France, automne 2023 : la solidarité et la démocratie en danger
Macron poursuit avec son gouvernement et ses soutiens une politique extrêmement dangereuse, et ce dans tous les domaines. Mais venant d’un Président deux fois élu face à Le Pen, les ravages de Macron dans les domaines de la solidarité et de la démocratie sont particulièrement remarquables et dramatiques pour l’avenir. Un peu plus d’un mois après l’attaque du Hamas, avec les crimes de guerre qu’elle a comportés, et le début d’une nouvelle offensive guerrière d’Israël contre Gaza (impliquant un nettoyage ethnique, des crimes de guerre et un potentiel génocidaire) la France est toujours sous le coup d’une opération idéologique et autoritaire particulièrement violente.
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La répression de la solidarité avec la Palestine
Par engagement anticolonial et anti-impérialiste, mais aussi par humanité et par bon sens, nous refusons une nouvelle campagne de massacres contre la Palestine, qu’Israël colonise à petit feu le reste du temps. Nous voulons dire haut et fort que la guerre coloniale ne peut pas être la solution car elle est le problème depuis 75 ans. Or, c’est cette position que la droite gouvernant en France cherche à criminaliser.
Les moyens mis en œuvre sont particulièrement impressionnants : Macron et ses soutiens ont manifestement décidé de saisir l’occasion créée par le choc, la sidération, l’horreur, le sentiment de désespoir largement ressentis dans le pays face d’abord aux crimes de guerre commis dans le cadre de l’attaque du Hamas, et très vite face aux massacres et aux destructions d’une bien plus grande ampleur par lesquels Israël a décidé d’y répondre, dans le prolongement de sa politique coloniale et avec le soutien de nombreuses puissances mondiales dont la France.
Assimilation de l’antisionisme à de l’antisémitisme. Répression de la campagne BDS. Interdiction et/ou répression policière de manifestations de solidarité avec la Palestine. Ces différents éléments sont loin d’être nouveaux mais ont été réactivés, par un gouvernement qui s’est aussi distingué par des dissolutions d’organisations du mouvement antiraciste (et des tentatives contre l’écologie radicale notamment), ou encore une violente répression policière contre les jeunes des quartiers populaires et les manifestations sociales. S’y ajoute un déluge médiatique impressionnant relayant le point de vue d’Israël sur la situation en Palestine, et l’assimilation d’autres points de vue à une apologie du terrorisme, y compris avec poursuites judiciaires ou disciplinaires.
Le 12 novembre
Pour parachever cette stratégie, la droite qui gouverne autour de Macron organisait donc dimanche 12 novembre une manifestation « contre l’antisémitisme » accueillante pour le RN et la majeure partie de l’extrême-droite. Cette démarche est un grave danger pour tou·tes celles et ceux qui luttent contre l’antisémitisme.
L’extrême-droite française reste l’héritière historique de l’antisémitisme fasciste, et continue à renouveler cet héritage, surtout dans ses franges extra-parlementaires, dans lesquelles pourtant le RN et Reconquête recrutent des membres importants et puisent une inspiration idéologique. Si elle soutient largement la nouvelle guerre coloniale menée par Israël et la lutte contre un prétendu « nouvel antisémitisme », c’est que cette lutte a tout pour lui plaire car elle est en fait une attaque contre la gauche et les Arabes.
C’est aussi ce que vise à faire cette manifestation : lancer de graves accusations contre toute composante de la gauche sociale et politique qui refuserait de s’y associer, et continuer de réduire l’émotion et la protestation légitimes contre des massacres en cours et contre des décennies d’injustice en Palestine à un « antisémitisme arabe et de gauche ».
Loin de faire reculer l’antisémitisme, cette politique tend à garantir que toute forme d’opposition non-antisémite soit empêchée de s’exprimer librement, et faire passer des islamophobes pour des gens qui défendent les Juif·ves contre le racisme. C’est donc une politique qui ne peut que laisser au contraire le champ libre à l’antisémitisme, dont on a effectivement observé des expressions inquiétantes ces derniers temps. Mais défendre réellement les Juif·ves est en fait le cadet des soucis de Macron.
