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À propos de l’ouvrage de François Jarrige, Technocritiques. Du refus des machines à la contestation des technosciences, La Découverte, Paris, 2014, 28 euros.

 

François Jarrige est un historien des sciences et des techniques spécialiste de l’histoire des oppositions au changement technique. Il a rédigé plusieurs ouvrages sur les luddites1 et autres exemples historiques de bris de machines2. Dans ce nouvel ouvrage, il s’essaie à retracer une fresque historique de plus de deux siècles de ce qu’il dénomme « refus de la technique », « contestation de l’agir technique » ou encore « technocritique ». Ce faisant, l’auteur souhaite offrir une lecture des luttes contre l’imposition des techniques qui tranche avec l’image, qui leur est souvent renvoyée, d’être intrinsèquement porteuses d’une idéologie « rétrograde et dangereuse ». A contrario, F. Jarrige souhaite redonner voix à des acteurs et actrices varié·e·s (artisan·e·s du début du XIXe, socialistes utopiques, intellectuel·le·s, militant·e·s écologistes du XXe siècle, etc.) issu·e·s de multiples exemples historiques de refus de techniques, afin de faire transparaître la complexité de leurs motivations et la diversité de leurs positions sociales. Redonner la parole à certain·e·s vaincu·e·s de l’histoire et du sens à leurs projets n’est pour autant pas la seule motivation de l’auteur. Il s’agit aussi de prouver que ces individu·e·s ne se sont pas historiquement opposé·e·s à l’intrusion de techniques par simple esprit conservateur. En effet, ceux-ci et celles-ci ont bien souvent agi en fins connaisseurs des techniques rejetées et de leurs effets sociaux. C’est précisément parce qu’ils et elles comprenaient le sens de ces techniques, et que celles-ci introduisaient des bouleversements profonds dans leur environnement et leur mode de vie, que ces actrices et acteurs ont attaché de l’importance à s’y opposer.

Pour l’auteur, les techniques sont au cœur de l’activité humaine. Cela n’aurait donc pas de sens de les critiquer en soi, par essence. Pour autant, selon F. Jarrige, les techniques ne constituent pas un objet politiquement neutre, elles « sont porteuses de trajectoires, de rapports de force, en un mot de domination » (p. 18). Non seulement parce qu’elles façonnent le quotidien, mais aussi par les effets parfois irréversibles de certains choix technologiques (le nucléaire en est un bon exemple), il s’agit d’outils qui participent à la structuration des rapports sociaux et à en façonner les trajectoires historiques. Ainsi, pour F. Jarrige « la ligne de fracture ne passe pas entre les partisans et les opposants à la technique, mais entre ceux qui prétendent que les techniques sont des outils neutres, que le progrès technique est un dogme non questionnable, et ceux qui y détectent des instruments de pouvoir et de domination, des lieux où se combinent sans cesse des rapports de force et qui, à cet égard, doivent être critiqués » (p. 12). L’auteur se place clairement dans le deuxième de ces groupes.

F. Jarrige propose une périodisation des deux derniers siècles qui se divise en trois grandes phases. La période allant de 1800 à 1850, qui marque « l’invention de l’industrialisme », serait celle d’un techno-criticisme important face à l’industrie et à ses machines, à une époque où le progrès technique était loin d’avoir acquis le statut d’évidence. Ceci se transforme radicalement dans la période suivante, qui va de 1850 à 1945 environ. Durant cet « âge des machines » le mot d’ordre du progrès devient le cadrage principal de la justification de l’introduction des techniques, les critiques étant rejetées aux marges de la société et dénoncées comme dangereuses. La troisième période, allant de la Seconde Guerre mondiale à aujourd’hui, serait quant à elle marquée par un emballement et une mondialisation de l’introduction des techniques, débouchant sur une « artificialisation du monde ». En parallèle, cependant, les multiples catastrophes environnementales et sanitaires des dernières décennies auraient ouvert un nouvel espace à la critique radicale des techniques, incarnée notamment par une frange du mouvement écologiste contemporain.

 

1800-1850, les machines et « l’invention de l’industrialisme »

Pour F. Jarrige, l’industrie est historiquement porteuse d’un nouveau rapport social aux techniques, qui s’est traduit par la mise en valeur de l’invention technique. Les techniques sont peu à peu devenues une sphère à part du social, autonome, valorisée en tant que telle. L’ère industrielle marquerait ainsi une rupture dans la nature même des outils techniques : alors que « l’outil préindustriel » représentait le « prolongement de la main et du savoir-faire » (p. 28), les machines industrielles marqueraient l’entrée dans un nouvel âge technique. Pour l’auteur, celui-ci ne se définit non pas par la complexification des outils mais par une transformation du statut de celui qui les manipule : ce dernier est désormais dépossédé du contrôle entier de l’outil, il est asservi par un « système technique ». La thèse de F. Jarrige est forte : selon lui, dans les sociétés pré-industrielles « la résistance était inutile car la technique ne constituait pas une force dominante à laquelle il aurait fallu s’opposer, elle n’était qu’un outil par lequel les hommes vivaient leur rapport intime au monde » (p. 28). Toute histoire de la « technocritique » se doit donc de commencer au tournant industriel des sociétés.

