Vers un front climatique antifasciste. À propos de Fascisme fossile, du Zetkin Collective
Zetkin Collective, Fascisme fossile. L’extrême droite, l’énergie, le climat, Paris, La Fabrique, 2020.
Il y a quelque chose de pourri dans la République française. La conjugaison de l’état d’urgence sanitaire et de l’islamophobie d’État produit de toute évidence un climat fascisant. La simple défense des libertés civiles (des libertés d’expression, de circulation, de conscience ou de culte pour toutes et tous par exemple) apparaît désormais comme un idéal utopique. La dissolution d’associations musulmanes (Baraka City) ou les menaces de dissolution de structures de lutte contre les discriminations (CCIF) trouve très peu d’opposant·e·s réel·le·s. Face à l’extension des politiques racistes et autoritaires, la publication aux éditions La Fabrique de Fascisme fossile du Collectif Zetkin[1] donne un peu d’air frais. À sa lecture, on a le sentiment rare qu’un diagnostic critique fondé sur une généalogie historique conséquente permet de voir un peu plus loin vers l’avenir. C’est d’ailleurs « à un exercice de modélisation climato-politique » que se livrent ses auteurs et autrices : « partir des tendances du passé, les extrapoler dans le futur et spéculer sur les scénarios possibles » (p. 15). Mais cette appréhension historique et spéculative de l’avenir ne donne pas « matière à célébrer » (p. 19) car ce dont il est question c’est de la contemporanéité de deux phénomènes sans liens apparents : l’effondrement climatique et la percée des extrêmes droites occidentales.
Si les discours portant sur l’un ou l’autre sont pléthores, aucune étude comparative n’était parvenue à synthétiser les causes communes de ces deux tendances ; c’est l’objectif réussi du Zetkin Collectiv. Dans un style toujours clair et efficace, le collectif résume le problème historique auquel nous faisons face :
« La montée de l’extrême droite n’apparaît dans aucun modèle climatique. Les variables blanchité, race et nationalisme n’ont pas été incluses dans les prévisions. Aucun des scénarios du GIEC n’avait compté sur la possibilité qu’aux premiers stades du réchauffement climatique, alors que l’urgence de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre n’a jamais été aussi grande, les dispositifs gouvernementaux en Europe et dans les Amériques seraient aux mains de partis et de présidents blancs n’ayant qu’une hâte : expédier aux oubliettes la question climatique dans son ensemble. […] Nous sommes aujourd’hui à la croisée de deux tendances : d’un côté, les températures moyennes qui grimpent en flèche ; de l’autre, l’extrême droite qui gagne rapidement du terrain. Aucune des deux ne présente de signe visible de disparition prochaine. Rien n’indique qu’elles vont s’atténuer ou s’inverser de leur plein gré. Que se passe-t-il lorsqu’elles se rencontrent ? » (p. 12)
À l’échelle occidentale les principaux partis d’extrême droite sont climato-négationnistes. S’il existe bien des écologies nationalistes (comme en France ou en Italie, on y reviendra), elles seraient relativement isolées et surtout moins intéressées par le réchauffement climatique que par d’autres aspects de la crise écologique (l’extinction de la biodiversité, les perturbations écosystémiques locales, l’urbanisation des terres agricoles). Il faut noter la singularité de ce geste inaugural : le collectif Zetkin n’étudie pas le rapport des extrêmes droites à la crise écologique en général mais à la question climatique « en particulier » (si l’on peut employer un vocabulaire restrictif pour désigner le « global climate change »). Malgré quelques anomalies significatives, il est vrai que la plupart des partis d’extrême droite occidentaux sont climato-négationnistes. Le problème est donc de comprendre le lien structurel entre le déni du changement climatique et l’ethno-nationalisme. En dernière analyse, ce sont les énergies mobilisées par le fascisme qui permettent de saisir la nature de cette articulation. On pourrait ainsi résumer la thèse la plus générale de l’ouvrage : le fascisme est historiquement lié à une économie fossile dont il défend structurellement les intérêts. Cette thèse se dédouble puisqu’elle signifie d’une part que le fascisme historique reposait sur l’usage des énergies fossiles et d’autre part que le néo-fascisme contemporain joue un rôle de premier plan dans la défense du capital fossile et du climato-négationnisme.
Quelques précisions terminologiques s’imposent avant de présenter les principaux éléments de l’ouvrage. Se fondant sur les travaux antérieurs d’Andreas Malm, le collectif part du constat que le capitalisme contemporain (depuis l’avènement de la machine à vapeur) est fondé sur une « économie fossile ». Dans Fossil Capital. The Rise of Steam Power and the Global Warming (Verso, 2016), il la définissait comme « une économie de croissance auto-entretenue basée sur la croissance de la consommation des énergies fossiles et générant une croissance soutenue dans les émissions de dioxyde de carbone[2] ». Dans Fascisme fossile, le Zetkin Collectiv distingue plus précisément trois types de « capital fossile ». En premier lieu, le capital fossile primitif désigne les segments de l’économie capitaliste engagés dans la production des énergies fossiles. Il renvoie donc à la fois à un secteur particulier de l’accumulation de valeur (les profits des grandes entreprises du pétrole, du charbon, du gaz, etc.) et à un type de capital qui conditionne la possibilité de l’accumulation dans tous les secteurs productifs qui reposent sur la consommation d’énergie fossile. En second lieu, le capital fossile en général désigne le capital qui consomme des énergies fossiles pour produire de nouvelles marchandises (c’est-à-dire la très grande majorité de la production à l’échelle mondiale). Par exemple, une entreprise qui produit des voitures s’approvisionne en acier auprès d’une entreprise qui réduit le minerai de fer à partir de coke ; une entreprise de logiciel informatique utilise une électricité produite par des centrales à charbon, etc. En troisième lieu, le capital fossile en tant que totalité désigne l’ensemble formé par les deux précédents. La circulation du capital dans chacun de ces deux ensembles de l’économie capitaliste produit des pollutions qui aggravent la crise climatique : l’extraction des énergies fossiles et leur consommation dans la production des marchandises émettent des gaz à effet de serres. Le capitalisme fossile est donc responsable de l’effondrement climatique.