On ne peut pas comprendre l’intensité de l’offensive si on se concentre uniquement sur la politique de la France au Moyen-Orient ou vis-à-vis de l’antisémitisme. Macron et son entourage ont voulu saisir l’occasion de l’état de choc qui s’est emparé de la société pour atteindre de nouveaux objectifs sur le plan intérieur. « Il ne faut jamais gaspiller une bonne crise », dit-on parfois. Mais quels sont alors ces objectifs ?
Macron avec Le Pen contre la démocratie et la solidarité
Ce n’est pas seulement la solidarité avec les droits humains et démocratiques des Palestinien·nes qui est attaquée, c’est la solidarité et la démocratie « tout court ». Dans cette séquence, on voit un gouvernement faire constamment l’apologie du terrorisme d’État d’Israël, et attaquer ceux qui protestent contre les crimes de l’État israélien pour apologie du terrorisme ; mais aussi donner à l’extrême-droite l’occasion de manifester contre l’antisémitisme, pour mieux faire oublier qu’elle est l’héritière du fascisme du 20e siècle et porteuse de celui du 21e ; et organiser cette offensive idéologique avec tous les moyens autoritaires dont dispose le gouvernement.
Cette façon de faire tend à étouffer tout débat politique. Elle le réduit à un simple choix entre approuver totalement la politique gouvernementale ou être assimilé au terrorisme. La situation était déjà dramatique quand l’alternative politique (au second tour puis lors de contestations contre la politique de Macron) était censée être entre Macron et Le Pen. Aujourd’hui le choix est censé être entre le consensus Macron-Le Pen et le mal absolu (les crimes antisémites et le terrorisme en général). Il n’y a pas de mot assez fort pour caractériser le mal que Macron fait ainsi à la société. Cette démarche est un véritable poison pour tout ce qui peut rester de démocratique et de solidaire dans la société française.
Dans un contexte national et global de montée du néo-fascisme, Macron portera une lourde responsabilité dans la poursuite du renforcement de l’extrême-droite, à laquelle il continue de laisser le champ libre pour se maintenir et affaiblir l’opposition de gauche, comme si jouer avec le feu ne menaçait pas un jour de mettre le pays littéralement à feu et à sang. On peut même considérer que la présidence Macron aura été un laboratoire de toute politique de gouvernement d’extrême-droite future en France, un véritable terrain d’expérimentation dans lequel nous sommes les cobayes et nous faisons déjà l’expérience de certaines des réalités qui deviendraient systématiques sous un tel gouvernement.
Le but visé est au bout du compte de réduire au silence, démobiliser, démoraliser toute opposition de gauche, sur la question de la Palestine, sur des questions liées comme la lutte contre la guerre, le racisme, le néo-colonialisme et l’impérialisme en général, mais aussi sur toute la politique des classes dominantes. Tout est fait aujourd’hui pour discréditer la gauche sociale et politique, la délégitimer, la marginaliser, l’écraser. C’est la stratégie du « il n’y a pas d’alternative » poussée à son paroxysme.
Cette politique est efficace parce que le choc est grand, que les moyens dont dispose le gouvernement (aussi bien ses moyens institutionnels formels que ses soutiens dans les grands médias par exemple) sont immenses, et qu’il est prêt à les utiliser de la façon la plus cynique. Par conséquent, les organisations du mouvement social, associatif, syndical, et politique sont mises en difficulté – quand elles ne tentent pas, comme une partie du PS, du PCF, et d’EELV, de régler les comptes internes à la gauche à cette occasion, en jouant les idiots utiles de la poignée de mains Macron-Le Pen.
Le comble de cette situation politique dramatique est qu’elle a permis à l’opération de Macron de faire venir à la manifestation des personnes sincèrement opposées à l’antisémitisme et qui n’ont pas perçu le danger. Cependant, la présence de l’extrême-droite n’était pas un fait secondaire quoique regrettable. Sa présence à l’invitation du camp de Macron était l’essence même de cette marche (la tentative par un groupe de jeunes juif·ves de chasser des antisémites de la manifestation parisienne s’est soldée par un échec après l’intervention de la police ; le rassemblement alternatif de gauche organisé le matin à Paris a été interdit). Heureusement, il existe un pôle social et politique organisé, autour de LFI, du NPA et de la CGT notamment, qui a refusé la dangereuse mascarade de cette manifestation du 12 novembre. C’est un signe d’espoir pour la suite.
