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Hendrik Davi, député de la France Insoumise et militant de la Gauche écosocialiste, a publié en septembre 2023 un livre intitulé Le capital c’est nous. Manifeste pour une justice sociale et écologique, aux éditions Hors d’atteinte. Contretemps en publie quelques bonnes feuilles issues de la dernière partie, « Que faire en France au XXIe siècle ? », dans lesquelles l’auteur soulève les principaux défis organisationnels pour la gauche, à commencer par la question de la démocratie interne à la France Insoumise.

Ce débat a évidemment ressurgi après la campagne présidentielle de 2022. Clémentine Autain, mais aussi François Ruffin, puis Raquel Garido, Alexis Corbière ou Éric Coquerel ont pris position pour une démocratisation de la FI.

Résumons les grandes critiques qui ont été adressées au mode d’organisation de la France insoumise. D’abord, les groupes d’action (GA) locaux avaient certes toute latitude pour définir leurs modalités d’action, mais ils ne disposaient d’aucune autonomie de moyens. Il leur était impossible de produire leur propre matériel militant et de le faire financer par la FI. Il n’y avait pas de représentations officielles de la FI aux différents échelons municipaux, départementaux ou régionaux : par conséquent, la préparation des élections intermédiaires a toujours été chaotique et les instances qui ont décidé des investitures étaient créées de façon ad hoc par en haut. Le tirage au sort était la seule façon de représenter « la base » dans ces différentes instances.

Il n’y avait donc par conséquent pas de représentation légitime de la FI dans des instances unitaires avec des syndicats, des associations ou des partis politiques. Enfin, des décisions stratégiques nationales ont été prises, comme le changement de ligne pour les européennes ou l’expérience de la Nupes, sans qu’elles n’émanent d’aucune instance nationale. Une dernière critique est revenue régulièrement : il n’y avait pas de travail sur la formation des militants, ce qui aboutissait in fine à un manque de cadres.

Des avancées ont été obtenues d’abord en 2019. Une coordination des espaces a été mise en place, le fonctionnement des différents espaces s’est amélioré, notamment celui de l’espace « programme », et un début d’autonomie financière des GA a été gagné. Mais, globalement, le caractère administratif du fonctionnement de la FI n’a pas évolué, même après la nouvelle réforme de 2022. La coordination des espaces tire vaguement sa légitimité d’une assemblée représentative, mais sans aucune élection.

Dans la FI perdure l’illusion d’une administration tournée vers l’action au service du peuple[1], tandis que la question de la direction, donc de la manière dont on choisit entre différentes options stratégiques possibles, est éludée. Il semble choquant de se satisfaire de ce mode de fonctionnement alors que nous nous battons contre le rabougrissement de la démocratie sociale dans la fonction publique et au sein des entreprises à travers les lois « travail » et, pire, que nous revendiquons un approfondissement radical de la démocratie à travers une VIe République.

À l’origine, la nécessité d’une organisation de type administratif et non démocratique est en fait théorisée implicitement par Jean-Luc Mélenchon à travers l’exigence d’une guerre de mouvement pour prendre le pouvoir et organiser directement le peuple en limitant le recours aux médiations. Je pense qu’il y a dans ce raisonnement une erreur fondamentale : une sous-estimation de la nécessaire dialectique entre la guerre de position et la guerre de mouvement. Un gouvernement dirigé par la FI issu d’une victoire obtenue lors d’une élection générale, s’apparentant à une guerre de mouvement réussie, n’aura pas les mêmes opportunités s’il peut s’appuyer ou non sur un parti de masse organisé démocratiquement, indépendamment des élus et des positions institutionnelles dans différentes collectivités territoriales.

J’y reviendrai dans le chapitre suivant, mais le déroulement du « jour d’après » une victoire électorale nationale dépend du niveau d’auto-organisation et de conscience de la fraction la plus avancée de ceux qui partagent notre horizon anticapitaliste et écosocialiste. Cela dépend aussi de l’indépendance des associations et des syndicats qui pourront maintenir cette auto-activité des masses, nécessaire dans la lutte des classes et qui a souvent fait défaut quand la gauche était au pouvoir, notamment entre 1981 et 1995 et entre 1997 et 2002.

L’absence de démocratie et le refus de reconnaître le pluralisme au sein de la FI sont, selon moi, des freins pour que la France insoumise devienne un instrument durable permettant d’organiser les masses dans la lutte contre le capitalisme et pour l’écosocialisme. Nous avons besoin, dans la durée, de formations politiques qui fonctionnent démocratiquement. J’en énumère ici quelques raisons essentielles.