Comment les capitalistes parviennent-ils à occulter les effets du changement climatique alors que les preuves scientifiques des ravages écologiques de l’économie fossile s’accumulent ? Comment arrivent-ils à produire du déni de réalité si ce n’est dans les discours (à la manière des climato-négationnistes) au moins dans les actes (comme dans le cas des politiques libérales) ? Car comme le résumait Alexandria Occasio-Cortez en 2019 :
« Ceux qui diffèrent l’action climatique ne sont pas mieux que les climato-négationnistes. Si les uns ou les autres obtiennent ce qu’ils veulent on est grillés » (p. 91).
Parler de « climato-négationnisme » plutôt que de « climato-scepticisme » peut surprendre. Mais il est vrai que rien dans l’attitude des « sceptiques » du climat ne renvoie à la prudence qu’exprime un doute légitime fondé sur des méthodes démonstratives, expérimentales ou argumentatives. « Peu importe la montagne de preuves qui leur est présentée, ils campent sur leur position – ce qui est l’antithèse d’une conduite rationnelle et scientifique. Ils ne sont pas plus sceptiques vis-à-vis du changement climatique qu’un négationniste obstiné ne l’est vis-à-vis de l’Holocauste » (p. 24). C’est la raison pour laquelle, à la suite des travaux de Peter J. Jacques, le collectif préfère le terme de « négationnisme climatique »[3].
Le négationnisme climatique des partis d’extrême droite joue un rôle essentiel dans l’accumulation du capital fossile. Fascisme fossile n’est donc pas un ouvrage sur l’anomalie politique que constituerait l’extrême droite dans les démocraties modernes mais sur leur caractère structurel dans l’économie contemporaine. Selon les mots du collectif, « la politique climatique de l’extrême droite s’est développée conjointement à certains intérêts matériels persistants des classes dominantes » (p. 16). Il s’agit donc d’un livre sur les écologies politiques de l’extrême droite qui procède par une méthodologie comparative des organisations, des pratiques, des discours et des programmes de treize pays européens et deux pays américains : Allemagne, Autriche, Danemark, Espagne, Finlande, France, Hongrie, Italie, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Suède et Grande Bretagne ; États-Unis et Brésil. L’ouvrage se décompose en deux parties, la première est consacrée à un diagnostic politique des écologies de l’extrême droite atlantique ; la seconde est une histoire fossile du fascisme européen qui démontre magistralement le lien entre l’ethno-nationalisme des extrêmes droites occidentales et la consommation des énergies non renouvellables. On suivra ici l’ordre du texte mais on se concentrera plus spécifiquement sur l’articulation entre négationnisme climatique, islamophobie et race que l’atmosphère nauséabonde de la politique française met au premier plan. Dans les extrêmes droites contemporaines, la logique du négationnisme climatique (A) s’accompagne d’une défense islamophobe de la pureté de la nation (B) parce que les théories raciales du fascisme sont historiquement liées à une économie fossile (C). Pour finir, on s’interrogera sur le type de stratégie qu’implique la critique du fascisme fossile dans le contexte d’une écologie-monde où la Chine joue un rôle de premier plan.
La logique du négationnisme climatique
L’un des apports majeurs de Fascisme fossile est de repenser les institutions du négationnisme climatique à partir du concept d’Appareil Idéologique d’État (AIE). Suivant la définition de Louis Althusser, un AIE est un « « système d’institutions, d’organisations, et de pratiques correspondantes, définies « qui, à travers les activités quotidiennes, perpétuent l’idéologie dominante ». Cette idéologie : « les combustibles fossiles sont bons pour les gens » (p. 33). Comme on le verra plus loin l’usage du concept althussérien d’appareil idéologique permet à la fois de comprendre le rôle d’un certain nombre d’organisations politiques dans le déni climatique et « l’interpellation » de sujets blancs dont l’identité est liée à la consommation des énergies fossiles. Les institutions climato-négationnistes produisent des subjectivités carbones.