Notre alternative pour la Palestine, pour la solidarité et la démocratie
Sur le mouvement social et politique, et sur nous tou·tes, reposera la construction d’une véritable mobilisation de masse contre la guerre et la colonisation en Palestine, capable de faire renoncer Macron à ses mesures autoritaires. Dans cette mobilisation, comme on l’a encore constaté dans la manifestation du 11 novembre, le mouvement pro-palestinien est déjà en train de se reconstruire en France, malgré tous les obstacles. Cette mobilisation doit en même temps être conçue par la gauche sociale et politique comme une étape dans le cadre d’une stratégie plus générale de contre-offensive pour la solidarité et la démocratie.
Notre camp politique et social, à l’instar du mouvement ouvrier depuis ses origines, est porteur d’une critique de la « démocratie bourgeoise », mais il a aussi toujours été le fer de lance de la lutte pour tout ce qu’il y a de réellement démocratique dans nos sociétés, malgré la « dictature de la bourgeoisie » qui s’y exerce. Tout ce qui existe concrètement de libertés et solidarités fondamentales dans ce pays, « on s’est battu·es pour le gagner ». Si nous ne nous battons pas pour le garder, ce n’est pas la bourgeoisie soi-disant « démocrate » qui le fera à notre place, et s’il le faut elle le détruira entièrement.
La situation est grave, mais cette bataille peut être menée, et gagnée. Nos idées politiques sont fortement réprimées, mais aussi encore largement partagées : le choc d’octobre 2023 n’a pas soudain transformé la majorité de la société en fan club du colonialisme, des bombes et des massacres de civils, au contraire. Ni en fan-club de Macron et de sa politique générale, qui reste très impopulaire. Le bon sens que la gauche et le mouvement ouvrier ont longuement construit et popularisé dans la société est fragilisé, attaqué, mais il vit encore, et nous pouvons le renforcer. La gravité de la situation en fait une nécessité vitale, et les principales organisations politiques et syndicales, soit les plus larges secteurs organisés qui subsistent dans le pays, doivent assumer leurs très grandes responsabilités en la matière. Si elles ne se mobilisent pas dans la durée pour faire reculer l’autoritarisme qui nous étouffe, les offensives macronistes finiront par tout ravager dans le pays, mais il est encore temps.
Les mauvais jours finiront
Même si la bataille s’annonce particulièrement difficile dans les jours et les semaines qui viennent, ces mauvais jours ne seront pas éternels.
Accablé·es par l’avalanche des événements tragiques en Palestine suivie de près par celle des interventions politiques ultra-réactionnaires en France, nous avons parfois le sentiment de revivre les pires heures de la « guerre contre le terrorisme ». Alors que la comparaison entre l’attaque du Hamas et le 11 septembre ou les attentats de 2015 en France est inepte et dangereuse, en ce qu’elle occulte complètement le contexte colonial en Palestine, ce qui peut bien être comparé en revanche est la réponse des classes dirigeantes occidentales. Réponse par la guerre, qui est un désastre en soi et n’a jamais que nourri le terrorisme, mais aussi l’impérialisme – et dans le cas présent le colonialisme israélien. Réponse par la répression contre les non-blanc·hes, le mouvement social et la gauche, dans une société en état de choc. Et en fin de compte par l’étouffement de toute politique solidaire et démocratique.
Dans une telle adversité, il y a de quoi douter de nos forces. N’oublions pas cependant qu’après 2015, l’année 2016 a été marquée par Nuit Debout, et le début d’un cycle de mobilisations dans la jeunesse, puis dans la société en général. Les moments où nous sentons monter un sentiment d’impuissance sont dangereux, mais si nous persistons à construire une activité politique démocratique et solidaire, un grand retournement favorable sera possible.
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Illustration : Martin Noda / Hans Lucas / Photothèque rouge.