Premièrement, le fonctionnement démocratique est, in fine, le plus efficace pour élaborer dans la durée des orientations justes et gagnantes. C’est le pari démocratique que j’ai déjà largement décrit. Je ne vois aucune raison à faire ce pari pour la société tout en imaginant qu’il serait invalide pour le parti ou le mouvement politique qui devrait être le moyen de faire gagner la VIe République. Pire, nous pouvons craindre que le manque de démocratie interne préfigure un manque de démocratie une fois au pouvoir. L’histoire des révolutions passées en Russie, en Chine ou à Cuba démontre que la prise de pouvoir sans exercice permanent de la démocratie, y compris interne, conduit à des échecs. Ceci est d’autant plus vrai que tout processus révolutionnaire mène à une lutte sans merci, qui tend de toute façon à rabougrir les traditions démocratiques. La vitesse avec laquelle Staline a réussi à étouffer la sève démocratique au sein du Parti bolchévique puis de la Troisième Internationale doit nous interpeller.

Deuxièmement, le fonctionnement démocratique est celui qui permet la constitution d’un collectif vivant d’intellectuels et de former dans la lutte politique des générations de cadres aptes à jouer par la suite le rôle de dirigeants. C’est dans les débats internes à la LCR, au NPA ou à la CGT, autour d’orientations parfois contradictoires, que j’ai appris à affirmer mes propres convictions. C’est en participant à ce mouvement démocratique conflictuel qu’on devient un cadre militant. La formation intellectuelle est nécessaire, mais elle ne peut se substituer à la formation par l’action militante et le débat démocratique.

La direction révolutionnaire formée par ces cadres militants joue un rôle important dans le processus révolutionnaire, car il faut des hommes et des femmes à la pointe du combat pour proposer des orientations. Celles-ci sont évidemment le fruit d’une réflexion collective et d’un aller-retour dialectique permanent entre la théorie et la pratique d’une part et entre la base et la direction d’autre part. Et ces propositions deviennent des orientations effectives des organisations si elles sont validées démocratiquement par l’ensemble de leurs adhérents. Éluder la question du pouvoir de proposition des directions est dangereux car en l’absence de localisation du pouvoir, tout le pouvoir est, sans contre-pouvoir, au pouvoir existant. Dans le cadre de la FI, ce pouvoir constitué est Jean-Luc Mélenchon lui-même et les cadres avec qui il élabore les grandes orientations stratégiques de façon informelle.

Au moment où j’écris ces lignes, la FI est donc à l’heure des choix. Soit nous arrivons collectivement à faire le pari de la démocratie interne et la FI pourrait devenir cet outil du XXIe siècle au service d’une révolution écosocialiste, soit les voies de la refondation trouveront d’autres chemins. La seule chose qui transcende le temps dans un processus révolutionnaire, ce sont les organisations. Toutes les solutions populistes qui trouvent des raccourcis autour de dirigeants charismatiques sont vouées à l’échec.

Nous le voyons sur ce sujet, un des principaux verrous à la refondation politique, qui est aussi prégnant dans la rénovation syndicale, est l’obsession de contrôle des dirigeants. La lutte contre toutes les captations de pouvoir par une minorité doit devenir une marque de fabrique du camp écosocialiste. Ce point névralgique recouvre la lutte contre le patriarcat et la culture de la prédation : nos organisations doivent donc organiser méthodiquement la déprédation. Nous devons nous doter de statuts qui protègent les femmes de la domination masculine, les personnes racisées des réflexes racistes, les jeunes de l’omniprésence des plus vieux et les ouvriers de la domination des intellectuels. Pour cela, la rotation des mandats électifs et de direction au sein du parti et le strict non-cumul des mandats sont des principes cardinaux que nous devons absolument respecter.

Mais même si nous arrivons sur le long terme à refonder une force radicale écosocialiste qui fonctionne démocratiquement, elle ne pourra à elle seul permettre aujourd’hui une victoire électorale à des élections générales. C’est la conséquence de l’analyse de la situation politique française : il existe durablement une tripartition du champ politique français avec l’extrême droite, le centre droit et la gauche. Sans unité, la gauche peut difficilement gagner des élections générales ; mais la forme de l’unité et le périmètre du front sont des éléments importants. Nous devons penser les différents fronts électoraux, capables de mobiliser l’électorat populaire pour permettre des victoires ou, au moins, d’avoir des élus dans les différentes collectivités territoriales et au niveau de l’État central.