Le Zetkin Collectiv retrace ainsi l’histoire de l’AIE climato-négationniste en passant par la constitution dans les années 1990 de la Global Climate Coalition qui regroupait les grandes entreprises américaines du capital fossile (Exxon, Shell, BP, Amoco, Texaco, General Motors, Ford, Chrysler, le géant de la chimie DuPont, etc.) jusqu’aux institutions contemporaines comme la Competitive Enterprise Institute qui concluait en 2006 l’un de ses flashs publicitaires par le slogan « Dioxyde de Carbone – ils l’appellent pollution ; nous l’appelons la vie » (p. 37). Ce « vitalisme carbone » est un des dispositifs essentiels du négationnisme climatique et a souvent été repris par les partis d’extrême droite. On apprend ainsi qu’Alternative Für Deutschland (AFD) fondé en 2013 et entré au Bundestag en 2019 défend dans son programme que « le dioxyde de carbone n’est pas un polluant mais un élément indispensable à la vie » (p. 25), que le Forum voor Democratie (FVD) aux Pays-Bas « fait de l’opposition aux politiques climatiques [son] thème électoral principal » (p. 28) et que Nigel Farage le représentant de l’UKIP défendait en 2013 devant le parlement brittanique que « nous entrons actuellement dans une période de 15 à 30 ans de refroidissement climatique globale » (p. 29). Cette entreprise de négationnisme systématique est le résultat d’un appareil idéologique du capitalisme fossile qui mesure parfaitement les effets du réchauffement climatique depuis les années 1960. En effet des rapports scientifiques très complets, commandés par les grandes entreprises fossiles elles-mêmes, avaient déjà formulé les résultats énoncés par les experts du GIEC trente ans plus tard (p. 40-42). Ils ont donc systématiquement organisé le mensonge sur les effets climatiques de l’énergie fossile en payant des experts. Cependant, bien que le capital fossile et l’extrême droite partagent souvent le même discours climato-négationniste (et qu’ils se rencontrent parfois dans des individus singuliers : Donald Trump ou Jair Bolsonaro), ils ne le font pas sur la même base.
Dans le cas du capital fossile, il s’agit d’un négationnisme orienté vers le profit. Il peut donc se combiner fort aisément avec un « greenwashing » qui investit massivement dans des énergies renouvelables. Il joue alors sur deux tableaux en même temps : la réduction des risques qui pèsent sur les taux de profit en raison des mesures d’atténuation des combustibles fossiles ; la recherche du profit dans de nouveaux secteurs productifs (les énergies « vertes »).
Les extrêmes droites constituent un appareil idéologique de négation climatique légèrement différent et relativement autonome. Leur but n’est pas de défendre immédiatement les intérêts du capital fossile mais d’interpeller « des sujets en tant que membres d’une nation ethniquement constituée » (p. 48). Cet imaginaire de la nation est fondé sur l’idée d’une communauté racialement homogène où le groupe dominant exerce seul son pouvoir sur un territoire défini par ses frontières. Le caractère commun de toutes les extrêmes droites occidentales est l’ethnonationalisme qui présente les étrangers et les musulmans comme une menace pour la nation. Défendre la pureté d’une nation suppose de préserver le corps social de toute intrusion étrangère et pour cela de le purifier des groupes qui ne sont pas assimilés à l’identité raciale héritée. L’islamophobie et les discours ethno-nationalistes sont ainsi devenus l’une des pierres angulaires du déni climatique. Pour le collectif Zetkin, il faut donc noter que
« chaque fois que l’extrême droite européenne nie ou minimise l’importance de la crise climatique, elle fait simultanément une déclaration sur l’immigration et constater que, de manière générale, l’inverse est également vrai. Lorsqu’un parti peste contre l’immigration, il commente de facto le réchauffement climatique. Une immense énergie est dédiée à la guerre contre l’immigration et, si les générations futures ont un jour à se demander pourquoi si peu a été fait pour empêcher un effondrement climatique connu d’avance, une partie de l’explication résidera dans le fantasme d’une invasion de migrants et d’une prise de pouvoir par les musulmans venus supplanter le vrai sujet. » (p. 68)
Le fait que l’ethno-nationalisme devienne le nouveau moteur du déni climatique a par exemple conduit les partis d’extrême droite à opposer une résistance systématique à toute gouvernance globale. Au moment des accords de Paris, ils ont formé un « cordon de sécurité autour du capital fossile, repoussant tout ce qui pouvait empiéter sur la liberté de celui-ci » (p. 73). En Finlande, le Perussuomalaiset (anciennement « Vrais Finlandais ») jugea l’accord « catastrophique » pour l’économie nationale, le SD fut le seul parti suédois à s’opposer à la COP15, l’UKIP britannique et l’AFD en Allemagne firent pression pour une sortie de tous les accords climatiques engageant leur pays, le FPÖ autrichien railla sa duplicité mais adhéra immédiatement à ses mesures non contraignantes lorsqu’ils entrèrent au gouvernement. Cette opposition climatique n’est pas seulement due à une politique de souveraineté nationale puisque ces accords, de Kyoto à Paris, confient justement aux États le pouvoir de fixer leurs propres objectifs et un cadre contraignant. Ils ne remettent pas en cause mais confortent au contraire l’idée que l’État-nation est la bonne échelle de régulation climatique. Évidemment ces partis peuvent jouer à l’occasion sur la menace de l’écologie « mondialiste » mais leur politique anti-climatique s’explique surtout par un refus constant de développer les énergies renouvelables. Roger Helmer de l’UKIP déteste « par-dessus tout les éoliennes », Marine Le Pen qui ne s’oppose pas au solaire ou au bio-carburant demande « un moratoire immédiat sur la construction des éoliennes car « c’est immonde et ça ne marche pas « (p. 75). Dans un passage remarquable du chapitre « Minarets et éoliennes », le collectif fait le constat suivant :
« On ne peut qu’être frappé par la ressemblance entre cette aversion et la haine des minarets, des mosquées et des appels à la prière. Minarets et éoliennes partagent des caractéristiques physiques : ce sont des structures fixes qui peuvent atteindre des hauteurs importantes et dominent leurs environs ; elles produisent des sonorités plaintives, dues à l’adhan ou aux hélices ; elles occupent l’espace public de façon permanente. Les campagnes locales contre les unes et les autres prennent souvent la forme d’objections techniques. Leurs détracteurs expliquent que cela engendrera du bruit, gâchera la vue, cassera l’unité des paysages ruraux comme urbains. Mais en réalité, ils ont un sentiment d’intrusion voire d’invasion. Ces campagnes reposent souvent sur une même rhétorique tapageuse qui dit en substance que « cela n’a pas sa place ici », suggérant l’existence derrière ces projets d’un pouvoir étranger malfaisant : celui des musulmans envahissant les populations natives, et celui des écologistes bouleversant la vie quotidienne.
