembourg, son ministre des Finances et le président de l’Eurogroupe. Mais c’est l’auteur présumé de cette fuite sans précédent qui a été convoqué par le parquet du Luxembourg, mis en examen pour « violation du secret des affaires » et passible de cinq ans de prison. Grâce à ce lanceur d’alerte, les 548 accords secrets sur ces « rescrits » fiscaux, ces arrangements réduisant les taux d’imposition, dont 340 concernent des multinationales, sont entre de bonnes mains. Sur les 548 accords, 58 concernent des sociétés françaises, dont le Groupe Wendel, doté d’une filiale Winvest à Luxembourg.

Les conditions de travail sont exigeantes pour les salariés de ces grands cabinets qui font l’objet d’une forte pression et d’une mise en concurrence systématique. Mais « ce que les Big Four omettent de mentionner, écrit Bernard Thomas, c’est que, en fin de compte, très peu de leurs nouveaux talents restent ; le turn over est énorme et constitue un point de vulnérabilité (notamment au niveau de la sécurité des données) ».

 

La Cloche d’Or

Des centaines de salariés de PwC sont présents dans la zone d’activités de la Cloche d’Or, la bien nommée, accessible par le bus de la ligne 18. La circulation mêle fourgonnettes de livraison et grosses cylindrées, d’un noir briqué bon chic. Soudain, un véhicule rouge, dans le genre rase-mottes, surgit dans un vrombissement saisissant. Michel décide que c’est une Ferrari, mais un ouvrier en bleu de travail, occupé sur un chantier de voirie, détrompe l’imprudent sociologue. « Non, c’est la Lamborghini d’un PwC ! » rectifie-t-il avec une certaine jubilation. Ceux qui n’ont pas de voiture peuvent utiliser la navette PwC qui relie les bâtiments répartis en divers endroits de cette vaste zone d’activités. Une dispersion sans doute chronophage qui, bientôt, aura vécu : un énorme ensemble immobilier de bois et de verre, offrant 30 000 mètres carrés de bureaux en plein champ, baptisé Chrystal Park, a été inauguré le 24 novembre 2014 en présence du Premier ministre, du ministre des Finances, Pierre Gramegna, et du ministre du Développement durable. Des ex-ministres, des députés, le bourgmestre de la ville de Luxembourg, « sans oublier le Who’s Who de l’optimisation fiscale et quelques patrons luxembourgeois. Le grand-duc héritier Guillaume s’était fait excuser, le maréchal de la Cour, Pierre Bley, le remplace », écrit Bernard Thomas dans un article intitulé « Les associés ». La conclusion du discours du ministre des Finances, pourtant en pleine affaire d’arrangements fiscaux taillés à la mesure des besoins des multinationales, vaut la peine d’être citée : « Que la lumière rentre dans ce bel immeuble et nous procure ce que nous souhaitons tous, ce dont nous avons tous besoin : de la transparence ! » Une haute sculpture argentée monte vers le ciel, ancrant ses 15 tonnes d’acier dans le sol mais ouvrant majestueusement ses lamelles sur le ciel, selon l’inspiration de l’artiste français Stéphane Guiran.

L’implantation de ce cabinet dans cette zone d’activités à dix minutes de bus de la gare de Luxembourg est en adéquation avec cette cloche d’or de l’évasion fiscale. Le nombre de boîtes aux lettres identifiées par les noms de dizaines de sociétés partageant la même adresse est impressionnant. Le sabir anglo-saxon des holdings, private bank, finance corporation ajoute du mystère à cette tricherie immature. Bien entendu, il s’agit de sociétés domiciliées à Luxembourg pour les avantages fiscaux, mais dont la présence se réduit le plus souvent à leur mention sur une boîte aux lettres.

Le train de vie de PwC est proportionnel aux avantages fiscaux que ses mandataires obtiennent en faveur des sociétés multinationales qui font appel à ses services. À elle seule, la division « tax » a généré, de juillet 2013 à juillet 2014, un revenu de 85 millions de dollars, en hausse de 9 % par rapport à l’année précédente. Le chiffre d’affaires de l’ensemble du cabinet s’est élevé à 315 millions pour la même période, alors qu’en 2004 celui-ci n’était que de 100 millions de dollars.

Le conflit d’intérêts est toujours là pour régler les problèmes du moins-disant fiscal. Un haut cadre de chez Deloitte n’a pas hésité, le 1er mai 2013, à « changer de casquette pour devenir consultant du ministère des Finances et représenter le Luxembourg à l’OCDE […]. Une année durant, le Luxembourg a envoyé ainsi à Paris un ancien représentant des Big Four embauché pour discuter comment endiguer l’optimisation fiscale agressive… organisée par les Big Four ».