Nous devons évidemment viser une victoire à des élections générales pour entamer un affrontement avec les classes dominantes et une bifurcation de notre modèle économique. Mais il ne faut pas sous-estimer l’importance de l’ancrage local, donc de victoires plus locales. C’est un autre impensé de l’extrême gauche, partagé par la France insoumise de 2017 à 2022. L’absence de structuration locale pérenne de la FI avait comme autre corollaire une faible capacité à s’ancrer dans les collectivités territoriales. Or, une des grandes réussites du PS et du PCF a été précisément de s’ancrer durablement dans les territoires grâce au socialisme et au communisme municipal, puis à la gestion de départements et de régions. Ces étapes sont absolument indispensables dans la reconstitution d’un rapport de force global et ne peuvent pas être négligées. L’ancrage local charrie néanmoins aussi son lot de risques et de limites que nous ne devons pas non plus sous-estimer.

D’abord, la géographie du capital tend de plus en plus à affaiblir les collectivités territoriales : elles ont de nombreuses prérogatives, mais de moins en moins de moyens propres. De plus, le processus de métropolisation et la montée en puissance du rôle des régions ont progressivement dépouillé les acteurs historiques des territoires qu’étaient les départements et les communes. Cette dynamique de dessaisissement démocratique des collectivités territoriales a pour conséquence qu’elles disposent de moins en moins de moyens réels pour freiner la dynamique néolibérale. Pire, cette dernière passe par une mise en concurrence réglée des collectivités territoriales.

La participation de révolutionnaires à des exécutifs de ce type doit être bien réfléchie et dépend du rapport de force. En revanche, nous avons toujours intérêt à y avoir des élus au moins dans l’opposition pour exercer un contrôle démocratique et accumuler une connaissance des dossiers. La condition pour participer à des exécutifs est, selon moi, la même que pour un gouvernement : nous devons participer à des coalitions larges rassemblant toute la gauche et les écologistes, mais dont le centre de gravité reste la gauche radicale, incarnée en France par la FI ou le FDG dans la période récente.

C’est cette approche que j’ai tenté de mettre en œuvre avec d’autres au sein du Printemps marseillais. Nous avons partiellement échoué : il est donc intéressant de revenir sur cet épisode. Le Printemps marseillais est un mouvement initié en 2019, avant la campagne des municipales à Marseille, par des personnalités venant du PS (Benoît Payan), d’EELV (Michèle Rubirola), du PCF (Jean-Marc Coppola, ancien candidat du FDG à la mairie de Marseille), de la FI (Sophie Camard, la suppléante de Jean-Luc Mélenchon), de syndicalistes (Pierre-Marie Ganozzi) et de collectifs de citoyens situés au au centre gauche comme Mad Mars (autour d’Olivia Fortin). Ce mouvement a pris corps autour d’une tribune et s’est ensuite constitué avec notamment un exécutif, le parlement du Printemps marseillais, qui rassemblait les différentes composantes et auquel j’ai participé de juillet à décembre 2019.

Au cours de l’été 2019, nous avons réussi à rassembler la FI autour d’une participation au Printemps marseillais sous deux conditions : d’une part, le Printemps marseillais devait inclure les collectifs des quartiers populaires qui allaient durablement ancrer sa dynamique à gauche ; d’autre part, le ou la candidate à la mairie ne devait pas être issu du Parti socialiste, pour incarner une alternative. Hélas, nous avons échoué sur ces deux conditions, raison pour laquelle j’ai fait le choix de quitter le mouvement. Benoît Payan a finalement renoncé à être candidat et Michèle Rubirola a été élue. La victoire s’est faite avec les secteurs de droite du 6/8, mais sans les quartiers populaires des XIII et XIVe arrondissements où deux candidatures de gauche se sont maintenues au premier tour (dont une portée par la FI), division qui a été fatale dans ce secteur. Enfin, Michèle Rubirola a rapidement été contrainte de quitter sa fonction et Benoît Payan est devenu maire de Marseille.

Notons au passage que les maux dont souffrent la France insoumise en tant que mouvement gazeux se sont retrouvés dans le Printemps marseillais, dirigé d’en haut par un petit groupe de personnes qui ont ainsi préempté l’espace de l’union de la gauche. Par ailleurs, une partie d’EELV est restée en dehors du mouvement et a soutenu la candidature alternative de Sébastien Barles.