« Les migrants, c’est comme les éoliennes. Tout le monde est d’accord pour qu’il y en ait, mais personne ne veut que ce soit à côté de chez lui », expliquait Marine Le Pen en 2019, dévoilant non pas ce que « tout le monde pense mais comment l’extrême droite perçoit les unes et les autres » (p. 76-77).
En France, la question des éoliennes se pose de manière légèrement différente puisqu’il ne s’agit pas simplement d’une transition énergétique vers le renouvelable mais d’un corollaire à l’extension du réseau nucléaire. D’où le fait qu’une opposition écologiste de gauche ait pu naître contre les transformateurs électriques de parcs éoliens comme dans la ZAD de l’Amassada par exemple[4]. Mais comme le remarque par ailleurs le Zetkin, la position écologiste de l’extrême droite française est assez singulière en Europe. Elle partage avec l’extrême droite italienne un « nationalisme vert » bien plus écologiste que ses voisins européens. Comment rendre compte de cette singularité ?
L’ethno-nationalisme : entre déni climatique et « nationalisme vert »
La caractéristique générale des partis d’extrême droite est leur ethno-nationalisme largement fondé sur la peur d’un « Grand remplacement ». Mais leur politique écologiste varie entre négationnisme climatique (la grande majorité) et « nationalisme vert » (Italie et France). Dans tous les cas, surgit une menace musulmane et / ou climatique contre laquelle seule la défense fasciste d’une nation mythique pourrait nous préserver.
Comme on l’a vu, pour l’ethno-nationalisme la communauté politique légitime est la nation ethniquement pure. Cette idéologie est aujourd’hui fondée sur deux mythes qui forment le corpus spontané des extrêmes droites européennes : l’Eurabia et le « Grand remplacement ». Eurabia : l’axe euro-arabe est le principal ouvrage de Gisèle Littman alias « Bat Ye’Or » paru en 2005. Il propose une histoire contemporaine où l’année 1973, année du choc pétrolier, aurait conduit à la prise de pouvoir des pays arabes exportateurs de pétrole sur les pays européens par l’intermédiaire d’un organe secret, le « dialogue euro-arabe » qui mènerait depuis une politique délibérée d’islamisation du continent (p. 58-59). Cette parodie d’histoire serait à prendre pour un pur tissu d’absurdités si elle n’était pas devenue l’une des références fondatrices de toute une littérature nationaliste sur l’islamisation. La situation française actuelle – où des associations musulmanes sont fermées parce qu’elles seraient l’émanation d’un pouvoir étranger secret sur le continent – témoigne du fait que ces mythes fascisants sont devenus l’idéologie dominante des dirigeants français (qu’ils y croient ou non d’ailleurs). Dans ce discours, on retrouve beaucoup des peurs légitimes que provoque le réchauffement climatique : une menace sérieuse sur les conditions de la vie, la conscience d’un devoir envers les générations futures, un danger existentiel pour la civilisation (p. 60). Ces peurs produisent des mécanismes de défenses où la peur réelle est déplacée vers d’autres objets (en l’occurrence des sujets musulmans). Ce mythe de l’Eurabia a rapidement été complété par le récit du Grand remplacement.