Cette reconfiguration du statut des techniques va de pair avec les transformations socio-économiques d’ampleur du tournant industriel, à savoir le développement de l’économie de marché capitaliste, et son corollaire, la prolétarisation progressive des populations. Ce sont précisément ces bouleversements sociaux, intimement liés à la place nouvelle de la machine, qui expliquent l’émergence des « technocritiques », car « c’est lorsque la technique a commencé à être conçue comme la principale force de transformation de la société que la question des critiques et oppositions a émergé comme un enjeu de discours et un ensemble de pratiques » (p. 41).

François Jarrige s’intéresse longuement aux phénomènes de bris de machine qui émergent en Angleterre à la fin du XVIIIe siècle – principalement dans le secteur textile, où l’introduction des machines a radicalement transformé l’économie des régions rurales. Sans parler d’un phénomène de propagation – il semble que ces initiatives de lutte restent très localisées – , des émeutes contre l’introduction des machines dans les ateliers (se finissant parfois par la destruction des machines) se répètent dans toute l’Europe jusqu’aux années 1848, formant alors une modalité centrale du conflit entre capital et travail. Le textile ne fut par ailleurs pas le seul à faire l’objet de critiques radicales des machines à cette époque : d’autres secteurs urbains de production (imprimerie, tailleurs, chapeliers, marbriers, etc.) furent aussi touchés par des bris de machines. Selon l’auteur, ces

« conflits autour de la mécanisation et les critiques des machines peuvent être décrits de façon plus adéquate comme des tentatives pour définir des trajectoires alternatives à la grande production de masse naissante. Alors que les grandes machines contrôlées par les capitalistes menacent leur mode de vie, les artisans et gens de métiers cherchent un autre chemin à une époque où les procédés manuels, les petites mécaniques souples et adaptables peuvent encore donner lieu à de nombreuses améliorations. »

François Jarrige semble donc avant tout concevoir les phénomènes de bris de machine comme l’expression d’une opposition entre deux manières de concevoir la production. D’un côté la « production de masse, qui emploie des machines spécialisées et du travail déqualifié », et de l’autre la « production flexible, qui recourt à un travail qualifié et à des machines souples ». Tout au long de son récit, la démarche de l’auteur – qui consiste avant tout à s’intéresser à l’aspect technique de ces luttes sociales – semble introduire un biais. Ou peut-être plus précisément, l’auteur entretient plus ou moins délibérément un flou concernant le fondement des critiques luddites : s’agit-il de lutter contre un facteur de misère sociale, ou bien contre l’imposition d’un système technique qui nie l’autonomie et les savoir-faire des producteurs ? On notera d’ailleurs – et ceci n’est pas un hasard – que l’auteur qualifie régulièrement les luddites de « critiques populaires » des techniques ; la caractérisation sociologique « populaire » ayant l’avantage de brouiller les distinctions de classe économique entre les acteurs (et donc les discours) considérés3, construisant ainsi un tout globalement homogène là où il faudrait peut-être distinguer des divergences profondes d’intérêts – entre la petite-bourgeoisie et la classe ouvrière naissante –, nous y reviendrons.

Par opposition à la grande industrie naissante et à ses machines, l’auteur souhaite insister sur l’inventivité technique des « milieux populaires », porteurs selon lui d’un projet alternatif de rapport à la technique. Il entend par là les diverses formes de bricolage, de perfectionnement des outils et des techniques – souvent extrêmement localisés et incorporés dans des savoir-faire individuels – qui ont permis aux petits producteurs de tenir tête à la grande industrie pendant au moins un temps.

Plus il avance dans le XIXe siècle, plus F. Jarrige constate une transformation des oppositions ouvrières aux machines.

« Pour être audibles et faire reconnaître leurs revendications, [les ouvriers] doivent adapter leur langage protestataire au nouveau contexte, imprégné par la croyance dans les bienfaits de l’industrie et des techniques. » (p. 65-66).

Après 1850 « la critique des techniques devient de plus en plus illégitime » (p. 68). Le socialisme naissant n’est d’ailleurs pas entièrement innocent, d’après l’auteur, à ce phénomène d’inhibition de la critique technicienne. Il aurait largement participé à populariser l’idée de neutralité de la technique, et la notion de progrès. Le socialisme utopique est en effet fortement marqué par des questionnements sur les machines et leurs effets sociaux (notamment les phalanstériens autour de Charles Fourier, le saint-simonisme, Proudhon). La question de la réappropriation des machines et de leur mise au service d’une production coopérative est centrale dans ces théories politiques. Pour l’auteur, le mouvement socialiste naissant est alors en partie marqué par un « technologisme utopique » (p. 112), le progrès technique étant perçu comme porteur de perspectives émancipatrices – permettant de diminuer la durée et la pénibilité du travail humain, de décupler les forces productives –, et le problème fondamental du socialisme étant de réorienter les techniques de l’exploitation de l’homme par l’homme vers l’exploitation rationnelle de la nature. En somme, il s’agit de « civiliser le changement technique » (p. 115) : pour cela d’autres formes d’organisation sociale de la production, telles que l’association, peuvent être mises en avant, sans pour autant remettre en cause les machines en elles-même. Pour résumer, selon F. Jarrige :