Cette histoire est emblématique des batailles, ici perdues, que nous devons mener pour que les victoires de la gauche soient ancrées du côté anti-libéral. Même si la mairie mène une politique globalement de gauche, une de ses premières mesures a consisté à restreindre le droit de grève des personnels assurant la pause du midi dans les écoles. Sur ce sujet, comme sur d’autres, la mairie de Marseille mène des politiques qui s’affrontent directement aux revendications du mouvement social et notamment des syndicats de transformation sociale que sont la CGT, FSU et Solidaires. Le risque est grand que la seconde ville de France voie s’opérer un divorce entre le mouvement social et une mairie de gauche, qui risque d’aggraver l’éloignement du peuple de gauche et de la gauche institutionnelle.

Ce divorce a souvent eu par le passé des conséquences durables. Le peuple de gauche est ainsi resté longtemps marqué par les renoncements de Mitterrand après le tournant de la rigueur de 1983, ceux de la gauche plurielle de 1997 à 2002 qui ont conduit à l’échec de Lionel Jospin en 2002 ou ceux de Hollande qui ont mené la gauche à ses scores les plus faibles. Ces échecs de la gauche au pouvoir ont aussi eu des conséquences dans les collectivités territoriales : c’est le cas de la région Paca, longtemps dirigée par la gauche avec Michel Vauzelle, gauche qui n’arrive même plus à se maintenir au second tour depuis 2014 ! Quand nous arrivons dans des exécutifs, il est donc absolument essentiel que le centre de gravité soit une gauche d’affrontement avec la logique de prédation du capital et du productivisme.

C’est pour cela que l’expérience de la Nupes est si importante. Elle nous a permis de construire une unité dans un temps record autour d’un programme de plus de six cents mesures qui vise à transformer radicalement la société. Nous avons là un cadre d’alliance électorale rêvé. Il est d’abord extrêmement large, puisqu’il rassemble la gauche modérée du PS, l’écologie politique réformiste d’EELV, le PCF, mais aussi la FI et qu’il inclut l’extrême gauche avec notamment le Parti ouvrier indépendant, un élargissement à une partie du Nouveau parti anticapitaliste semblant possible. D’autre part, le centre de gravité est bien à gauche puisque la FI est la force principale du regroupement et dispose du plus grand nombre de députés.

Cette initiative a réussi grâce à un rapport de force construit pendant l’élection présidentielle : il aura fallu la division à l’élection présidentielle, l’échec de candidatures plus modérés et le succès de la campagne de Jean-Luc Mélenchon. Se battre uniquement pour l’unité de la gauche conduit en général à la subordonner à sa fraction la moins radicale. La stratégie de la FI a été la bonne : il fallait d’abord remobiliser les classes populaires autour d’un programme de rupture et d’affrontement avec la logique du capital ; puis, la force venant à la force, les citoyens plus sensibles à la gauche modérée ont fini par voter Jean-Luc Mélenchon. Nous avons ainsi subordonné le comportement électoral des franges modérées de la gauche aux intérêts de classe des couches les plus populaires232. C’est la voie que nous devons continuer à suivre. En revanche, ne nous illusionnons pas : le score à la présidentielle de 2017 et de 2022 ne représente pas le vrai rapport de force au sein de la société entre les différentes composantes de la gauche et de l’écologie politique.

Quelles sont nos tâches pour que la Nupes gagne les prochaines élections générales, soit à la suite d’une dissolution de l’Assemblée nationale, soit lors de la prochaine élection[2] présidentielle en 2027 ? D’abord, la Nupes doit être renforcée sur tout le territoire avec des assemblées de militants, de circonscriptions ou de villes, partout où c’est possible. Ces assemblées doivent toujours impliquer au mieux toutes les composantes de la Nupes. Le patient travail unitaire doit se poursuivre localement en prenant appui sur les campagnes nationales initiées par les forces politiques ou l’inter-groupe parlementaire. Hélas, à l’heure où j’écris ces lignes, c’est plutôt la division que semblent choisir les différents appareils politiques qui composent la Nupes. Quand bien même cette division l’emporterait, dans des institutions favorisant le fait majoritaire, l’unité demeurera nécessaire à cause de la tripartition du champ politique français et du risque néofasciste.