Apparu dès les années 1910[5], ce récit a été développé récemment par l’idéologue nationaliste Renaud Camus « qui suggère que les peuples européens blancs sont en train d’être remplacés par des peuples non blancs, musulmans et particulièrement féconds, avec le soutien proactif des élites » (p. 60). On le voit l’argument de fond est « malthusien » du nom de l’économiste anglais Thomas Malthus (1766-1834) qui avait formulé l’idée que l’augmentation de la population amenait nécessairement à une pression accrue sur les ressources et à une situation de pénurie qui produit en retour une baisse drastique de la population. L’idée selon laquelle l’augmentation de la population est à elle seule responsable des ravages écologiques est une thèse « néo-malthusienne ». Elle ne tient absolument pas compte des différences dans les niveaux de consommation ou de production. Comme le remarque par exemple le collectif, le « Mozambique n’a contribué en rien » (p. 111) à l’augmentation de la fréquence et de la violence des cyclones qui le frappe :
« On peut évaluer à 0,2 % la part de ce pays dans la hausse globale des températures causée par les émissions jusqu’en 2012, comparé par exemple aux 20 % des États-Unis, 4 % de l’Allemagne ou 3,5 % de la Grande Bretagne. Une autre étude estime que les émissions de CO2 d’un citoyen américain équivalent à celles de 270 Mozambicains réunies. Durant les deux dernières décennies du XXe siècle, les désastres climatiques ont tué plus de personnes au Mozambique que dans n’importe quel pays : 5,5 pour 1000 habitants, contre 0,03 aux États-Unis » (p. 111-112).
Malgré sa fausseté évidente, le mythe du Grand remplacement est extrêmement efficace du point de vue climatique car il permet de fonder deux positions antagoniques : ou bien on l’utilise pour justifier le fait que le changement climatique est une diversion des « écolos mondialistes » pour détourner l’attention du vrai problème de l’immigration (position négationniste) ou bien on l’utilise au contraire pour justifier que face à la double menace climatique et migratoire, les frontières sont les dernières défenses de la nation (position du nationalisme vert). Or cette position singulière d’un nationalisme vert néomalthusien est partagée par deux « grands pays » de l’extrême droite mais qui font figure de quasi-exception en Europe : la France et l’Italie.
En Italie, Matteo Salvini amorça un tournant national-écologiste dans son programme de 2018 en défendant notamment la constitution d’un fonds d’investissement dans des technologies vertes et renouvelables, une date butoir pour arrêter l’utilisation des voitures à essence et à diesel, etc. L’extrême droite italienne proche de l’industrie de pointe du Nord est naturellement plus favorable à un capitalisme vert. Mais Salvini a toujours refusé l’existence d’un lien entre la crise des politiques migratoires et le réchauffement climatique. « C’est dingue d’exploiter un problème aussi sérieux que celui de l’environnement pour justifier l’immigration illégale », disait-il en 2019 (p. 123). Le cœur de toute politique ethno-nationaliste reste toujours le contrôle des frontières afin d’assurer la pureté de la nation. Le rapport entre climat et migration au sein du Rassemblement national est différent.
En 2017, à la veille de l’élection présidentielle le parti de Marine Le Pen a opéré une grande rupture dans son histoire en se définissant désormais comme « éco-nationaliste » et luttant pour une « écologie patriotique ». Ce virage s’est confirmé lors de la campagne européenne de 2019 menée par Jordan Bardella (tête de liste) et Hervé Juvin (principal rédacteur du programme pour une Alliance des nations européennes). Les thèmes du grand remplacement sont habilement réutilisés au profit d’une idéologie « localiste et enracinée » opposée au « nomadisme » des exilés et du capital qui menace la pureté de la nation et la salubrité des écosystèmes. Sans être très actifs sur la question du climat, ils sont cependant la face la plus visible d’une recomposition écologiste des ultra-droites identitaires[6] (p. 98-99). Qu’est-ce qui explique ce nationalisme vert en France et en Italie ?
Les explications proposées dans Fascisme fossile sont à la fois nécessaires et sans doute un peu insuffisantes. La principale raison du tournant écologique du nationalisme français serait la faiblesse du mouvement climatique comparé à l’Allemagne par exemple (p. 290). De plus le nationalisme agraire incarne une longue tradition française de défense raciste de l’enracinement depuis Charles Maurras au moins (p. 291). Ces deux raisons sont incontestables mais elles ne permettent pas d’expliquer l’émergence du nationalisme vert en Italie. Or, une rapide étude du capital fossile primitif dans ces deux pays fait apparaître une autre piste d’explication qui est absente de Fascisme fossile.
En France, plus de 70 % de la production énergétique provient du nucléaire. Le capital primitif énergétique de ce pays n’est pas fossile mais fissile. À cet égard, il est sans doute plus facile pour l’extrême droite d’adopter des positions favorables à la décarbonation de l’économie puisque le capital est moins lié aux énergies fossiles que partout ailleurs en Europe. Un autre élément qui pourrait confirmer cette thèse (qui mérite cependant d’être étayé) est que le second pays le plus dépendant du nucléaire est la Hongrie (58 %) dont le parti d’extrême droite adopte aussi régulièrement des positions proches du nationalisme vert. En témoigne également le soutien inconditionnel de Jean-Yves Le Gallou – président de l’Institut Illiade pour la longue mémoire des cultures européennes (une scission du GRECE, officine de la Nouvelle Droite) – aux énergies nucléaires : les défenseurs de l’ethno-nationalisme peuvent soutenir le capital primitif fissile de la France en contexte de réchauffement climatique (il est à la fois national et peu émetteur de CO2). Dans la mesure où le capital énergétique français est extrêmement lié à l’appareil d’État et aux industries de l’armement, on peut redouter une forte porosité des hauts fonctionnaires énergétiques et militaires aux idées du nationalisme vert.