« Alors que les techniques industrielles sont adoptées avec lenteur dans la pratique, qu’elles font l’objet de conflits et provoquent des critiques, elles sont progressivement investies de nombreuses attentes dans les discours politiques et deviennent un puissant mythe collectif. Elles sont justifiées par les théoriciens de l’économie politique au nom des lois du marché et de la suprématie de l’industrie. […] Les républicains et radicaux, comme les mouvements socialistes, sont certes méfiants et critiques de l’usage des machines dans le système capitaliste et les régimes autoritaires, mais selon eux leurs défauts sont amenés à disparaître au fur et à mesure des conquêtes démocratiques et sociales. La critique des machines et du nouvel agir technique industriel est peu à peu exclue des débats. Les doutes et contestations qui s’expriment au début du XIXe siècle tendent à s’affaiblir au profit d’un nouveau paradigme dans lequel la technique devient la condition du salut et le fondement de la nouvelle religion du progrès. […] l’utopie industrialiste promet désormais le développement infini des forces productives pour libérer l’homme de la rareté, de l’injustice et du malheur. » (p. 119-120)

 

1850-1945, le progrès et « l’âge des machines »

Pour F. Jarrige, l’installation progressive du « discours du progrès technique » est au cœur d’un phénomène historique de détournement des critiques de la technique de leur cible première (les machines). Selon lui, ce discours du progrès se caractérise par trois traits principaux : une vision évolutionniste de l’histoire, une identification du progrès technique au progrès social, et une dissociation entre les techniques et leurs effets. Ce discours participe à forger un nouveau rapport au temps, futuriste, tourné vers l’avenir. Le temps est désormais linéaire et irréversible, et il s’écoule en parallèle des perfectionnements techniques observables au cours d’une vie. La technique est imprégnée d’une dimension religieuse, prophétie d’un futur paradis sur Terre.

« À la veille de la Grande Guerre, selon l’auteur, l’apologie du progrès l’emporte sur la volonté de défense de l’ordre ancien et les voies réticentes se taisent, noyées dans le brouhaha enthousiaste de la célébration du changement technique » (p. 133).

L’« âge des machines » est donc marqué par un phénomène prononcé d’ « acculturation » à la technique, qui passerait notamment par l’intrusion progressive des techniques dans le quotidien des masses à partir de la fin du XIXe (engins motorisés, électrification, puis mécanisation des activités de bureau, puis domestiques, etc.), et par la promotion d’une image distrayante et enchanteresse de la technique et des sciences. C’est en effet la grande époque de la vulgarisation scientifique et technique, portée notamment en France par des ouvrages imprimés en masse et par l’éducation républicaine.

Ce phénomène d’imposition des techniques dans le quotidien s’expliquerait aussi par l’émergence à partir du début du XXe siècle d’une forme de « techno-nationalisme » (la formule est de David Edgerton) qui célèbre le caractère inventif de la nation et fait de la critique des techniques une menace patriotique – phénomène qui prendra une dimension inégalée au sein des régimes totalitaires de l’entre-deux-guerres.

Pour autant, les années 1930 seraient marquées aussi par une remontée en puissance de la critique des techniques, en lien avec les désastres de la Première Guerre mondiale. La guerre industrielle semble faire monter au sein d’une frange intellectuelle l’idée d’une « crise de la civilisation industrielle », chez des auteurs aussi divers que Lewis Mumford, Walter Benjamin, Herbert Marcuse, Simone Weil, Jacques Ellul ou Bernard Charbonneau. Dans le milieu artistique, c’est le temps des critiques sociales telles que le Metropolis de Fritz Lang (1927) ou Les Temps modernes de Charlie Chaplin (1936).

Du côté de la classe ouvrière organisée, F. Jarrige note une propension de plus en plus marquée à axer les revendications sur les compensations salariales ou bien la diminution du temps de travail plutôt que contre la mécanisation des tâches. L’auteur semble regretter cette logique, selon laquelle « la technique n’est pas la cause de la misère. Elle est un instrument neutre qui doit être mis au service de la classe ouvrière grâce à une transformation de l’organisation sociale » (p. 155). Les plaintes face à l’introduction de nouveaux procédés de production sont moins vives que dans la période précédente.

Cette atmosphère n’empêche cependant pas la critique des techniques de subsister à la marge de la société, que ce soit à travers certaines branches minoritaires du mouvement ouvrier4, ou bien à travers le mouvement naturien5. Il s’agit aussi d’une période de fort développement des récits de fiction concernant la fin du monde par la technique, devenue incontrôlable6.