Mais le sujet de l’optimisation fiscale des multinationales n’a été qu’à peine effleuré au cours de la visite, le 6 mars 2015, de François Hollande à Luxembourg où il a été reçu par le grand-duc Henri et la grande-duchesse Maria-Teresa. Il s’agissait de ne surtout pas gêner la signature de deux contrats avec Airbus Defence and Space et Arianespace.

 

L’affaire Lux Leaks, un tsunami au Grand-Duché

Le jeudi 6 novembre 2014, la presse dévoile les rescrits fiscaux accordés aux multinationales par le Luxembourg. C’est un jeudi noir pour les responsables politiques, mais un jeudi rouge pour les militants et les élus de la gauche de Déi Lénk. « Enfin, on va pouvoir discuter de cette niche fiscale publiquement, car les impôts doivent être payés là où la plus-value est produite, nous a affirmé Justin Turpel avec un sourire victorieux. Grâce à Antoine Deltour et au formidable travail du Consortium international des journalistes d’investigation, les rescrits fiscaux sont désormais du domaine public. Et même si l’on continue à nous dire que d’autres pays européens, comme les Pays-Bas ou l’Irlande, font la même chose et qu’en plus c’est légal, pour moi, cela ne change rien, c’est du vol et de l’escroquerie, c’est tout ! » Pourtant, ce député est persuadé qu’il ne s’agit encore que de la partie émergée de l’iceberg. À la question sur les réactions des Luxembourgeois face à une telle révélation, cet élu nous a confié avoir été « surpris par le fait que de nombreux citoyens pensent que de tels avantages fiscaux ne peuvent plus continuer, se reconnaissant derrière le mot d’ordre “pas en mon nom”. Mais, pour d’autres, c’est plutôt “pourquoi voulez-vous interdire quelque chose qui profite à tout le monde ?”. Enfin, il en est qui n’ont pas hésité à stigmatiser cette “traîtrise envers la nation” de ceux qui osaient rendre hommage au courage d’Antoine Deltour ». Justin Turpel rappelle que les rescrits fiscaux ont été institués au Luxembourg en 1989 par une simple circulaire administrative. Or l’article 99 de la Constitution du Grand-Duché dispose qu’« un impôt au profit de l’État ne peut être établi que par une loi ». Cet article est même renforcé par l’article 101 qui stipule qu’il « ne peut être établi de privilèges en matière d’impôts. Nulle exception ou modération ne peut être établie que par une loi ». Aussi n’est-on pas surpris d’apprendre dès le 7 novembre 2014, dans un entretien au Monde, que le ministre des Finances luxembourgeois, Pierre Gramegna, souhaite rendre légale la pratique des tax rulings. « Nous avons décidé, dit-il, d’inscrire dans la loi ce qui est aujourd’hui une décision administrative » car « le maintien d’une certaine compétitivité loyale entre les États, dans le domaine fiscal, est indispensable ».

Le champ couvert par le terme « compétitivité » conçu par les entreprises s’est élargi, dans la construction néolibérale de l’Europe, aux États. Ceux-ci, sous la domination d’une « gouvernance » technocratique, favorisent le « dumping » fiscal et social, dans une terminologie anglo-saxonne venue tout droit du point nodal de l’exploitation de la force de travail, le monde de l’entreprise. La compétitivité est devenue centrale, le marché, la concurrence « libre et parfaite » trouvant leur point d’orgue dans la compétition.

Les rescrits fiscaux et les cellules de repentance de Bercy ont un point commun : il s’agit d’une relation de confiance entre une entreprise ou un particulier et l’administration fiscale. Il s’engage un débat, qui n’est pas celui d’un tribunal, où ce qui est en jeu est la manière d’appliquer la loi. Dans ces « négociations » entre l’optimiseur ou le fraudeur et l’administration, il s’agit de concilier les intérêts des deux parties, le profit de l’entreprise ou du particulier et celui de l’État. Les mécanismes d’optimisation fiscale et les taux d’imposition retenus sont juridiquement garantis dans un contrat, le plus souvent établi par un cabinet d’audit comme PwC.

Une déréglementation rampante est à l’œuvre. L’État trafique avec la compétitivité comme alibi. L’État n’est plus en mesure d’appliquer la loi de façon égale. Alors on discute, on marchande. Il ne suffit pas de jouer correctement sur le terrain. Être compétitif suppose de franchir les limites.