En ce qui concerne l’Italie, la situation est différente puisque le pays importe la majeure partie de son électricité des pays limitrophes. Le capital fossile primitif y est quasiment inexistant : l’extrême droite n’a donc pas à défendre les intérêts nationaux de ses capitalistes énergétiques mais peut au contraire défendre les intérêts industriels d’un développement technologique décarboné. En la matière les industries de pointe du Nord de l’Italie – notamment automobiles – ont un intérêt très fort au développement d’un capitalisme vert. C’est la raison pour laquelle le gouvernement Salvini qui prévoyait l’interdiction des véhicules à essence d’ici 2035 avait le soutien d’un secteur industriel qui y voyait l’opportunité de renouveler l’intégralité du parc automobile. On peut donc se risquer à proposer l’hypothèse suivante : l’émergence du nationalisme vert est inversement proportionnelle au développement du capital fossile primitif. Dans les pays où le capital fossile primitif est très développé les extrêmes droites sont tendanciellement portées au négationnisme climatique pour le protéger ; à l’inverse, dans les pays où le capital fossile primitif est faible, les extrêmes droites sont tendanciellement portées au nationalisme vert puisque l’économie nationale risque moins de pâtir d’une transition énergétique.
Une autre limite de Fascisme fossile est son caractère atlantico-centré. Il est indéniable que l’ampleur du travail accompli est colossale et que cette étude systématique des écologies politiques de l’extrême droite européenne est une référence incontournable pour comprendre les politiques climatiques et nationalistes contemporaines. Mais la centralité de l’Atlantique (l’Europe, le Brésil, les États-Unis) conduit à négliger l’importance titanesque des grandes unités territoriales de l’écologie-monde dans les politiques nationalistes. La Chine est ainsi devenue le principal émetteur de CO2 (un quart des émissions mondiales) et l’un des vecteurs de l’islamophobie globale par des politiques concentrationnaires à l’égard de la minorité Ouïgour. Le cas de la Chine est particulièrement intéressant puisque l’islamophobie d’État est liée à un ethno-nationalisme mais la centralité du capital fossile primitif ne conduit pourtant pas à un négationnisme climatique. Il semblerait au contraire que la Chine – principal investisseur mondial dans les énergies renouvelables avec plus d’un tiers de l’investissement mondial, le double des États-Unis – prenne au sérieux la transition énergétique. Dans une allocution du 22 septembre dernier, trop peu commentée en France[7], le président de la République populaire Xi Jinping a annoncé une réduction des émissions d’ici 2030 et une décarbonation complète d’ici 2060. Si une telle politique de développement est effectivement menée, on peut s’attendre à un conflit au sein du capital chinois entre des idéologies climato-négationnistes de soutien à l’économie fossile et un nationalisme vert de restriction des émissions de CO2. La Chine pourrait devenir la principale force islamophobe du nationalisme vert à l’échelle mondiale. En opposant aux négationnistes atlantiques (Trump, Bolsonaro, Farage, etc.) une transition énergétique, elle témoignerait de la possibilité d’un nationalisme vert hégémonique. La perspective extrêmement originale du Zetkin Collectiv impose de poursuivre ces recherches dans d’autres formations fossiles de l’écologie-monde où l’islamophobie est une politique d’État : en Chine évidemment, mais aussi en Russie ou en Inde par exemple.
Palingenèse de la nation submergée
La deuxième partie de l’ouvrage permet de comprendre les racines historiques communes de l’économie fossile et des politiques fascistes. Le collectif Zetkin parvient ainsi à une redéfinition originale du fascisme à partir des énergies qu’il mobilise et des mythes qui le fondent.
Roger Griffin, le précurseur des études comparatives sur le fascisme, attribuait deux éléments essentiels à l’idéologie fasciste : un « ultra-nationalisme » qui fait de la défense des blancs le fondement de la communauté légitime et l’idée d’un déclin de la nation que le fascisme devait réhabiliter face aux menaces géopolitiques, civilisationnelles, démographiques, militaires, etc. :
« La nation devait être sauvée et ressuscitée. Tous les fascistes se sont posés en sauveurs d’un héritage inestimable, celui des Romains en Italie, des races nordique et germanique en Allemagne et, ailleurs, de toutes autres castes glorieuses dont le legs risquait d’être perdu à jamais mais qui pourraient, par une action déterminée, connaître un nouvel âge d’or. » (p. 153)
Griffin parle à ce propos de la dimension « palingenésique » du fascisme, combinant les mots grecs de la naissance et du nouveau. Le fascisme est donc une politique ultranationaliste fondée sur l’idéal de renouveau d’une nation en déclin. C’est cette idée d’un « renouveau nationaliste » qui se trouve au cœur de tous les fascismes. L’analyse du fascisme historique du collectif Zetkin, sans être absolument original, rappelle cependant des éléments importants, notamment le fait que le fascisme n’a jamais été le premier choix des dirigeants, mais toujours le dernier recours de la bourgeoisie dans une situation désespérée avec le soutien réel d’une partie des travailleurs. Le « Make America Great Again » de Trump est une illustration exemplaire de cette palingenèse (p. 173).
Mais dans le contexte du réchauffement climatique apparaît aujourd’hui un nouveau mythe, celui de la « palindéfense ». La nation doit mener à nouveau les combats victorieux contre les anciens ennemis.