Point intéressant, F. Jarrige s’intéresse aussi au phénomène de critique des techniques en milieu colonial. Le processus de colonisation s’est en effet accompagné d’une destruction des formes d’économies locales existant précédemment, reposant sur des systèmes techniques qui leur étaient propres. L’établissement des marchés capitalistes mondiaux s’est appuyé sur des techniques de production spécifiques, notamment concernant l’exploitation des terres, qu’il s’est agi d’imposer par la force aux populations colonisées, et dont les effets se sont bien souvent révélés désastreux concernant notamment la dégradation des sols. F. Jarrige montre que dans ce processus d’imposition de nouveaux modèles de production, les administrations coloniales ont eu tendance à produire des discours sur l’inaptitude technique des populations colonisées. L’exemple le plus célèbre de contestation des techniques en milieu colonial repris par F. Jarrige est celui de Gandhi, dont la critique s’axait sur une défense de l’artisanat local et autosuffisant.

 

De 1945 à aujourd’hui, les technosciences et le temps des « modernisations et catastrophes »

Assez paradoxalement, malgré une mobilisation des sciences et des techniques pour la guerre jusqu’alors inégalée, la Seconde Guerre mondiale formerait un moment de fermeture des débats sur la question technique ouverts durant l’entre-deux-guerres. Les années 1950 sont un moment de modernisation poussée de nombreux secteurs de production, dans les villes comme dans les champs. L’agriculture connut alors sa grande vague de mécanisation, dans le monde occidental puis dans le monde post-colonial. De nombreux fonds publics furent accordés afin de pousser les agriculteurs à s’équiper en appareils mécaniques, et de développer la recherche scientifique sur les variétés agricoles à haut rendement. L’imposition de ces méthodes a eu des effets délétères sur les mondes agricoles, poussant les petites exploitations de types familiales à la faillite. Face à cela, F. Jarrige voit dans le développement progressif de l’« agriculture biologique » à partir des années 1960 une forme de « technocritique » contemporaine.

Les années 1950 ont marqué aussi une poussée dans l’automatisation de certaines productions industrielles où de nombreuses fonctions manuelles furent supprimées. Ceci a pour effet de pousser certaines régions mono-industrielles en crise, notamment dans l’industrie textile. Mais F. Jarrige voit dans les organisations ouvrières, notamment syndicales, un des outils majeurs de détournement de la critique technique, l’hostilité envers l’automation étant remplacée par des exigences concernant les salaires et le temps libre. Les critiques les plus radicales semblent alors s’incarner autour des « marxistes humanistes » tels que Cornelius Castoriadis et son groupe Socialisme ou Barbarie.

Les années 1970 virent d’après l’auteur renaître la critique technique. La guerre du Vietnam et ses effets humanitaires et environnementaux désastreux, les mouvements contestataires autour de l’année 1968, le retour des crises économiques et la rupture du compromis fordiste, et la montée des mouvements écologistes (incidents nucléaires, accidents d’usines chimiques, marées noires, etc.) sont autant de marqueurs de ce renouvellement de la « technocritique ». Des auteurs tels qu’Ellul, Illich ou Mumford, qui avaient développé leurs analyses bien en amont, commencèrent à être lus assez massivement. F. Jarrige note pour autant que

« les préventions à l’égard de l’écologie politique, considérée comme « réactionnaire », demeurent très puissantes [au sein de la gauche révolutionnaire française]. Pour ces organisations, la critique des techniques a peu de sens car la révolution permettra de résoudre naturellement les problèmes posés par certaines techniques dans la société capitaliste » (p. 274).

La contre-révolution néolibérale des années 1980 marquerait un point d’arrêt à ces « technocritiques », un « retour à l’ordre » (p. 288). Le néolibéralisme incarnerait un retour à une forme d’« utopie des macrosystèmes techniques » (p. 285), qui se matérialise par la mise en scène de l’entrée dans une nouvelle ère de production « post-industrielle », dématérialisée, incarnée par le triomphe de l’informatique et des technologies de la communication, et de la pensée en « réseaux ». Les critiques environnementales, quant à elles, sont retraduites dans le langage technocratique et libéral du développement durable. L’informatique est le domaine technique qui incarne le mieux cette utopie sociale d’une économie désormais dématérialisée et verte ; alors que dans les faits, ces technologies ont poussé une nouvelle phase d’automatisation de la production dans plusieurs sphères industrielles, et que les infrastructures numériques se sont avérées un gouffre énergétique à l’échelle mondiale.