 

Les rescrits fiscaux face à la « concurrence libre et non faussée » des traités européens

Pierre Moscovici, le commissaire européen aux Affaires économiques et à la Fiscalité, ne conteste pas la légalité des rescrits fiscaux. Mais, devant la tempête médiatique des révélations de Lux Leaks, il a dû réactiver sans empressement une enquête déjà en cours pour vérifier que les rescrits fiscaux négociés au Luxembourg ne puissent pas être interprétés comme des aides de l’État, ce qui est interdit par les règles de la libre concurrence du marché européen. « Un traitement inégal ne constitue-t-il pas une aide de l’État dans le sens de l’article 108 du traité de l’Union européenne ? » a demandé le député Justin Turpel à la Commission des finances de la Chambre des députés de Luxembourg. Que devient en effet la libre concurrence quand le taux d’imposition sur les sociétés est au Luxembourg de 29 %, alors que celui des multinationales oscille entre 0,0156 % et 3 %, créant une inégalité criante entre les multinationales et les PME ?

L’image d’Amazon ayant été mise à mal par la visibilité médiatique acquise par les rescrits fiscaux, la multinationale américaine a annoncé le 26 mai 2015 sa décision de payer des impôts dans les pays où elle réalise des profits. Cela quelques jours avant la réunion des ministres des Finances du G7 (États-Unis, Canada, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni et Italie) consacrée en partie à l’optimisation fiscale des multinationales. Le plan d’action baptisé BEPS (Base Erosion and Profit Shifting), consacré au prix de transfert qui consiste à placer les bénéfices dans les paradis fiscaux, mais les coûts et les charges dans les pays où les impôts sont les plus élevés, a fait l’objet de négociations difficiles. Selon Anne Michel, les États-Unis se sont montrés « inquiets des conséquences concrètes du projet BEPS sur leurs grandes entreprises » (Le Monde, 30 mai 2015).

Quant à Justin Turpel, il se plaint du temps consacré à la préparation des budgets et de celui réservé aux comptes à la Chambre des députés au détriment des questions politiques de fond. « Le budget, c’est la lecture dans le marc de café, dit notre interlocuteur. Vous devez subir des heures de prévisions vagues, avec des chiffres, des pourcentages du PIB, toujours au nom de la croissance et de la compétitivité. Par contre, moi, je n’ai que cinq minutes pour donner mon avis sur les comptes et les bilans de l’État ! Du coup, pour celui de 2013, je me suis contenté d’une remarque concernant l’évolution de la part, dans les impôts directs, des sociétés et des ménages. Alors qu’en 2003 les sociétés et les ménages contribuaient pour moitié au montant total des impôts directs, la part des ménages grimpe aux deux tiers en 2013, celle des sociétés ne représentant plus qu’un tiers. J’ai conclu qu’à court terme un ratio des trois quarts à la charge des ménages et un quart pour les sociétés était fort probable. Devant l’intérêt porté à mes propos, j’ai pu ajouter que 14,16 % de la population du Luxembourg vit en dessous du seuil de pauvreté, mais que sans les transferts sociaux ce pourcentage grimperait à 49,5 %. » Le silence a été de plomb tant ces réalités sont extérieures à une Chambre qui ne compte que deux députés de gauche.

 

Un musée de la banque

Que restera-t-il pour la postérité de ces rescrits fiscaux, de ces holdings et autres fondations patrimoniales ? Quels sont les souvenirs objectivés du monde de la finance ?

Inauguré en 1995, le musée de la Banque et de la Caisse d’épargne de l’État (BCEE) nous apportera un début de réponse. L’entrée de ce musée, sur la place de Metz, au cœur de la capitale, est libre. Des billets de 100 francs de 1956 attestent du poids prédominant de la sidérurgie par les usines et les cheminées qui les illustrent. On peut entrer dans un impressionnant coffre-fort, dont on ressort les mains vides. Le souvenir des francs luxembourgeois est ravivé par l’utilisation artistique qui est faite des fragments des billets détruits puisque devenus obsolètes avec la naissance de l’euro. Des salles de marché, vides de traders mais pleines d’ordinateurs, de cédéroms périmés, redonnent vie à l’animation financière d’autrefois. Des graphiques exhibent des courbes toujours ascendantes, légitimant et glorifiant la place financière qu’est devenu le Luxembourg. Une médaille de 1990 commémore le centenaire de la dynastie Nassau qui règne encore sur le Grand-Duché. Une machine à compter les billets rappelle la matérialité d’antan de l’argent. Des notes de poésie émanent d’une multitude de tirelires attestant d’une belle inventivité et des reconstitutions de bureaux du début du XXe siècle occupés par des employés en cire. Une statue apparemment irrévérencieuse semble symboliser le banquier, avec une tête de cochon.

 

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