« Il dit : nous avons par le passé défendu notre peuple et notre inestimable patrimoine ; nous avons subi des assauts mais nous avons finalement repoussé l’ennemi ; nous nous sommes battus vaillamment pour ce qui est à nous et nous devons aujourd’hui faire de même. Comme le mythe de la palingenèse, il déploie une certaine vision du passé pour énoncer un devoir de protection de la nation. Mais tandis que le premier opère sur un mode reproducteur et prétend à un avenir radieux, le second travaille dans un registre défensif » (p. 173-174).
Ce mythe de la palindéfense se retrouve dans les groupuscules minoritaires (Génération identitaire) et les partis de gouvernement comme le PiS en Pologne ou le Fidesz de Viktor Orban en Hongrie. Le fascisme est donc un mouvement qui se présente comme le dernier rempart face à la menace. Quel rapport entre le mythe palindéfensif des extrêmes droites contemporaines et le changement climatique ?
Il tient à la nature des énergies mobilisées par l’économie capitaliste. Les énergies fossiles se constituent sous forme de stocks et de réserves enfouies dans le sol de la nation. Elles peuvent être contrôlées et renvoient à l’histoire passée des écosystèmes, du climat et du peuple sur un territoire hérité. En revanche, les énergies renouvelables sont des flux inappropriables : le soleil ne peut être approprié par aucune nation en particulier, il est une « propriété commune du Système solaire » (p. 182). Cette politique cosmique des énergies renouvelables se distingue de la politique nationaliste des énergies fossiles. Les « flux fugitifs » se distinguent des « réserves autochtones » (p. 182). La nation peut donc s’identifier à ses réserves et à ses stocks produits de l’histoire passée et identifier son avenir à leur consommation. Comme l’écrit le collectif Zetkin, « C’est précisément un des obstacles majeurs à la transition aujourd’hui : l’investissement mythique dans les stocks énergétiques en tant que corps physique de la nation soutenu et amplifié par l’extrême droite montante » (p. 184-185). C’est la raison pour laquelle les individus sont eux-mêmes interpellés comme sujets d’une nation carbone dans les mythes du fascisme fossile.
Le rapport entre race et énergie vient d’abord du fait que les premières victimes de la combustion des énergies fossiles sont des personnes non blanches (206-7). Les effets sociaux du changement climatique sont très inégalement répartis sur la planète : ce sont pour les formations sociales les plus pauvres du globe que les coûts des catastrophes naturelles liées au réchauffement sont les plus importants. Mais cela tient également à la nature même du racisme. Comme le rappelle le collectif, la « race est pleinement établie lorsque les individus sont toujours-déjà interpellés en tant que sujets raciaux » (208). Cette évidence des théories critiques du racisme est le fondement de toute perspective anti-raciste, qu’il n’est sans doute pas inutile de rappeler aux organisations et médias de la gauche française. Elle signifie que les individus sont constitués en sujets raciaux par les institutions au sein desquelles ils évoluent ou auxquelles ils se confrontent. C’est le sens de l’interdiction du voile à l’école par exemple : chaque matin l’élève qui doit enlever son voile est interpellée en tant que subjectivité musulmane par l’institution qui la commande ; chaque contrôle policier raciste produit l’assujettissement racial de celui qui est contrôlé. Dans un système raciste, il n’existe pas d’individu sans race. Cela signifie que les blancs sont constitués en subjectivité dominante par le fait de ne pas être assujetti à la position dominée. La domination raciale des non blancs n’existe que relativement à la position des blancs qui en sont épargnés. Tel est le privilège de la blanchité : pouvoir interpeller les non blancs en tant que sujets raciaux en s’excluant de cet assujettissement (p. 208-209). Dans un système raciste, toutes les subjectivités sont racisées mais seules les subjectivités non blanches sont assujetties et dominées par cette relation. Qu’est-ce qui dispose alors l’identité blanche à la défense de la consommation de carbone ? « Quand et comment « être blanc’’ est-il devenu synonyme de « brûler des énergies fossiles’’ ? » (p. 209).
C’est dans l’histoire coloniale de l’exploitation des ressources biophysiques que se trouve la réponse. L’identité blanche s’est construite sur l’idée d’une supériorité technique de la civilisation occidentale elle-même fondée sur l’appropriation et l’exploitation des natures coloniales. Pour ce « techno-racisme » (220) la supériorité raciale des blancs est une supériorité de leur technique, de leurs machines et de leurs sources d’énergie. Ce racisme technique a permis de justifier l’orientation du flux des ressources captés vers les pays blancs dont les machines fonctionnaient grâce aux énergies coloniales (212). Le collectif cite également Naomi Klein qui montre que les combustibles fossiles nécessitent des « zones franches » qui sont souvent habitées par des non-Blancs (Amérindiens, Ogoni dans le détroit du Niger, Arabes en Irak, etc.). La captation des matières premières n’est possible, ou en tout cas légitime, qu’à condition que leur « valeur humaine [soit] diminuée » (213). L’histoire coloniale à laquelle se livre le collectif Zetkin est particulièrement utile pour comprendre cette articulation de la race et de l’énergie et fournit de nombreux exemples d’ingénieurs, de dirigeants, de missionnaires convaincus que la supériorité raciale de l’Occident est liée à ses machines et à ses énergies fossiles, à commencer par le charbon. L’histoire environnementale de la colonisation se conclut ainsi « par l’hypothèse que l’articulation de l’énergie et de la race qui s’est développée au xixe siècle, durant les premières étapes du capitalisme moderne, a produit une association entre blanchité et énergies fossiles qui remonte à la surface tel un magma en ces temps d’effondrement climatique » (p. 225).