Un point particulièrement intéressant relevé par l’auteur est le rôle des sciences sociales comme outil de gestion de la critique des techniques – il n’est pas proprement spécifique à cette période, mais y prend une importance toute nouvelle. Les années 1950 ont en effet marqué l’émergence d’une nouvelle expertise des effets sociaux des techniques. D’abord issue des milieux ingénieurs, cette expertise prit progressivement appui sur la sociologie du travail, puis des techniques. « En montrant la complexité des rapports sociaux au travail, les multiples formes de la « conscience ouvrière », la sociologie du travail, tend ainsi, selon l’auteur, à rendre inaudibles les critiques du changement technologique » (p. 257). Les années 1990-2000, en s’appuyant sur les travaux de la sociologie des sciences et des techniques, ont vu apparaître un nouveau langage qui se veut « réflexif » concernant les effets nocifs du développement technique contemporain : « société du risque, développement durable, principe de précaution ». Mais contrairement à leur promesse de démocratiser l’introduction des techniques dans nos vies, ces théories ont plutôt mis en avant le statut de nouveaux « experts de la gestion des risques ». Sociologues et autres spécialistes des risques techniques contemporains ont ainsi aidé les porteurs de projets à mieux absorber les contestations, à coups de dispositifs de « démocratie technique », tels que les « conférences de consensus », qui permettent de contourner les critiques en les cadrant dans des espaces où les termes du débat sont déjà fixés à l’avance.

Face à cela, les deux dernières décennies ont vu émerger de nouvelles formes de contestation radicales, parfois qualifiées de néoluddisme, autour d’acteurs tels que les faucheurs et faucheuses d’OGM, le collectif Pièces et mains d’œuvres, ou bien encore le groupe Oblomoff. Ceux-ci et celles-ci ont la particularité d’affirmer leur opposition nette aux dispositifs techniques critiqués, et donc de refuser de se prendre au jeu faussement démocratique des « conférences de consensus » et des « débats citoyens », ce qui leur vaut une détestation prononcée de la part des « porteurs de projets » (industriels, élus locaux, laboratoires de recherche, etc.). D’après F. Jarrige,

« dans le champ politique, la technocratique n’a [finalement] bonne presse ni à gauche ni à droite. Pour la droite libérale, elle est le nouveau visage d’une obsessions régulatrice de brider la libre entreprise et le progrès. À gauche subsiste l’idée que « des pensées conservatrices, voire réactionnaires, alimentent aujourd’hui encore certaines actions technophobes » » (p. 335).

 

Techniques, modernité et consumérisme

François Jarrige se demande finalement à la fin de son ouvrage :

« qu’y a-t-il de commun entre les ouvriers et les artisans brisant des machines à l’aube de l’ère industrielle, les dénonciations romantiques de certains poètes du XIXe siècle, les nombreuses déplorations antimachinistes de l’entre-deux-guerres, et les contestations des dernières réalisations des technosciences ?  » (p. 343) Il y voit « le rejet de trajectoires perçues comme néfastes et destructrices, l’opposition à l’égard des dispositifs techniques accusés d’appauvrir, d’aliéner et d’hypothéquer l’avenir » (p. 343).

F. Jarrige repère dans son histoire des deux siècles passés l’imposition progressive d’un « consumérisme technologique ». Il a souhaité montrer la relative importance et la diversité des oppositions à ce processus. Selon lui, « l’histoire longue des technocritiques montre la persistance des mêmes mots, des mêmes attitudes de refus, en dépit de l’évolution des régimes de production et des milieux techniques ». Il repère par ailleurs trois types d’arguments réguliers de critique de la technique : critique morale, critique sociale, et critique environnementale.

Pour F. Jarrige,

« écrire l’histoire de ces plaintes, ce n’est pas désarmer le présent en montrant la vacuité ou l’éternel échec de la critique. C’est au contraire proposer un détour par quelques expériences passées, oubliées et méprisées, afin d’offrir des voies pour renouveler la critique sociale et décoloniser nos imaginaires » (p. 346-347).

Il souhaite ainsi montrer que l’évidence des techniques présentes est un construit historique qui s’est imposé en disqualifiant certaines autres options historiquement alternatives. La période contemporaine connaît une forte injonction à l’innovation.

« Plus qu’à aucun autre moment de l’histoire nous nous en sommes remis aux machines et aux technosciences pour construire nos vies, toute trajectoire alternative et toute bifurcation sembl[ent] désormais vaines. […] Aujourd’hui plus qu’avant, il faut trouver les ressources pour sauver le progrès de ses illusions progressistes, car seul l’horizon d’un progrès peut nous faire agir, mais ce progrès doit être dissocié du changement technique car celui-ci ne peut plus être le seul étalon de mesure du bonheur des sociétés » (p. 348-349).

Une solution possible, pour F. Jarrige, serait« le choix de l’inaction et du ralentissement »(p. 349).