Ensuite, en tant que parlementaires, il est de notre responsabilité de faire vivre la Nupes au parlement et de parler d’une seule voix à chaque fois que c’est possible. Mais, pour gagner aux prochaines élections, la Nupes doit encore convaincre différentes franges de la population que nous disposons de solutions pour surmonter les crises sociales, économiques et écologiques. Différentes catégories de populations doivent être visées par notre discours. D’abord, il nous faut continuer notre travail de mobilisation des classes populaires notamment à travers un programme social ambitieux attaché à l’universalisation des droits. Il nous faut traduire ce programme en une série de mesures de transition simples et compréhensibles par toutes et tous. Par exemple, nous devons défendre l’indexation des salaires et de tous les revenus sur l’inflation, en expliquant que ce n’est pas aux salariés de payer la spéculation actuelle sur les matières premières et sur l’énergie. De façon complémentaire, le blocage des prix alimentaires et de l’énergie ainsi que l’encadrement des loyers doivent être mis en avant : voilà une autre facette de la lutte des classes pour une plus juste répartition de la valeur ajoutée.

Sur le long terme, un service public du logement doit être fondé pour construire massivement des logements sociaux et organiser la rénovation globale de tous les logements afin de réduire nos émissions de gaz à effet de serre et de limiter notre dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie et des pays du Golfe. Un véritable service public unifié de l’énergie et des transports doit également permettre la bifurcation de notre modèle énergétique vers 100 % d’énergies renouvelables et des transports en commun plus fréquents, gratuits pour toutes et tous.

Bien sûr la mise en œuvre d’un tel programme d’urgence requiert une plus juste répartition des richesses, donc une décapitalisation des multinationales françaises. Nous devons assumer ce nécessaire affrontement. Bernard Arnault est devenu la première fortune mondiale avec 213 milliards d’€ : s’il redistribuait cette somme à chacun des 157 000 salariés de son groupe qui ont travaillé pour qu’il puisse amasser cette fortune, chacun d’eux recevrait 1,35 millions d’€. Il est possible de faire prendre conscience au plus grand nombre que la redistribution des richesses ouvre des possibilités gigantesques pour nos sociétés en matière de justice sociale et de bifurcation écologique.

Cependant, le risque de victoire du fascisme en France avec le Rassemblement national et Reconquête devient de plus en plus sérieux. Des puissances d’argent soutiennent désormais activement cette possibilité : c’est le cas notamment de Vincent Bolloré, devenu entre autres patron de CNews, d’Europe 1, du Journal du dimanche et de Paris Match. Le risque d’une union des droites est réel avec l’évolution actuelle des Républicains, écartelés entre le pouvoir macroniste qui se droitise et la menace RN.

Face à ces dynamiques de droitisation de la société française, la Nupes doit être capable elle aussi de reconquérir les classes moyennes supérieures qui votaient François Hollande et sont parties durablement chez Emmanuel Macron. Elle doit aussi pouvoir s’adresser à l’ancienne petite bourgeoisie commerçante et industrielle en partie polarisée  par l’extrême droite, mais qui pourrait vouloir faire barrage au second tour à un président des riches qui ne représente pas ses intérêts.

Dans ce contexte, il est difficile de parler à tous les électorats. Mais je pense que, maintenant que nous sommes en position de reconquête globale à gauche avec la Nupes et que la FI y tient la position dominante, nous avons moins besoin du bruit et de la fureur, stratégie revendiquée par Jean- Luc Mélenchon pour nous faire entendre. Comme l’avance François Ruffin, il faut se « soc-démiser » sur la forme et rassurer les électorats qui pourraient se détourner de nous du fait du bruit et de la fureur. Pour parler aux couches populaires, nous avons surtout besoin d’un discours simple et efficace, radical sur le fond mais sobre sur la forme. Enfin, il n’existe pas de raccourcis médiatiques qui nous permettraient de convaincre les masses par des interventions radicales dans les médias car, nous l’avons vu, les espaces médiatiques nous sont défavorables. Nous devons surtout retrouver massivement le contact du terrain, ce qui passe par un déploiement le plus large possible sur tous les territoires.

Or ce déploiement n’est pas possible sans une structuration démocratique de la FI d’une part et sans une unité sans faille au sein de la Nupes d’autre part. La FI et la Nupes doivent donc réinventer des moyens de faire de la politique ensemble en faisant participer activement le plus grand nombre. Si nous y parvenons, je reste persuadé qu’une victoire électorale de la gauche sur une base de transformation radicale de la société est possible.

Notes

[1] Manuel Cervera-Marzal, Le Populisme de gauche, La Découverte, 2021.

[2] Avec une double limite tout de même : d’abord, la gauche n’a pas été présente au second tour de l’élection présidentielle ; ensuite, cette unité a avant tout été électorale.

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