Conclusion
L’ouvrage du Zetkin Collectiv est indispensable pour penser l’histoire conjointe du déni climatique et des extrêmes droites européennes. Il constitue un apport essentiel à la construction des luttes antifascistes et écologistes. À cet égard, il s’inscrit parfaitement dans la tradition de Clara Zetkin (1857-1933), la pionnière des études marxistes sur le fascisme.
En 1923, Zetkin a fourni la première étude du fascisme de l’intérieur du mouvement ouvrier. Dans son texte « Lutter contre le fascisme », commandé par le Comintern, elle lance « un appel en faveur « d’une structure spécifique pour mener le combat contre le fascisme, constitué des partis et organisations des travailleurs de tous horizons « et énuméra six grandes tâches. La première était de « collecter des faits sur le mouvement fasciste dans chaque pays » (19). Et c’est bien ce que met en œuvre le collectif éponyme : un diagnostic historique à la hauteur des exigences politiques de la conjoncture. On peut alors se demander où mène cette analyse d’un point de vue stratégique.
Clara Zetkin annonce une alternative constitutive des débats ultérieurs sur l’antifascisme dans le mouvement ouvrier. Deux tendances principales se sont dégagées à partir du milieu des années 1920. La première insiste sur la nécessité de construire des organisations révolutionnaires qui radicalisent l’antagonisme de classe. Dans la mesure où les structures du capital sont responsables de la montée du fascisme, ce sont ses causes qu’il faut combattre. D’un point de vue tactique cette tendance refuse les alliances avec les partis bourgeois, républicains et démocrates. La seconde défend au contraire un « front unique antifasciste » qui peut tolérer des alliances ponctuelles avec les partis de la social-démocratie.
Transposer à l’âge du changement climatique, on peut adresser la question stratégique de l’antifascisme ouvrier en ces termes : faut-il travailler à l’autonomie d’un parti social-écologique révolutionnaire sur le modèle des partis ouvriers ou bien faut-il défendre un front climatique anti-fasciste ? S’il s’agit de construire un tel front – comme semble y inviter la référence à Zetkin –, alors il faudra faire alliance avec des éléments plus démocrates ou libéraux, des partisans d’un Green New Deal ou d’un État social écologique. Fascisme fossile laisse penser qu’ils sont des éléments nécessaires à la mutation énergétique du capitalisme mais certainement insuffisant pour viser son abolition. Mais il y a évidemment quelque chose de biaisé dans cette alternative : lorsque s’est posée la question du front unique anti-fasciste dans les années 1930, les partis ouvriers révolutionnaires étaient déjà constitués et indépendants des autres forces politiques. Ils témoignaient d’une combativité et d’une organisation que n’atteint pas encore le mouvement climatique international. En la matière, tout est à construire et le temps presse.
Notes
[1] « Le Zetkin Collective est un groupe composé de chercheurs, d’activistes et d’étudiants, qui travaillent ensemble sur l’écologie politique de l’extrême droite. Ce collectif est né pendant l’été 2018 au sein de la division « Human Ecology » du département de géographie humaine de l’Université de Lund, en Suède. C’est là qu’a eu lieu en novembre 2019 la première conférence internationale sur « Les écologies politiques de l’extrême droite », réunissant quelque 400 chercheurs et activistes du monde entier. Ont contribué à cet ouvrage Irma Allen, Anna Bartfai, Bernadette Barth, Lise Benoist, Julia Bittencourt Costa Moreira, Dounia Boukaouit, Clàudia Custodio, Philipa Oliva Diges, Ilaria di Meo, George Edwards, Morten Hesselbjerg, Ståle Holgersen, Claire Lagier, Line Skovlund Larsen, Andreas Malm, Sonja Pietiläinen, Daria Rivin, Luzia Strasser, Laudy van den Heuvel, Meike Vedder et Anoushka Eloise Zoob Carter. Andreas Malm en a coordonné l’écriture. Lise Benoist a traduit le texte en français, avec la participation de Claire Lagier. » (p. 7)
[2] Malm Andreas, Fossil capital: the rise of steam power and the roots of global warming, Londres, Verso, 2016, p. 11.
[3] Jacques Peter J., « A General Theory of Climate Denial », in Global Environmental Politics, no 12, 2012.
[4] Voir par exemple ce reportage de Jade Lindgaard dans Mediapart.
[5] Voir l’excellente série de France Culture sur « Le mythe du grand remplacement : un virus français ».
[6] Voir par exemple l’enquête de Carle Zoé, « Les contre-révolutions écologiques des droites dures », in Revue du Crieur, no 8, vol. 2017/3, p. 44‑61.
[7] À la notable exception du texte de Charbonnier Pierre, « Le tournant réaliste de l’écologie politique. Pourquoi les écologistes doivent apprendre à parler le langage de la géopolitique », in Le Grand Continent, 30 septembre 2020.