« Plutôt que d’abdiquer devant l’avenir qui se construit à marche forcée, avec ses prophètes futuristes, ne pourrions-nous pas nous considérer enfin libres de creuser des sillons oubliés en renonçant aux trajectoires qui conduisent si manifestement à des impasses ? »(p. 350)

 

La technique comme « instrument de domination »

Un point est incontestable concernant l’ouvrage de F. Jarrige : il s’agit d’un travail qui fait preuve d’un remarquable sens de l’érudition. L’auteur est ici en sa demeure – celle des contestations techniques, qui ont fait l’objet de ses recherches historiques depuis plusieurs années – , et cela se ressent dans la quantité impressionnante des faits traités dans cet ouvrage. On pourrait presque parler d’un catalogue, tant les sujets de « technocritiques » abordés sont nombreux, et diversifiés dans leur signification sociale (bris de machines du début du XIXe siècle, organisations du mouvement ouvrier, luttes écologistes de « masse », critique intellectuelle, critique artiste, petits groupes anti-industriels radicaux, etc.).

Mais cette diversité soulève des interrogations concernant la démarche de l’auteur, consistant à regrouper des éléments historiques très hétérogènes derrière le même terme de « technocritique ». L’auteur esquive un réel travail de définition de ce qu’il entend par « critique de la technique », tant les éléments de cohésion entre les différents faits évoqués semblent être évidents pour lui. Pourtant, à force de tout analyser à travers le prisme de l’opposition aux techniques, on peut se demander si F. Jarrige ne commet pas l’erreur de projeter une intentionnalité anti-technicienne sur des acteurs et actrices dont la critique de fond ne porte finalement pas sur la question technicienne (du moins tel que F. Jarrige semble concevoir cette question).

Par exemple, parlant des phénomènes de bris de machine du début du XIXe siècle, F. Jarrige écrit :

« Lorsqu’ils brisent une machine – ou lorsqu’ils pétitionnent, manifestent, abandonnent l’atelier – les ouvriers ne s’opposent pas au « progrès technique » en soi, ils critiquent une nouveauté qu’ils jugent dangereuse pour leur salaire, leurs conditions de travail, leur mode de vie, leur liberté ou leur dignité. En brisant les machines, ils ne se prononcent pas sur la technique en général, mais sur une méthode particulière qui, dans un contexte déterminé, menace leur existence. En bref, les ouvriers ont des raisons diverses de s’opposer aux machines mais, dans tous les cas, il s’agit de rejeter les formes de pouvoir et de domination incorporées dans les artefacts techniques » (p. 69).

Si F. Jarrige a entièrement raison de rappeler que les luddites ne se sont jamais opposé·e·s au progrès en soi, mais bien aux effets très concrets de l’introduction des machines sur leurs vies et leur travail, alors il commet bien une erreur en affirmant juste après que ces ouvrier·e·s s’opposaient en fait à des « formes de pouvoir et de domination incorporées dans les artefacts techniques ». Que le conflit entre capital et travail ait connu, au début du XIXe siècle, une modalité importante de son expression sous la forme du bris de machine ne signifie pas pour autant que le « rapport de domination » du capital sur le travail s’« incorporait » dans la machine, et encore moins que les ouvrier·e·s s’opposaient aux machines parce qu’ils voyaient en elles l’« instrument » central de leur domination. Il serait probablement plus justifié de dire que les machines représentaient pour ces ouvrier·e·s une matérialisation des dynamiques au cœur de la dégradation de leur situation socio-économique, et surtout un point de pression utile pour la lutte.

S’attaquant à la machine, ces ouvrier·e·s ne s’en prenaient pas à un « artefact technique » « instrument » de la domination du capital sur le travail, mais bien à un artefact technique représentant un certain capital fixe investi par leurs maîtres de fabriques afin d’augmenter leur profit en réorganisant la production. Dit autrement, la machine n’est pas l’instrument agissant de la domination du capital sur le travail. Ce n’est qu’en tant qu’objet marchand, équivalent et concurrent à la force de travail de ces ouvrier·e·s – et certainement pas en tant que technique – qu’on pourrait dire qu’elle représente une force de transformation de la société. L’agent de la domination dans le phénomène des luddites n’est donc pas la technique, mais bien le capital.

Cette différence a son importance, car la démarche de F. Jarrige semble souvent aboutir à plaquer une critique toute particulière de la technique sur l’ensemble des phénomènes historiques qu’il envisage : à savoir que la technique, en soi, serait intrinsèquement porteuse de rapports de domination. D’opposition très spécifiques à certains objets techniques, il en arrive à une critique personnelle plus générale du champ technicien. Or ceci est d’autant plus problématique que F. Jarrige ne définit pas clairement ce qu’il entend par « technique », ni par le fait que les techniques sont des « instruments de pouvoir et de domination ».

Cette clarification s’impose. Car c’est seulement au nom du fait que les techniques seraient des agents de domination et que l’ensemble des acteurs et actrices considérées par F. Jarrige lui semblent mener une lutte commune contre le caractère oppressif des techniques, que sa démarche de rassembler des « critiques de la technique » relevant de manifestations sociales si hétérogènes – conflit entre capital et travail, production artistique, mouvements sociaux, etc. – prend en réalité sens. Il s’agit dès lors pour F. Jarrige d’expliquer plus longuement sa manière d’appréhender la technique : la technique en soi est-elle un agent de domination, et si oui, selon quels mécanismes ?

 

 

Idéalisme et rhétorique du choix

Il apparaît en tout cas qu’une lecture critique de la place des techniques dans le monde contemporain n’implique pas nécessairement de considérer, à l’image de ce que semble finalement proposer F. Jarrige, que ces dernières soient devenues « la principale force de transformation de la société ». Comprendre que l’introduction des techniques se fait, hier comme aujourd’hui, dans des sociétés structurées par des rapports sociaux – de production, de sexe, de race – et qu’à ce titre les choix techniques ne sont pas innocents (les machines industrielles servent à remplacer des travailleurs/euses et à déqualifier leur travail, les techniques reproductives majoritaires tendent à déposséder les femmes du contrôle de leur propre corps, les techniques de communication modernes forment des moyens de surveillance de masse, etc.), ne doit pas pour autant signifier se tromper d’ennemi. Qui, aujourd’hui, a le dessus sur nos vies entre les techniques ou bien le capital et les systèmes d’oppression ? Est-ce le pouvoir des techniques qui est au cœur du façonnement de nos vies et de nos envies, ou bien est-ce le fait qu’elles soient sous le contrôle de classes économiques et de groupes sociaux biens définis ? En bref, sommes-nous aliénés par la technique, ou bien par des rapports sociaux opprimants, dont les techniques ne sont qu’un vecteur parmi d’autres champs de pratique ?

 

Ces questions importent car les conclusions politiques que l’on en tire sont bien différentes en fonction des réponses. Pour F. Jarrige, on l’a vu, il s’agit de faire « le choix de l’inaction et du ralentissement ». Le problème étant que « nous nous en sommes remis aux machines et aux technosciences pour construire nos vies », le salut ne peut venir que d’un « renonce[ment] aux trajectoires qui conduisent si manifestement dans des impasses ». Nous nous sommes laissé·e·s aliéner par les techniques et par leurs promesses, et il est désormais temps de se réveiller et d’opter pour un progrès sauvé de « ses illusions progressistes ». François Jarrige laisse ici transparaître la fibre profondément idéaliste de son propos. Dans le fond, le problème est que nous n’aurions pas su déceler le caractère de domination des techniques et que nous aurions bêtement cru au discours progressiste. De cette adhésion au projet illusoire du progrès découlerait un passé de renoncement progressif à la critique de la technique et, en résultat, la structuration d’un monde toujours plus technologisé et destructeur de nos environnements de vie.

Cette compréhension idéaliste des forces en présence dans l’histoire des techniques se révèle, dans l’ouvrage de F. Jarrige, par l’usage prononcé d’une rhétorique du choix et du refus. Dans ses propositions d’émancipation comme dans le passé technicien, il voit le « refus de la technique ». Cette expression, à l’image des thématiques étudiées par l’auteur, ne pointe pas des sujets principaux de l’émancipation et tend à distribuer les responsabilités historiques sur un « nous » générique. Les perspectives politiques ouvertes sont en adéquation : l’« inaction », et le choix de s’orienter vers un rapport libéré aux techniques. Sans antagonismes (de classe, de sexe, de race), pas de perspective conflictuelle à l’horizon, tout juste le choix, libre et éclairé, de l’émancipation. Se faisant, F. Jarrige manque un point central de la critique des techniques dans nos sociétés contemporaines : qui dispose précisément de cette capacité décisionnelle que F. Jarrige semble voir en nous tou·te·s ?

La production, la diffusion et le contrôle des techniques dans nos sociétés actuelles ne sont pas le fait d’une réelle démocratie technique, d’un choix véritablement partagé. Ils résultent du pouvoir économique et politique d’une classe particulière, la bourgeoisie, et de la structuration parallèle de notre société en groupes sociaux opposés, disposant d’un accès et d’un contrôle inégaux des techniques. À la rhétorique du choix, il s’agirait de substituer une rhétorique de l’imposition. Mais cela nécessiterait de changer radicalement d’ordre de discours. Il s’agirait de se positionner clairement d’un côté de ces classes et groupes sociaux, et d’adopter leur point de vue.

On pourrait écrire – sans que cela soit considéré comme une attaque personnelle, mais bien comme une réflexion d’ordre sociologique concernant l’ensemble de la communauté universitaire – que les conditions matérielles d’existence ayant tendance à déterminer la conscience, on ne devrait pas s’attendre à ce qu’un ouvrage écrit par un universitaire, homme et blanc (les trois termes ont leur importance), et surtout publié dans une perspective non militante, ouvre des pistes foncièrement correctes pour les mouvements d’émancipation. Ce n’est d’ailleurs pas le rôle des universitaires, en tant qu’universitaires, aussi « critiques » soient-ils/elles, de proposer des perspectives analytiques ou bien d’action aux mouvements de lutte et à leurs organisations. S’ils souhaitent le faire, c’est au sein de ceux-ci, en tant que simple militant·e, qu’ils/elles y trouveront leur juste place.

Le problème est que cet ouvrage ne se borne pas à écrire une histoire des techniques sur deux siècles : il ouvre des pistes d’émancipation (il est vrai modestement, et seulement sur la fin de l’ouvrage) ; et surtout, il offre des cadres narratifs et interprétatifs qui sont trompeurs dans une perspective militante. Un ouvrage d’histoire ne se limite en effet pas à offrir une narration : ce faisant il propose inévitablement une lecture des dynamiques sociales qui sont en jeu, il trace des démarcations entre les différents acteurs et actrices de l’histoire, il reconstitue des lignes de tension entre elles et eux, et leurs motivations. En ce sens, le travail historique peut s’avérer utile dans une perspective militante, car il permet de se ré-approprier le passé, de donner du sens aux luttes actuelles en les inscrivant dans une trame historique, et de tirer des bilans des expériences passées. Tel fut bien le projet originel de F. Jarrige, aucun doute à cela. Mais ceci n’a de sens que s’il s’agit de reconstituer, de s’approprier, l’histoire d’un groupe opprimé, l’histoire d’un sujet collectif de l’émancipation. Le « nous » collectif dont use F. Jarrige – l’humanité asservie par la technique d’aujourd’hui, ou le sujet historique commun qui va des luddites d’hier à Pièces et main d’œuvre en passant par la critique artiste des années 1930 – est un leurre ; ce « nous » n’existe que dans l’idéologie des classes et des groupes dominants, qui savent par ailleurs très bien s’en détacher dans leurs actes quotidiens.

Et si la solution, contrairement à ce que propose F. Jarrige, n’était pas dans l’« inaction » de tou·te·s mais bien dans l’action révoltée et impétueuse de certain·e·s ? Et si l’émancipation du rapport à la technique ne passait pas par l’humanité toute entière, mais par des groupes et classes sociales particuliers ? Et si, de surcroît, les revendications portées par ces groupes n’étaient pas le refus des techniques, mais bien au contraire l’accès radical à ces dernières et leur contrôle collectif ?

François Jarrige aurait pu opter pour une toute autre démarche historiographique. Écrire, par exemple, une histoire de la technique du point de vue de l’histoire des femmes, de leur oppression, et de leurs luttes pour l’émancipation, aurait révélé bien d’autres éléments du rapport à la technique sur les deux derniers siècles. La question du refus semblerait ici dérisoire sous bien des aspects, tant l’histoire des femmes fut celle d’une exclusion de la sphère technique, et tant leur lutte pour l’émancipation est passée et passera certainement encore par l’accès aux techniques – qu’elles soient reproductives, ou de combat.

 

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1 Les termes de luddites ou luddisme qualifient un ensemble de luttes qui ont opposé des groupes d’ouvriers du textile (anciens artisans tisserands, tondeurs de laine, etc.) à leurs employeurs manufacturiers entre 1811 et 1812 dans le centre de l’Angleterre – le « triangle luddite » est formé par les villes de Leicester, Manchester et York. Ces révoltes prirent pour cible les machines (métiers à tisser) sur lesquels ces ouvriers étaient employés – on parle de « bris de machines » – , celles-ci représentant l’incarnation matérielle des transformations économiques et sociales (phénomène de prolétarisation) dont étaient victimes les populations de l’Angleterre rurale de cette époque. Nedd Ludd représente le leader imaginaire de ces révoltes, au nom duquel étaient signées les lettres de protestation adressées aux patrons et aux autorités locales.
2 Vincent BOURDEAU, François JARRIGE et Julien VINCENT, Les luddites : bris de machines, économie politique et histoire, Maisons-Alfort, Ere, 2006 ; François JARRIGE, Au temps des « tueuses de bras » : Les bris de machines à l’aube de l’ère industrielle, Rennes, PUR, 2009.
3 Les nombreux discours considérés par F. Jarrige vont de la critique de l’industrie d’« avilir le commerce par [ses] mauvaises productions » à celle de créer un chômage de masse et de plonger une partie de la population dans la faim.
4 François Jarrige retrace notamment le cas de la Guilde de Saint George, qui se fondait sur une critique radicale de la mécanisation, et proposait un modèle de société idéale où « les machines qui suppriment l’exercice physique et le travail artistique seront interdites. Les seuls moteurs autorisés seront ceux qui utilisent les forces naturelles du vent et de l’eau, mais la vapeur sera bannie » (p. 166).
5 En France, le mouvement naturien, proche des milieux anarchistes, se structure notamment autour de la figure du libertaire Émile Gravelle et de son journal L’État naturel. Ce mouvement se concentre sur la critique de la science et du progrès technique, et prône un retour à la vie naturelle.
6 Voir à titre d’exemple l’ouvrage d’Eugène Huzar, La fin du monde par la science, Maisons-Alfort, éditions ère, 2008 (original 1855) récemment republié par Jean-Baptiste Fressoz.